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ÊTRE ET NE PAS ÊTRE UN ANIMAL

 

Être ou ne pas être un animal

Par Alain Prochiantz

Le propos de cette conférence sera d'expliquer comment le système nerveux se construit, comment il a pu évoluer et comment cette évolution a rencontré un point de rupture qui fait que tout en étant, nous autres êtres humains, des animaux, nous avons pour ainsi dire échappé à l'ordre de la nature.

Pour passer de l'Suf, une cellule, à l'individu constitué de plusieurs milliards de cellules, une grande quantité d'événements est nécessaire : prolifération, migration, mort, différenciation, regroupement en tissus et organogenèse. Les tissus se forment à partir de trois feuillets embryonnaires mis en place au cours de la gastrulation, étape du développement qui suit la formation de la blastula, boule creuse générée à partir de la prolifération des premières cellules embryonnaires. Schématiquement, le mésoderme donne les muscles et les os ; l'ectoderme, le système nerveux et la peau ; l'endoderme, le tube digestif, les poumons et les glandes annexes du tube digestif comme le foie, le pancréas, la thyroïde. Le système nerveux se développe à partir de la partie dorsale de la blastula. Au cours de la gastrulation, cet ectoderme dorsal est induit à devenir de l'ectoderme neural, c'est-à-dire à former du système nerveux. L'embryon perd sa sphéricité et commence à s'allonger selon l'axe antéro-postérieur. Une plaque neurale s'individualise progressivement dont les bords vont former les bourrelets neuraux. Ces bords se rapprochent alors progressivement pour venir se souder dorsalement au-dessus de la ligne médiane de l'embryon et former le tube neural.

Notre histoire commence ainsi avec une invention majeure de l'évolution : le tube, ou plutôt la plaque neurale. La plaque neurale est en effet spécifique des vertébrés. Les arthropodes, dont nous nous sommes séparés il y a six cents millions d'années, ont des ganglions et non un tube neural. L'invention de la plaque présente un avantage considérable pour ce qui est de l'accroissement des fonctions neurales supérieures. Contrairement à une boule, un ganglion est une boule, la surface d'une feuille est peu limitée par les contraintes d'espace. La feuille peut en effet être plissées et casée dans la cavité de la boîte crânienne, qui est également, pour une part importante et grâce à l'invention parallèle de la crête neurale, un dérivé de l'ectoderme. L'extension de la surface du système nerveux n'est plus limitée par la contrainte mécanique et le cortex d' Homo sapiens possède 2 m2 de surface et 4 mm d'épaisseur.

Dans le développement du système nerveux, comme dans le développement en général, l'information positionnelle joue un rôle important. La plaque des vertébrés peut être vue comme une feuille sur laquelle on peut tracer un quadrillage. Une fois qu'elle est refermée en tube, la plaque reste quadrillée. Le quadrillage du plan permet de placer des coordonnées. Le système nerveux est très hétérogène et les fonctions qui sont engagées par les parties les plus frontales (comme le cortex frontal) ne sont évidemment pas les mêmes que celles engagées par les régions les plus caudales (comme la moelle épinière). Le sort de chaque zone, c'est à dire l'engagement dans des voies de différenciation distinctes le long des axes antéro-postérieur et dorso-ventral est lié à la position des cellules dans ce système de coordonnées. Par exemple, les racines motrices qui vont innerver les muscles sont dans les régions ventrales chez les vertébrés alors que les fibres sensorielles sont dans les régions dorsales. La différenciation du système nerveux suit donc un quadrillage antéro-postérieur et dorso-ventral qui est dérivé du quadrillage de la plaque neurale.

Le repliement en tube neural se produit très tôt au cours du développement, juste après l'induction neurale. Le quadrillage du tube, qui vient d'être évoqué correspond à la construction de frontières entre différents domaines. Ces frontières peuvent changer au cours de l'évolution, modifiant l'importance respective de différents domaines. L'évolution "agit" à la manière d'un architecte qui non seulement modifierait la surface globale de l'appartement, mais aussi les surfaces relatives des différentes pièces de cet appartement. Les mécanismes qui déterminent, selon les espèces, les surfaces qui sont affectées à chaque domaine puis à chaque sous domaine sont l'objet d'une recherche active. Un des modes d'évolution du système nerveux est donc l'augmentation de la surface totale du cortex et la modification de sa compartimentation, par exemple, en donnant plus de place aux aires cognitives, ou moins de place aux aires olfactives, bref en changeant les surfaces respectives dévolues à l'analyse de certaines modalités ou à l'exécution de certaines fonctions. Homo sapiens est remarquable non seulement pour la surface de son cortex, mais aussi par l'existence d'une surface dévolue aux aires cognitives, par exemples les aires du langage, qui est sans commune comparaison avec ce qui existe chez les autres animaux qui, sans être inférieurs, ne sont néanmoins pas au sommet de l'échelle de l'évolution. Si nous définissons ce sommet par les capacité cognitives, linguistiques et, plus largement, culturelles, critère dont j'assume le caractère subjectif.

La définition de la taille respective des territoires, et finalement de l'importance qui peut être donnée aux différentes fonctions à travers les espèces, est déterminée par un très petit nombre de gènes. Il ne s'agit pas ici de penser que ces gènes construisent de manière particulièrement fixiste le système nerveux. Ils déterminent les programmes de développement. Pourquoi des gènes ? Chacun le sait bien et a oublié de s'en étonner : d'un Suf de poule sort toujours une poule. De même pour Homo sapiens. Derrière cette évidence se cache un mécanisme dont la précision et la reproductibilité ne manquent pas d'être étonnantes puisqu'un Suf est une cellule et qu'un organisme est constitué de milliards de cellules. Entre l'Suf - produit de la fécondation - et la forme achevée, la réalisation des programmes de division, migration, différenciation, mort (qui est une différenciation) cellulaires résulte en la production d'un image, toujours le même - caractéristique de l'espèce -, aussi vrai que tout un chacun sait distinguer un homme d'un macaque. Cette incroyable reproductibilité souligne l'existence dans l'Suf d'un plan, au sens de plan des architectes, qui se transmet de génération en génération et qui pour une part importante appartient à ce qu'on appelle le génome. Les biologistes travaillent sur les mécanismes universels qui permettent d'établir le plan, de le transmettre, de le modifier alors que les embryologistes, en particulier les généticiens du développement, tentent de comprendre quelle est la nature de ce plan.

Nous allons momentanément quitter le système nerveux pour donner un aperçu de ce que sont ces gènes architectes qui déterminent le plan de construction de l'organisme et bien évidemment aussi le plan du système nerveux. Morgan, généticien du début du XXe siècle à l'université de Columbia, a détecté des mutations affectant la forme du corps, le phénotype, chez la mouche drosophile. Ces mutations donnent accès à des gènes ayant à voir avec la morphogenèse. Ils permettent de repérer les éléments qui vont déterminer la forme des organes. À partir d'un Suf de mouche il va toujours sortir une mouche parce qu'il contient un certain nombre de gènes et de stratégies de développement qui conduisent du chromosome, du génome, à la mouche. Une mutation chez la mouche transforme les balanciers, organes permettant de voler droit, en une deuxième paire d'ailes. Les cellules qui auraient dû donner le balancier interprètent mal leur position et créent une deuxième paire d'ailes, la mouche devenant alors semblable à une libellule. Ces gènes de développement sont non seulement importants pour passer de l'Suf à l'organisme, c'est-à-dire pour construire l'animal, mais c'est aussi probablement sur eux que repose une large part de la charge de l'évolution. Les mutations de ces gènes de développement, notamment celles qui se produisent dans les éléments régulant leur expression spatio-temporelle, sont probablement responsables pour une grande part de l'apparition d'espèces nouvelles. Les mutations créatrices de nouvelles forme concernent aussi l'espèce humaine car, bien que nous soyons très particuliers, nous restons des animaux et nous avons des ancêtres communs avec tous les animaux qui existent sur cette Terre, et surtout qui en ont disparu, spécialement bien évidemment avec les singes, mais aussi les mouches.

