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pH

 

 

 

 

 

 

 

pH
(p, potentiel, et H, hydrogène)

Consulter aussi dans le dictionnaire : pH
Cet article fait partie du dossier consacré à la réaction chimique.

Mesure de l'état acido-basique d'une solution contenant des ions H+, définie par pH = − log10 [H+], où [H+] est la concentration de la solution en ions H+.

CHIMIE
NOTION DE PH

La définition acido-basique généralement admise demeure attachée au rôle privilégié du solvant protoné H2O et à celui du proton hydraté. On a donc introduit une grandeur mesurable expérimentalement et liée à la spécificité des réactions étudiées, le pH, qui est le cologarithme décimal de la concentration en ions hydronium (H3O+) exprimée en moles d'ions par litre de solution :
pH = − log [H3O+].
Dans l'eau, le pH varie de 0 (équivalent de [H3O+] = 1) à 14 (équivalent de [HO−] = 1), et, pour un acide, l'équilibre d'acidité conduit à :

 
où [acide] et [base] sont les concentrations des formes acide et base conjuguées, exprimées elles aussi en mol . l−1.
Si [base] > [acide], alors pH > pKa ;
si au contraire [acide] > [base], alors pH < pKa.
La valeur de pH égale au pKa met une frontière nette dans la prédominance des formes du couple acide-base conjugué. Il est ainsi possible de préciser que l'équilibre est considéré comme totalement déplacé vers une forme (acide ou basique) lorsque cette forme est en concentration cent fois plus grande que celle de la forme conjuguée ; alors que la valeur

du rapport est comprise entre 10−2 et 102, le pH, lui, est compris entre pKa − 2 et pKa + 2. Pour toute valeur de pH inférieure à pKa − 2, l'acide est dominant ; pour toute valeur de pH supérieure à pKa + 2, la forme basique est prépondérante.
Grâce à l'informatique, le calcul du pH d'une solution est chose aisée. Il suffit de poser les équations de conservation des éléments (la masse de l'ensemble du système ne varie pas au cours d'une réaction chimique), la neutralité électrique du milieu, les constantes des équilibres Ka, Ke, et de programmer.

LES INDICATEURS COLORÉS D'ACIDO-BASICITÉ
On peut suivre de diverses manières l'évolution du pH quand une base est versée dans une solution acide (ou réciproquement) : soit à l'œil nu, grâce aux indicateurs colorés d'acido-basicité, soit, plus en détail, par la mesure du pH avec un pH-mètre, ou par la mesure de la mobilité des ions au moyen d'un conductimètre.
Les indicateurs colorés révèlent la fonction chimique que l'on veut caractériser, car ils possèdent la fonction acide-base, avec la particularité que l'une ou l'autre, ou les deux espèces en lesquelles ils se transforment prennent des teintes différentes.
Le changement de teinte se produit pour la plage de pH qui encadre la valeur du pKa de l'indicateur coloré. Plus cette plage est restreinte, meilleur est l'indicateur. Pour chaque valeur de pH que l'on veut visualiser, il faut choisir un indicateur coloré dont le pKa a pour valeur celle de ce pH.
Ces colorants se trouvent parfois dans la nature et attestent la présence de réactions d'acido-basicité : campanules bleues qui pâlissent sous les pattes de fourmis (acide formique ou méthanoïque), hortensias bleus ou roses selon l'acidité du sol. Certaines substances naturelles, mélanges de plusieurs couples acide-base colorés, s'avèrent de vrais indicateurs universels par la succession colorée des tests acido-basiques auxquels elles donnent lieu : tel est le cas du jus de chou rouge (rouge dans la vinaigrette acide ; bleu dans l'eau de rinçage neutre ; jaune-vert dans l'eau de nettoyage, rendue basique par addition de détergent).

SOLUTION TAMPON
Une solution tampon est une solution dont le pH ne varie que de manière négligeable si on l'acidifie ou si on la basifie ou si on la dilue. Le cas se présente lorsqu’à un acide faible (ou à une base faible) on ajoute une quantité de base (ou d'acide, dans l'autre cas) équivalente à la moitié de la quantité nécessaire pour les transformer en leur forme conjuguée. Pour le couple acide-base conjugué,

 
et, puisque [base] et [acide] restant en solution sont à des concentrations égales, on en déduit que pH = pKa.
Pour effectuer une réaction à pH déterminé, on utilise une solution tampon correspondant à ce pH, c'est-à-dire un acide faible (ou une base faible) dont le pKa est égal à la valeur du pH recherché ; pour obtenir ce tampon, on réalise un mélange équimolaire de l'acide (ou de la base) et de sa combinaison avec une base forte (ou un acide fort).
Un domaine où la réalisation de réactions chimiques à pH donné revêt une grande importance est celui de la biologie. En biologie cellulaire, les enzymes ne peuvent exister que dans une zone où le pH présente une faible variation : 6,8 pour l'amylase de la salive, de 1,6 à 1,8 pour la peptase de l'estomac, 9 pour celle du pancréas. Le pH sanguin doit être proche de 7,45 ; en dehors des limites 7 et 7,9, c'est la mort.
Grâce aux solutions tampons, notamment par le rôle de certains composés chimiques, et à leur pouvoir de régulation du pH, le corps humain maintient ces pH constants. Ainsi, ce sont les phosphates qui tamponnent le sérum sanguin.

INFLUENCE DU PH SUR LA SOLUBILITÉ DE COMPOSÉS PEU SOLUBLES
Il existe des constituants qui ne peuvent rester en solution sous forme d'ions au-delà d'une certaine concentration. On définit pour ces constituants un produit de solubilité Ks.
Pour des carbonates de cations métalliques divalents M2+, par exemple, Ks = [CO32−] [M2+].
Tant que Ks n'est pas atteint, la solution est limpide ; quand Ks est atteint ou dépassé, un précipité apparaît et se développe.
Réciproquement, à partir d'un carbonate solide, si on diminue par voie chimique la concentration des ions CO32−, on solubilise le carbonate initialement solide ; cette voie chimique peut être l'acidité. Ainsi, CO2 est un gaz acide ; l'ion hydrogénocarbonate (HCO3−) est soluble, le carbonate de calcium (CaCO3) l'est peu.
L'ampholyte HCO3− peut apparaître en solution par la réaction :
CaCO3 + CO2 + H2O → 2 HCO3− + Ca2+.
La détérioration de certains monuments résulte de la dissolution du calcaire en hydrogénocarbonate par suite de l'augmentation de l'acidité : le dioxyde de carbone issu de la respiration humaine est responsable de la dégradation de la grotte de Lascaux ; le dioxyde de soufre, rejet industriel, a sérieusement endommagé les statues de l'Acropole. Des mesures ont dû être prises pour sauvegarder ces sites historiques ; elles vont de la réduction du nombre de visiteurs à leur fermeture au public.

ÉVOLUTION DE LA NOTION D'ACIDITÉ
Tout en conservant la place privilégiée du proton, atome d'hydrogène ayant perdu son seul électron, on peut transposer tout ce qui a été dit de l'eau aux solvants protiques :
Ke = [H3O+] [HO−] devient Ki = [NH4+] [NH2−] pour l'ammoniac, et Ki = [ROH2+] [RO−] pour un alcool ROH.
En passant de l'eau à un autre solvant protique, on peut différencier les bases plus fortes que HO− si ce solvant est lui-même une base dans l'eau (NH3, par exemple) et les acides plus forts que H3O+ si ce solvant est acide (acide éthanoïque, par exemple).
Dans tous ces cas, l'acide cède le proton à la base, selon la définition de Brønsted. Mais si la base accepte le proton qui n'a aucun électron, c'est qu'elle est en fait donneur d'électrons au proton, qui les accepte. L'acidité liée au proton peut être remplacée par celle où intervient une paire électronique cédée par la base, le rôle d'accepteur n'étant plus réservé au seul proton. On arrive ainsi à la définition du chimiste Gilbert Newton Lewis selon laquelle la base est un donneur d'une paire d'électrons et l'acide un accepteur d'une paire d'électrons.

MÉDECINE
Le pH sanguin oscille normalement entre 7,35 et 7,42. Il augmente au cours de l'alcalose (trouble de l'équilibre acidobasique de l'organisme dû à une perte sévère de suc gastrique – lors de vomissements importants, par exemple –, ou à un apport excessif d'alcalins – bicarbonate de soude, par exemple) et diminue au cours de l'acidose (trouble de l'équilibre acidobasique dû à une insuffisance rénale, un diabète sucré, une paralysie respiratoire, etc.).
Le pH urinaire varie de 5,2 à 6,4 en fonction du régime alimentaire, de la digestion et du travail musculaire. Il diminue au cours de la goutte, du diabète avec acidocétose et des maladies fébriles. Il augmente lors de l'hyperchlorhydrie gastrique, de certaines infections des voies urinaires (cystite, pyélonéphrite) et de l'alcalose métabolique.

