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Des cités antiques en Amazonie

 

 

 

 

 

 

 

Des cités antiques en Amazonie

18.01.2024, par Martin Koppe

D’impressionnants complexes urbains en damier ont été dévoilés dans la vallée d’Upano, en Équateur. Taille, organisation, âge, longévité, localisation... ces sites bouleversent toute l’archéologie sud-américaine. Explications avec Stéphen Rostain qui a dirigé ces travaux.

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  sur les sociétés qui peuplaient l’Amazonie il y a quelque 2 500 ans. Comment s’inscrit-elle dans notre compréhension du monde précolombien ?
Stéphen Rostain1. Cela fait bientôt quarante ans que je travaille sur l’archéologie amazonienne. À l’époque, les archéologues se précipitaient comme des lucioles sur les pyramides mayas et les temples incas, mais peu s’intéressaient à l’Amazonie. Beaucoup pensaient que, sur deux mille ans et plus, la région n’avait été peuplée que par des tribus similaires à celles d’aujourd’hui. Hormis la poterie, on n’a longtemps pas su repérer leurs vestiges et traces camouflés par la forêt. J’ai rencontré de la résistance à mes débuts en Guyane, car cette opinion dépréciative sur les premiers peuples de la forêt était répandue. J’y ai malgré tout effectué des repérages aériens et découvert dans les savanes inondables côtières des milliers de buttes utilisées pour la culture, notamment du maïs. L’archéologie du paysage semblait donc dévoiler une autre facette du passé humain de la région.

Vous vous êtes intéressé à un site en particulier, la vallée d’Upano, en Équateur. Pourquoi ?
S. R. La vallée d’Upano se situe dans la région amazonienne du piémont andin. Elle est insérée entre deux cordillères et mesure une centaine de kilomètres de long sur une vingtaine de large. Elle est surplombée par le volcan Sangay, en état constant d’éruption depuis des décennies et dont les rejets rendent la région particulièrement fertile. Les agriculteurs locaux m’ont dit qu’ils obtenaient trois récoltes de maïs par an, c’est énorme !
 
Antoine Dorison, Stephen Rostain
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Sur des sites aussi étendus qu’une vallée entière, on manquerait trop d’informations si l’on creusait à la truelle, par sondage limité à la superficie d’une cabine téléphonique. J’ai donc préféré le décapage de grandes surfaces, une approche qui a depuis fait école en Amérique du Sud. Nous avons identifié et fouillé des plateformes en terre qui servaient à isoler des bâtiments du sol humide, ainsi que des places, des chemins et des routes. La première occupation de la vallée commence environ en 500 avant notre ère pour durer jusqu’en 400-600 de notre ère.

La première occupation de la vallée commence environ en 500 avant notre ère pour durer jusqu’en 400-600 de notre ère.
Si ces fouilles dans plusieurs sites ont fourni de nombreuses informations originales, il manquait encore une vision globale de la vallée. En 2015, une compagnie privée russe a été contractée par le service du Patrimoine équatorien pour réaliser une imagerie Lidar aérienne de l’Upano.
Cette technologie fonctionne comme un sonar, sauf que le signal n’est pas sonore, mais lumineux. Le faisceau laser est tellement fin qu’il traverse la canopée jusqu’au sol, qu’il déshabille de sa couverture végétale. Le tout est ensuite reconstruit par des modèles informatiques. Nous avons alors pu comprendre la structure du terrain et repérer avec une grande précision les modifications qu’il a subies.
Qu’avez-vous appris grâce à ces relevés auxquels vous avez eu accès en 2021 ?
S . R. Qu’il n’y avait pas seulement des centaines de plateformes artificielles dans la vallée d’Upano, mais des milliers. Avec des mesures prises sur 600 kilomètres carrés, nous avons aussi obtenu un plan global des transformations anthropiques.


Stephen Rostain
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La vallée d’Upano a abrité de véritables cités, densément peuplées et conçues en damier en pleine forêt tropicale. Leur réseau est incroyablement complexe, avec des rues, des chemins vers les rivières, des routes primaires et secondaires… Les grands axes sont parfaitement rectilignes, faisant jusqu’à treize mètres de large, et traversent la vallée en faisant fi de son relief naturel. Ils coupent aussi bien des ravins que des élévations. Un tel réseau réclame une véritable planification, ce qui montre que les différentes implantations de la vallée sont contemporaines.

La vallée d’Upano a abrité de véritables cités, densément peuplées et conçues en damier en pleine forêt tropicale. Leur réseau est incroyablement complexe...
L’insistance à passer outre tous les obstacles, alors qu’il serait souvent plus simple de les contourner, suggère fortement que ces routes avaient une fonction symbolique. Elles peuvent avoir été un moyen d’imprimer dans le sol les relations entre voisins, et servir à des processions et des visites ritualisées, comme on peut encore le voir dans les villages annulaires du haut Xingu en Amazonie brésilienne.
Certaines plateformes sont encore plus hautes, jusqu’à dix mètres. Ici, pas de soubassements d’habitations, mais on suppose que ces espaces étaient plutôt consacrés à des cérémonies collectives. De tels systèmes urbains ont été découverts chez les Mayas du Guatemala ou à Teotihuacan, au Mexique. La grande différence est qu’il n’y a pas de constructions en pierre dans l’Upano. En plus, il n’y a aucun site semblable en Amazonie précolombienne, y compris au Brésil.

Comment est-ce que les gens vivaient dans cette vallée ?
S . R. Nous sommes encore en train d’estimer la population de la vallée, mais nous savons qu’elle a dû rapidement épuiser les ressources naturelles. L’analyse de ces données Lidar menée par Antoine Dorison, postdoctorant du laboratoire Archam, a conduit à la découverte d’un système de drains en damier qui évacuent l’eau, dont le sol est gorgé, afin de cultiver les espaces entre les complexes de plateformes. Cette technique était encore employée dans les années 1970 par les Karibs du bas Orénoque au Venezuela. Des terrasses agricoles ont également été bâties sur le piémont des cordillères alentour.


Stephen Rostain
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Le Lidar nous a beaucoup aidés, mais il ne remplace pas les fouilles classiques. Nous avons ainsi retrouvé dans le sol enterré au niveau des maisons des restes de végétaux et des graines brûlées de diverses plantes consommées : manioc, patate douce, fruits, haricots et, surtout, du maïs. Ce dernier était broyé avec des meules en pierre pour obtenir une pâte, ensuite utilisée pour produire de la chicha. Cette bière épaisse et douce est si nourrissante qu’elle peut servir de repas. On en a dépisté des traces dans d’énormes jarres, montrant que la chicha était consommée en grande quantité. Nous avons également identifié des graines de plantes médicinales.

Qu’est devenu le peuple qui habitait la vallée ?
S . R. Leur culture disparaît brusquement après un millénaire, autour de 400-600, sachant qu’il n’y avait alors pas d’écriture dans la région. Des Aénts Chicham – dénomination préférée par les peuples connus par le public sous le nom de Jivaros – se sont installés plus tard dans la vallée et y vivent toujours. L’aire a d’ailleurs été très peu visitée jusqu’au milieu du XXe siècle, notamment à cause de la réputation guerrière de ces tribus.
J’ai une hypothèse, hélas non confirmée, sur cette disparition. Les fouilles ont montré, au-dessus des derniers niveaux d’habitation, plusieurs couches noires qui évoquent des éruptions volcaniques. Mais, les datations ne correspondent à aucun évènement suffisamment catastrophique pour faire fuir tout le monde. C’est peut-être une série d’éruptions plus petites, mais plus nombreuses, qui a fini par décourager les habitants, ou alors une crise climatique. Ils auraient alors pu partir vers le sud, au Pérou, où l’on retrouve des céramiques similaires à celles d’Upano. Seule une société spécialisée et stratifiée a pu construire un réseau aussi vaste et complexe que dans la vallée d’Upano. Or, on sait que les sociétés urbanisées et hiérarchisées sont moins résilientes aux aléas climatiques. Peut-être que cette civilisation a tout simplement implosé au profit d’un retour à une organisation tribale et forestière. Nous n’avons pas d’explication ferme à proposer pour le moment. Mais, la recherche se poursuit…♦

Référence
"Two thousand years of garden urbanism in the Upper Amazon", Rostain, S., Dorison, A., Saulieu (de) G. et al, Science, 11 janvier 2024 (vol. 383, issue 6679, p. 183-189). DOI: 10.1126/science.adi6317
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A lire
Histoire de l'Amazonie
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, Stéphen Rostain, "Que sais-je", novembre 2022, 128 p. 

Notes
*         1.
Directeur de recherche CNRS au laboratoire Archéologie des Amériques (Archam, CNRS/Université Panthéon-Sorbonne), spécialiste en archéologie amazonienne.

 


            DOCUMENT         CNRS         LIEN  

 

 
 
 
 

LE MYTHE

 

 

 

 

 

 

 

mythe
(grec muthos, récit)

Consulter aussi dans le dictionnaire : mythe
Cet article fait partie du dossier consacré à la littérature.

