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LE DÉVELOPPEMENT COGNITIF SELON PIAGET
Comment se développent les connaissances humaines ? Voilà la question à laquelle le psychologue suisse Jean Piaget a consacré toute sa vie. Ses travaux, étalés sur près de soixante ans, ont jeté les bases du vaste champ de recherche de l’épistémologie génétique qui cherche à comprendre comment évoluent nos modes de pensée tout au long de notre vie.
Formé en biologie et en philosophie, Piaget s’inspire des concepts de ces deux disciplines pour étudier le développement des jeunes enfants, terrain idéal pour observer une pensée se constituer. Il en arrive ainsi très tôt à la conclusion que le développement cognitif est le fruit d’interactions complexes entre la maturation du système nerveux et du langage, et que cette maturation dépend des interactions sociales et physiques avec le monde qui nous entoure.
Pour Piaget, c’est en agissant sur son environnement que l'enfant construit ses premiers raisonnements. Ces structures cognitives (Piaget parle aussi de schèmes de pensée), au départ complètement différentes de ceux de l’adulte, s'intériorisent progressivement pour devenir de plus en plus abstraites.
La théorie piagétienne du développement distingue quatre structures cognitives primaires qui correspondent à autant de stades de développement, lesquels se subdivisent ensuite en périodes distinctes où émergent des capacités cognitives particulières.

Le premier stade, qui s’étend de la naissance à environ 2 ans, est le stade sensorimoteur. Durant cette période, le contact qu’entretient l’enfant avec le monde qui l’entoure dépend entièrement des mouvements qu’il fait et des sensations qu’il éprouve. Chaque nouvel objet est brassé, lancé, mis dans la bouche pour en comprendre progressivement les caractéristiques par essais et erreurs. C’est au milieu de ce stade, vers la fin de sa première année, que l’enfant saisit la notion de permanence de l’objet, c’est-à-dire le fait que les objets continuent d’exister quand ils sortent de son champ de vision.
Le deuxième stade est celui de la période pré-opératoire qui débute vers 2 ans et se termine vers 6 - 7 ans. Durant cette période qui se caractérise entre autres par l’avènement du langage, l’enfant devient capable de penser en terme symbolique, de se représenter des choses à partir de mots ou de symboles. L’enfant saisit aussi des notions de quantité, d'espace ainsi que la distinction entre passé et futur. Mais il demeure beaucoup orienté vers le présent et les situations physiques concrètes, ayant de la difficulté à manipuler des concepts abstraits. Sa pensée est aussi très égocentrique en ce sens qu’il assume souvent que les autres voient les situations de son point de vue à lui.
Entre 6 - 7 ans et 11-12 ans, c’est le stade des opérations concrètes. Avec l’expérience du monde qui s’accumule en lui, l’enfant devient capable d’envisager des événements qui surviennent en dehors de sa propre vie. Il commence aussi à conceptualiser et à créer des raisonnements logiques qui nécessitent cependant encore un rapport direct au concret. Un certain degré d’abstraction permet aussi d’aborder des disciplines comme les mathématiques où il devient possible pour l’enfant de résoudre des problèmes avec des nombres, de coordonner des opérations dans le sens de la réversibilité, mais toujours au sujet de phénomènes observables. Résoudre des problèmes à plusieurs variables en le décortiquant de façon systématique demeure exceptionnel à ce stade.
Finalement, à partir de 11-12 ans se développe ce que Piaget a appelé les opérations formelles. Les nouvelles capacités de ce stade, comme celle de faire des raisonnements hypothético-déductifs et d’établir des relations abstraites, sont généralement maîtrisées autour de l’âge de 15 ans. À la fin de ce stade, l’adolescent peut donc, comme l’adulte, utiliser une logique formelle et abstraite. Il peut aussi se mettre à réfléchir sur des probabilités et sur des questions morales comme la justice.
L’apprentissage consiste en une adaptation de nos schèmes de pensée à de nouvelles données du réel. Pour Piaget, cette adaptation peut se faire de deux façons : par assimilation ou par accommodation.
L’assimilation consiste à interpréter les nouveaux événements à la lumière des schèmes de pensée déjà existants. Par exemple un enfant en bas âge sait comment saisir son hochet préféré avec les doigts d’une main et le lancer pour qu’il fasse du bruit. Quand il tombe sur un nouvel objet, comme la fragile montre de son père, il transfère sans problème ce schéma moteur connu au nouvel objet et l’envoie rebondir sur le plancher.