BOTANIQUE
Le pH des sols conditionne en partie la répartition des végétaux. Les espèces dites indifférentes sont susceptibles de supporter de larges variations de pH. Les espèces acidophiles acceptent des sols très acides (4-5) [oseille, myrtille, Deschampsia flexuosa, azalée, rhododendron]. Dans les sols moyennement acides (5-6), on trouve la fougère grand aigle, la germandrée, la petite pervenche, le châtaignier, le sarrasin, le seigle. Parmi les espèces neutrophiles (pH voisin de 7), citons anémone, azaret, cerfeuil, parisette, ail des ours, benoîte, belladone. Les plantes basiphiles (ou basophiles) croissent dans des milieux au pH supérieur à 7 (clématite, buis, scabieuse, pas-d'âne).



PLAN
       
        *         CHIMIE
        *         Notion de pH
        *         Les indicateurs colorés d'acido-basicité
        *         Solution tampon
        *         Influence du pH sur la solubilité de composés peu solubles
        *         Évolution de la notion d'acidité
        *         MÉDECINE
        *         BOTANIQUE

 

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cinétique (chimie)

 

 

 

 

 

 

 

cinétique
(grec kinêtikos)

Consulter aussi dans le dictionnaire : cinétique
Cet article fait partie du dossier consacré à la réaction chimique.
Étude des lois qui régissent la vitesse des réactions chimiques.

CHIMIE
Les réactions chimiques, que les lois de la thermodynamique permettent de prévoir, se font à des vitesses très variables : si certaines sont explosives, comme le « coup de grisou » dans les mines de charbon, et d'autres très rapides, comme la combustion du magnésium dans les lampes flash des photographes, elles peuvent aussi être longues ; c'est le cas de la cuisson des aliments, par exemple, et plus encore de leur digestion, dans laquelle interviennent des réactifs naturels contenus dans les sucs digestifs.

OBJECTIFS DE LA CINÉTIQUE CHIMIQUE
Les réactions chimiques ne sont pas toujours rapides et immédiates. Par exemple, la combustion d'une allumette, qui est simplement le résultat de la réaction du bois avec l'oxygène contenu dans l'air, demande un certain temps ; une bûche dans la cheminée va mettre également un certain temps pour se consumer. D'une manière générale, les réactions d'oxydation sont relativement lentes.

NOTION DE VITESSE DE RÉACTION CHIMIQUE
Certaines réactions d'oxydation peuvent néanmoins être très rapides : l'essence brûle presque instantanément dans le cylindre d'une voiture ; de même une accumulation de gaz de ville dans une pièce mal ventilée peut provoquer de très graves accidents. Mais, dans ces deux cas, il a fallu provoquer une explosion ; en effet, la présence d'air au-dessus de l'essence, dans le réservoir d'une voiture, n'est pas suffisante : il faut l'action d'une étincelle électrique, provoquée dans le cylindre par une bougie, pour que l'explosion se produise.
Les réactions d'oxydation ne sont pas les seules qui peuvent se faire à des vitesses plus ou moins grandes : le plâtre met un certain temps pour prendre, et le ciment, pour durcir, en demande encore plus.

POURQUOI ÉTUDIER LA VITESSE DES RÉACTIONS CHIMIQUES
L'étude des vitesses auxquelles se font les réactions chimiques est importante pour des raisons pratiques aussi bien que théoriques. Un cuisinier a besoin, par exemple, de connaître le temps de cuisson du plat qu'il veut préparer ; de même, un industriel qui veut fabriquer un produit chimique a besoin de connaître la durée des différentes réactions à la base du procédé qu'il envisage d'utiliser pour mieux calculer le prix de revient du produit et s'assurer une vente à un prix compétitif.
La transformation des espèces, au cours d'une réaction chimique, est généralement un processus très complexe à l'échelle atomique, dont la connaissance est l'aboutissement des recherches du spécialiste de cinétique chimique. L'étude détaillée du mécanisme d'une réaction permet de comprendre quelles en sont les étapes les plus rapides. Pour accélérer une réaction, il est nécessaire d'accélérer l'étape la plus lente (qui constitue le point d'engorgement du processus total) ; en revanche, pour ralentir une réaction (une corrosion, par exemple), il suffit de ralentir le plus possible une des étapes du processus.

Ainsi, la cinétique chimique, qui étudie les vitesses de réaction, a deux buts distincts : mesurer à l'échelle macroscopique le temps nécessaire à la réalisation d'une réaction chimique et obtenir des informations afin de connaître les mécanismes réactionnels à l'échelle microscopique.

DÉFINITION DE LA VITESSE DE RÉACTION
Pour étudier les vitesses de réaction, il est nécessaire d'en donner une définition précise.
Dans un système dont la transformation relève d'une réaction chimique unique, et dont l'équation stœchiométrique est indépendante du temps, une vitesse de conversion est définie par la dérivée de l'avancement de réaction par rapport au temps : dx/dt.
Dans le cas où tous les constituants font partie d'une seule phase de composition identique, dans tout le volume réactionnel de valeur V, on définit une vitesse volumique de réaction, dite le plus souvent vitesse de réaction, à l'instant t, et on a :

 
n(B) est la quantité de B à l'instant t, [B] la concentration de B à cet instant, et v(B) le coefficient stœchiométrique de B dans l'expression choisie pour écrire le bilan de la réaction chimique (on rappelle que par définition [B] = n(B)/V).

Comme le rapport d[B]/v(B) a la même valeur quel que soit le constituant B envisagé d'une réaction donnée, par suite de la définition même des coefficients stœchiométriques, cette vitesse peut être déterminée à partir de l'évolution de la concentration d'un constituant B quelconque participant à cette réaction ; dans la pratique, on choisit le constituant dont la concentration est la plus facile à suivre.

INFLUENCE DE LA TEMPÉRATURE ET DES CONCENTRATIONS SUR LA VITESSE DE RÉACTION
Dans la plupart des réactions chimiques, la vitesse augmente rapidement avec la température et selon la concentration des constituants.

L'INFLUENCE DE LA TEMPÉRATURE
Parmi les facteurs qui conditionnent la vitesse d'une réaction, il en est au moins un qui est évident, même pour un non-chimiste : la température. Ainsi, la cuisson d'un aliment est d'autant plus rapide que la température à laquelle elle est effectuée est plus élevée (la réalisation des Cocotte-Minute est basée sur cette constatation : l'augmentation de la pression accroît la température d'ébullition de l'eau). Il faut, à 100 °C, environ trois minutes pour cuire un œuf (on peut schématiser cette cuisson en disant qu'il s'agit de la réaction de coagulation du blanc d'œuf). Mais l'alpiniste sait qu'en altitude, là où la pression atmosphérique est plus basse que dans la vallée, l'eau bout à une température moins élevée et que le temps nécessaire pour cuire un œuf à la coque est plus important.

LE COEFFICIENT DE VITESSE
La vitesse d'une réaction chimique double lorsqu'on augmente la température de 10 °C : cette règle est approximative, mais elle est d'un usage très pratique. Plus précisément, le Suédois Svante Arrhenius a établi expérimentalement, en 1889, une loi exponentielle, applicable à toutes les réactions : la vitesse est proportionnelle à un facteur, appelé coefficient de vitesse, qui s'écrit :
k = A e-e/rt
où A est une valeur caractéristique de chaque réaction (mais ne dépend pas de la température), R est la constante molaire des gaz parfaits, T est la température thermodynamique et E, énergie molaire d'activation ou plus simplement énergie d'activation, a une valeur pratiquement toujours comprise entre 80 et 250 kJ . mol−1, dépendant de la réaction envisagée.

L'ÉNERGIE D'ACTIVATION
Cette loi est interprétée en s'appuyant sur la théorie cinétique des gaz : l'énergie cinétique des molécules d'un ensemble donné, supérieure à une valeur donnée, croît exponentiellement avec la température.En effet, les molécules pouvant réagir sont celles qui ont une énergie supérieure à la valeur de l'énergie d'activation, et les molécules dont l'énergie est plus faible que l'énergie d'activation de la réaction ne peuvent réagir, mais il est possible d'en activer un certain nombre en augmentant la température ; c'est une activation thermique. Ce type d'activation est possible pour toutes les réactions chimiques ; elle est mise en jeu pour initier, par exemple, la combustion du magnésium d'une lampe flash en photographie grâce au courant de décharge d'un condensateur, qui apporte l'énergie thermique nécessaire par effet Joule.