Récit mettant en scène des êtres surnaturels, des actions imaginaires, des fantasmes collectifs, etc.
Récit fondateur de l'histoire des hommes, le mythe s'enracine hors de l'histoire, dans des origines indistinctes où les dieux, les êtres et le monde cherchaient à établir leurs places respectives.
Le langage courant emploie aujourd'hui le mot « mythe » soit pour dénoncer une illusion (« l'indépendance de l'État-nation n'est qu'un mythe »), soit pour évoquer l'image idéalisée, exaltée, d'une personne (le « mythe » de Marilyn Monroe), d'une situation ou d'un événement (le « mythe » du Tour de France). Ces usages soulignent combien le discours mythique, en cela comparable au rêve, relève d'une relation équivoque avec la réalité.

PETITE HISTOIRE DU MYTHE
PAROLE VRAIE OU MENSONGE DANS L’ANTIQUITÉ GRECQUE
Étymologiquement, « mythe » vient de muthos, qui, dans la langue grecque du milieu du ve s. avant notre ère, désigne encore un énoncé considéré comme vrai. Muthos et logos (« raison ») restent synonymes tant que les propos qu'ils qualifient sont échangés entre des personnes se reconnaissant membres du même monde politique et culturel. Puis, à l'inverse du logos, demeuré la parole juste qui défend l'ordre établi et fait l'éloge de ses héros, le mythe désigne « la rumeur qui menace la parole de louange, les voix de l'envie qui font obstacle au surgissement de la Vérité ».
HISTOIRE OU FABLE

La rupture est consommée quand Thucydide pose les premiers jalons de l'histoire objective ; le chroniqueur méthodique de la Guerre du Péloponnèse dénonce alors « les logographes qui, en écrivant l'histoire, sont plus soucieux de plaire à leur public que d'établir la vérité. Les faits dont ils nous parlent sont incontrôlables. Ils se sont, au cours des âges, parés des prestiges de la fable (muthos), perdant ainsi tout caractère d'authenticité ». Pour Thucydide, à la catégorie du « mythe » – celle de l'opinion fausse, du ouï-dire et du discours « d'apparat composé pour l'auditoire du moment » – doit être substituée l'exacte mémoire des événements et des paroles à laquelle donne accès la pensée raisonnée : le logos, dont se réclament aussi désormais les philosophes.

MUTHOS ET LOGOS CHEZ PLATON

Au nom du vrai, du beau et du juste, Platon élargit encore le fossé entre muthos et logos. Dans les premiers Dialogues, le muthos est assimilé, de façon péjorative, aux points de vue non crédibles et contradictoires de l'adversaire. Puis les conceptions politiques platoniciennes le renvoient aux « discours que, dès leurs plus jeunes ans, encore à la mamelle, les gens ont entendu tenir par leurs nourrices et par leurs mères » (les Lois), à savoir aux traditions dont « la plupart sont à rejeter » (la République), parce que transmises sans examen préalable. Platon veut les remplacer par l'exercice dialectique de la raison, qui éduquera le véritable citoyen.
Cependant le philosophe concède que les mythes détiennent un pouvoir de suggestion dont le pédagogue peut tirer profit. À condition de « contrôler les faiseurs de contes » et de soumettre ainsi les mythologies à la réflexion philosophique, on peut, pour faire comprendre et accepter par tous les règles de la république, recourir à certains mythes, expressions imagées de vérités plus profondes. Par exemple, le célèbre mythe de la caverne, qui présente des hommes ne pouvant contempler que l'ombre des choses, met en scène l'opposition platonicienne entre l'univers des illusions, où se complaît la multitude, et celui des idées (de la lumière), que seuls les philosophes et les sages regardent en face. Platon veut repenser les relations que la cité entretient avec ses traditions. Mais, à moins d'être reconstruite comme un conte philosophique pour les besoins d'une démonstration précise, l'expression mythique, celle d'Hésiode, d'Homère ou de la culture populaire, ne peut que nuire au bon fonctionnement de l'État.

LE REJET DU MYTHE PAR LA RAISON OCCIDENTALE
L'incompatibilité entre logos et muthos est l'un des piliers de la pensée occidentale depuis plus de deux mille ans. Celle-ci assoit son autorité en dessinant le « grand partage » entre les peuples détenteurs du discours légitime et les autres, les « gens du mythe », encore empêtrés, pense-t-on, dans une parole entière, sans retour sur elle-même, aveugle. Pour l'intelligentsia grecque, romaine puis chrétienne, le mythe, étranger parce qu'étrange, reste la marque même de l'ailleurs. En regard de cette catégorie repoussoir, les philosophes, historiens et théologiens d'Europe expulsent à la périphérie de la raison occidentale ce qui échappe à sa compréhension et met en cause, d'une manière ou d'une autre, son hégémonie. Les « superstitions », qui caractérisent les Barbares puis les païens, doivent être combattues. L'Empire romain chrétien puis surtout l'Église occidentale du Moyen Âge stigmatisent leurs adversaires comme pour mieux développer des stratégies de conversion ; les mythes, perçus comme grossiers, incohérents, absurdes, doivent être abandonnés et céder la place aux dogmes reconnus : la puissance de Dieu, la virginité de Marie, l'incarnation et la résurrection du Christ.
Du xvie au xviiie s., cette discrimination s'accentue, et la notion de mythe est globalement étendue aux coutumes des peuples exotiques que l'on découvre à travers les expéditions de Colomb à Cook, et aux histoires, jugées scandaleuses, qu'ils racontent. Mais, dans cette même période où la géographie du mythe s'adjoint de nouvelles terres, la critique raisonnante ronge de l'intérieur la citadelle européenne de la « vraie foi » et de la « juste pensée ». Les frontières du mythe deviennent floues et finissent même (avec la Réforme, Descartes et les Lumières) par traverser les dogmes les mieux établis. Ne convient-il pas de faire basculer aussi dans le fourre-tout des préjugés mythiques quelques-unes des interprétations du monde naturel jusqu'alors peu mises en doute, et communes, finalement, aux « Sauvages » et aux populations européennes ? Non sans difficulté, l'entendement raisonneur et la méthode expérimentale encore balbutiante retournent contre des pans entiers de la culture occidentale l'anathème jusqu'à présent uniquement adressé aux autres cultures. Le mythique, tel un cheval de Troie, est aussi dans la maison. On l'y combat, quitte à mettre en cause tous les absolutismes.

RÉHABILITATION DU MYTHE
Contre le rationalisme des Lumières, mais en phase avec l'idéalisation révolutionnaire de la notion de peuple, à la charnière du xviie et du xixe s., des poètes et des philosophes, comme Novalis (1772-1801) ou Herder (1744-1803), attribuent aux mythologies des vertus positives. Pour ces nouveaux penseurs, la raison ne peut donner accès à cette vérité vécue que seul le langage du mythe révèle. La réhabilitation de l'imaginaire incite à relire, à recueillir ou à traduire les mythes, légendes, contes et autres traditions littéraires populaires, censés receler l'« âme des peuples » et constituer de fait le socle idéologique de leur identité.

LES LECTURES DU MYTHE
LES DIFFÉRENTES CONCEPTIONS DU MYTHE

LE MYTHE COMME EXPÉRIENCE RELIGIEUSE
Selon l'historien des religions Mircea Eliade (Traité d'histoire des religions, 1949 ; Aspects du mythe, 1963), « le mythe raconte une histoire sacrée ; il relate un événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des commencements ». Défini comme un phénomène religieux, le mythe est naturellement mis en rapport avec les rites, les initiations, les cérémonies marquant les étapes de la vie. Toutes les formes de culte procéderaient du mythe, en tant qu'il fait revivre les origines du monde et des hommes. Aux yeux des « croyants », le mythe ne peut être qu'une « histoire vraie ».

LE MYTHE DE L’HOMME PRIMITIF
Pour l'anthropologue sir James Frazer, qui consacra sa vie à étudier les documents existants relatifs aux coutumes et croyances de tous les peuples, « la mythologie est la philosophie de l'homme primitif. C'est le premier essai de réponse aux questions générales sur le monde qui se sont posées à l'esprit humain par des hommes dont l'esprit est encore dans l'enfance. » Selon lui, le mythe est une « pensée humaine embryonnaire », une « philosophie grossière », mauvaise explication des choses, tout entière dominée par les émotions, notamment la peur, et par un désir confus d'explication qui serait à l'origine de toutes les croyances.

LA MYTHOLOGIE COMPARÉE
Des linguistes, comme Émile Benveniste (Origine de la formation des noms en indo-européen, 1935), ou des historiens, comme Georges Dumézil (Mythe et Épopée, 1968-1973), sont parvenus à montrer que l'Inde ancienne, Rome, les Celtes, les Germains et les peuples scandinaves disposaient d'institutions similaires. Les dieux du panthéon indien ont leurs correspondants en Irlande, en Italie et en Allemagne ; leurs aventures évoquent toutes, à leur manière, des fonctions socioreligieuses identiques, celles de prêtre, de roi guerrier et d'agriculteur. Le mythe est vu comme une élaboration imaginaire portant en elle les marques de la société d'où elle provient. Ainsi, le mythe est inséparable d'une idéologie politique ; sa logique et ses transformations successives donnent accès à la structure et à l'histoire des institutions particulières où il prend naissance. Mais comment se fait-il qu'à Rome, en Afrique, au Japon, en Océanie ou dans le folklore européen des figures identiques se trouvent, dans les mythes, associées de la même façon pour relater l'origine du feu, de la cuisine ou des astres ?