Quels sont ces gènes ? Oublions un instant le cerveau pour nous intéresser aux régions plus postérieures du système nerveux et du corps dans son ensemble. Les gènes de développement des complexes homéotiques (transformation d'un organe en organe homologue : balancier donne aile) sont disposés chez la mouche sur un seul chromosome selon un ordre reproduisant leur patron d'expression corporel le long de l'axe antéro-postérieur Les gènes les plus en 3' (l'avant du chromosome, si l'on peut dire) sont responsables de la construction des organes les plus antérieurs. Au fur et à mesure du déplacement vers les régions postérieures du chromosome, de 3' en 5', nous rencontrons les gènes responsables de la morphogenèse des régions les plus postérieures de la mouche, comme si celle-ci ou du moins son plan, était dessiné à la surface du chromosome. Cette représentation de la mouche qui est transmise de génération en génération, est responsable du fait que d'un Suf de mouche sortira toujours une mouche. La découverte des gènes contrôlant le développement de la drosophile a suscité un ensemble de travaux visant à identifier d'éventuels homologues chez les vertébrés. Chez la souris, il existe des gènes de la même famille. Ces gènes homéotiques ne sont pas disposés sur un seul chromosome comme chez les arthropodes, mais ils se répartissent en quatre complexes A, B, C, D situés sur des chromosomes différents. Ils codent également pour la forme générale du corps chez les vertébrés et sont disposés dans le même ordre que chez la mouche. De plus, ils sont orthologues à ceux trouvés chez la mouche, c'est-à-dire qu'ils sont homologues à travers l'évolution. Non seulement ces gènes sont de structure proche, mais ils sont capables de se complémenter génétiquement. Leurs fonctions sont conservées malgré les six cents millions d'années qui nous séparent de l'ancêtre commun entre les arthropodes et les vertébrés. Ces résultats démontrent l'existence de cet ancêtre commun et suggèrent une très grande similitude au niveau des mécanismes de construction des organismes chez tous les métazoaires, c'est-à-dire les animaux dont le corps est constitué de plusieurs cellules organisées en tissus et organes.

La comparaison entre les vertébrés et les arthropodes s'étendait pour l'instant aux parties postérieures du système nerveux, jusqu'au cou. Les généticiens ont cherché des homologies au niveau des familles de gènes intervenant dans le développement des régions les plus antérieures. Ils ont trouvé chez la drosophile des gènes architectes de la construction du système nerveux. Ces gènes, ou plutôt leurs orthologues, sont présents chez la souris et des expériences de complémentation ont montré une grande conservation au niveau de leur structure et de leur fonction. C'est à nouveau la combinatoire de l'expression de ces gènes qui permet de dessiner des territoires dans le neuroépithélium cérébral c'est-à-dire dans la région la plus antérieure de la plaque neurale.

Prenons un exemple, chez les mammifères deux gènes, appelés Otx1 et Otx2 chez la souris, ont été identifiés. Dans le système nerveux de la souris, Otx2 s'exprime très largement au niveau de ce qui donnera naissance au télencéphale (le cortex et les structures sous-corticales), au diencéphale (région plus postérieure, à l'origine des noyaux thalamiques et sous-thalamiques comme l'hypothalamus) et au mésencéphale (structure encore plus postérieure qui se différencie en tectum et en une partie du cervelet). Cette expression très large correspond à peu près au domaine d'expression de Otd dans le protocerebrum et le deutocerebrum de la mouche. Otx1 apparaît un peu plus tard et est exprimé dans une zone comprise à l'intérieur du domaine d'expression de Otx2. Analogies structurelles, similitudes dans les domaines d'expression, mais qu'en est-il des propriétés fonctionnelles ? L'invalidation - par délétion du gène - de Otx2 chez la souris conduit à la perte des structures antérieures. L'embryon se développe sans tête et meurt avant la naissance. Ce phénotype, qui rappelle celui de la mutation Otd chez la mouche, se produit parce que le système nerveux antérieur n'est pas induit. L'inactivation de Otx1 est loin d'avoir les effets de celle de Otx2. Tout d'abord l'expression de Otx1 est tardive par rapport à celle de Otx2 et, surtout, les souris invalidées naissent avec un cerveau et survivent. Ce cerveau est légèrement anormal ; on note en particulier un amincissement d'une zone du cortex (cortex pariétal) et des défauts comportementaux dont une propension à faire de graves crises épileptiques. Mais un des aspects les plus intéressants ne concerne pas le système nerveux au sens propre mais l'oreille interne. Ces souris perdent, en effet, le conduit semi-circulaire latéral de l'oreille interne, structure qui apparaît au cours de l'évolution avec la transition des poissons sans mâchoires (agnathes) aux poissons à mâchoires (gnasthostomes).

Les premières expériences de complémentation ont consisté à remplacer Otd chez la mouche par Otx2 ou Otx1 et à constater que « ça marche » : l'un ou l'autre des deux gènes de souris peuvent remplacer Otd chez la mouche. À l'inverse, Otd peut remplacer Otx1 chez la souris pour presque tous les défauts observés, y compris le comportement épileptique, à l'exception notable du défaut d'oreille interne qui n'est pas récupéré. Otd peut remplacer Otx2 mais cette complémentation est partielle et nécessite, pour être complète, l'addition d'éléments régulateurs de la traduction du messager. Chez la souris, le remplacement de Otx1 par Otx2 conserve presque toutes les fonctions de Otx1, mais pas la structure normale de l'oreille interne. Cette observation suggère très fortement que Otd et Otx2 sont les vrais orthologues puis que, plus tardivement, Otx2 s'est dupliqué, cette duplication permettant, au cours de l'évolution, une spécialisation des deux gènes paralogues (homologues au sein de la même espèce) et donc une diversification de fonctions, une des copies évoluant vers Otx1 et conduisant à l'acquisition d'une structure de l'oreille interne et d'une fonction corticale plus tardive. Les duplications géniques donnent, en effet, la possibilité d'acquérir de nouvelles fonctions et de nouveaux organes. E conclusion, y compris pour le cerveau, il existe une extraordinaire conservation entre les gènes de la souris et ceux de la mouche, et ce qui apparaît comme fondamental n'est donc pas tant la séquence codantes de ces gènes que les éléments régulateurs de leur expression, au niveau de la transcription, passage de l'ADN à l'ARN puis de la traduction, passage de l'ARN à la protéine.

Les gènes de développement jouent donc un rôle majeur dans la régionalisation, l'allocation des surfaces pour chaque fonction. On comprend alors pourquoi la régulation de l'expression de ces gènes détermine les tailles des différentes aires du cortex qui sont affectées aux différentes fonctions comme l'audition, l'olfaction, la cognition ou le langage. Les généticiens pratiquent aujourd'hui une sorte d'évolution expérimentale en modifiant le dosage des différents gènes de développement et en déplaçant ainsi les frontières entre les différentes régions. Ils inventent des schémas génétiques permettant d' augmenter ou de diminuer les structures impliquées dans des fonctions particulières. L'évolution naturelle n'a probablement pas privilégié l'invention massive de nouveaux gènes - nous avons autant de gènes d'une souris et à peine deux fois plus qu'une mouche. Elle a probablement agit sur des éléments régulateurs de l'expression de gènes de développement, c'est-à-dire modifiant le lieu, le moment et la durée de leur expression. L'étude des gènes de développement permet donc non seulement de comprendre le développement des organismes mais aussi l'évolution des espèces. Une nouvelle discipline est née, l'évo/devo ou développement/évolution.

Nous avons vu précédemment que d'un Suf de poule sortira toujours une poule grâce au plan porté par les chromosomes, le plan de développement, passant de génération en génération avec les instructions sur comment construire l'animal. Cependant, nous savons bien que tous les individus ne sont pas identiques, qu'il n'existe pas de déterminisme génétique strict dans la construction d'un individu. À la construction de l'imago, déterminée par un certain nombre de gènes de développement, se greffe une deuxième construction, celle de l'individu. Le raffinement de la construction du système nerveux au niveau du cortex et de tous les dérivés de la plaque neurale est lié à l'activité sensorielle du système. Le "vécu" de l'animal contribue à modifier la structure d'un système nerveux qu'il faut cesser de penser comme une machine. Les cellules meurent, repoussent, les fibres croissent, décroissent, les synapses se font, se défont. La forme de l'individu est modifiée par ce que l'individu vit.