LORSQU'UNE RÉACTION EST EXOTHERMIQUE
Dans le cas d’une réaction exothermique (qui produit de la chaleur), celle-ci provoque une augmentation de la température du milieu réactionnel, de sorte que la vitesse de réaction augmente et qu'à force de s'accroître elle peut aboutir à une réaction explosive. Dans la pratique, on comprend qu'il puisse y avoir un intérêt capital à refroidir le réacteur où se déroule la réaction pour évacuer la chaleur produite et éviter ainsi une telle explosion.

LORSQUE LA RÉACTION EST ENDOTHERMIQUE
Dans le cas d’une réaction endothermique (qui consomme de la chaleur), l'abaissement de la température du milieu réactionnel provoque une diminution de la proportion de molécules actives : la réaction peut même pratiquement s'arrêter ; il y aura intérêt, alors, à chauffer le réacteur pour que la réaction se poursuive.

L'INFLUENCE DES CONCENTRATIONS
L'expérience montre que la vitesse d'une réaction, à un moment donné, dépend généralement des concentrations des constituants de cette réaction à cet instant, et qu'elle est, de plus, proportionnelle à un facteur k, lequel est tributaire d'un certain nombre d'autres paramètres, comme la température, la pression, les concentrations initiales, etc. :
vitesse = kg(e[B]),
où e[B] désigne tout ou partie de l'ensemble des concentrations des substances présentes dans le milieu réactionnel (réactifs, produits, mais aussi éventuellement catalyseur, solvant) et g une fonction plus ou moins compliquée de cet ensemble, selon les cas.

L'ORDRE GLOBAL DE RÉACTION
Il arrive que la vitesse d'une réaction
v(A) A + v(B) B +… → v(P) P + v(Q) Q +…,
prenne une forme simple du type :
(1) vitesse = k . [A]a . [B]b…,
où les exposants a, b… sont indépendants du temps et des concentrations, et généralement différents des coefficients stœchiométriques correspondants.
Dans le cas où la vitesse peut se mettre sous la forme (1), on dit que la réaction a un ordre global n défini par la relation :
n = a + b + …,
somme des exposants des concentrations dans l'expression de la vitesse.

Par exemple, pour la réaction des ions Br− sur les ions BrO3− en milieu acide :
5Br− + BrO3− + 6 H3O+ → 3Br2 + 9 H2O,
on trouve expérimentalement une vitesse telle que :
vitesse = k . [Br−]1 [BrO3−]1 [H3O+]2.

LES ORDRES PARTIELS
Les exposants (a, b, etc.) sont appelés ordres partiels : dans l'exemple précédent, 1 est l'ordre partiel relatif aux ions Br− et aux ions BrO3−, 2 est l'ordre partiel relatif aux ions H3O+.
Les ordres partiels sont souvent égaux à 1 ou 2, mais, à la place des exposants entiers (tels que 1 ou 2 comme dans l'exemple précédent), on peut avoir des exposants fractionnaires et/ou négatifs : 1/2, −1.
Il peut aussi arriver que la concentration d'une espèce présente n'entre pas dans l'expression de la vitesse d'une réaction, c'est-à-dire que la vitesse soit indépendante de cette concentration : l'ordre partiel est nul dans ce cas.
Dans la pratique, on constate qu'il est rare de pouvoir exprimer la vitesse sous la forme simple (1). Tel est le cas de la réaction du brome avec l'hydrogène, étudiée par l'Allemand Max Ernst August Bodenstein en 1906 :
Br2 (g) + H2 (g) → 2HBr (g),
dont la vitesse, mesurée expérimentalement, s'écrit :

En présence d'une telle situation, on dit que la réaction n'a pas d'ordre, puisque la vitesse ne peut pas se mettre sous la forme (1) et qu'on ne peut définir de grandeur n.
ORDRE DE RÉACTION
À une température fixée, un grand nombre de réactions se déroulent à des vitesses qui sont proportionnelles à la concentration d'un ou de deux réactifs.
RÉACTIONS D'ORDRE 1
Si une réaction
aA + bB = pP + qQ
a par exemple une vitesse de la forme vitesse = k [A], on peut écrire :

L'expression d[A]/[A] s'intègre facilement :
ln[A]/C0[A] = −k [A] t,
où [A] = C0 exp−k [A] t.
En posant ka = k [A] et en appelant C0[A] la concentration en A au temps t = 0. Il est possible de calculer la valeur de la concentration [A] au temps t en connaissant la concentration initiale et la valeur de k donnée par l'expérience.
Toutes les désintégrations radioactives obéissent à une telle loi exponentielle :
N(B) = N0(B)e−λt,
où N(B) est le nombre d'atomes B radioactifs au temps t et N0(B) correspond au nombre d'atomes B au temps initial et λ est appelé constante de désintégration radioactive.
Cette loi permet de prévoir qu'au bout d'un temps
t1/2 = (ln2)/λ
la moitié des atomes radioactifs se sont désintégrés.
Cette quantité, t1/2, s'appelle la période de demi-vie de B, ou période radioactive de l'atome B.

APPLICATION À LA DATATION D'OBJETS PRÉHISTORIQUES PAR LE CARBONE 14
Williard Frank Libby a proposé une méthode de datation de résidus de végétaux ou d'animaux en se fondant sur la décroissance de leur concentration en carbone 14, isotope radioactif naturel du carbone dont la période est d'environ 5 640 ans.

L'ISOTOPE RADIOACTIF DU CARBONE 14
Cet isotope radioactif provient du bombardement, par les neutrons produits par les rayons cosmiques, de l'azote des hautes couches de l'atmosphère selon la réaction :

Ce carbone 14, et avec lui le carbone 12 stable, se combine avec l'oxygène de l'air, en proportions immuables depuis les temps préhistoriques, pour donner du dioxyde de carbone 14CO2, qui participe avec le dioxyde 12CO2 non radioactif à l'assimilation chlorophyllienne. Ainsi, les plantes et les organismes vivants ont une proportion toujours identique de 12C et de 14C.

LA RÉACTION DE DÉSINTÉGRATION
Un gramme de carbone 14 se trouvant dans un tissu vivant émet environ 15 particules b par minute (une particule b n'est autre qu'un électron).
À la mort de l'organisme, les échanges avec l'atmosphère s'arrêtent et la quantité de carbone 14 diminue exponentiellement à cause de la réaction de désintégration qui produit un rayonnement b :

Le rapport de la mesure de la radioactivité du vestige à dater à celle d'un tissu vivant permet de connaître la date de mort de l'organisme.
Cette méthode devient imprécise avec la décroissance de la radioactivité du carbone 14 dans l'échantillon analysé : au-delà de 37 000 à 42 000 ans, on ne peut plus dater avec une précision suffisante. La datation sur des objets plus anciens nécessite un indicateur radioactif ayant une période plus grande. Les géologues ont ainsi pu estimer l'âge de la Terre (4,5 milliards d'années) en utilisant l'uranium 238.

RÉACTIONS D'ORDRE 2
Dans le cas n = 2, la vitesse est décrite par une loi d'un type tel que :
vitesse = k[A] [B] ou vitesse = k [A]2.
Ici, la variation de la concentration d'un réactif au cours du temps n'est plus exponentielle. Par exemple, dans le second cas, où la réaction est d'ordre 2 par rapport à l'un des réactifs, la décroissance de [A] est une fonction hyperbolique du temps. Le temps de demi-vie dépend cette fois de la concentration initiale C0[A] du réactif A :
t1/2[A] = 1/k[A]C0[A].

LES THÉORIES
Différentes théories ont été élaborées pour rendre compte de ces résultats. La plus simple est la théorie des collisions, qui repose sur le fait qu'il est nécessaire que les molécules se rencontrent (collision) pour qu'une réaction se fasse  : plus leur concentration est grande, plus il y a de chances que la réaction se produise, d'où une loi de vitesse proportionnelle aux concentrations. Mais tous les chocs ne sont pas suivis d'une réaction, car il faut qu'au moment du choc les molécules soient orientées convenablement l'une par rapport à l'autre et qu'elles aient une énergie suffisante, d'où la notion d'énergie d'activation, seuil au-dessous duquel il ne peut rien se passer.

LES RÉACTIONS COMPOSÉES
Les réactions isolées sont peu nombreuses. En général, les transformations chimiques résultent de la superposition ou de la succession de plusieurs réactions isolées.
Par exemple, la synthèse directe de l'ammoniac :
[N2 (g) + 3 H2 (g) ⇄ 2NH3 (g)].
Cette synthèse s'arrête avant que tous les réactifs soient totalement consommés : on peut l'expliquer en admettant que la réaction opposée entre en compétition avec la synthèse. Dans d'autres cas, plusieurs réactions compétitives ont lieu simultanément.
On peut également obtenir à l'issue d'une réaction des produits qui se transforment à leur tour (réactions successives).
On conçoit qu'on puisse obtenir des informations fondamentales sur le mécanisme des réactions chimiques à partir de l'observation des concentrations des espèces mises en présence, en fonction du temps.