LES MYTHOLOGIQUES DE LÉVI-STRAUSS

Par l'analyse structurale, Claude Lévi-Strauss montre que les relations de symétrie, d'opposition, d'inversion et d'identité entre les thèmes mythiques relèvent d'une pensée analogique universelle : les correspondances régulières que la « pensée sauvage » établit entre les différents domaines de l'expérience sensible, sociale et intellectuelle constituent l'armature même des mythes. Sans abandonner l'idée que les mythes disent quelque chose d'important sur la société et sur l'homme, cette anthropologie comparatiste va porter attention moins aux images en elles-mêmes ou à leur contenu idéologique et affectif qu'à leurs connexions. Au terme de ses Mythologiques, qui explorent ainsi près de mille mythes, Levis Strauss explique que les mythes fonctionneraient comme un langage ou un système logique : dans chaque mythe, des éléments opposés et symétriques se hiérarchisent entre eux et traduisent l'expérience sensorielle des peuples. Cette lecture rationaliste du mythe dissout l'opposition entre les civilisations, entre « sauvages » et « civilisés ».

LE MYTHE VU PAR LA PSYCHANALYSE

La psychanalyse, pour sa part, renvoie l'expression mythique à un autre modèle structural, celui que définit la distribution des désirs fondamentaux de l'individu. Sigmund Freud et ses collaborateurs ont très tôt vu les bénéfices que la théorie de l'inconscient pouvait tirer des mythes. Mais traiter ces histoires comme des rêves strictement privés suppose une identité de forme et de contenu entre les fantasmes individuels et ceux que s'approprient collectivement les membres d'une société donnée. Selon Karl Abraham, mythes et rêves procèdent du « déguisement symbolique des désirs » propre à tout individu. Ils semblent en effet condenser, déplacer et symboliser des problèmes psychiques universels et, par là, permettre une expression imagée du désir de l'homme. Il n'est ainsi pas fortuit que Freud caractérise la structure psychique universelle au moyen du mythe grec d'Œdipe. Le fondateur de la psychanalyse traite les mythes comme des romans collectifs qui nourrissent nos rêves intimes, pour leur part assimilés à des mythologies privées.
Alors que pour Lévi-Strauss les mythes communiquent entre eux et « se pensent à travers les hommes », pour Freud ils sont rabattus sur l'individu, comme s'ils permettaient à chacun de communiquer plutôt avec soi-même qu'avec les autres. Ces interprétations dissocient le mythe de la société en le référant à une dynamique inconsciente de type intellectuel ou affectif.

LE MYTHE ET LA SOCIÉTÉ
Pour l'ethnologue Bronislaw Malinowski (Trois Essais sur la vie sociale des primitifs, 1926), célèbre pour ses recherches de terrain sur une société insulaire d'Océanie de l'Ouest, le mythe est tout entier présent et actif au sein même de la société où on le recueille. Le mythe, explique-t-il, « sert principalement à établir une charte sociologique, à justifier rétrospectivement un certain code de conduite morale, à attester la réalité du miracle primitif et suprême de la magie ». En insistant sur la fonction sociale et culturelle du mythe, Malinowski en vient à voir dans ce type de récit une forme de contrat social. Logiquement, le récit s'adapte à l'événement, venant justifier les prétentions des uns et des autres en matière politique, foncière, religieuse.
L'anthropologue Edmund Leach traite aussi des mythes et des rites comme d'un « langage de signes par lesquels les hommes expriment leurs droits et leurs statuts », mais, ajoute-t-il, « c'est un langage pour discuter, ce n'est pas un discours harmonieux ». Pour Karl Marx puis Max Weber, les mythes développent des arguments au moyen desquels les hommes tentent de légitimer leur situation, leur place, éventuellement leurs privilèges, au sein de la structure sociale. Le mythe participe de l'idéologie au sens où il transpose sur le plan imaginaire des contradictions et des problèmes que les hommes, ou du moins certains d'entre eux, ne veulent pas regarder en face. La logique du mythe est ainsi rapportée à une logique sociale qui, finalement, serait celle de l'auto-aveuglement, de la mauvaise foi ou de la propagande. Le mythe masquerait et atténuerait par là les formes de domination, tout comme, sur le plan psychologique, il cacherait, tout en les révélant indirectement, les désirs des individus.

LES DIFFÉRENTS TYPES DE MYTHES
On distingue les mythes qui racontent la naissance des dieux (théogonie), ceux qui racontent la naissance du monde (cosmogonie), ceux qui expliquent le sort de l'homme après la mort (eschatologie) et les autres – tels les mythes de la naissance et de la renaissance, les mythes de héros civilisateur ou culturel (Prométhée) ou encore les mythes de fondation (fondation de Rome par Romulus et Remus). Les trois premières catégories entretiennent des rapports étroits avec les religions : de nombreux rites religieux, en effet, reproduisent certains aspects ou certains détails des mythes. Les mythes qui ne relèvent pas des catégories ci-dessus font l'objet de récits folkloriques, de chants poétiques élaborés, qu'on trouve chez les peuples les plus divers : ainsi ceux que transmettaient les aèdes dans la Grèce antique, ceux que continuent de transmettre les griots africains de nos jours.

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ÉCRITURE

 

 

 

 

 

 

 

écriture
(latin scriptura)

Consulter aussi dans le dictionnaire : écriture
Cet article fait partie du dossier consacré à la Mésopotamie.
Système de signes graphiques servant à noter un message oral afin de pouvoir le conserver et/ou le transmettre.

HISTOIRE
Toutes les civilisations qui ont donné naissance à une forme d'écriture ont forgé une version mythique de ses origines ; elles en ont attribué l'invention aux rois ou aux dieux. Mais les premières manifestations de chaque écriture témoignent d'une émergence lente et de longs tâtonnements. Dans ces documents, les hommes ont enregistré : des listes d'impôts et des recensements ; des traités et des lois, des correspondances entre souverains ou États ; des biographies de personnages importants ; des textes religieux et divinatoires. Ainsi l'écriture a-t-elle d'abord servi à noter les textes du pouvoir, économique, politique ou religieux. Par ailleurs, les premiers systèmes d'écriture étaient compliqués. Leur apprentissage était long et réservé à une élite sociale voulant naturellement défendre ce statut privilégié et qui ne pouvait guère être favorable à des simplifications tendant à faciliter l'accès à l'écriture, instrument de leur pouvoir.
À partir du IIIe millénaire avant J.-C., toutes les grandes cultures du Proche-Orient ont inventé ou emprunté un système d'écriture. Les systèmes les plus connus, et qui ont bénéficié de la plus grande extension dans le monde antique, demeurent ceux de l'écriture hiéroglyphique égyptienne et de l'écriture cunéiforme, propre à la Mésopotamie. L'écriture égyptienne est utilisée dans la vallée du Nil, jusqu'au Soudan, sur la côte cananéenne et dans le Sinaï. Mais, pendant près d'un millénaire, l'écriture cunéiforme est, avec la langue sémitique (l'assyro-babylonien) qu'elle sert à noter, le premier moyen de communication international de l'histoire. L'Élam (au sud-ouest de l'Iran), les mondes hittite (en Anatolie) et hourrite (en Syrie du Nord), le monde cananéen (en Phénicie et en Palestine) ont utilisé la langue et l'écriture mésopotamienne pour leurs échanges diplomatiques et commerciaux, mais aussi pour rédiger et diffuser leurs propres œuvres littéraires et religieuses. Pour leur correspondance diplomatique, les pharaons du Nouvel Empire avaient eux-mêmes des scribes experts dans la lecture des textes cunéiformes.

À la même époque, d'autres systèmes d'écriture sont apparus, mais leur extension est limitée : en Anatolie, le monde hittite utilise une écriture hiéroglyphique qui ne doit rien à l'Égypte. Dans le monde égéen, les scribes crétois inventent une écriture hiéroglyphique, puis linéaire, de 80 signes environ, reprise par les Mycéniens.
Au Ier millénaire, l'apparition de l'alphabet marque une histoire décisive dans l'histoire de l'écriture. Depuis des siècles, l'Égypte dispose, au sein de son écriture nationale, du moyen de noter les consonnes. Au xive siècle avant J.-C., les scribes d'Ougarit gravent sur des tablettes d'argile des signes cunéiformes simplifiés et peu nombreux, puisqu'ils ne sont que 30, correspondant à la notation de 27 consonnes et de 3 valeurs vocaliques. Mais les uns et les autres ne font pas école. Ce n'est qu'après le xie siècle que le système d'écriture alphabétique se généralise à partir de la côte phénicienne. Une révolution sociale accompagne cette innovation radicale : les scribes, longuement formés dans les écoles du palais et des temples, voient leur rôle et leur importance diminuer.

LE SYSTÈME CUNÉIFORME

Le premier système d'écriture connu apparaît dans la seconde moitié du IVe millénaire avant notre ère, en basse Mésopotamie, pour transcrire le sumérien. Dans l'ancienne Mésopotamie, les premiers signes d'écriture sont apparus pour répondre à des besoins très concrets : dénombrer des biens, distribuer des rations, etc. Comme tous les systèmes d'écriture, celui-ci apparaît donc d'abord sous forme de caractères pictographiques, dessins schématisés représentant un objet ou une action. Le génie de la civilisation sumérienne a été, en quelques siècles, de passer du simple pictogramme à la représentation d'une idée ou d'un son : le signe qui reproduit à l'origine l'apparence de la flèche (ti en sumérien) prend la valeur phonétique ti et la signification abstraite de « la vie », en même temps que sa graphie se stylise et, en s'amplifiant, ne garde plus rien du dessin primitif.