Les systèmes sensoriels, ouïe, vue, goût, odorat et toucher, mettent l'individu en contact avec le monde, intérieur ou extérieur. Les afférences sensorielles stimulent le système depuis la périphérie. Ces interactions avec le milieu ont une influence sur le milieu de l'animal mais également sur le développement de ce dernier qui s'adapte au milieu. Prenons, une fois encore un exemple. La vision bilatérale exige l'existence de zones, au niveau du thalamus et du cortex visuel, sur lesquelles convergent les stimulations en provenance des deux rétines. Cette zone binoculaire permet de comparer les informations provenant de points situés à l'intérieur du champ visuel couvert par les deux yeux. Plus les yeux sont en position frontale, comme chez l'Homme ou le chat, plus cette zone binoculaire est importante ; plus les yeux sont en position latérale, comme par exemple chez l'oiseau, plus elle est réduite. Chez la souris, la zone binoculaire du cortex visuel est petite mais peut, néanmoins, être analysée par les techniques anatomiques et par l'électrophysiologie. On enregistre dans cette zone du cortex des neurones qui répondent soit à un seul Sil, soit aux deux yeux. Une période, dite critique, se place chez la souris entre 28 et 35 jours de vie postnatale. Si, pendant cette période, la vision d'un Sil est masquée, les neurones du cortex visuel seront, dans la zone binoculaire, très majoritairement recrutés par l'Sil resté ouvert. Ce recrutement est dû à l'innervation de tous les neurones de cette zone corticale par les fibres nerveuses correspondant à l'Sil actif. Si on rouvre l'Sil masqué après cette période, le défaut est irréversible. Par contre la fermeture de l'Sil avant la période critique conduit à un défaut réversible et sa fermeture après cette période est sans effet. Chez l'Homme, pour qui la période critique se place entre 4 et 5 ans, une inégale balance entre les deux yeux, par exemple dans un cas extrême de strabisme, conduit à l'amblyopie, problème dont la gravité est renforcée dans notre espèce par l'étendue de la zone binoculaire.

Il existe des régions du système nerveux où cette période critique ne se produit jamais, ou bien où une fois la période critique passée une certaine plasticité demeure. Dans le système visuel, la perte de plasticité qui suit la période critique est due à la maturation morphologique et biochimique des interneurones GABAergiques. En effet, si on empêche la fonction inhibitrice de ces neurones, par exemple en diminuant leur capacité de synthèse du neuromédiateur inhibiteur qu'est le GABA, la période critique peut alors être repoussée au-delà de ces quatre semaines. Il pourrait donc être proposé que les périodes critiques, au-delà desquelles un apprentissage est difficile voir impossible (pour certains sons par exemple), diffèrent selon les régions du cortex et qu'elles se mettent en place au moment où les interneurones GABAergiques se figent dans leur maturité. A contrario, on pourra aussi proposer que ce qui distingue les régions à renouvellement GABAergique permanent, comme le bulbe olfactif, l'hippocampe ou le cortex associatif, des régions à non-renouvellement est le maintien d'une plasticité physiologique permettant l'apprentissage, par exemple de nouvelles odeurs, ou la mémorisation de nouvelles données. Un rôle lié à l'oubli n'est pas, non plus, à exclure, certaines structures pouvant servir à l'enregistrement provisoire d'une donnée, laquelle sera, ou non, envoyée à des centres de stockage plus permanents.

La possibilité que des régions importantes dans les phénomènes d'apprentissage ou de mémorisation chez l'adulte soient le lieu d'un remplacement continu des interneurones GABAergiques permet de jeter un jour nouveau sur certaines maladies neurodégénératives. Sur le plan des recherches sur le vieillissement, cela signifierait que nombre des données actuellement explorées en biologie du développement pourraient être analysées avec profit. Dans ce contexte, il faut rappeler que plusieurs gènes du développement restent exprimés pendant toute la durée de la vie. Cette expression continuée, et surtout sa régulation, pourrait constituer une forme de réponse aux stimulations sensorielles externes et internes. En effet, il est logique de penser que la permanence du processus ontogénique de renouvellement des neurones, de modification de forme des prolongements neuronaux et de renouvellement synaptique participe à l'adaptation physiologique du cerveau adulte. On ne saurait non plus exclure que les réseaux génétiques recrutés par les gènes de développement chez l'adulte, en réponse aux stimuli physiologiques, diffèrent sensiblement de ceux qui sont en passe d'être identifiés au cours du développement.

Pour terminer, rappelons que l'évolution du cortex, chez les mammifères, montre une évolution de la surface, mais aussi un changement de l'affectation des surfaces. Les aires du langage sont par exemple beaucoup plus grandes chez Homo sapiens que chez le hérisson. C'est probablement à travers des modifications de régulation de l'expression des gènes de développement que nous sommes arrivés à ces modifications fondamentales qui au fond nous importent car elles nous placent en haut de l'échelle des espèces, et quelle que soit l'affection que nous ayons pour nos amies les bêtes, ce ne sont ni des singes ni des mouches qui sont venus assister à cette conférence sur la construction du système nerveux.

Quelques idées des contraintes de temps vont nous permettre de nous rendre compte de la rapidité, de la fulgurance qui a présidé à la mise en place des structures qui font que nous sommes aujourd'hui Homo sapiens.

Bactéries    3,5 milliards d'années
Protozoaires    1 milliard d'année
Métazoaires (ancêtre commun entre les arthropodes et les vertébrés)    600 millions d'années
Agnathe (poisson sans mâchoire)    500 millions d'années
Gnatostomes    400 millions d'années
Tétrapodes et insectes    360 millions d'années
Première radiation des reptiles    280 millions d'années
Dinosaures    250 millions d'années
Oiseaux    150 millions d'années
Fin des dinosaures    110 millions d'années
Grande radiation des mammifères, primates et hominidés    1,8 millions d'années
L'arrivée d' Homo sapiens, il y a 100,000 ans, correspond à environ trois secondes dans une journée de vingt-quatre heures par rapport à l'histoire de la vie. L'histoire de l'humanité durera-t-elle plus de six secondes? Qui peut le dire? Ce qui reste est que l'apparition d' Homo sapiens est très soudaine. Elle s'est produite probablement à la suite de quelques mutations dans l'expression de gènes de développement très particuliers, mutations qui ont déterminé l'expansion d'aires corticales, cérébrales, qui étaient en puissance chez notre ancêtre mais qui n'étaient pas développées au point où elles le sont chez nous. Les ancêtres de l'homme et la lignée de l'homme voient non seulement une augmentation abrupte de la taille du cerveau, mais surtout de sa surface totale et plus particulièrement de celle qui est affectée aux fonctions cognitives. L'invention de la culture, du langage, de la sociabilité, n'est pas pour rien dans la façon qu'a eu Homo sapiens d'être comme sorti de la nature, en quelque sorte d'être et de ne pas être un animal.

Du même auteur

A. Prochiantz. Les stratégies de l'embryon, PUF, 1987.

A. Prochiantz. La construction du cerveau, Hachette, 1989.

A. Prochiantz. Claude Bernard : la révolution physiologique, PUF.,1990.

A. Prochiantz. La biologie dans le boudoir, Editions Odile Jacob, Paris, 1995.

A. Prochiantz. Les anatomies de la pensée, Editions Odile Jacob, Paris, 1997.

A. Prochiantz. Machine-esprit, Editions Odile Jacob, Paris 2001.

J.-F. Peyret et A. Prochiantz. La Génisse et le Pythagoricien, Editions Odile Jacob, Paris 2002.