MÉCANISMES RÉACTIONNELS
L'équation d'une réaction chimique ne donne qu'un bilan : d'un côté s'écrivent les réactifs et de l'autre les produits de la réaction.
Quel est le processus qui permet la transformation au niveau moléculaire ? Quels sont les produits intermédiaires ?
Ce sont les questions que se pose effectivement le chimiste, car ce n'est que lorsqu'il connaîtra les détails de ce processus qu'il pourra agir : si une réaction est lente, il cherchera dans ces détails l'étape qui limite la vitesse ; en contournant l'étape lente, il pourra chercher le moyen d'accélérer la réaction globale en provoquant le passage par une autre voie. L'alpiniste ne fait pas autrement lorsqu'il cherche une voie vers le sommet, en contournant les difficultés trop grandes qu'il rencontre.

RÉACTION ÉLÉMENTAIRE
La réaction élémentaire est un acte chimique qui se produit, au niveau microscopique, entre particules spécifiées. Par exemple, la rencontre d'un ion H+ et d'un ion OH− conduit directement à une molécule d'eau.
On écrit :

La flèche arrondie spécifie qu'un doublet électronique, non engagé dans une liaison avec l'ion OH−, va assurer une liaison avec l'ion H+ auquel il manque, justement, un doublet pour être stable, donnant ainsi directement une molécule d'eau ; une telle réaction est dite élémentaire.
D'une manière générale, le chimiste cherche la suite des réactions élémentaires que choisit la nature et qui conduisent des réactifs aux produits.
La molécularité d'une réaction élémentaire est, par définition, le nombre de particules impliquées comme réactifs dans celle-ci ; ce nombre est évidemment un nombre entier. C'est ainsi que, dans la réaction élémentaire précédente, la molécularité est égale à deux : on dit que la réaction est bimoléculaire.
On peut parfois supposer des réactions trimoléculaires, mais celles-ci sont nécessairement beaucoup plus rares que les réactions bimoléculaires, parce que peu probables, exigeant la rencontre en même temps de trois particules. Les réactions peuvent être aussi monomoléculaires, si l'on admet qu'une particule peut se détruire spontanément, sans intervention d'une collision avec une autre.

LE MÉCANISME D'UNE RÉACTION CHIMIQUE
Pour établir le mécanisme d'une réaction chimique, il faut rechercher l'ensemble des réactions élémentaires dont la somme est effectivement cette réaction. Ensuite, c'est le calcul de la vitesse de chaque réaction élémentaire, puis celle de la vitesse globale, qui doit évidemment être en accord avec la vitesse expérimentalement observée. L'expérience montre que très peu de réactions se produisent en une seule étape. Lorsque c'est le cas, on parle d'une réaction simple. Telles sont les désintégrations radioactives, les réactions de dimérisation (par exemple: 2NO2 → N2O4), les réactions d'isomérisation et quelques autres.
L'établissement d'un mécanisme réactionnel repose sur :
– une simplicité des réactions élémentaires, qui conduise à des étapes dont la molécularité soit la plus faible possible ;
– le minimum de changement de structure à chaque étape, car la probabilité de rupture de plusieurs liaisons en même temps est faible ;
– la réversibilité macroscopique (l'expérience enseigne que le chemin suivi par une réaction élémentaire dans un sens est le même que celui qui est suivi dans le sens opposé).
Par exemple, la synthèse de l'ammoniac :
N2 + 3 H2 → 2NH3,
doit se faire en plusieurs étapes élémentaires, dont chacune ne réalise que le minimum de modifications :
N2 → 2N,
N + H2 → NH + H,
H + N → NH,
NH + H2 → NH3.
Pour s'assurer de la possibilité d'un tel mécanisme, il est nécessaire de chercher, et de trouver, la trace des espèces intermédiaires N, H, NH dans le milieu réactionnel.

PRINCIPALES RÉACTIONS ÉLÉMENTAIRES
Les réactions élémentaires peuvent être classées d'après leur nature, ce qui donne un nombre restreint de catégories.

LA RUPTURE DE LA LIAISON
La rupture d'une liaison peut se faire de deux façons. Dans la première, les deux électrons constituant cette liaison se séparent; chaque électron va avec un atome, c'est le cas de la molécule de brome, qui peut ainsi se séparer en deux atomes :
Br:Br → Br. + .Br.
Il s'agit d'une rupture homolytique, c'est une réaction radicalaire.
Dans la seconde, les deux électrons restent ensemble et partent avec un des atomes, le plus électronégatif, ainsi :
Cl:CH3 → Cl−: + CH3+.
Cette rupture hétérolytique est une réaction monomoléculaire, ionique.

LA FORMATION D'UNE LIAISON
La liaison peut se faire, également, de deux façons :
Br. + . CH3 → Br:CH3, réaction radicalaire,
H+ + OH– → H:OH, réaction ionique.
Ce sont, dans les deux cas, des réactions bimoléculaires.
On peut avoir aussi un transfert d’électrons d'une espèce sur une autre ; c'est donc une réaction bimoléculaire, par exemple :
Cl. + H2 → HCl + H., réaction radicalaire.
La réaction est dite de substitution dans le cas :
C2H5I + Br. → C2H5Br + I., réaction radicalaire.

 

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La réaction d’échange isotopique de l’oxygène enfin comprise

 

 

 

 

 

 

 

La réaction d’échange isotopique de l’oxygène enfin comprise

mercredi 11 juillet 2018
La réaction d’échange isotopique de l’oxygène enfin comprise

Depuis le début des années 1980, des mesures in situ effectuées par des ballons-sondes ont mis en évidence un enrichissement anormal de l’ozone en isotopes lourds de l’oxygène, 18O et 17O. Ce phénomène a ensuite été reproduit en laboratoire mais son origine précise demeure toujours incomprise. La communauté des physico-chimistes spécialistes de l’atmosphère s’accorde cependant sur le fait que l’étape clé de l’une des deux voies de réaction conduisant à cet enrichissement est la réaction d’échange 18O + 16O16O → 50O3* → 16O + 18O16O. Jusqu’à présent, aucune approche théorique ne permettait de rendre compte des mesures de la vitesse de cette réaction d’échange effectuées en laboratoire.
Grâce à un calcul très précis des forces moléculaires entre atomes d’oxygène, et d’une étude quantique sans approximation de la dynamique des noyaux, des physiciens du Laboratoire interdisciplinaire Carnot de Bourgogne (CNRS/Univ. Bourgogne/UTBM) et du Groupe de spectrométrie moléculaire et atmosphérique (CNRS/Univ. Reims Champagne-Ardenne) viennent de réaliser une nouvelle prédiction théorique de valeur de la constante de vitesse cette réaction en fonction de la température. Celle-ci est en accord quantitatif avec toutes les mesures expérimentales disponibles à ce jour. La concordance entre les calculs théoriques de la vitesse de cette réaction d’échange et les mesures expérimentales implique une très bonne description des états vibrationnels excités de O3* et de leurs populations respectives.

Ces résultats seront importants pour une modélisation future de l’une des deux voies conduisant à l’ozone stable enrichi. Cette étude fait ainsi un pas supplémentaire vers la compréhension de l’enrichissement anormal en isotopes lourds de l’ozone dans la haute atmosphère. Ces résultats sont publiés dans la revue The Journal of Physical Chemistry Letters.
En collaboration avec l’Université de Tomsk (Russie) et le GSMA (Reims), les physiciens ont d’abord calculé la structure électronique de la molécule d’ozone. Cette dernière est difficile à décrire précisément, car il est nécessaire de prendre en compte de manière indirecte de nombreux états excités, et ce, pour une grille très dense de géométries nucléaires. Ils ont alors utilisé l’énergie électronique résultante comme énergie potentielle gouvernant la dynamique des noyaux (approximation de Born-Oppenheimer). Ils ont alors employé cette surface d’énergie potentielle pour simuler la dynamique réactionnelle à l’aide d’une méthode quantique exacte indépendante du temps.

L’originalité de ce calcul, qui dépasse largement la situation spécifique étudiée, a été de montrer que la précision du résultat final dépend de la qualité de la surface de potentiel pour l’ensemble des régions de l’espace des configurations nucléaires. Ceci est en opposition avec la pratique habituelle qui considère que seule une région spécifique du potentiel, appelée état de transition, a une influence sur la dynamique. Ceci est dû à une spécificité de la surface d’énergie de l’ozone O3 qu’ils ont calculée : celle-ci ne possède aucune barrière submergée, c’est-à-dire s’érigeant sous le seuil de dissociation O + O2, dans la région intermédiaire du potentiel, que l’on considère le chemin d’énergie minimale ou tout son voisinage.
Il s’agit là d’une caractéristique majeure qui contraste avec tous les potentiels d’interaction de l’ozone calculés jusqu’alors par d’autres groupes. Ainsi, une particularité de nature topographique essentielle semble contribuer à une bonne description de la dynamique, qui se reflète dans une quantité même très moyennée comme une constante de vitesse. De plus, cette surface possède une « précision spectroscopique » en ce qui concerne la description des états vibrationnels excités du complexe O3*, elle aussi nécessaire pour une description optimale de la dynamique réactionnelle au niveau quantique qui fait intervenir ces états.