L’accommodation est le processus inverse, c’est-à-dire changer sa structure cognitive pour intégrer un nouvel objet ou un nouveau phénomène. Si le même enfant tombe maintenant sur un ballon de plage, il va essayer de le saisir comme il le fait pour son hochet avec une seule main. Mais très vite, il va se rendre compte que ça ne fonctionne pas et découvrira éventuellement comment tenir le ballon entre ses deux mains.
Pour Piaget, on passe constamment de l’assimilation et l’accommodation durant les processus de compréhension du monde qui nous entoure. Durant certaines périodes du développement, l’une des deux peut toutefois être temporairement plus utilisée que l’autre.
Un exemple d’expérience controversée faite par Piaget est celle des trois montagnes. L’enfant doit trouver laquelle des 4 images du haut (voir dessin ci-bas) correspond à la vue qu’en a Piaget assis de l’autre côté de la table. Parce que de jeunes enfants ne peuvent pas imaginer le point de vue d’une personne de l’autre côté de la table, Piaget en concluait que ces enfants sont incapables d’empathie. Des expériences subséquentes permettant à des enfants du même âge d’imaginer des situations dans un contexte social plutôt que spatial ont donné de tout autres résultats.
AU-DELÀ DU MODÈLE DE PIAGET
Le concept de stades de développement fixes et séquentiels à travers lesquels tous les enfants progressent tel que proposé par Piaget a été l’objet de plusieurs critiques. Ainsi, pour le psychologue russe Lev Vygotsky, le développement d’un être humain est trop complexe pour être défini par des stades. Vygotsky, et d’autres après lui, ont accordé une importance beaucoup plus grande que Piaget aux influences sociales et environnementales sur le développement cognitif.
Le développement cognitif de l’être humain était pour Piaget un processus dont la motivation première provenait de l’intérieur de l’individu. Sa métaphore la plus célèbre pour décrire cette idée est celle de voir l’enfant comme un «petit scientifique» qui expérimente et explore le monde. Par opposition, la métaphore qui décrit le mieux la source première du développement pour Vygotsky est celle de voir l’enfant comme un «petit apprenti» qui reçoit de ses professeurs l’aide et le soutien nécessaire dans les situations d’apprentissage. Le développement de la cognition provient donc plutôt de l’extérieur de l’individu pour Vygotsky.
Il est certain, en effet, que le développement de l’enfant humain est affecté par la culture dans laquelle il grandit, et à plus forte raison par son environnement familial particulier. Ces influences sociales vont être intériorisées par l’enfant à travers ses interactions avec les adultes qui le guident dans ses résolutions de problème.
Car contrairement à ce que Piaget posait avec ses stades de développement, il existe pour les tenants de l’école de Vygotsky une différence entre ce que l’enfant peut réaliser seul et ce qu’il est capable de faire avec l’aide d’un adulte. Ce phénomène a reçu le nom de « zone de développement proximal » et traduit la distance qui existe à tout moment entre les connaissances effectives de l’enfant, et celle qu’il peut acquérir sous la supervision d’un adulte ou en côtoyant d’autres enfants.

Par conséquent, comme la culture au sens large qui entoure l’enfant est un facteur déterminant de son développement, considérer le développement de l’enfant isolé comme le fait Piaget ne traduit pas adéquatement le processus par lequel l’enfant acquiert effectivement de nouvelles connaissances.
Le corollaire de ceci est que le langage constitue le moyen par excellence à la disposition des adultes pour transmettre des connaissances à l’enfant. À mesure que l’apprentissage progresse, le langage de l’enfant devient lui-même un outil de connaissance qu’il intériorise et utilise « dans sa tête » pour réfléchir sur le monde.
Ces interactions avec les autres, essentielles pour le développement de l’enfant, nécessitent cependant un équilibre affectif et un estime de soi que d’autres chercheurs ont placé au centre de leur conception du développement de nos facultés.
Les principes généraux de l’œuvre de Piaget demeurent néanmoins des références de base dans l’élaboration des programmes d’éducation scolaire. Par exemple, pour favoriser le développement des enfants au stade sensorimoteur, on privilégiera les environnements riches avec plusieurs objets stimulants. À l’opposé, pour un enfant au stade des opérations concrètes, les activités d’apprentissage devront inclure davantage des problèmes de classification ou de conservation avec des objets concrets.