 

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UNE TRACE PHYSIQUE DE LA MÉMOIRE

 

Une trace physique de la mémoire
Sylvie Gruszow dans mensuel 437


Une expérience originale a permis de démontrer qu'un souvenir particulier est codé, dans le cerveau, par un petit nombre de neurones bien définis.
«N ous sommes désormais certains qu'il existe bien dans le cerveau un chemin physique du souvenir » , affirme Serge Laroche, du laboratoire de neurobiologie de l'apprentissage, de la mémoire et de la communication à l'université Paris-Sud. Ce résultat, on le doit à une équipe interdisciplinaire et internationale, coordonnée par Sheena Josselyn, de l'université de Toronto [1] .

« Jusqu'à présent, à propos du support physique des souvenirs, nous avions des théories et des concepts, mais pas de preuve directe » , poursuit Serge Laroche. Ainsi, depuis les années 1940 et les travaux du psychologue canadien Donald Hebb, on savait que les souvenirs sont encodés, dans notre cerveau, de façon distribuée au sein de réseaux de neurones. À la fin des années 1950, la preuve était faite que des régions spécifiques du cerveau jouent un rôle clé dans la mémorisation, notamment dans le stockage à court terme des souvenirs. Dans l'une de ces structures, l'hippocampe, située dans la partie interne du lobe temporal, la force des connexions entre neurones peut être très rapidement modifiée on parle de « plasticité synaptique ». La découverte de ce phénomène a valu un prix Nobel en 2000 aux neurobiologistes Eric Kandel, Arvid Carlsson et Paul Greengard : il facilite le stockage rapide des informations sans pour autant permettre leur stabilisation à long terme. Des années de recherche ont ensuite été nécessaires pour comprendre que les processus de mise en mémoire à long terme nécessitent un dialogue entre l'hippocampe et les régions corticales * du cerveau.

Mais pourrait-on localiser précisément dans le cerveau un souvenir de la mémoire à long terme ? Depuis les années 1990, les progrès de l'imagerie cérébrale laissaient espérer que ce vieux rêve était enfin à la portée des spécialistes. Mais c'est par une tout autre approche que l'on a fini par y arriver.

« Nous voulions mettre le doigt sur le chemin physique, neuronal, du souvenir. Pour cela, nous avons choisi la manière la plus simple : l'éliminer », explique Bruno Bontempi, du centre de neurosciences intégratives et cognitives de Bordeaux, qui a coordonné la partie « imagerie cérébrale » de l'étude. Celle-ci a effectivement, pour la première fois, démontré expérimentalement que l'on peut présélectionner un réseau de neurones qui constituera la trace d'un souvenir, puis effacer cette dernière en tuant les neurones en question. La mémoire à long terme, en particulier celle de la peur, est bien encodée par un circuit physique neuronal.

Amnésie transitoire
Les biologistes se sont appuyés sur deux études publiées en 2004 et 2007. Dans la première, conduite par l'équipe de Bruno Bontempi, des souris avaient été rendues artificiellement, et transitoirement, amnésiques [2] . Pour cela, les chercheurs avaient injecté un produit dans certaines régions corticales du cerveau des rongeurs et vérifié, à l'aide de tests ad hoc , que cela effaçait chez eux les souvenirs anciens. Ce fut la première démonstration directe du rôle fonctionnel du cortex dans le rappel de la mémoire à long terme. « Contrairement aux expériences où l'on provoque artificiellement des lésions corticales, ici l'effet est transitoire. Les tests confirment qu'il n'y a pas eu de réorganisation neuronale pour encoder les souvenirs, même les plus anciens », explique Bruno Bontempi.

De là est née l'idée de sélectionner une trace mnésique, puis de la détruire au sein d'un circuit neuronal. Il s'agissait ni plus ni moins d'effacer un souvenir présélectionné. « En 2004, nous avons demandé à Sheena Josselyn, qui est biologiste moléculaire, de réfléchir à une construction génétique qui permettrait d'identifier des réseaux neuronaux spécifiques de la mémoire. Elle a eu cette idée originale de conférer un avantage à certains neurones pour qu'ils soient plus efficaces dans l'acquisition d'un souvenir ».

À l'époque Sheena Josselyn travaillait sur un facteur de transcription * appelé CREB, qui favorise la plasticité synaptique et renforce la mémoire à court et à long terme * . Elle a fabriqué un virus qui s'incorpore dans les neurones et y favorise la production de CREB. Les souris à qui l'on injecte le virus deviennent en somme des championnes de la mémoire ! En ajoutant au virus une protéine fluorescente, les biologistes ont pu comptabiliser les neurones qui avaient incorporé le virus. Ils ont aussi vérifié qu'ils étaient bien les responsables de cette amélioration : ils étaient activés beaucoup plus que les autres neurones lorsque l'on soumettait les souris à des tâches de mémoire [3] .

Tueur de neurones
Il fallait ensuite trouver un moyen pour tuer les neurones ayant surexprimé CREB. « Là encore Sheena a fait preuve d'une grande inventivité. Elle a imaginé et fabriqué une construction génétique qui force aussi les neurones qui surexpriment CREB à exprimer en surface des récepteurs à la toxine diphtérique . » Lorsque l'on injecte ensuite cette toxine aux rongeurs qui y sont normalement insensibles, elle se lie aux récepteurs, et les neurones s'engagent alors spécifiquement dans un programme de mort cellulaire.

Armés de ces deux outils, les neurobiologistes pouvaient éliminer sélectivement les neurones les plus actifs dans le processus de mémorisation. L'expérience a été effectuée sur des souris. Dans un premier temps, ils leur ont administré un choc électrique après qu'elles eurent entendu un son. Le rongeur fait naturellement l'association entre le son et le choc électrique. À la deuxième occurrence du son, il s'immobilise quelques secondes. C'est le signe qu'il a peur. Le degré d'immobilité est corrélé aux capacités mnésiques de l'animal.

Pourquoi avaient-ils choisi ce test ? Simplement parce qu'il met en jeu une petite région bien connue du cerveau associée à la peur et aux émotions : l'amygdale. « C'est dans cette région que nous avions injecté le virus avant l'apprentissage. Environ 20 % des neurones de l'amygdale, soit approximativement 10 000 neurones, ont ainsi été modifiés, explique Bruno Bontempi. Ensuite nous avons entraîné les animaux avec le test son/choc électrique. Nous les avons testés à nouveau un jour plus tard pour vérifier que leur mémoire fonctionnait et qu'ils s'immobilisaient bien dès qu'ils entendaient le son. C'est ensuite que nous avons injecté la toxine à une partie d'entre eux. Le lendemain, les animaux ont à nouveau été testés. Résultat : ceux qui avaient reçu la toxine ne montraient plus aucun signe de peur lorsqu'ils entendaient le son. Nous avions effacé la trace mnésique de la peur que nous avions préalablement créée ».

Pour garantir que ces résultats n'étaient pas biaisés par la fragilité de la trace mnésique, la même expérience a été répétée, mais en associant cette fois deux chocs électriques au même son. Là encore, après injection de la toxine, la mémoire de la peur a disparu chez les rongeurs. Le résultat est donc bien indépendant de la « force » du souvenir.

Réseau spécifique
Le souvenir est-il pour autant spécifique du réseau qui a surexprimé CREB ? Oui. C'est ce qu'a montré une autre expérience, dans laquelle le virus injecté aux rongeurs ne provoquait pas la surexpression de CREB, mais seulement la sensibilité à la toxine diphtérique. Les neurones tués par cette dernière n'étaient donc pas spécifiques du souvenir de peur associé au son. Résultat : la mémoire n'a pas été perturbée. Ainsi, dans la première expérience, le réseau neuronal surexprimant CREB est bien le support de la trace mnésique.