Constante de vitesse théorique pour la réaction d’échange obtenue sur la nouvelle surface (trait noir plein) ou sur l’ancienne surface (trait tireté noir) de l’ozone, comparée aux résultats expérimentaux les plus récents (courbe rouge, courbe bleue et cercle vert) avec leurs barres d’erreur. © ICB (CNRS/Univ. Bourgogne/UTBM)
First-principles computed rate constant for the O + O2 isotopic exchange reaction now matches experiment

Grégoire Guillon, Pascal Honvault, Roman Kochanov et Vladimir Tyuterev
J. Phys. Chem. Lett (2018), doi:10.1021/acs.jpclett.8b00661
Contacts chercheurs
Pascal Honvault, Professeur à l’Université de Franche-Comté et chercheur à l’ICB
Grégoire Guillon, Maître de conférences à l’Université de Bourgogne et chercheur à l’ICB

Informations complémentaires
Laboratoire interdisciplinaire Carnot de Bourgogne (ICB, CNRS/Univ. Bourgogne/UTMB)
Groupe de spectrométrie moléculaire et atmosphérique (GSMA, CNRS/Univ. de Reims Champagne-Ardenne)
Contacts INP
Jean-Michel Courty,
Marie Signoret,
Marine Charlet-Lambert
inp.com cnrs.fr

 

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MORPHOGÉNÈSES CHIMIQUES : LES RÉACTIONS CRÉATRICES DE RYTHMES ET DE FORMES

 

 

 

 

 

 

 

MORPHOGÉNÈSES CHIMIQUES : LES RÉACTIONS CRÉATRICES DE RYTHMES ET DE FORMES

La réaction chimique ne se limite pas à la seule transformation de réactifs en produits et énergie. Certaines réactions chimiques peuvent aussi donner spontanément naissance à des modulations spatiales (mobiles ou immobiles) de la concentration des espèces impliquées. Ces auto-organisations macroscopiques sont le résultat de l'association entre réaction chimique et la simple diffusion moléculaire de ces espèces. Ainsi naissent soit des ondes propagatives d'activité chimique prenant parfois la forme de spirales, soit des motifs stationnaires s'organisant en bandes parallèles ou bien en réseaux hexagonaux. Ces motifs stationnaires sont couramment qualifiés de " structures de Turing ", d'après le nom du mathématicien britannique Alan Turing qui les avait formellement prédites et proposait leur mécanisme de formation pour rendre compte de certains aspects du développent des êtres vivants. Nous expliquerons les principes essentiels qui régissent ces phénomènes d'auto-organisation dans ces systèmes de réaction-diffusion. Ceux-ci seront abondamment illustrés par d'étonnantes observations expérimentales dans des systèmes chimiques mettant en oeuvre des réactifs très ordinaires. Certaines extrapolations aux systèmes biologiques seront commentées.