LES PICTOGRAMMES DE L'ÉCRITURE CUNÉIFORME
Trouvées sur le site d'Ourouk IV, de petites tablettes d'argile portent, tracés avec la pointe d'un roseau, des pictogrammes à lignes courbes, au nombre d'un millier, chaque caractère représentant, avec une schématisation plus ou moins grande et sans référence à une forme linguistique, un objet ou un être vivant. L'ensemble de ces signes, qui dépasse le millier, évolue ensuite sur deux plans. Sur le plan technique, les pictogrammes connaissent d'abord une rotation de 90° vers la gauche (sans doute parce que la commodité de la manipulation a entraîné une modification dans l'orientation de la tablette tenue en main par le scribe) ; ultérieurement, ces signes ne sont plus tracés à la pointe sur l'argile, mais imprimés, dans la même matière, à l'aide d'un roseau biseauté, ce qui produit une empreinte triangulaire en forme de « clou » ou de « coin », cuneus en latin, d'où le nom de cunéiforme donné à cette écriture.

LE SENS DES PICTOGRAMMES CUNÉIFORMES
Sur le plan logique, l'évolution est plus difficile à cerner. On observe cependant, dès l'époque primitive, un certain nombre de procédés notables. Ainsi, beaucoup de ces signes couvrent une somme variable d'acceptions : l'étoile peut tour à tour évoquer, outre un astre, « ce qui est en haut », le « ciel » et même un « être divin ». Par ailleurs, les sumériens ne se sont pas contenté de représenter un objet ou un être par un dessin figuratif : ils ont également noté des notions abstraites au moyen de symboles. C'est ainsi que deux traits sont parallèles ou croisés selon qu'ils désignent un ami ou un ennemi.
Le sens peut aussi procéder de la combinaison de deux éléments graphiques. Par exemple, en combinant le signe de la femme et celui du massif montagneux, on obtient le sens d'« étrangère », « esclave ».

Tous ces signes, appelés pictogrammes par référence à leur tracé, sont donc aussi des idéogrammes, terme qui insiste sur leur rôle sémantique (leur sens) et indique de surcroît leur insertion dans un système. L'écriture cunéiforme dépasse ensuite ce stade purement idéographique. Un signe dessiné peut aussi évoquer le nom d'une chose, et non plus seulement la chose elle-même. On recourt alors au procédé du rébus, fondé sur le principe de l'homophonie (qui ont le même son). Ce procédé permet de noter tous les mots et ainsi des messages plus élaborés.

L'ÉCRITURE DES AKKADIENS
Cependant, les Sumériens considèrent les capacités phonétiques des signes, nouvellement découvertes, comme de simples appoints à l'idéographie originelle, et font alterner arbitrairement les deux registres, idéographique et phonographique. Lorsque les Akkadiens empruntent ce système vers − 2300, ils l'adaptent à leur propre langue, qui est sémitique, et font un plus grand usage du phonétisme, car, à la différence du sumérien, dont les vocables peuvent se figurer par des idéogrammes toujours identiques, flanqués d'affixes qui déterminent leur rôle grammatical, l'akkadien renferme déclinaisons et conjugaisons.

L'ÉVOLUTION DU SUMÉRO-AKKADIEN
L'écriture suméro-akkadienne ne cesse d'évoluer et connaît notamment une expansion importante au IIe millénaire. Le cunéiforme est adopté par des peuples de l'Orient qui l’adaptent à la phonétique de leur langue : Éblaïtes, Susiens, Élamites, etc. Vers − 1500, les Hittites adoptent les cunéiformes babyloniens pour noter leur langue, qui est indo-européenne, associant leurs idéogrammes à ceux venus de Mésopotamie, qu'ils prononcent en hittite. L'ougaritique, connu grâce aux fouilles de Ras Shamra (l'antique Ougarit), dans l'actuelle Syrie, est un alphabet à technique cunéiforme ; il note plusieurs langues et révèle que, à partir de − 1400 environ, l'écriture en cunéiformes est devenue une sorte de forme « véhiculaire », simplifiée, servant aux échanges internationaux. Au Ier millénaire encore, le royaume d'Ourartou (situé à l'est de l'Anatolie) emprunte les caractères cunéiformes (vers − 800) et ne les modifie que légèrement. Enfin, pendant une période assez brève (vie-ive s. avant notre ère), on utilise un alphabet à technique cunéiforme pour noter le vieux perse. Au Ier millénaire, devant les progrès de l'alphabet et de la langue des Araméens (araméen), l'akkadien devient une langue morte ; le cunéiforme ne se maintient que dans un petit nombre de villes saintes de basse Mésopotamie, où il est utilisé par des Chaldéens, prêtres et devins, jusqu'au ier s. après J.-C., avant de sombrer dans l'oubli.

DU HIÉROGLYPHE AU DÉMOTIQUE

Hiéroglyphes
Tout d'abord hiéroglyphique, l'écriture égyptienne évolue en se simplifiant vers une écriture plus maniable, et d'un usage quotidien. Le hiéroglyphe est une unité graphique utilisée dans certaines écritures de l'Antiquité, comme l'égyptien. Les premiers témoignages « hiéroglyphiques » suivent de quelques siècles les plus anciennes tablettes sumériennes écrites en caractères cunéiformes. Le mot « hiéroglyphe », créé par les anciens Grecs, fait état du caractère « sacré » (hieros) et « gravé » (gluphein) de l'écriture égyptienne monumentale, mais n'est réservé à aucun système d'écriture particulier. On désigne par le même terme les écritures crétoises du minoen moyen (entre 2100 et 1580 avant J.-C.), que l'on rapproche ainsi des signes égyptiens, mais qui demeurent indéchiffrées.

LES HIÉROGLYPHES ÉGYPTIENS
La langue égyptienne est une langue chamito-sémitique dont la forme écrite n'est pas vocalisée. Vers 3000 avant J.-C., l'Égypte possède l'essentiel du système d'écriture qu'elle va utiliser pendant trois millénaires et dont les signes hiéroglyphiques offrent la manifestation la plus spectaculaire. Quelque 700 signes sont ainsi créés, beaucoup identifiables parce que ce sont des dessins représentant des animaux, un œil, le soleil, un outil, etc.
Cette écriture est d'abord pictographique (un signe, dessiné, représente une chose ou une action). Mais dès l'origine, l'écriture égyptienne eut recours, à côté des signes-mots (idéogrammes), à des signes ayant une valeur phonétique (phonogrammes), où un signe représente un son. Le dessin du canard représente l'animal lui-même, mais canard se disant sa, le même signe peut évoquer le son sa, qui sert aussi à désigner le mot « fils ». Pour éviter au lecteur confusions ou hésitations, le scribe a soin de jalonner son texte de repères : signalisation pour désigner l'emploi du signe comme idéogramme (signe-chose, représentant plus ou moins le sens du mot) ou phonogramme, et compléments phonétiques qui indiquent la valeur syllabique. Il existe également des idéogrammes déterminatifs, qui ne se lisent pas, mais qui indiquent à quelle catégorie appartient le mot. Les signes peuvent être écrits de gauche à droite ou de droite à gauche.

On distingue trois types d'écriture égyptienne : l'écriture cursive ou hiératique, tracée sur papyrus, l'écriture démotique, plus simplifiée que l'écriture hiératique, et l'écriture hiéroglyphique proprement dite, c'est-à-dire celle des monuments, antérieure à 2500 avant J.-C. Ces hiéroglyphes, gravés à l'origine dans la pierre, en relief ou en creux, peuvent être disposés verticalement ou horizontalement, comme ils peuvent se lire de droite à gauche ou de gauche à droite, le sens de la lecture étant indiqué par la direction du regard des êtres humains et des animaux, toujours tourné vers le début du texte.
L'écriture hiéroglyphique apparaît toute constituée dès les débuts de l'histoire (vers 3200 avant J.-C.) ; la dernière inscription en hiéroglyphes, trouvée à Philae, date de 394 après J.-C.

LE SYSTÈME DE L'ÉCRITURE ÉGYPTIENNE
Les idéogrammes peuvent être des représentations directes ou indirectes, grâce à divers procédés logiques :
– la représentation directe de l'objet que l'ont veut noter ;
– la représentation par synecdoque ou métonymie, c'est-à-dire en notant la partie pour le tout, l'effet pour la cause, ou inversement : ainsi, la tête de bœuf représente cet animal ; deux yeux humains, l'action de voir ;
– la représentation par métaphore : on note, par exemple, la « sublimité » par un épervier, car son vol est élevé ; la « contemplation » ou la « vision », par l'œil de l'épervier, parce qu'on attribuait à cet oiseau la faculté de fixer ses regards sur le disque du Soleil ;
– représentation par « énigme » – le terme est de Champollion – ; on emploie, pour exprimer une idée, l'image d'un objet physique n'ayant qu'un rapport lointain avec l'objet même de l'idée à noter : ainsi, une plume d'autruche signifie la « justice », parce que, disait-on, toutes les plumes des ailes de cet oiseau sont parfaitement égales ; un rameau de palmier représente l'« année », parce que cet arbre était supposé avoir autant de rameaux par an que l'année compte de mois, etc.