Ces recherches déboucheront-elles sur une application chez l'homme, par exemple pour effacer certains souvenirs chez les personnes souffrant d'un stress post-traumatique lire encadré, p. 56? À cette question, Bruno Bontempi répond sans hésitation : c'est non. Parce que l'on ne pourra jamais tuer sélectivement dans le cerveau humain des réseaux de neurones qui auraient enregistré dans le passé des souvenirs traumatiques sans même parler des questions éthiques associées à une telle opération. En revanche, cette expérience conduira à d'autres investigations ailleurs dans le cerveau, de manière à généraliser le résultat à d'autres formes de mémoire, telle la mémoire spatiale. Des travaux sont déjà en cours dans le laboratoire de Bruno Bontempi pour sélectionner des réseaux neuronaux dans l'hippocampe et le cortex.
[1] J.-H. Han et al., Science, 323, 1492, 2009.

[2] T. Maviel et al., Science, 305, 96, 2004.

[3] J.-H. Han et al., Science, 316, 457, 2007.
NOTES
*LES RÉGIONS CORTICALES forment une couche de matière grise qui recouvre l'encéphale. Le cortex contient les corps cellulaires des neurones.

*UN FACTEUR DE TRANSCRIPTION est une protéine dont la présence est nécessaire à la traduction d'une séquence particulière d'ADN en ARN et, partant, en protéine.

*LA MÉMOIRE À LONG TERME prend le relais de la mémoire à court terme ou mémoire de travail. Cette dernière maintient de nouvelles informations pendant un laps de temps très bref : quelques dizaines de secondes.
EFFACER UN STRESS POST-TRAUMATIQUE ?
Quelques équipes dans le monde travaillent sur la possibilité d'effacer chez l'homme la mémoire de souvenirs traumatiques. Par exemple, Karim Nader et ses collègues de l'université McGill, à Montréal, étudient la possibilité d'effacer ce type de souvenir lors de la phase dite de reconsolidation. Ils se fondent sur le fait que le rappel d'un souvenir, quel qu'il soit, le rend de nouveau instable. Si, juste après le rappel d'un souvenir traumatique, on injecte au sujet un inhibiteur de la synthèse protéique tel que le propranolol, on efface la trace mnésique dudit souvenir [1]. Une autre équipe, française cette fois, travaille à Toulouse avec des victimes de la catastrophe AZF. Ici, ce ne sont pas les neurones qui sont sélectionnés mais le souvenir lui-même.

A. Brunet et al., J. Psychiatr. Res., 42, 503, 2008.
L'ESSENTIEL
- À L'AIDE D'UN VIRUS MODIFIÉ, on peut renforcer l'activité de certains neurones de la mémoire chez une souris.

- LORSQUE L'ON CONDITIONNE L'ANIMAL en associant un choc électrique à un son, le souvenir de peur correspondant au son se fixe sur ces neurones.

- ON L'A DÉMONT RÉ en détruisant ces mêmes neurones : cela efface le souvenir.
SAVOIR
Aline Desmedt, « Des faits qui résistent à l'oubli», La Recherche , juillet-août 2009, p. 62.

 

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L'ORIGINE POLITIQUE DU LANGAGE

 

L'origine politique du langage
Jean-Louis Dessalles dans mensuel 341


Comme toutes les caractéristiques physiques et tous les comportements communs à notre espèce, la capacité de langage est un produit de la sélection naturelle. Quel avantage particulier a-t-il procuré à nos ancêtres pour qu'ils se mettent à parler ?
Jusqu'au XVIIe siècle, les hommes ont pensé que leur langage était un don divin. Puis les descriptions de voyageurs, présentant les « primitifs » comme des brutes ne disposant que d'un vocabulaire d'une douzaine de mots, conduisirent des penseurs, tel Thomas Hobbes, à reconnaître là l'état initial de l'humanité. La civilisation, apparue tardivement, nous avait fait sortir de cet état de nature : le langage, qui nous distingue de l'animalité et sert de support à la raison, apparaissait alors comme un simple produit de la culture. Au siècle suivant, La Mettrie suggéra même la possibilité d'enseigner le langage à un jeune chimpanzé. Bien que la disposition des organes de la phonation chez l'homme soit manifestement une adaptation biologique à la production et à la modulation des sons vocaliques fig. 1, la diversité des langues confortait l'idée que la communication parlée était une invention culturelle, au même titre que la musique baroque.

Au milieu du XXe siècle, les progrès dans la compréhension du fonctionnement des langues, notamment la caractérisation de structures phonologiques et syntaxiques, ont permis de dégager des universaux linguistiques. Pour expliquer que certains mécanismes soient communs à toutes les langues, et en réaction radicale par rapport à la thèse culturaliste, Noam Chomsky a réintroduit l'idée, largement développée depuis, d'une prédisposition innée au langage, qui serait cette fois d'origine biologiquei.

Noam Chomsky a toutefois toujours douté que l'on puisse remonter à la raison d'être du langage en tant que produit de l'évolution. Pourtant, cette raison d'être a toutes les chances d'exister. Aucune structure complexe n'existe dans la nature qui ne soit le produit, direct ou indirect, de la sélection naturelle. C'est le cas de la trompe de l'éléphant, avec ses dizaines de milliers de muscles coordonnésii. C'est le cas aussi de la capacité de langage, qui prédétermine des structures systématiques et universelles que sont la syllabe, les syntagmes ou les structures argumentatives contradiction, réfutation....

Si de telles structures sont le résultat de la sélection naturelle, c'est qu'elles remplissent au moins une fonction biologique. Celle de la trompe de l'éléphant ne fait pas mystère. Quelle est celle du langage humain ?

Le comportement conversationnel, qui constitue de loin la principale occasion de parler voir l'article de Robin Dunbar, possède un trait caractéristique utile pour poser le problème de la fonction du langage dans un cadre darwinien : nous communiquons spontanément notre surprise devant des faits ou des événements inattendus. Comme le langage en effet, ce réflexe émerge très tôt, vers l'âge de 1 an, dans le développement humain1, et il semble universel : aucune culture n'a été décrite dans laquelle les événements incongrus ne feraient pas l'objet d'un acte de communication voir l'encadré : « Communiquer sa surprise ». Michael Tomasello, de l'institut Max Planck d'anthropologie évolutionniste à Leipzig, a aussi montré que, comme le langage, le partage de la surprise est un comportement propre à notre espèce.

Surprise spécifique. Certes, les individus de nombreuses autres espèces sont curieux. Un chimpanzé observant quelque chose d'inhabituel oriente son attention vers l'événement, et ses compagnons suivent son regard. Si un obstacle les empêche de voir ce que regarde le premier individu, ils se déplacent même pour y parvenir. Il ne s'agit pas pour autant d'un partage d'informations : spontanément, les chimpanzés ne font pas de gestes pour désigner un objet à l'attention de leurs congénères. Il semble même qu'ils ne sachent pas interpréter de tels gestes. Si un expérimentateur, ayant placé une friandise sous un bol, désigne ce bol par le regard ou par un geste, le chimpanzé suit le regard ou le geste jusqu'au bol. Pourtant, s'il doit choisir entre plusieurs bols, le chimpanzé s'en remet au hasard, sans privilégier le bol qui vient de lui être désigné et sur lequel il vient de porter son attention2.

Dans le cadre darwinien, le fait de ne pas partager sa surprise est assez compréhensible. La sélection naturelle ne fait en effet émerger que les comportements qui permettent aux individus de maximiser leur descendance. Le fait de repérer les événements inattendus peut se révéler essentiel pour se nourrir, s'accoupler ou prévenir toutes formes de danger. Pourquoi aider les autres individus à acquérir de telles informations ? Selon l'éthologiste Amotz Zahavi, de l'université de Tel Aviv, même le fameux cri d'alarme des oiseaux est mal nommé : il ne serait pas destiné aux congénères, mais au prédateur, qui saurait ainsi qu'il ne peut plus compter sur l'effet de surprise3.

Pourquoi, malgré tout, les humains communiquent-ils leur surprise ? Jusque dans les années 1960, la seule explication faisait référence à la « conservation de l'espèce » ou à celle du groupe. Nous avons pu vérifier par des simulations informatiques qu'il s'agit d'une mauvaise explication, qui révèle une incompréhension de la théorie de la sélection naturelle4.