Texte de la 237e conférence de l’Université de tous les savoirs donnée le 24 août 2000.
Morphogenèse chimique : les réactions créatrices des rythmes et de formes par Patrick De Kepper
La chimie est la science des transformations moléculaires de la matière. Les réactions chimiques expriment au niveau macroscopique les bilans de ces transformations, autrement dit quantifient comment les composés initiaux (dits réactifs) sont convertis en d'autres composés plus stables (dits produits). Le plus souvent, ces opérations se font à travers des cascades de composés intermédiaires. Au niveau microscopique ces transformations résultent de recombinaisons et d'échanges d'éléments constitutifs (électrons, atomes ou groupes d'atomes) au cours de collisions aléatoires entre ces composés. Les collisions sont rendues possibles grâce aux mouvements aléatoires des molécules sous l'effet de l'agitation thermique (mouvement brownien). En principe, des collisions ultérieures entre les produits peuvent redonner naissance aux réactifs de départ mais l'efficacité des conversions n'est généralement pas identique dans les deux sens. Pour des conditions données, une direction de transformation est privilégiée. Dans un système fermé, par exemple un simple flacon, une concentration fixe de toutes les molécules est atteinte au bout d'un certain temps, quand les vitesses de transformation dans les deux sens sont égales. Cet état stationnaire où plus aucun changement global n'a lieu correspond à l'état d'équilibre thermodynamique. Dans un fluide (liquide ou gaz) les mouvements aléatoires dispersent les différentes molécules dans tout le milieu. Au niveau macroscopique ce phénomène de dispersion des molécules est le moteur de ce que l'on appelle la diffusion. La diffusion est un processus homogénéisant ; c’est ce qui fait qu’une goutte d’encre déposée dans un verre d’eau non agitée se répartit lentement et uniformément dans tout le contenu du verre.
L’application la plus connue de la réaction chimique est celle de la synthèse : matériaux, engrais, médicaments, etc. L’autre grande utilisation de la réaction chimique est liée à la production de chaleur qui lui est souvent associée. C'est le cas de la combustion (oxydation par l'oxygène de l'air) du charbon ou du fuel dans nos chaudières ou dans les centrales « thermiques ». Ce dégagement de chaleur et la dilatation des gaz qu'il entraîne est aussi mis à profit dans les moteurs de nos voitures ou dans la propulsion des fusées.
Mais la réaction chimique a une propriété à laquelle on pense beaucoup moins : sa capacité à générer des signaux périodiques dans le temps ou des motifs organisés dans l'espace Cette propriété est directement liée aux aspects dynamiques des transformations chimiques (et paradoxalement aux processus de diffusion). Pourtant, ces phénomènes sont à l’œuvre dans la plus grande « industrie chimique » qu'il soit à la surface de nôtre planète, celle des êtres vivants.
L'objet de cette conférence est de vous présenter cet aspect encore bien souvent méconnu de la réaction chimique.
Des structures dissipatives
Les lois de la thermodynamique sont formelles, quelle que soit la complexité d’une réaction, aucune variation temporelle ou modulation spatiale des concentrations n'est possible en solution, à l'équilibre thermodynamique. Dans les années 60, I. Prigogine (prix Nobel 77) et ses collaborateurs de l'École de thermodynamique de Bruxelles établissent clairement dans quelles conditions des solutions réactionnelles peuvent présenter des phénomènes d'auto organisation. Ceux-ci ne sont possibles que si le système évolue suffisamment loin de son état d'équilibre thermodynamique. Or, comme toute réaction chimique en système fermé évolue inexorablement vers l’équilibre, les pulsations et les motifs chimiques dont il sera ici question ne peuvent prendre naissance que lorsque les réactions n'ont soit pas encore consommé de façon significative les réactifs de départ, soit parce qu'elles sont maintenues loin de l'équilibre par des apports constants
1
de réactifs frais et par l'évacuation des produits de la réaction. Dans ce dernier cas, on dit que le système est ouvert. L’observation de nos phénomènes d’auto organisation sont donc subordonnés à une consommation d’énergie, ici il s’agit d’énergie chimique, on les qualifie de « structures dissipatives »1.
Les réactions oscillantes
Loin de l'équilibre toutes les réactions ne donnent pas naissance à des structures dissipatives. Seules des réactions chimiques dont les mécanismes cinétiques présentent des boucles de rétroactions activatrices en sont capables. Le cas le plus simple d'une telle boucle de rétroaction est l'auto-catalyse (on entend par là qu'un produit de la réaction catalyse sa propre formation). Ce type de rétroaction est caractéristique des systèmes explosifs au sein desquels une réaction « s'emballe ». Dans les systèmes qui s'auto organisent, il est évident que cette rétroaction doit à un moment ou à un autre être tempérée, inhibée par un processus antagoniste. De tels mécanismes cinétiques où entrent en compétition des processus activateurs et inhibiteurs se retrouvent dans une classe spéciale de réactions chimiques : les réactions chimiques oscillantes. Si celles-ci sont relativement exceptionnelles dans les réactions inorganiques, elles sont au contraire très courantes dans les systèmes biochimiques où elles régissent des processus physiologiques essentiels ainsi que la régulation de ceux-ci. Mentionnons, à titre d’exemple, les réactions de la glycolyse, le moteur énergétique des cellules. La production de l’AMP-cyclique chez certains amibes accrasiales, les pulsations des cellules nodale du cœur, les rythmes circadiens.2
Découvertes à l'aube de ce siècle, les réactions chimiques oscillantes en solution homogène n'ont donné lieu à une étude extensive que dans la deuxième moitié des années 70, après que l'on ait appris à les mettre en œuvre dans des réacteurs ouverts. Toutefois, on connaissait dès la fin du XIXe siècle des phénomènes oscillants impliquant des réactions chimiques mais, le plus souvent, ils mettaient en jeu des échanges à l'interface entre deux phases (liquide-solide, liquide-gaz).3 La première réaction chimique oscillante dont le mécanisme ne fait pas intervenir d’interface fut découverte, en 1921, par William Bray de l'université de Californie, lors de ses études sur la décomposition de l'eau oxygénée par l'ion iodate. À l'époque, le caractère homogène de la réaction fut mis en doute par une grande majorité de chimistes qui imprégnés des principes de la thermodynamique des systèmes à l'équilibre, ne pouvaient admettre que de telles oscillations puissent se produire dans des solutions monophasiques.
La découverte, en 1951, d'une autre réaction oscillante par Boris P. Belousov, biochimiste soviétique, ne reçut pas un meilleur accueil de la part de ses pairs. Ce n'est qu'en 1958 que Belousov réussit à publier sa découverte dans un obscur journal de médecine. Mais sa découverte éveilla l'attention d'autres physico-chimistes et électrophysiologistes russes parmi lesquels Anatol Zhabotinsky, alors jeune étudiant à Moscou. Celui-ci proposa entre autre une version modifiée de la réaction de Belousov constituée d'une solution contenant initialement les ions bromate et céreux, de l'acide malonique, et un indicateur red-ox la ferroïne, permettant d'obtenir de spectaculaires changements périodiques de couleur, du rouge au bleu. Cette réaction, maintenant connue sous le nom de « réaction de Belousov-Zhabotinsky » (ou « réaction BZ »), est encore l'une des plus populaires. Le caractère homogène du processus oscillant de cette réaction fut admis, par un nombre croissant de chimistes au cours des années 70, grâce à élucidation du mécanisme cinétique de la réaction par Richard Noyes et de ses collaborateurs de l'université de
1 G. Nicolis et I. Prigogine « Self Organization in Nonequilibrium Systems », Wiley (1977).
2 « Cellular Oscillators », Eds M.J. Berrridge, P.E. Rapp et J.E. Treherne, Cambridge University Press
(1979).
3 S. Veil, Actualités scientifiques et industrielles (1934).
2
l'Oregon. L’histoire du développement des réactions oscillantes est rapportée dans un ouvrage récent par A. Pacault et J.J. Perraud.4
Les premières réactions oscillantes avaient été découvertes par pur hasard. Bien à la fin des années 70, de nombreuses variantes des deux premières réactions fussent connues, il n'existait pas de méthode systématique pour découvrir des réactions chimiques oscillantes réellement nouvelles. Durant toutes ces années, la plupart des études sur les réactions oscillantes étaient menées en réacteur fermé. Nous savons maintenant que, dans ces conditions, la grande majorité des réactions atteignent leur état d'équilibre en un temps plus court qu'une période d'oscillation et qu’en conséquence de tels réacteurs sont inappropriés pour la recherche de nouvelles réactions oscillantes. Pour une démonstration spectaculaire de réaction oscillante voir annexe 1.
Des réacteurs continûment alimentés et agités
Notre équipe au centre de recherche Paul Pascal à Bordeaux a été la première à faire un usage systématique de réacteurs ouverts dans l'étude des réactions oscillantes. Nous avons utilisé Des réacteurs de volume constant, vigoureusement brassés, pour assurer l’homogénéité des solutions, et alimentés en continu par des solutions de réactifs frais, la conception de ces réacteurs a été empruntée aux génie chimique. Dans de tels systèmes . le comportement oscillant d'une réaction peut être maintenu tant que le réacteur est alimenté. On a pu ainsi, non seulement observer de nombreux comportements périodiques mais aussi des oscillations non périodiques (chaos déterministe) et des phénomènes de multistabilité (phénomènes de mémoire dynamique). L'utilisation de ces réacteurs continus agités à aussi permis de développer des méthodes pour découvrir de nombreuses autres réactions chimiques oscillantes dont la réaction entre les ions chlorite, iodure et l’acide malonique, dite réaction CIMA. Celle-ci a joué un rôle important dans les développements récents de structures spatiales chimiques. On compte maintenant une trentaine de familles de telles réactions totalisant plus de trois cents variantes. Elles sont essentiellement fondées sur la chimie des composés oxygénés des halogènes, du manganèse, du soufre et de certains composés azotés.5
Les ondes chimiques et les réacteurs « spatiaux ouverts »