L'ÉVOLUTION DE L'ÉCRITURE ÉGYPTIENNE
L'évolution des hiéroglyphes vers le phonétisme
À partir des idéogrammes originels, l'écriture égyptienne a évolué vers un phonétisme plus marqué que celui du cunéiforme. Selon le principe du rébus là aussi, on a utilisé, pour noter telle notion abstraite difficile à figurer, l'idéogramme d'un objet dont le nom a une prononciation identique ou très proche. Par exemple, le scarabée, khéper, a servi à noter la notion qui se disait également khéper, le « devenir ».
Poussé plus loin, le recours au phonétisme mène à l'acronymie. Un acronyme est en l'occurrence une sorte de sigle formé de toute consonne initiale de syllabe. Apparaissent ainsi des acronymes trilitères et bilitères (nfr, « cœur » ; gm, « ibis »), ainsi que des acronymes unilitères (r, « bouche »), qui constituent une espèce d'alphabet consonantique de plus de vingt éléments.

Mais le fait de noter exclusivement les consonnes entraîne beaucoup trop d'homonymies. Pour y remédier, on utilise certains hiéroglyphes comme déterminatifs sémantiques destinés à guider l'interprétation sémantique des mots écrits phonétiquement. Par exemple, le signe du « Soleil », associé à la « massue », hd, et au « cobra », dj, qui jouent un rôle phonétique, mène à la lecture hedj, « briller ».C'est dans la catégorie des déterminatifs qu'entre le cartouche, encadrement ovale signalant un nom de souverain. Quelle que soit sa logique, cette écriture est d'un apprentissage et d'une lecture difficiles, et se prête peu à une graphie rapide.

L'écriture hiératique

Sur le plan technique, si la gravure dans la pierre s'accommode de ces formes précises, l'utilisation du roseau ou du pinceau sur du papyrus ou de la peau entraîne une écriture plus souple. Les hiéroglyphes sont simplifiés pour aboutir à deux formes cursives : l'écriture hiératique (usitée par les prêtres) et l'écriture démotique (servant à la rédaction de lettres et de textes courants). Tracée sur papyrus à l'aide d'un roseau à la pointe écrasée, trempée dans l'encre noire ou rouge, l'écriture hiératique est établie par simplification et stylisation des signes hiéroglyphiques. Avec ses ligatures, ses abréviations, elle sert aux besoins de la vie quotidienne : justice, administration, correspondance privée, inventaires mais aussi littérature, textes religieux, scientifiques, etc.

Le démotique
Vers 700 avant J.-C., une nouvelle cursive, plus simplifiée, remplace l'écriture hiératique. Les Grecs lui donnent le nom de « démotique », c'est-à-dire « (écriture) populaire », car elle est d'un usage courant et permet de noter les nouvelles formes de la langue parlée. Utilisée elle aussi sur papyrus ou sur ostraca (tessons de poterie), cette écriture démotique suffit à tous les usages pendant plus de 1000 ans, exception faite des textes gravés sur les monuments, qui demeurent l'affaire de l'hiéroglyphe, et des textes religieux sur papyrus pour lesquels on garde l'emploi de l'écriture hiératique.
Sur le plan fonctionnel, les Égyptiens, tout comme les Sumériens, n'ont pas exploité pleinement leurs acquis et se sont arrêtés sur le chemin qui aurait pu les mener à une écriture alphabétique. Demeuré longtemps indéchiffrable, le système d’écriture égyptien fut décomposé et analysé par Champollion (1822) grâce à la découverte de la pierre de Rosette, qui portait le même texte en hiéroglyphe, en démotique et en grec.

LES ÉCRITURES ANCIENNES DÉCHIFFRÉES
Alliant érudition, passion et intuition, les chercheurs du xixe s. déchiffrent les écritures des civilisations mésopotamiennes et égyptiennes.
Dans leurs travaux, ils durent résoudre deux problèmes : celui de l'écriture proprement dite, d'une part ; celui de la langue pour laquelle un système d'écriture était employé, d'autre part. Le document indispensable fut donc celui qui utilisait au moins deux systèmes d'écriture (ou davantage) dont l'un était déjà connu : la pierre de Rosette, rédigé en 2 langues et trois systèmes d’écritures (hiéroglyphe, démotique et grec) permit de déchiffrer les hiéroglyphes, grâce à la connaissance du grec ancien. Les savants durent ensuite faire l'hypothèse que telle ou telle langue avait été utilisée pour rédiger un texte donné ; Jean-François Champollion postula ainsi que la langue égyptienne antique a survécu dans la langue copte, elle-même conservée dans la liturgie de l'église chrétienne d'Égypte. De même le déchiffreur de l’écriture cunéiforme, sir Henry Creswicke Rawlinson, une fois les textes en élamite et vieux-perse de Béhistoun mis au point, fit l'hypothèse, avec d'autres chercheurs, que le texte restant était du babylonien, et qu'il s'agissait d'une langue sémitique dont les structures pouvaient être retrouvées à partir de l'arabe et de l'hébreu.

LES DÉCHIFFREURS
1754 : l'abbé Barthélemy propose une lecture définitive des textes phéniciens et palmyriens.
1799 (2 août) : mise au jour de la pierre de Rosette, dans le delta du Nil, portant copie d'un décret de Ptolémée V Épiphane (196 avant J.-C.) rédigé en trois écritures, hiéroglyphique, hiératique et grecque.

1824 : parution du Précis du système hiéroglyphique rédigé par Champollion.
À partir de 1835 : l'Anglais H. C. Rawlinson copie, à Béhistoun, en Iran, une inscription célébrant les exploits de Darius Ier (516 avant J.-C.) rédigée selon trois systèmes d'écriture cunéiforme, en vieux-perse, en élamite et en babylonien (akkadien), langues jusqu'alors inconnues.
1845 : le texte en vieux-perse est déchiffré par Rawlinson.
1853 : le texte en élamite est déchiffré par E. Norris.
1857 : un même texte babylonien est confié à quatre savants qui en proposent des traductions identiques.
1858 : Jules Oppert publie son Expédition scientifique en Mésopotamie, qui contribue au déchiffrement du cunéiforme.
1905 : F. Thureau-Dangin établit l'originalité de l'écriture et du système linguistique des Sumériens.
1917 : le Tchèque Hrozny établit que les textes hittites, écrits en caractères cunéiformes, servent à noter une langue indo-européenne, désormais déchiffrée.
1945 : découverte d'une stèle bilingue à Karatépé, en Cilicie ; la version phénicienne du texte permet de déchiffrer un texte louwite (proche du hittite) noté en écriture hiéroglyphique.
1953 : les Anglais M. Ventris et J. Chadwick établissent que les textes rédigés en écriture dite « linéaire B » sont du grec archaïque (mycénien) ; le linéaire B est une écriture syllabique comprenant environ 90 signes.

LA « LANGUE GRAPHIQUE » DES CHINOIS
Après les écritures sumérienne et égyptienne, l'écriture chinoise est la troisième écriture importante à avoir découpé les messages en mots. Mais elle n'a pas évolué comme les deux autres, car, à la différence de tous les systèmes d'écriture, qui sont parvenus, à des degrés divers, à exprimer la pensée par la transcription du langage oral, l'écriture chinoise note une langue conçue en vue de l'expression écrite exclusivement, et appelée pour cette raison « langue graphique ».

L'ÉVOLUTION DES IDÉOGRAMMES CHINOIS
Les premiers témoignages de l’écriture chonoise datent du milieu du IIe millénaire avant J.-C. : ce sont des inscriptions divinatoires, gravées sur des carapaces de tortues ou des omoplates de bœufs. Les devins y gravaient les questions de leurs « clients » puis portaient contre ce support un fer chauffé à blanc et interprétaient les craquelures ainsi produites. Ce type d’écriture a évolué à travers le temps et les différents supports : inscriptions sur des vases de bronze rituels aux alentours du ixe s. ; écriture sigillaire, gravée dans la pierre ou l'ivoire, au milieu du Ier millénaire ; caractères « classiques », peints au pinceau, à partir du iie s. avant J.-C. Ces derniers signes ont traversé deux millénaires ; en 1957, une réforme en a simplifié un certain nombre.

LE FONCTIONNEMENT DE L'ÉCRITURE CHINOISE

Sur le plan fonctionnel, les pictogrammes originels ont évolué vers un système d'écriture où les éléments sont dérivés les uns des autres. Soit le caractère de l'arbre (mu) : on peut en cocher la partie basse pour noter « racine » (ben), ou la partie haute pour « bout, extrémité » (mo) ; on peut aussi lui adjoindre un deuxième arbre pour noter « forêt » (lin), un troisième pour noter « grande forêt », et ultérieurement « nombreux », « sombre » (sen).
Un dérivé peut servir à son tour de base de dérivation. Ainsi, le pictogramme de la « servante », de l'« esclave », figurant une femme et une main droite (symbole du mari et du maître), est associé au signe du cœur, siège des sentiments, pour signifier la « rage », la « fureur », éprouvée par l'esclave.