Nous avons testé la viabilité des stratégies de communication au moyen de simulations utilisant la technique des algorithmes génétiques5 qui permet de reproduire dans la mémoire de l'ordinateur les mécanismes de l'évolution par sélection naturelle. Le comportement des individus virtuels est contrôlé par un « génome » : une suite de bits, propre à l'individu, qui décide de son comportement communicationnel. Une population de quelques centaines d'individus est structurée en groupes, dont la composition se modifie au cours du temps. Au sein de ces groupes, les individus ont la possibilité de donner des informations utiles aux autres membres. Dans ce scénario utilitaire, le fait de détenir des informations se traduit directement par une augmentation des chances de survie. Les individus interagissent, se reproduisent et meurent. Au bout d'un certain nombre de générations, on observe les stratégies gagnantes : communiquer des informations utiles aux autres membres du groupe n'est pas une stratégie stable ; elle est immanquablement supplantée par celle qui consiste à se taire. La meilleure stratégie pour l'individu est de laisser les autres donner leurs informations tout en gardant les siennes par-devers soi.

Dans les années 1970, Robert Trivers, de l'université Rutgers, dans le New Jersey, a proposé une autre explication : la théorie de la coopération symétrique6. Cette théorie, appliquée au langage, suppose que nous donnions des informations à autrui pour qu'il nous rende la pareille : un troc, en quelque sorte.

Troc simulé. Nous avons réalisé une simulation de cette stratégie pour vérifier ses conditions de stabilité, telles qu'elles ont été décrites par Robert Axelrod, de l'université du Michigan7. Le comportement communicationnel des individus virtuels est très simplifié : périodiquement, un agent cherche un partenaire, si possible celui qui offrait la meilleure réponse lors des précédentes rencontres. L'interaction est gouvernée par deux paramètres, comme pour un troc : la propension du premier individu à donner des informations de qualité au second, et la propension du second à faire de même en retour. Ces paramètres varient selon les agents, et sont stockés dans leur « génome ». Comme précédemment, le fait de disposer d'informations procure un avantage aux individus en augmentant leurs chances de survie.

Le principal enseignement de ces simulations est que l'agent qui réalise le premier pas doit disposer d'un moyen très efficace pour discriminer les individus peu coopératifs. Bien entendu, si les locuteurs donnent leurs informations à leurs congénères sans discernement, la meilleure stratégie consiste à les écouter sans répondre, ce qui ruine rapidement le système coopératif. Ceux qui parviennent à repérer des partenaires fiables peuvent toutefois engranger les bénéfices de l'aide mutuelle. Mais pour qu'un comportement coopératif émerge par sélection naturelle, il faut davantage. Le niveau moyen de coopération, c'est- à-dire la proportion moyenne de l'information que les individus sont prêts à retourner dans l'échange, agit comme un interrupteur sur la stratégie des locuteurs : au-dessus d'un certain seuil, ils ont intérêt à donner le maximum d'information qu'ils possèdent, alors qu'au-dessous de ce même seuil, ils ont intérêt à strictement se taire fig. 2. Ainsi, même si la coopération s'instaure pendant des centaines de générations, il suffit que les fluctuations aléatoires du niveau de coopération l'amènent une seule fois au-dessous du seuil pour que toute adaptation au langage devienne néfaste et soit rapidement éliminée par la sélection naturelle. Dans un scénario d'évolution fondé sur la coopération, la détection des tricheurs doit donc être très efficace, afin que ce seuil ne soit jamais franchi, même sur des milliers de générations.

Ces résultats ne remettent pas en question le principe de la coopération : elle peut fonctionner pour certains types d'échanges, à condition qu'ils soient protégés par une très bonne détection des tricheurs. Dans le cas du langage, cependant, cette contrainte exige que nous tenions à jour l'historique des échanges informationnels pour chacune des personnes avec lesquelles nous interagissons, en évitant d'adresser la parole à celles dont les informations se sont révélées de mauvaise qualité. Est-ce ainsi que nous communiquons ? La réponse, sans ambiguïté, est non.

Communication libérée. L'usage conversationnel du langage n'est pas caractérisé par une prise de parole circonspecte et avare. Les porteurs de nouvelles s'empressent de prévenir qui veut bien les entendre. On rencontre même des individus bavards peu enclins à écouter les autres, comportement que la sélection naturelle aurait dû rendre impossible ! En outre, le fait que nous nous adressions à plusieurs personnes à la fois ne nous permet pas de vérifier que chacun fournira en retour une contribution de qualité comparable. Or, il s'agit de la situation la plus fréquente dans les conversations spontanées8. Excepté peut-être dans les échanges d'informations de haute valeur entre espions, turfistes ou spéculateurs, la conversation humaine entre particulièrement mal dans ce scénario donnant donnant.

Comment sortir de cette impasse ? Grâce aux simulations que nous avons réalisées à l'Ecole nationale supérieure des télécommunications, j'ai pu proposer un nouveau scénario, dont le mérite est d'être cohérent et de mieux cadrer avec les données concernant le comportement langagier spontané. En particulier, j'ai dû abandonner l'idée que l'information serait une marchandise faisant l'objet d'un échange, pour resituer l'évolution de la compétence langagière dans le cadre des structures sociales qui caractérisent les primates.

Il était naturel de supposer que la structure sociale de nos ancêtres hominidés ressemblait, sur certains points, à celle des chimpanzés actuels. Frans de Waal, d'Emory University, près d'Atlanta, a montré que ces derniers forment des coalitions pour se protéger ou conquérir le pouvoir dans le groupe9. Les actes d'allégeance et les renversements d'alliance décrits par F. de Waal rappellent, toutes proportions gardées, les intrigues de la Cour de Florence au XVIe siècle voir l'entretien avec F. de Waal p. 103. Dans ces conditions, la réussite individuelle dépend fortement de la capacité à choisir ses alliés, et c'est sans doute là que le langage a pu jouer un rôle déterminant.

La modélisation nous permet toutefois d'en dire plus. Nous avons simulé une population d'individus capables de former des alliances, dans un contexte où la réussite dépend en partie de ces alliances. Les coalitions qui résultent de cette situation politique sont le fruit d'un compromis. L'individu qui reste seul est quasi sûr de perdre par rapport à ceux qui savent s'allier. A l'inverse, ceux qui acceptent toutes les alliances qui s'offrent à eux doivent partager les gains de la réussite en davantage de parts. Les effectifs des coalitions s'ajustent donc sur une valeur intermédiaire, ce qui suppose que chacun doive attirer et sélectionner des alliés. Pour attirer des alliés potentiels, un individu peut afficher l'une de ses qualités. Un autre individu peut alors décider, sur cette base, de s'allier à lui.

Le premier résultat de ces simulations est assez intuitif. Les critères de choix des alliés qui favorisent le succès de la coalition sont stables : les individus de nos simulations qui adoptent un tel critère laissent davantage de descendants que ceux qui l'ignorent. Le deuxième résultat que nous fournit le modèle se révèle essentiel pour la question qui nous préoccupe : non seulement les individus ont intérêt à afficher leur valeur par rapport au critère d'alliance adopté par leurs congénères, mais ils peuvent même supporter un coût d'affichage de cette valeur. Par exemple, un chimpanzé a intérêt à dépenser de l'énergie pour démontrer sa vigueur et faire valoir sa musculature, la force physique étant un critère important de choix d'un allié dans cette espèce.

Et les humains ? En nous fondant sur la corrélation, mise en évidence par Robin Dunbar10, entre la taille du néocortex et la taille des groupes chez les primates, nous pouvons raisonnablement supposer que la taille des groupes sociaux formés par nos ancêtres est progressivement devenue plus grande que celle des chimpanzés actuels une cinquantaine d'individus. Ainsi, Homo habilis , il y a 2,5 millions d'années, devait vivre dans des groupes de 80 individus environ. Le même argument peut être utilisé pour la taille des coalitions. Les chimpanzés forment des coalitions de deux ou trois individus. Quelle conséquence peut avoir l'existence de coalitions plus nombreuses ? Sans doute la moindre importance de la confrontation physique directe, et donc le moindre impact de la vigueur de tel ou tel individu, au profit de stratégies collectives de contrôle des ressources et du comportement des individus. Dans ce cadre, s'allier avec des individus capables d'acquérir l'information avant les autres serait aussi efficace que s'allier avec les plus forts physiquement. Il ne serait donc pas étonnant que, par le langage, les hommes passent une bonne partie de leur temps à faire connaître cette capacité.