Il est assez facile d'imaginer que, lorsqu'une solution chimique oscillante n'est plus rapidement uniformisée par brassage mécanique, l'on puisse, au moins temporairement, produire une différence de phase entre les différents points du système réactionnel et ainsi engendrer une onde de phase. Cette onde fait naître des différences de concentrations locales, qui peuvent être assez importantes. En principe, la diffusion moléculaire devrait graduellement estomper ces différences et, à terme, la solution devrait osciller uniformément, sans déphasage ; mais de telles inhomogénéités spatiales ne régressent pas toujours et des ondes peuvent subsister aussi longtemps le système réactionnel évolue suffisamment loin de l'équilibre. Dans certains cas ces ondes sont liées aux propriétés fortement relaxationnelles de certains états oscillants ou des états stationnaires voisins de ces états oscillants. Le mécanisme de propagation sans amortissement de ces ondes est associé à un phénomène d'amplification chimique locale des variations de concentration, elles-mêmes induites de proche en proche par la diffusion. Par analogie avec la propagation d'un stimulus le long d'un axone, on qualifie ces ondes « d'ondes d'excitabilité ». Lorsque des mélanges appropriés de la réaction BZ (voir annexe 2) sont répandus en couche mince dans une boite de Pétri ces ondes d'excitabilité peuvent former des motifs soit en forme de « cible » (figure 1a) dont les anneaux s'éloignent du centre pendant que, périodiquement, un autre
4 « Rythmes et formes en chimie », Que sais-je ? n°3235 (1997).
5 « Oscillations and Travelling Waves in Chemical Systems », Eds. R.J. Field et M. Burger, Wiley interscience (1985).
3
anneau émerge au centre de la « cible » ; soit en forme de spirale d'Archimède (figure 1b) obtenue par rupture volontaire ou non d’un front d’onde circulaire. Mais dans ces expériences en réacteur fermé le milieu évolue inexorablement vers son état d'équilibre thermodynamique et les ondes disparaissent au bout d'un temps plus ou moins court. Dans ces conditions, seules les propriétés les plus simples et les plus robustes de ces trains d'ondes pouvaient être examinées.
a
b
Figure 1 : Ondes d’oxydation se propageant dans une solution de la réaction de Belousov-Zhabotinsky (BZ) pour des conditions où cette solution réactionnel est excitabilité ;
a) Structures « cibles » b) Structure en spirales obtenues après rupture d’un front d’onde (image A.-T. Winfree).
À partir du milieu des années 80, un petit nombre d'équipes dont la notre ont commencé à concevoir et construire différents réacteurs spatiaux ouverts. Ceux-ci devaient satisfaire à deux exigences apparemment contradictoires : alimenter en permanence des mélanges réactionnels en réactifs frais, en tous points, et éviter de créer des écoulements fluide qui perturberaient le transport diffusif des molécules. Ceci a été résolu en travaillant dans des réacteurs constitués par de minces blocs d’hydrogel (en forme de bande parallélépipédique, d’anneau ou de disque) alimentés à l’intérieur par diffusion de réactifs à partir de faces opposées en contact avec des réservoirs de réactifs constamment renouvelés. Rappelons qu'un gel est généralement constitué d'un réseau plus ou moins lâche de longue chaînes entrelacées de polymères, l'ensemble étant gonflé par un solvant (comme dans nos gélatines alimentaires). Dans notre cas le polymère est soit de l'agarose soit du polyacrylamide tandis que le solvant est de l'eau. La finesse des mailles du gel permettent de nous affranchir de tout grand mouvement convectif sans faire opposition aux processus de diffusion.
4
La première réaction oscillante étudiée dans ce type de réacteur ouvert fut la réaction BZ Des études effectuées à l'université d'Austin, dans des réacteurs ouverts constitués de minces disques de gel, ont montré l'extraordinaire complexité de la dynamique des cœurs des ondes spirales, dynamique prévue depuis déjà de nombreuses années par les théoriciens mais mal contrôlés dans les expériences antérieures. Pour notre part, nous avons, étudié avec cette même réaction de nouvelles formes d'ondes d'excitation, dans un réacteur constitué d'un anneau plat de gel. Celles-ci ont alors une forme de fer à cheval et tournent perpétuellement en rond le long de la partie médiane de l'anneau, comme illustré dans la figure 2. Nous avons appelé « excyclons » ce type d'ondes d'excitation tournant comme un carrousel .Ces ondes sont généralement de forme identique et réparties de façon équidistantes le long de l'anneau. Toutefois, la symétrie de l'ensemble peut être inférieure au nombre des ondes et même varier au cour du temps de façon très complexe.
Figure 2 : Excylons : Train de sept ondes d’excitation de la réaction BZ tournant indéfiniment dans un réacteur en forme d’anneau plat alimenté en réactif par diffusion à
partir de ses bords intérieur et extérieur.
Les motifs chimiques immobiles
Tous les motifs chimiques qui bougent reposent sur des instabilités qui agissent dans le temps mais il existe d’autres mécanismes d’auto organisation qui eux sont indépendants du temps et engendrent des motifs chimiques stationnaires. Un tel mécanisme d'apparition spontané de structures spatiales chimiques stationnaires fut proposé clairement pour la première fois en 1952 par le mathématicien anglais Alan Turing, dans un mémoire resté fameux et intitulé Les bases chimiques de la morphogenèse. Alan Turing est avant tout célèbre pour avoir décrypté les codes secrets des armées du IIIe Reich. Dans ce but, il a conçu et construit, en 1943, le premier calculateur électronique, Colossus. Pour ce fait et pour ses études de logique, il est considéré à juste titre comme l'un des pères de l'informatique. Grâce à son article de 1952 cité plus haut, Alan Turing est aussi l'un des pères de la biologie théorique moderne. Dans ce travail, Turing propose un mécanisme ingénieux d'apparition de formes fondé sur la synergie entre réactions chimiques et processus de diffusion.
5
Le secret des structures proposées par Turing réside dans la cinétique non linéaire de la réaction associée à des différences de diffusivité des espèces chimiques mises en œuvre. Plus précisément, l'inhibiteur doit diffuser plus vite que l'activateur. Ces conditions, assez difficiles à réunir dans les milieux chimiques classiques, sont fréquentes dans les systèmes biologiques où processus d'auto activation et d'inhibition sont la règle, et où certaines molécules diffusent plus difficilement que d'autres du fait de leur très grade différence de masse ou de leur forte interaction avec le milieu. Les structures stationnaires obtenues résultent d'un bilan équilibré (d'un « équilibre dynamique ») entre vitesse de transformation chimique et vitesse de diffusion des constituants de la réaction. Ce ne sont pas, comme les cristaux, des structures d'équilibre. Quand on cesse de fournir des réactifs, la réaction s'épuise, le caractère homogénéisant de la diffusion reprend ses droits et les structures s'effacent.
Toutes les réactions chimiques oscillantes peuvent à priori satisfaire aux conditions cinétiques nécessaires à l'apparition de structures de Turing sauf que dans toutes les réactions non biologiques connues les espèces mises en jeu sont de faible masse moléculaires et, en solution, ont toutes un coefficient de diffusion de l'ordre de 10-5 cm2/s. La nécessaire différence entre les coefficients de diffusion des composés activateurs et inhibiteurs ne peuvent donc pas être directement satisfaites. Heureusement dans les systèmes chimiques à plus de deux variables la conditions n'est pas aussi restrictive. En fait, il suffit que la « diffusion apparente » de l'activeur soit plus faible que celle de l'inhibiteur. Cette subtilité n'a pas été clairement réalisée avant la première mise en évidence expérimentale de structures de Turing, en 1989, par notre équipe près de quarante ans après leur prédictions par Turing.6
On sait maintenant que le mécanisme de Turing fondé sur une activation locale couplée à une inhibition à longue portée est en fait un mécanisme assez répandu dans de nombreux autres domaines que la chimie. Il fournit une explication simple à un grand nombre de motifs que nous observons dans la nature et au laboratoire. Cette instabilité créatrice d'ordre brise la symétrie de translation de l'état initial pour donner naissance à une auto-organisation spatiale. Dans un système à une dimension celle-ci se présente sous la forme d’un alignement de pic d’activateur régulièrement espacés. La distance moyenne entre les pics est déterminée par des paramètres intrinsèques tels que les constantes cinétiques ou les coefficients de diffusion. Cette propriété différencie les structures de Turing d'un grand nombre de structures dissipatives comme par exemple les cellules convectives observées en hydrodynamique dont la longueur d'onde caractéristique est fixée par les dimensions géométriques du système. Selon la dimension de l'espace une plus ou moins grande variété de solutions géométriques sont possibles. À deux dimensions on prévoit aussi bien des taches réparties en motifs hexagonaux que des bandes. À trois dimensions, les structurations spatiales prédites théoriquement sont des feuillets parallèles, des réseaux de prismatiques hexagonaux de colonnes ainsi qu'un « cristal chimique dissipatif » dans lequel les maxima de concentration occupent les nœuds d'un réseau cubique centré. De telles organisations spatiales supra-moléculaires peuvent également apparaître dans des systèmes à l'équilibre thermodynamique comme dans les alliages polymères ou les cristaux liquides mais dans ce cas, la taille des motifs est intimement liée aux dimensions des molécules constitutives. Les structures chimiques de Turing n’ont par contre aucune relation de taille avec celles des molécules mise en jeu !
Dans la réaction CIMA, utilisée dans la première mise en évidence de structures de Turing les espèces jouant les principaux rôles d'activateur et d'inhibiteur sont respectivement les ions iodure et les ions chlorite. Le gel était imprégné d'amidon, indicateur coloré qui, en présence d'iode et d'iodure, forme un complexe bleu quand la concentration de l'iodure dépasse un certain seuil. Or l'amidon est une très grosse molécule qui reste bloqué entre les mailles du gel ; sa diffusivité est alors très inférieure à celle des autres espèces solvatées. Quand l'iodure se complexe
6
6 « Chemical Waves and Patterns », Eds. R. Kapral et K. Showalter, Kluwer Academic Publisher (1994).
à l'amidon, sa diffusivité effective s'en trouve fortement réduite par rapport aux autres espèces de faible masse moléculaire, sans interaction avec l’amidon, et la boucle est bouclée : la formation sélective d'un complexe réversible et immobile de l'activateur de la réaction oscillante introduit de facto la différence de diffusivité nécessaire à l'émergence de structures de Turing.
Les expériences, conduites dans des réacteur « à disque de gel », produisent entre autre les magnifiques réseaux hexagonaux de taches. ou bandes parallèles prévus par la théorie, comme cela est illustré dans la figure 3. Ces organisations se sont développées spontanément au-delà d’une valeur critique des concentrations dans les flux d’alimentation des réservoirs dont les contenus sont en contact avec la pièce de gel. Elles brisent uniformité de l’alimentation imposée sur les faces du disque à l’intérieur desquelles elles se développent, phénomène caractéristique des structures prévues par Turing.
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Figure 3 : Motifs chimiques stationnaires, dits de Turing, observés dans un réacteur spatial ouvert, constitué d’un disque de gel d’agarose, lors que celui-ci est alimenté en