Cette langue graphique use également d'indicateurs phonétiques. Ainsi, le caractère de la femme, flanqué de l'indicateur « cheval » (mâ), note « la femme qui se prononce comme le cheval » (au ton près), c'est-à-dire la « mère » (m"a) ; si l'on associe « cheval » avec « bouche », on note la particule interrogative (ma) ; avec deux « bouches », le verbe « injurier ».
Inversement, le caractère chinois peut être lu grâce au déterminatif sémantique. Ces déterminatifs, ou clés (au nombre de 540 au iie s. après J.-C., réduits à 214 au xviie s., et portés à 227, avec des modifications diverses, en 1976), sont des concepts destinés à orienter l'esprit du lecteur vers telle ou telle catégorie sémantique. Le même signe signifiera « rivière » s'il est précédé de la clé « eau », et « interroger » s'il est précédé de la clé « parole ».
Le système chinois repose donc sur le découpage de l'énoncé en mots. Il semble que, de l'autre côté du Pacifique, et au xvie s. de notre ère seulement, à la veille de la conquête espagnole, les glyphes précolombiens (que nous déchiffrons très partiellement à ce jour, malgré des progrès dans la lecture des glyphes mayas) présentent des similitudes avec cette écriture. Mais ils ne se sont pas entièrement dégagés de la simple pictographie.

L'AVENTURE DURABLE DE L'ALPHABET
LA NAISSANCE DE L'ALPHABET
L'invention de l'alphabet (dont le nom est forgé par les Grecs sur leurs deux premières lettres alpha et bêta) se situe au IIe millénaire avant notre ère en Phénicie. Deux peuples y jouent un rôle important, les Cananéens et, à partir du xiie s. avant J.-C., les Araméens ; ils parlent chacun une langue sémitique propre et utilisent l'akkadien, écrit en cunéiformes, comme langue véhiculaire. Dans les langues sémitiques, chacun des « mots » est formé d'une racine consonantique qui « porte » le sens, tandis que les voyelles et certaines modifications consonantiques précisent le sens et indiquent la fonction grammaticale. Cette structure n'est sans doute pas étrangère à l'évolution de ces langues vers le principe alphabétique, et plus précisément vers l'alphabet consonantique, à partir du système cunéiforme.

L'ALPHABET OUGARITIQUE
Le premier alphabet dont on ait pu donner une interprétation précise est l'alphabet ougaritique, apparu au moins quatorze siècles avant notre ère. Différent du cunéiforme mésopotamien, qui notait des idées (cunéiformes idéographiques), puis des syllabes (cunéiformes syllabiques), il note des sons isolés, en l'occurrence des consonnes, au nombre de vingt-huit. Il a probablement emprunté la technique des cunéiformes aux Akkadiens, en pratiquant l'acrophonie (phénomène par lequel les idéogrammes d'une écriture ancienne deviennent des signes phonétiques correspondant à l'initiale du nom de l'objet qu'ils désignaient. Ainsi, en sumérien, le caractère cunéiforme signifiant étoile, et qui se lisait ana, finit par devenir le signe de la syllabe an) et en simplifiant certains caractères. La véritable innovation est celle des scribes d'Ougarit : gravés dans l'argile, comme les signes mésopotamiens, les caractères d'apparence cunéiforme sont en fait des lettres, déjà rangées dans l'ordre des futurs alphabets. C'est en cette écriture que les trésors de la littérature religieuse d'Ougarit, c'est-à-dire la littérature religieuse du monde cananéen lui-même, nous sont parvenus.

L'ALPHABET DE BYBLOS
Alors que l'« alphabet » ougaritique demeure réservé à cette cité, l'alphabet sémitique dit « ancien » est l'ancêtre direct de notre alphabet. Sa première manifestation en est, au xie s., le texte gravé sur le sarcophage d'Ahiram, roi de Byblos : 22 signes à valeur uniquement de consonnes. Cet alphabet apparaît donc à Byblos (aujourd'hui Djebaïl, au Liban), lieu d'échanges entre l'Égypte et le monde cananéen. Ce système est utilisé successivement par les Araméens, les Hébreux et les Phéniciens. Commerçants et navigateurs, ces derniers le diffusent au cours de leurs voyages, notamment vers l'Occident, vers Chypre et l'Égée, où les Grecs s'en inspirent pour la création de leur propre alphabet. Car ce sont les Grecs qui, au xie s. avant J.-C., emploient, pour la première fois au monde, un système qui note aussi bien les voyelles que les consonnes, constituant ainsi le premier véritable alphabet.
Pour les deux alphabets d'Ougarit et de Byblos, entre lesquels il ne devrait pas y avoir de continuité globale, il est frappant que l'ordre des lettres soit le même et corresponde à peu près à celui des alphabets ultérieurs. Cet ordre, dont l'origine reste mystérieuse, serait très ancien.

LA FORME ET LE NOM DES LETTRES
Mais quel critère a déterminé le choix de tel graphisme pour noter tel son ? D'où viennent les noms des lettres ? L'hypothèse retenue répond à ces deux questions à la fois : une lettre devait fonctionner à l'origine comme un pictogramme (A figurait une tête de bœuf) ; on a utilisé ce pictogramme pour noter le son initial du nom qui désignait telle chose ou tel être dans la langue (A utilisé pour noter « a », issu par acrophonie d'aleph, nom du bœuf en sémitique) ; enfin, on a donné à la lettre alphabétique nouvelle le nom de la chose que figurait le pictogramme originel (aleph est le nom de la lettre A). C'est sur cette hypothèse que s'est fondé l'égyptologue Alan Henderson Gardiner dans ses travaux sur les inscriptions dites « protosinaïtiques » découvertes dans le Sinaï. Elles sont antérieures au xve s. avant J.-C., présentent quelque signes pictographiques et notent une langue apparentée au cananéen. Les conclusions de Gardiner ne portent que sur quelques « lettres » de ce protoalphabet, mais elles semblent convaincantes et devraient permettre de repousser de cinq à sept siècles la naissance du système alphabétique.

LA CHAÎNE DES PREMIERS ALPHABETS
Des convergences dans la forme, le nom et la valeur phonétique des lettres établissent, entre les alphabets, une parenté incontestable. Pour l'araméen et le grec, celle-ci est collatérale : ils ont pour ancêtre commun le phénicien. De l'alphabet araméen dérivent l'hébraïque (iiie ou iie s. avant J.-C.) et probablement l'arabe (avant le vie s. après J.-C.), avec ses diverses adaptations, qui notent le persan ou l'ourdou, par exemple ; à moins qu'il ne faille distinguer une filière arabique qui aurait une parenté collatérale avec le phénicien. Du grec découle la grande majorité des alphabets actuels : étrusque (ve s. avant J.-C.), italiques puis latin (à partir du ve s. avant J.-C.), copte (iie-iiie s. après J.-C.), gotique (ive s.), arménien (ve s.), glagolitique et cyrillique (ixe s.). La propagation du christianisme joua un rôle majeur dans cette filiation : c'est pour les besoins de leur apostolat que des évangélisateurs, s'inspirant des alphabets grec ou latin dans lesquels ils lisaient les Écritures, constituèrent des alphabets adaptés aux langues des païens.

Quant aux alphabets asiatiques, au nombre d'au moins deux cents, on pense qu'ils remontent tous à l'écriture brahmi. La devanagari, par exemple, a servi à noter le sanskrit et note aujourd'hui le hindi. D’aucuns supposent que l'écriture brahmi aurait été elle-même créée d'après un modèle araméen. Selon cette hypothèse, tous les alphabets du monde proviendraient donc de la même source proche-orientale.

L'ALPHABET AUJOURD’HUI
Avec la grande extension de l'alphabet, la fonction de l'écrit a évolué. À la conservation de la parole, ou, sur une autre échelle, de la mémoire des hommes, s'est ajoutée l'éducation, l'œuvre de culture, souvent synonyme d'« alphabétisation ». Il existe bel et bien une civilisation de l'alphabet, accomplissement de celle de l'écriture, où un autodafé de documents écrits est considéré comme un acte de barbarie. Depuis le siècle dernier, une étape importante s'est amorcée avec la diffusion de l'alphabet latin hors de l'Europe occidentale, surtout pour noter des parlers encore non écrits, en Afrique ou dans l'ex-Union soviétique. En Turquie, par exemple, la réforme de 1928 (utilisation de l’alphabet latin, légèrement enrichi de diacritiques et d’une lettre supplémentaire) a permis de rapprocher le pays de la civilisation occidentale.

LINGUISTIQUE
L'écriture est un code de communication secondaire par rapport au langage articulé. Mais, contrairement à celui-ci, qui se déroule dans le temps, l'écriture possède un support spatial qui lui permet d'être conservée. La forme de l'écriture dépend d'ailleurs de la nature de ce support : elle peut être gravée sur la pierre, les tablettes d'argile ou de cire, peinte ou tracée sur le papyrus, le parchemin ou le papier, imprimée ou enfin affichée.
Selon la nature de ce qui est fixé sur le support, on distingue trois grands types d'écriture, dont l'apparition se succède en gros sur le plan historique, et qui peuvent être considérés comme des progrès successifs dans la mesure où le code utilisé est de plus en plus performant : les écritures synthétiques (dites aussi mythographiques), où le signe est la traduction d'une phrase ou d'un énoncé complet ; les écritures analytiques, où le signe dénote un morphème ; les écritures phonétiques (ou phonématiques), où le signe dénote un phonème ou une suite de phonèmes (syllabe).