Effets de la privation visuelle durant la période critique du développement de la vision
Différents types de bilinguisme
Des expériences chez la chouette qui localise ses proies par l’audition ont montré que les circuits cérébraux permettant cette localisation auditive sont façonnés par l’expérience. Si l’on empêche une chouette d’entendre par exemple durant la période de développement qui suit l’éclosion, ces circuits ne se formeront pas correctement et la chouette sera incapable de localiser les sons convenablement.
Chez la souris et le rat, les cartes somesthésiques peuvent être perturbées par une expérience sensorielle anormale lors d’une étroite fenêtre temporelle juste après la naissance. Quant au système olfactif, une exposition aux odeurs maternelles pendant une durée limitée modifie pour la vie les capacités de répondre à cette odeur chez les petits de plusieurs espèces.
Un cas rare mais parfaitement documenté rapporte l’histoire de parents perturbés qui ont élevé leur fille jusqu’à l’âge de 13 ans dans des conditions de privation de langage quasi-totale. Malgré des cours de langue ultérieurs soutenus, elle ne put atteindre plus qu’un niveau de communication rudimentaire. Ceci ressemble aux mêmes difficultés rencontrées avec les enfants sauvages et confirme l’importance de la période critique pour l’acquisition du langage.
LES PÉRIODES CRITIQUES
La diversité des personnalités et des comportements humains est le produit de la singularité du cerveau de chaque individu. Celle-ci se constitue d’abord à travers les premières étapes de la construction des circuits cérébraux, où des mécanismes intrinsèques mettent en place les circuits nerveux à l’origine d’une vaste palette de comportements instinctifs, que ce soit pour trouver de la nourriture, pour se défendre ou pour s’accoupler.
Mais la construction du système nerveux des animaux, et donc aussi de l’être humain, est également influencée par l’expérience. Les interactions avec l’environnement produisent certains patterns d’activité nerveuse qui vont façonner les circuits cérébraux. Les influences du monde extérieur ont une importance tout particulière au début de la vie pendant certaines périodes limitées dans le temps qu’on appelle périodes critiques.
Les périodes critiques sont un phénomène général que l’on retrouve dans plusieurs systèmes sensoriels. Même si les études les plus approfondies ont porté sur le système visuel des mammifères (voir capsule expérience à gauche), des périodes critiques ont aussi été mises en évidences dans le système auditif, olfactif et somesthésique (voir encadré).
Certaines périodes critiques peuvent être très courtes, comme celle à l’origine du phénomène de l’empreinte chez les oiseaux, ou plus longue et moins bien délimitées pour des comportements complexes comme le langage humain.
En effet, contrairement aux cris d’alarme des animaux qui sont innés, un être humain a besoin d’une expérience post-natale prolongée pour produire et décoder les sons qui sont à la base de sa langue. L'apprentissage d'une langue ne peut se faire que si l'enfant est exposé aux mots de cette langue (voir encadré) et ce, durant une période limitée de la vie pré-pubertaire. Des conditions d’exposition ou de privation semblables en dehors de cette période critique plus tard à l’âge adulte n’auront que peut d’effet sur le langage.
De plus, la structure phonétique d’une langue particulière qu’une personne entend durant les premières années de sa vie va façonner de manière durable sa perception et sa production de la parole.
Au cours des premiers mois de leur vie, les nourrissons n’ont pas de prédispositions innées pour les phonèmes caractéristiques de telle ou telle langue. Ils peuvent donc percevoir et discriminer tous les sons du langage humain. Mais cette capacité sera éventuellement perdue. Par exemple, des locuteurs japonais adultes sont incapables de distinguer avec certitude le son « r » du son « l » de l’anglais, probablement parce que cette distinction phonétique est absente du japonais.
En utilisant comme signe de discrimination une augmentation de la fréquence de succion ou des détournements de la tête en présence d’un stimulus nouveau, on a pu établir que des bébés japonais de 4 mois distinguent le « r » du « l » aussi bien que des bébés du même âge grandissant dans une famille anglaise. Toutefois, vers l’âge de 6 mois, les bébés manifestent une préférence pour les phonèmes de leur langue maternelle. Et à la fin de leur première année, ils ne répondent plus du tout aux éléments phonétiques d’une autre langue que la leur.
Le fait que les enfants peuvent apprendre à parler couramment une deuxième langue sans fautes de grammaire et sans accent jusque vers l’âge de 7 à 8 ans indique cependant que la capacité à percevoir des contrastes phonétiques dure davantage que seulement la première année de vie.
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