Pour que ce modèle explique effectivement l'origine du langage, il nous faut supposer que le succès des coalitions est lié à cette capacité informationnelle. C'est pour l'instant, bien entendu, une conjecture qui demande à être évaluée sur le plan sociologique et ethnologique. Elle est cependant compatible avec le rôle que joue le langage dans nos sociétés, non seulement dans le jeu politique officiel, mais jusque dans l'établissement et le maintien des liens d'amitié : nous faisons confiance aux personnes dont nous trouvons le discours pertinent. Si la conversation n'était qu'un passe-temps comme le sport ou les jeux de cartes, pourquoi les personnes avec lesquelles nous aimons converser seraient-elles exactement les mêmes que celles sur lesquelles nous comptons pour nous aider en cas de besoin ? Dans notre modèle, ce lien est nécessaire, puisque le langage constitue l'outil privilégié par lequel les partenaires se jaugent mutuellement.

Langage afficheur. Cette origine politique du langage a le mérite de résoudre les paradoxes que nous avons considérés précédemment. Le bénéfice de l'acte de langage n'est pas à rechercher au niveau du groupe, ni dans une hypothétique réciprocité de la part de celui à qui l'on parle. La parole n'est pas une marchandise. C'est un moyen d'afficher sa propre valeur en tant qu'allié potentiel. La conversation constitue ainsi l'un des lieux où les individus se mesurent l'un l'autre dans l'éventualité de former des coalitions. Dans la compétition politique au sein des groupes d'hominidés, les individus avaient intérêt à s'allier à ceux qui étaient capables de « savoir » avant les autres. Il devenait essentiel, pour être choisi, de démontrer cette capacité, et le langage est le meilleur moyen de le faire.

Ce n'est bien sûr pas le but que nous poursuivons consciemment aujourd'hui en parlant. Sur le plan psychologique, nous parlons parce que nous y prenons plaisir. Mais ce plaisir n'existe que parce que nous descendons d'individus qui ont su, mieux que leurs contemporains, démontrer par le langage leur capacité à trouver et à gérer des informations. Ces individus, nos ancêtres, se sont choisis selon un critère efficace pour le succès de leurs coalitions et en ont tiré avantage. Nous avons ainsi hérité de ce comportement qui consiste à démontrer, pendant plusieurs heures chaque jour, notre compétence informationnelle auprès de ceux qui seront en mesure de l'apprécier.
1 M. Carpenter, K. Nagell et M. Tomasello, Monographs of the Society for Research in Child Development , 255 , 1, 1998.

2 J. Call, B. Hare et M. Tomasello, Animal Cognition , 1 , 89, 1998.

3 A. Zahavi et A. Zahavi, The Handicap Principle , Oxford University Press, New York, 1997

4 G.C. Williams, Adaptation and Natural Selection : a Critique of Some Current Evolutionary Thought , Princeton University Press, Princeton, 1966.

5 J.-L. Dessalles, L'Ordinateur génétique , Hermès, Paris, 1996.

6 R.L. Trivers, The Quaterly Review of Biology , 46 , 35, 1971.

7 R. Axelrod, The Evolution of Cooperation , Basics Books, New York, 1984.

8 R.I.M. Dunbar, Grooming, Gossip, and the Evolution of Language, Harvard University Press, Cambridge, 1996.

9 F.B.M. de Waal, Chimpanzee P olitics : P ower and S ex A mong A pes , The John Hopkins University Press, Baltimore, 1982.

10 R.I.M. Dunbar, Behavioral and Brain Sciences , 16 , 681, 1993.

11 D. Tannen, Conversational Style - Analyzing Talk Among Friends , Ablex Publishing Corporation, Norwood, 1984.
COMMUNIQUER SA SURPRISE
Albert : Tiens, regarde le dard de l'insecte !

Bernard : Ça alors !

Albert : C'est marrant.

Bernard : Ce n'est pas un dard, c'est une trompe.

Albert : Je n'aimerais pas avoir ça dans la figure !

Cet extrait de conversation réelle, où l'un des protagonistes remarque un insecte porteur d'un appendice de taille impressionnante, illustre un exemple de surprise partagée. Ce comportement est omniprésent dans les conversations. Il donne lieu à ce que la linguiste américaine Deborah Tannen nomme les tournois narratifs story rounds 11 : un locuteur rapporte un fait inattendu, incroyable, par exemple un prix anormalement élevé payé pour une réparation mineure. Les autres interlocuteurs produisent tour à tour des histoires analogues, l'ensemble pouvant s'étendre sur plusieurs dizaines de minutes 12 minutes dans l'exemple cité.

Le partage de la surprise peut prendre des aspects réflexes. Une expérience simple consiste par exemple à lâcher un coq dans les rues d'une grande ville et à observer la réaction des passants. La vue du volatile va non seulement capter leur attention, mais également les pousser à communiquer entre eux pour se signaler l'événement incongru.
SAVOIR
A lire :

-N. Chomsky, Réflexions sur le langage , Flammarion, Paris, 1981.

-J.-L. Dessalles, Aux origines du langage. Une histoire naturelle de la parole , Hermès, Paris, 2000.

 

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LINGUISTIQUE

 

 

 

 

 

 

 

LINGUISTIQUE, subst. fém. et adj.