LES ÉCRITURES SYNTHÉTIQUES
On peut classer dans les écritures synthétiques toutes sortes de manifestations d'une volonté de communication spatiale. Certains, d'ailleurs, préfèrent parler en ce cas de « pré-écriture », dans la mesure où ces procédés sont une transcription de la pensée et non du langage articulé. Quoi qu'il en soit, le spécialiste de la préhistoire André Leroi-Gourhan note des exemples de telles manifestations dès le moustérien évolué (50 000 ans avant notre ère) sous la forme d'incisions régulièrement espacées sur des os ou des pierres. À ce type de communication appartiennent les représentations symboliques grâce à des objets, dont un exemple classique, rapporté par Hérodote, est le message des Scythes à Darios ; il consistait en cinq flèches d'une part, une souris, une grenouille et un oiseau d'autre part, formes suggérées à l'ennemi pour échapper aux flèches. Ce genre de communication se retrouve un peu partout dans le monde dans les sociétés dites primitives. On peut ainsi signaler les systèmes de notation par nœuds sur des cordelettes (quipus des archives royales des Incas), mais la forme la plus courante d'écriture synthétique est la pictographie, c'est-à-dire l'utilisation de dessins figuratifs (pictogrammes), dont chacun équivaut à une phrase (« je pars en canot », « j'ai tué un animal », « je rentre chez moi », etc.) : c'est le système utilisé par les Inuits d'Alaska, les Iroquois et les Algonquins (wampums) ou encore par les Dakotas. Les limites de ces modes d'expression apparaissent évidentes : ils ne couvrent que des secteurs limités de l'expérience, ils ne constituent pas, comme le langage, une combinatoire.

LES ÉCRITURES ANALYTIQUES
Dans les écritures analytiques (dites aussi, paradoxalement, « idéographiques »), le signe ne représente pas une idée mais un élément linguistique (mot ou morphème), ce n'est plus une simple suggestion, c'est une notation. En réalité, le manque d'économie de ce système (il y aurait un signe pour chaque signifié) fait qu'il n'existe pas à l'état pur : toutes les écritures dites idéographiques comportent, à côté des signes-choses (idéogrammes), une quantité importante de signes à valeur phonétique, qu'il s'agisse des cunéiformes suméro-akkadiens, des hiéroglyphes égyptiens ou de l'écriture chinoise. Par exemple, en chinois, on peut distinguer, en gros, cinq types d'idéogrammes : les caractères représentant des objets, et qui sont, à l'origine, d'anciens pictogrammes (le soleil, la lune, un cheval, un arbre, etc.) ; les caractères évoquant des notions abstraites (monter, descendre, haut, bas) ; les caractères qui sont des agrégats logiques, formés par le procédé du rébus, en associant deux signes déjà signifiants (une femme sous un toit pourra dénoter la paix) ; les caractères utilisés pour noter des homophones : tel caractère désignant à l'origine un objet donné sera utilisé pour noter un mot de même prononciation mais de sens complètement différent ; les caractères qui sont des composés phonétiques, constitués, à gauche, d'un élément qui indique la catégorie sémantique (clef) et, à droite, d'un élément indiquant la prononciation (ce dernier type de caractère constitue jusqu'à 90 % des entrées d'un dictionnaire chinois). Cependant, l'écriture chinoise, malgré ses recours au phonétisme, n'est pas liée à la prononciation : elle peut être lue par les locuteurs des différents dialectes chinois, entre lesquels il n'y a pas d'intercompréhension orale ; elle sert, d'autre part, à noter des langues complètement différentes comme le lolo, l’ancien coréen (qui a depuis créé son propre alphabet, le hangul) ou le japonais, où les idéogrammes chinois coexistent avec une notation syllabique.

LES ÉCRITURES PHONÉTIQUES
Les écritures dites « phonétiques » témoignent d'une prise de conscience plus poussée de la nature de la langue parlée : les signes y ont perdu tout contenu sémantique (même si, à l'origine, les lettres sont d'anciens idéogrammes), ils ne sont plus que la représentation d'un son ou d'un groupe de sons. Trois cas peuvent se présenter, selon que le système note les syllabes, les consonnes seules ou les voyelles et les consonnes. Les syllabaires ne constituent pas toujours historiquement un stade antérieur à celui des alphabets. S'il est vrai que les plus anciens syllabaires connus (en particulier le cypriote) précèdent l'invention de l'alphabet (consonantique) par les Phéniciens, d'autres sont, au contraire, des adaptations d'alphabets : c'est le cas de la brahmi, ancêtre de toutes les écritures indiennes actuelles, qui procède de l'alphabet araméen, ou du syllabaire éthiopien, qui a subi des influences sémitiques et grecques.
Quant à la naissance de l'alphabet grec, elle a été marquée, semble-t-il, aussi bien par le modèle phénicien que par celui des syllabaires cypriote et crétois (linéaires A et B). Les systèmes syllabiques se caractérisent par leur côté relativement peu économique, puisqu'il faut, en principe, autant de signes qu'il y a de possibilités de combinaison voyelle-consonne. D'autre part, ils présentent l'inconvénient de ne pouvoir noter simplement que les syllabes ouvertes (C+V) ; en cas de syllabe fermée (C+V+C) ou de groupement consonantique (C+C+V), l'un des signes contiendra un élément vocalique absent de la prononciation.

Les alphabets consonantiques, dont le phénicien est historiquement le premier exemple, ne conviennent bien qu'à des langues ayant la structure particulière des langues sémitiques : la racine des mots y possède une structure consonantique qui est porteuse de leur sens, la vocalisation pouvant être devinée par l'ordre très rigoureux des mots dans la phrase, qui indique leur catégorie grammaticale et, par là même, leur fonction. L'alphabet araméen a servi de modèle à toute une série d'alphabets (arabe, hébreu, syriaque, etc.), ainsi qu'à des syllabaires (brahmi) ; l'alphabet arabe a servi et sert à noter des langues non sémitiques, non sans quelques difficultés (il a ainsi été abandonné pour le turc).

       
L'alphabet grec est historiquement le premier exemple d'une écriture notant à la fois et séparément les consonnes et les voyelles. Il a servi de modèle à toutes les écritures du même type qui existent actuellement : alphabets latin, cyrillique, arménien, géorgien, etc.

PÉDAGOGIE
L'apprentissage de l'écriture fait appel à une maîtrise de la fonction symbolique ainsi qu'à une maîtrise motrice de l'espace et du temps. Il s'effectue soit par l'étude progressive et linéaire des lettres, servant à former les mots (méthode analytique), soit par la compréhension directe des mots dans le contexte de la phrase, dont on décomposera seulement après les lettres (méthode globale d’Ovide Decroly). Mais ce sont de plus en plus des méthodes mixtes qui sont utilisées, intégrant parfois expression corporelle et exercices de motricité.

 

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LES GLACIERS

 

 

 

 

 

 

 

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Cet article fait partie du dossier consacré au monde.
Accumulation de glace continentale issue de la transformation de la neige et soumise à un écoulement lent.

1. FORMATION DES GLACIERS
L'ensemble des glaciers représente environ 75 % des réserves d'eau douce de la planète. À l'aube du xxie s., quand le fragile équilibre thermique de la Terre paraît menacé, il convient d'être attentif à l'évolution des glaciers.
Leur existence étant conditionnée par des données thermiques rigoureuses, les glaciers sont cantonnés dans les régions polaires ou localisés dans les massifs montagneux les plus élevés. La diagenèse, ou transformation de la neige en glace par expulsion de l'air qu'elle contient, n'est possible que si l'alimentation neigeuse excède l'ablation (par fusion ou sublimation). Cette condition n'est réalisée qu'au-dessus de la limite des neiges persistantes, qui s'élève des régions polaires (où elle se tient au voisinage de la mer) vers les régions chaudes (où elle culmine à 6 000 m sous les tropiques). Un glacier, masse de glace continentale en mouvement, se constitue par accumulation de neige en hiver. Celle-ci, ne parvenant pas à fondre d'une année sur l'autre, se transforme peu à peu en névé, puis en glace. Quand cette dernière atteint plusieurs dizaines de mètres d'épaisseur (par exemple, 40 m sur une pente de 7°), sa base devient plastique. Soumise à l'action conjuguée de la pesanteur et de la pression (d'autant plus forte que l'épaisseur de la glace accumulée en amont est importante), elle se met à fluer, descendant les pentes ou se répandant dans toutes les directions.

2. DESCRIPTION DES GLACIERS
L'image typique des glaciers de montagne est celle de fleuves de glace (par exemple, la mer de Glace, dans le massif du Mont-Blanc), d'autant plus développés que les montagnes sont fortement enneigées en hiver et fraîches en été. Leur existence dépend de l'altitude à laquelle s'accumulent les neiges permanentes : basse vers les pôles (moins de 1 000 m en Islande), très élevée sous les tropiques (plus de 5 000 m dans l'Himalaya et les Andes), intermédiaire dans les zones tempérées (entre 2 700 et 3 000 m dans les Alpes).

