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Interpréter l'art : entre voir et savoirs
Pour deux raisons au moins, la présence de l'histoire de l'art dans un cycle consacré aux renouvellements de l'observation dans les sciences a de quoi surprendre. La première tient au statut scientifique de l'histoire de l'art : même si elle veut souvent se donner l'aspect d'une discipline scientifique en reprenant les protocoles d'énoncé des sciences dites exactes, l'histoire de l'art n'est pas la science de l'art (traduction imparfaite de l'allemand Kunstwissenschaft) et, si on doit la compter au nombre des sciences humaines (ce que ne fait pas Lévi-Strauss), elle est la science des comportements artistiques humains , une science des pratiques artistiques dont les critères de scientificité sont loin d'être établis. Par ailleurs, le terme d'observation n'est jamais employé par les historiens de l'art pour qualifier leur relation avec les oeuvres : ils parlent d'étude, d'analyse, ils regardent les oeuvres plus qu'ils ne les observent, et la relation du regardant à l'oeuvre est traditionnellement considérée comme une relation de contemplation - et non d'observation. Parler d'observation de l'oeuvre d'art par son historien revient donc à opérer un glissement sémantique significatif. Malgré les réserves qu'il ne manquerait pas de susciter chez les spécialises attachés à préserver l'aura de l'oeuvre d'art, ce glissement est légitime : il enregistre et met en lumière une transformation effective de notre relation de regard avec les oeuvres d'art. L'historien se doit d'en être conscient et le spectateur non professionnel la subit à son insu.
Cette transformation est liée au renouvellement des conditions de perception des oeuvres d'art : mise au point de techniques et de dispositifs spécifiques pour l'étude scientifique des oeuvres comme objets matériels ; conditions dans lesquelles les oeuvres sont présentées au regard - exposition muséale et reproduction technique sous forme, entre autres, photographique, radiographie, photographie à l'infrarouge ou l'ultraviolet, microprélèvement de pigments, etc., ces dispositifs et instruments techniques apportent à l'historien, depuis de nombreuses décennies, des informations parfois décisives sur l'histoire matérielle des oeuvres, sur leur authenticité ou leur genèse, dissimulée dans l'oeuvre finale.
On abordera rapidement cet aspect du renouvellement de l'observation de l'art pour s'attarder davantage sur les transformations que connaît la perception normale des oeuvres du fait des conditions de présentation qui sont désormais les leurs. Après avoir évoqué le caractère anachronique de ces conditions de présentation par rapport aux modes initiaux, historiques, de réception des oeuvres, après avoir aussi rappelé comment l'historien se doit de percevoir cet anachronisme pour éviter les effets pervers, on insistera, à l'aide de plusieurs exemples, sur les nouvelles problématiques proprement historiques, que ce même anachronisme suscite en confrontant le voir renouvelé de l'historien à ses savoirs établis. Conditions muséales d'exposition et reproduction photographique permettent en particulier d'observer les oeuvres de la distance à laquelle elles ont été réalisées et de percevoir des éléments qui n'ont pas été peints pour être vus, peints pour ne pas être vus.
Parmi les enjeux scientifiques de ce renouvellement de l'observation, on insistera en particulier sur la mise au point de nouveaux modèles théoriques permettant de constituer une microhistoire de l'art - dont un des principes pourrait être, précisément, la confrontation dialectique du voir et des savoirs. Tout en suggérant l'existence de modes de diffusion et de connaissance des images dont on ne peut trouver trace ailleurs, cette microhistoire ouvrirait, entre autres, la possibilité d'une histoire de la relation intime de l'artiste à son travail et de ses modes d'expression dans l'oeuvre, relation au travers de laquelle se préfigure et se configure le sujet classique.
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