I. − Subst. fém.
A. − Vieilli. Étude historique et comparative des langues. Tous ceux qui s'occupent de linguistique aujourd'hui, savent que les prétendues différences infranchissables qu'on avait voulu établir entre les langues qu'on appelle sémitiques et celles qu'on dérive du sanscrit n'existent pas à une certaine profondeur (P. Leroux, Humanité, t. 2, 1840, p. 637).La linguistique, (...) cette science toute récente et si digne d'intérêt, dont l'objet est de mettre en relief les affinités naturelles et les liens de parenté des idiomes (Cournot, Fond. connaiss.,1851, p. 252).
♦ Linguistique historique; linguistique comparative. L'étude des langues au xixesiècle a été marquée par la prise de conscience nette de leur évolution, et par l'essor de la linguistique historique et comparative (Perrot, Ling.,1953, p. 105).
B. − Science qui a pour objet l'étude du langage, des langues envisagées comme systèmes sous leurs aspects phonologiques, syntaxiques, lexicaux et sémantiques. Manuel, traité de linguistique; linguistique descriptive, théorique. La linguistique a pour unique et véritable objet la langue envisagée en elle-même et pour elle-même (Saussure, Ling. gén.,1916, p. 317).La linguistique est habituellement définie comme l'étude scientifique du langage; en ce sens, on peut l'opposer à la grammaire et à la philologie dont les préoccupations sont autres : souci normatif (...), souci comparatif (Lang.1973) :
La linguistique est l'étude scientifique du langage humain. Une étude est dite scientifique lorsqu'elle se fonde sur l'observation des faits et s'abstient de proposer un choix parmi ces faits au nom de certains principes esthétiques ou moraux. « Scientifique » s'oppose donc à « prescriptif ». Dans le cas de la linguistique, il est particulièrement important d'insister sur le caractère scientifique et non prescriptif de l'étude : l'objet de cette science étant une activité humaine, la tentation est grande de quitter le domaine de l'observation impartiale pour recommander un certain comportement, de ne plus noter ce qu'on dit réellement, mais d'édicter ce qu'il faut dire. Martinet1967, p. 6.
− Linguistique générale. Science tentant de dégager la synthèse des études faites sur les différentes langues, de déterminer les conditions générales de fonctionnement des langues et du langage. La linguistique générale considère, d'une part, que les langues sont conventionnelles, d'autre part, qu'elles sont soumises aux conditions naturelles des phénomènes humains (Leif1974).
− [Constr. avec un adj. spécifiant la méthode ou la théorie] Linguistique diachronique, distributionnelle, fonctionnelle, générative, quantitative, structurale, synchronique, transformationnelle.
− [Constr. avec un adj. spécifiant l'auteur ou l'origine de ces méthodes ou théories] Linguistique chomskyenne, saussurienne; linguistique anglo-saxonne, européenne. La linguistique proprement américaine a pris son caractère original du fait qu'elle s'est constituée dans une situation et avec des problèmes tout autres que ceux de l'Europe (...). Aux États-Unis la linguistique se développe souvent dans le cadre de la psychologie, et elle y est (...) considérée comme constituant une partie de la sociologie et de la psychologie (B. Malmberg, Les Nouvelles tendances de la ling., trad. par J. Gengoux, Paris, P.U.F., 1968, pp. 235-236).La diversité méthodologique, la variété aussi bien des approches que des thèmes traités caractérisent la linguistique soviétique actuelle (R. L'Hermitte, La Ling. soviétique ds Langages. Paris, sept. 1969, no15, p. 12).
− [Constr. avec un adj. spécifiant la langue ou le groupe de langues étudié] Linguistique allemande, anglaise, espagnole; linguistique romane, slave. Cet ouvrage a été conçu comme un exposé élémentaire, mais systématique et progressif, de la grammaire du français (...) qu'on ne voie donc dans ce livre qu'une simple introduction à la linguistique française (J. Dubois, F. Dubois-Charier, Élém. de ling. fr. : syntaxe, Paris, Larousse, 1970, p. 5).
− [Constr. avec un adj. ou un élém. formant spécifiant le domaine d'application] Ethnolinguistique, psycholinguistique, sociolinguistique. « Langue et culture », « linguistique anthropologique », « sociolinguistique », « langue, pensée et réalité », sont autant de formulations exprimant les relations entre les langues et les cultures, au sens le plus large du terme. L'ethnolinguistique sera l'étude du message linguistique en liaison avec l'ensemble des circonstances de la communication (Pottier, Le Domaine de l'ethnolinguistique ds Langages. Paris, juin 1970, no18, p. 3).
♦ Linguistique appliquée. Application des théories, des descriptions, des analyses linguistiques à la pédagogie des langues, à la traduction, aux techniques de communication. Vue dans le cadre d'une opposition à la linguistique tout court, la linguistique appliquée apparaît comme l'utilisation des découvertes de la première pour améliorer les conditions de la communication linguistique (La Ling. : guide alphabétique, Paris, Denoël, 1969, p. 210).
II. − Adjectif
A. − Relatif à la linguistique. Étude, modèle, théorie linguistique. La vaste étendue des recherches linguistiques concerne : − les relations entre signifiant et signifié; − le système des structures de la langue et leurs types de relations; − l'évolution de la langue; − les lignes de parenté des langues et les structures fondamentales communes ou voisines (Coudray1973).
B. − Relatif, propre à la langue; envisagé du point de vue de la langue. Communauté linguistique; aire, frontière linguistique; communication, message linguistique; fait, phénomène, procédé, signe, système linguistique; changement, évolution linguistique; politique linguistique; aménagement, planification linguistique. Toute nouveauté verbale n'acquiert que lentement et souvent après de très longues années sa place définitive dans les habitudes linguistiques (Gourmont, Esthét. lang. fr.,1899, p. 115).Par sa nouveauté, une image poétique met en branle toute l'activité linguistique. L'image poétique nous met à l'origine de l'être parlant (Bachelard, Poét. espace,1957, p. 7).
C. − Qui a pour objet l'apprentissage d'une langue étrangère. Vacances linguistiques à l'étranger. Bain linguistique (appellation déposée) grâce à des séjours internationaux linguistiques et culturels (L'Université syndicaliste, Publicité, 20 janv. 1971 ds Gilb. Mots contemp. 1980). Séjours linguistiques en Allemagne et en Angleterre pour se perfectionner dans une langue étrangère, connaître le pays (L'Université syndicaliste, 20 janv. 1971, ds Gilb. Mots contemp. 1980).
REM.
Linguistiquement, adv.a) Du point de vue de la langue, sous le rapport du langage. Pays linguistiquement unifié. Brest appartient linguistiquement au breton (Saussure, Ling. gén.,1916, p. 269).La mécanique de l'État moderne (...) retient et triture l'individu, (...) le façonne linguistiquement par l'école obligatoire, par le service militaire obligatoire, par les innombrables rapports obligatoires avec une administration qui se mêle de tout ce qui ne parle et n'entend que la langue officielle (L. Febvre, Combats pour hist., Conquête du Midi par la lang. fr., 1924, p. 178).b) Au point de vue de l'analyse linguistique. Une déclinaison n'est ni une liste de formes ni une série d'abstractions logiques, mais une combinaison de ces deux choses (...) : formes et fonctions sont solidaires, et il est difficile, pour ne pas dire impossible, de les séparer. Linguistiquement, la morphologie n'a pas d'objet réel et autonome; elle ne peut constituer une discipline distincte de la syntaxe (Saussure, Ling. gén.,1916p. 186).En partic. Du point de vue de la structure de la langue, telle qu'elle est dégagée par l'analyse linguistique. Oppositions linguistiquement pertinentes. Dans l'étude même des faits linguistiques, ce que nous avons les moyens de distinguer, c'est non pas la langue de la parole, mais les faits linguistiquement pertinents, par référence à une fonction donnée dans l'élaboration du message (...) et les faits non pertinents, c'est-à-dire tout ce qui ne change pas la relation des signes entre eux (F. Françoisds Langage,1968, p. 178).
Prononc. et Orth. : [lε ̃gɥistik] et, marginalement, [-gwi-], [-gi-]. Att. ds Ac. dep. 1835. Étymol. et Hist. 1826 subst. (Adrien Balbi, Introd. à l'Atlas ethnographique du globe, Paris, p. IX : Cette science nouvelle, que les Allemands, par une dénomination plus juste et beaucoup plus convenable, appellent linguistique); 1832 adj. (Raymond). Soit empr. à l'all. Linguistik, de même sens, cf. citat. supra, attesté dès le xviiies. d'apr. Lar. Lang. fr.; soit dér. de linguiste*; suff. -ique*. Fréq. abs. littér. : 122. Bbg. Antoine (G.). La Gramm. et la ling. vues à travers les dict. all., angl. et fr. du xixes. In : [Mél. Wandruszka (M.)]. Tübingen, 1971, pp. 371-383. - Bally (Ch.). Ling. gén. et ling. fr. Berne, 1965, 440 p. - Benveniste (É.). Probl. de ling. gén. Paris, 1976; 2. 1980, 286 p. - Jakobson (R.). Essais de ling. gén. 1. Paris, 1980, 260 p. - Le Langage. Sous la dir. de A. Martinet. Paris, 1968, 527 p. - Lepschy (G.). La Linguistique structurale. Paris, 1968, 243 p. - Leroy (M.). Les Grands courants de la ling. mod. Bruxelles, 1980, 208 p. - Linguistique. Sous la dir. de F. François. Paris, 1980, 560 p. - Lyons (J.). Linguistique générale. Paris, 1970, 384 p. - Mahmoudian (M.). La Linguistique. Paris, 1982, 239 p. - Martinet (A.). Élém. de ling. gén. Paris, 1980, 221 p.; La Ling. synchr. Paris, 1965, 248 p. - Meillet (A.). Ling. historique et ling. gén. Paris, 1. 1958; 2. 1962. - Mounin (G.). Clefs pour la ling. Paris, 1968, 192 p. - Nique (Ch.). Notes et réf. pour une approche des ouvrages de ling. Fr. auj. 1972, no19, p. 58. - Perrot (J.). La Linguistique. Paris, 1965, 136 p. - Pottier (B.). Linguistique générale. Paris, 1974, 339 p.

 

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