permanence par des solutions de chlorite et iodure de potassium et d’acide malonique en présence d’amidon, un indicateur coloré d’iodométrie. Les réactifs sont amenés uniformément à la surface du disque. Les motifs de taches formant un réseau hexagonal ou en bandes parallèles se développent spontanément au-delà de certaines valeurs critiques de la concentration des réactifs dans les solutions d’alimentation. La sélection du motif dépend aussi de cette variable de contôle. Les changements de couleur du jaune au bleu traduisent les modulations spontanées de la concentration des ions iodure qui se développent à l’intérieur du gel.
Intermittences spatio-temporelles et fleurs chimiques
Les systèmes chimiques, de par leur aptitude à s'organiser spontanément à la fois dans le temps et dans l'espace offrent une panoplie très riche de comportements possibles, du fait d'interactions entre différentes classes d'auto organisations. La réaction CIMA peut non seulement produire des structures stationnaires de Turing mais aussi pou d’autres valeurs des paramètres chimiques des structures d’ondes. Ces deux instabilités peuvent occuper des domaines adjacents du diagramme d’état du système de réaction-diffusion. Au voisinage des frontières entre ces deux types de structures les instabilités spatiales et oscillantes peuvent se combiner pour faire émerger
des comportements dynamiques inédits ou oscillations et structures stationnaires se partagent l’espace de façon apparemment aléatoire dans le temps et dans l’espace pour donner naissance à ce que les spécialistes dénomment de l’intermittence spatio-temporelle. La figure 4 présente un instantané d’une telle distribution ou les zones purement oscillantes qui apparaissent lisses, s’enchevêtrent dans des zones structurées de Turing à l’organisation très tourmentée.
8
Figure 4 : Intermittence spatio-temporelle : Motif irrégulier, en perpétuel mouvement, résultant de la synergie entre l’instabilité spatiale de Turing et l’instabilité oscillante dans la
réaction CIMA conduite dans un réacteur spatial ouvert.
On sait aussi que les systèmes chimiques avec rétroaction présentent très souvent, quand ils sont maintenus hors d'équilibre, des bistabilités entre différents états homogènes. Dans ce cas d'autres types d'organisations spatiales peuvent apparaître et se combiner avec l'instabilité de Turing et engendrer soit des croissances de structures par division de tache, rappelant des division cellulaires, soit le déploiement de magnifiques motifs floraux transitoires lors de la naissance d'une structure de Turing en bandes (voir figure 5).
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Figure 5 : Motif floral au cour du développement d’une structure de Turing en bande dans des conditions ou instabilité de Turing interagit avec une autre instabilité, « instabilité
latérale de front » Les images successives correspondent au même motif à des stades différents de son développement.
Universalité et motifs biologiques
La très grande variété des phénomènes d'auto organisation spontanée dans les systèmes chimiques récompense largement les chercheurs qui se penchent sur la dynamique de ces systèmes hors d'équilibre. Au-delà de la production de belles images, l'étude des motifs chimiques permet également d'aborder la question plus philosophique de l'universalité des formes qui apparaissent dans la nature. En effet, on remarque que de nombreuses organisations spatiales et temporelles obéissent dans la nature souvent aux mêmes symétries (motifs sur le pelage des mammifères ou sur les coquillages, spirales en phyllotaxie). Il est tentant de penser que tous ces comportements sont régis par les mêmes lois fondamentales. Il ne faut certainement pas généraliser à outrance. Néanmoins, il est certain que les mécanismes décrits ici et qui sous-tendent les instabilités créatrices de formes se retrouvent dans d'autres domaines que les systèmes de réaction-diffusion. En effet, les processus d'activation et d'inhibition à la base des motifs chimiques ont des équivalents dans des domaines aussi variés que l'hydrodynamique, l'optique, la catalyse hétérogène et les semi-conducteurs par exemple. De même, à l'équilibre thermodynamique, la compétition entre forces antagonistes telles qu'une attraction à courte portée et une répulsion à grande distance peut donner naissance aux motifs en forme de labyrinthe que l'on observe dans les films magnétiques et les couches de ferrofluides. Le concept unificateur de ces diverses observations est celui de brisure de symétrie : ce qui compte d’abord c’est la diminution du nombre de symétries du système lors de la transition. Le détail du mécanisme physique, chimique ou autre à la base de l'instabilité devient alors secondaire car la nouvelle structuration peut être décrite en termes de la seule amplitude de la structure périodique par rapport à celle de l'état uniforme de référence. Les équations mathématiques décrivant l'évolution de cette amplitude prennent une forme universelle qui dépend uniquement des types de symétries brisées quand le système uniforme et stationnaire devient instable. C’est un peu magique de pouvoir ainsi unifier l'auto organisation de systèmes très différents en terme d'un même formalisme. Notons toutefois que dans le détail les différents systèmes peuvent présenter leurs spécificité mais il faut alors approfondir l’analyse.
La création de formes dans les systèmes chimiques trouve un grand intérêt dans toutes les applications impliquant une réactivité qui soit fonction de la localisation dans le système considéré. Il ne faut pas oublier que la chimie, on dira communément la biochimie, est à l’œuvre dans les êtres vivants et de nombreux chercheurs suggèrent que les processus de réaction- diffusion joueraient un rôle dans le développement de formes et de motifs chez les embryons, ce qu'on appelle la morphogenèse. Cette idée était d'ailleurs la motivation initiale de Turing.
Dans la partie la plus popularisée de ses travaux, J.D. Murray autre mathématicien britannique, s'efforce de rendre compte de la diversité des motifs sur le pelage des mammifères : par exemple rayures du zèbre, taches du léopard. Pour lui, l'organisation en taches ou en bandes serait liée à une distribution spatiale de la concentration d'un morphogène. Cette distribution résulterait d'une instabilité de réaction-diffusion de type Turing et constituerait un prémotif, formé très tôt au cours du développement embryonnaire. Celui-ci serait figé puis « lu » à un stade ultérieur. Le motif final sur le pelage des mammifères ne ferait que refléter ce prémotif : la forte ou la faible concentration de morphogène, suivant la position considérée dans le prémotif, influencerait la localisation ultérieure des mélanocytes (cellules sécrétrices du pigment, la mélanine)7. La figure 6 compare un motif chimique complexe que nous pouvons facilement reproduire dans nos réacteurs spatiaux ouverts avec les motifs du pelage du léopard, la similitude est quelque fois saisissante.
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Figure 6 : Analogie biologique : Motif chimique complexe pouvant simuler des motifs observés sur la fourrure du léopard lors la réaction CIMA est mise en œuvre dans un réacteur
spatial ouvert. L’image de gauche est le résultat brute de l’expérience de chimie, l’image centrale correspond à la colorisation de l’observation expérimentale, l’image de droite correspond au dos d’un léopard.
D’une façon similaire Hans Meinhardt, biologiste théoricien allemand, est capable de reproduire avec une étonnante similitude les motifs les plus complexité observés sur une grande variété de coquillages à partir de modèles des réaction-diffusion fondés sur ce qui est connu de la physiologie des mollusques et des mécanismes de sécrétion des coquilles et des pigments.8
Aussi troublant que puissent être les analogies, elles n’en constituent pas des preuves des mécanismes mis en œuvre. Comme nous l’avons vu le caractère universel des instabilités brisant les symétries ne permettent pas de les attribuer de façon univoque à un mécanisme particulier mais seulement que le modèle mathématique ou expérimental appartient à la même classe
7 J.D. Murray, « Mathematical biology », Springer (1993).
8 H. Meinhardt, « The algorithmic Beauty of Sea Shels », Spriger (1995).
d’instabilité. Les approches en termes de systèmes de réaction-diffusion des systèmes biologiques ne peuvent être considérés que comme des approches minimales ou simplifiées servant de support à la réflexion. Dans les systèmes biologiques réels bien d’autres mécanismes physiques sont connus pour intervenir dans les processus de morphogenèse telles que la tension superficielle, l’élasticité des tissus, la pression capillaire, les champs électriques et le champ gravitationnel. Toutes choses qui peuvent rendent le système encore plus non linéaire donc élargissant singulièrement les différentes voies pour que ces systèmes s’organiser spontanément dans le temps et dans l’espace. Le dernier mot au biologistes pour l’identification des couples antagonistes agissant respectivement comme activateur local et comme inhibiteur à longue portée, c’est un travail qui est encore loin d’être achevé.
Annexes : expériences de chimie
Recette 1 : Réaction chimique oscillante. Cette réaction initialement proposée par T.S. Briggs et C.W.Raucher9 produit de spectaculaires changements périodiques de couleur de l’incolore au jaune-orangé puis au bleu. Préparer les trois solutions de base suivantes puis mélanger des volumes égaux de ces trois solutions dans un flacon :
Solution 1 – eau oxygénée [H2O2]=3,2M + acide perchlorique [HClO4]=0,17M
Solution 2 – acide malonique [CH2(COOH)2]=0,15M + sulfate de manganèse [MnSO4]=0,024M + [Thiodène]=20g/litres, indicateur coloré de iodomètrie dérivé de l’amidon fabriqué par Prolabo
Solution 3 – iodate de potassium [KIO3]=0,14M
Ne pas boucher le flacon durant l’expérience car il se produit un fort dégagement d’oxygène
Recette 2 : Structures spatiales – ondes d’excitabilité de la réaction BZ. Des structures « cibles » ou « spirales » peuvent être obtenues en mélangeant, dans les proportions les instructions indiquées, les solutions suivantes :
Solution 1 – bromate de potassium [KBrO3]=0,6M + acide sulfurique [H2SO4]=0,6M Solution 2 – acide malonique CH2(COOH)2]=0,48M
Solution 3 – bromure de potassium [KBr]=0,007M
Solution 4 – ferroïne, indicateur redox solution commerciale à 0,025M
Mélanger dans un flacon les volumes suivants (en cm3) des différentes solutions 14 de 1, 7 de 2, 2 de 3.Boucher le flacon. Il se forme alors du brome reconnaissable à sa couleur brune. Continuer à agiter jusqu’à disparition de toute coloration brune puis seulement ajouter 1cm3 de 4. Verser le mélange rouge sombre en couche mince (1mm d’épaisseur environ) dans une boite de Pétri. Recouvrir la boite d’une plaque transparente pour éviter les courants d’air. Observer les ondes bleues apparaître après quelques minutes. « Déchirer » ces ondes pour obtenir des spirales
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9 T.S. Briggs et C.W.Raucher, J. Chem. Educ. 496,50,1973.

 

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