2.1. TYPOLOGIE DES GLACIERS
Suivant leur configuration et leur volume, on distingue trois types de glaciers :
– les glaciers d'inlandsis (représentant près de 99 % des surfaces englacées), qui sont des calottes de grande épaisseur (2 000 m en moyenne) recouvrant d'immenses surfaces (environ 15 millions de km2 pour l'Antarctique, plus de 1 700 000 km2 pour le Groenland), d'où n'émergent que quelques pointements rocheux, les nunataks ;

– les glaciers de vallée, situés en aval des névés, qui sont étroitement dépendants des reliefs dans lesquels ils se logent ; la longueur de tels appareils n'excède pas quelques dizaines de kilomètres (27 km pour le glacier d'Aletsch dans les Alpes, près de 80 km pour celui de Fedtchenko dans le Pamir, 120 km pour celui d'Hubbard en Alaska, sans doute le plus long fleuve de glace du monde) ;
– les glaciers de piémont, qui s'étalent largement en lobe au sortir d'un massif montagneux (comme en Alaska).

2.2. MORPHOLOGIE GLACIAIRE

Un glacier de montagne prend naissance sous la ligne de crête, dans un champ de névés entouré d'abrupts rocheux appelés cirque glaciaire.

Au-delà de cette cuvette commence la langue glaciaire, qui se moule dans une vallée préexistante. Sa surface est rarement lisse. Des cassures béantes, les crevasses, résultent des tensions engendrées par l'inégale vitesse d'écoulement de la glace au milieu et sur les bords de la langue. D'une profondeur généralement inférieure à 35 m, les crevasses peuvent excéder 20 m de large et 100 m de long. Souvent dissimulées sous des ponts de neige en hiver, elles constituent un danger pour les alpinistes. Elles sont plus denses quand la vallée se resserre ou quand la pente s'accroît brusquement. Il en résulte un aspect chaotique, surtout lorsque leur entrecroisement isole des lames de glace, les séracs, qui souvent s'éboulent les uns sur les autres. Dès qu'elle franchit la limite des neiges permanentes, la langue glaciaire fond et s'amincit peu à peu, jusqu'à disparaître. Sa longueur dépend du bilan glaciaire (différence entre l'accumulation et l'ablation).
Les grands glaciers, issus de plusieurs cirques qui s'emboîtent les uns dans les autres, grossissent par la confluence de plusieurs langues. L'un des plus longs, le glacier Hubbard en Alaska, s'écoule sur 120 km, et beaucoup descendent bien au-dessous de la limite des neiges permanentes (de 1 500 à 1 300 m pour les glaciers du massif du Mont-Blanc). Lorsque la montagne est très élevée, et la limite des neiges basse, de puissantes langues de glace descendues de la montagne s'étalent sur l'avant-pays en lobes semi-circulaires; on parle alors de glaciers de piémont (de beaux exemples peuvent être observés en Patagonie et en Alaska).
Au contraire, dans les montagnes dont la ligne de crête dépasse à peine l'altitude des neiges permanentes, les glaciers n'ont pas de langue: ce sont des glaciers de calotte, qui encapuchonnent les sommets, des glaciers de cirque, qui se logent dans les creux, des glaciers de paroi, qui nappent les hauts versants. Ces glaciers élémentaires ne bénéficient pas d'une alimentation neigeuse suffisante (dans les régions sèches, par exemple) ou sont soumis à une forte ablation qui ne permet pas la constitution d'une langue glaciaire (dans les régions intertropicales).
Les glaciers de montagne alimentent de nombreux torrents dont le régime est caractérisé par de hautes eaux en saison chaude et de maigres eaux en hiver.

3. GLACIERS ET ÉROSION
3.1. LE MOUVEMENT ET LA VITESSE DES GLACIERS

La submersion par la glace de repères naturels ou artificiels situés à la périphérie des langues glaciaires, le déplacement de balises installées à la surface des glaciers, tout comme les mesures effectuées au contact du lit glaciaire prouvent que la glace, tel un corps visqueux, se déforme, avance par saccades et glisse à la faveur d'un film d'eau qui apparaît sur le lit rocheux. La température à la base du glacier demeure proche du point de fusion, car la roche conserve une température positive. Les vitesses enregistrées varient en fonction non seulement de la pente, mais aussi de l'épaisseur de la glace, donc de l'alimentation en neige. Elles sont de l'ordre de 1 m par jour, en moyenne, pour les grands glaciers de montagne (35 cm seulement pour la mer de Glace, 60 cm pour le glacier d'Argentière). Les records sont détenus par les glaciers d'Alaska : près de 3 m/h pour l'un d'eux, tandis que d'autres connaissent des avancées épisodiques de plus de 60 m par jour.
C'est l'écoulement glaciaire qui rend compte de la spécificité des processus morphogéniques du domaine glaciaire, qui sont : le transport de moraines (superficielles, internes ou de fond), alimentées par la gélifraction des versants supraglaciaires ou l'attaque du lit glaciaire ; l'ablation, qui consiste en une abrasion exercée par la glace armée de matériaux durs (activité qui se traduit par des stries, des cannelures, ou par le polissage des roches moutonnées, et, surtout, par le délogement de blocs aux dépens de la roche en place [le débitage glaciaire]). Les glaciers des calottes polaires peuvent s'étirer jusqu'à la mer et se fragmenter alors en gros blocs, les icebergs, qui dériveront au gré des courants marins.
Si la prise en charge des moraines ne fait pas problème, la capacité et la compétence des glaciers étant pratiquement illimitées, le creusement du lit glaciaire offre matière à discussions. Suivant l'efficacité accordée au travail des glaciers, les auteurs se partagent entre trois écoles : les ultraglacialistes font du glacier le plus puissant de tous les agents morphogéniques, les antiglacialistes ne lui attribuent qu'un rôle protecteur, et les transactionnels lui reconnaissent l'aptitude de réaménager une topographie préglaciaire. Ces différences d'appréciation s'expliquent aisément par un fait d'évidence : l'ablation glaciaire est le processus le moins facilement accessible à l'observation directe. Toutefois, l'examen des modelés de vastes régions englacées au cours des périodes froides du quaternaire (près de 30 % des terres émergées contre 11 % actuellement) montre que le problème de l'efficacité de l'érosion glaciaire appelle des solutions nuancées, puisqu'il oblige à tenir compte des influences lithologiques, du travail de préparation des systèmes morphogéniques antérieurs, de la différenciation de la topographie et de l'inégal dynamisme des glaciers (ce dernier facteur privilégiant les glaciers locaux par rapport aux inlandsis).

3.2. L'ÉROSION GLACIAIRE
Les glaciers usent la roche par abrasion, c'est-à-dire par frottement des particules charriées sur le lit rocheux ou contre les parois. Ce polissage se caractérise par les bosses arrondies des roches « moutonnées » ou les stries et cannelures gravées dans la roche, bien visibles dans les vallées glaciaires. La glace arrache des fragments de la roche en place séparés par des fissures. Elle entraîne des débris de toute taille, grains de sable et blocs, qui constituent la moraine de fond.

L'eau de fusion estivale, qui ruisselle à la surface des glaciers avant de disparaître dans les crevasses, forme un torrent sous-glaciaire responsable du creusement de sillons étroits et profonds, véritables traits de scie, repérés sous les glaciers alpins.
Les langues glaciaires transportent les cailloux et les rochers tombés des versants. Accumulés en bourrelets au bord du glacier, ces débris forment les moraines latérales, qui se réunissent en une moraine médiane en aval de la confluence de deux glaciers.

Le glacier est cerné à son extrémité par une moraine terminale, ou frontale, de forme arquée (vallum morainique), d'où s'échappe le torrent issu des eaux de fonte. Le remaniement des matériaux morainiques et leur étalement par les eaux courantes aboutit à la constitution de cônes fluvio-glaciaires en aval des glaciers de montagne ou de piémont, et de plaines sableuses en aval des inlandsis.

3.3. LE MODELÉ GLACIAIRE
La fonte des glaciers fait apparaître le modelé glaciaire. En montagne, les crêtes étroites, hérissées d'aiguilles, correspondent aux cloisons rocheuses limitant l'amphithéâtre des anciens cirques glaciaires. Un lac en occupe souvent le fond.

L'ancienne vallée glaciaire présente des versants raides et, dans un premier temps, un fond irrégulier. Le glacier a creusé des cuvettes, ou ombilics, dans les roches tendres, laissant subsister dans les roches dures des bosses qui forment des verrous. Ces derniers peuvent retenir des eaux lacustres, dont les exutoires scient des gorges à travers les barres rocheuses. Puis le colmatage des cuvettes par les alluvions lacustres ou torrentielles aboutit à la formation d'une plaine alluviale. Les grandes vallées présentant alors la forme d'un « U » (versants raides et fond plat) sont appelées auges glaciaires. Les grands glaciers, épais de plusieurs centaines de mètres, ont creusé des vallées plus profondes que celles de leurs affluents. Après la déglaciation, le fond de l'auge principale se trouve en contrebas des auges secondaires. Celles-ci apparaissent suspendues, et les torrents qui les occupent rejoignent le cours d'eau principal par des cascades ou par des gorges de raccordement.
À l'exception des fjords (anciennes auges profondes envahies par la mer), les reliefs rabotés par les inlandsis présentent des bosses arrondies et des cuvettes occupées par des lacs (on en compte plus de 100 000 en Finlande). Les Grands Lacs du Saint-Laurent ont une origine identique. La bordure des anciens inlandsis est jalonnée par des collines morainiques, telles les croupes baltiques. Les moraines de fond ont créé de vastes plaines souvent marécageuses, dont la monotonie est rompue par des buttes ovoïdes façonnées sous la pression de la glace ou par des bourrelets sinueux, longs de plusieurs kilomètres, œuvre des torrents sous-glaciaires.

 

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