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Modélisation en musique
Modèles mathématiques
En 1739, le mathématicien suisse Leonhard Euler publie un essai dans lequel il souhaite expliquer pourquoi la musique apporte du plaisir. Selon lui, l’élément clé est la perfection, qu’il recherche dans les rapports de nombres représentant les accords.
Depuis, l’étude des mathématiques dans la musique s’est développée et est devenue un champ disciplinaire à part entière. L’informatique a été un des catalyseurs de ce nouveau champ de recherche, donnant ainsi naissance à une discipline, la « musicologie computationnelle », ayant pour but d’analyser les œuvres musicales afin d’y déceler des structures mathématiques sous-jacentes.
Ainsi, cette partie a pour but de donner quelques exemples du formalisme de la musique et de son utilisation dans l’analyse des œuvres musicales.
a) Formalisation algébrique de la musique
i. Historique
L’utilisation des méthodes algébriques en musique met en œuvre 3 aspects souvent interdépendants : les aspects théoriques et analytiques, ainsi que ceux d’aide à la composition. Parmi les compositeurs et théoriciens emblématiques du mouvement théorique, on peut en retenir 3 : Milton Babbitt, Iannis Xenakis et Roumain Anatol Vieru. Ils ont découvert le caractère algébrique du tempérament égal, c’est-à-dire que dans la gamme, chaque note est séparée d’un-demi ton de sa voisine, soit une gamme à 12 demi-tons (do, do#, ré, ré#, mi, fa, fa#...), ce qui diffère de la gamme diatonique à 7 tons (do, ré, mi, fa, sol, la, si).
Plus précisément, ils ont mis en avant la notion mathématique de groupes comme concept unificateur. Cette théorie regroupe des concepts abstraits, mais ces structures seraient en réalité inhérentes à notre cerveau. Cette notion est née d’études sur les racines de polynômes, et va permettre d’aider à analyser la musique. Elle a été découverte par Joseph-Louis Lagrange, mais ne fut utilisée pour la 1ère fois qu’un demi-siècle plus tard par M. Babbitt, qui a observé que le système dodécaphonique est « un groupe de permutations qui est façonné par la structure mathématique de ce modèle ». La musique dodécaphonique diffère de la musique tonale, où une des 7 notes de la gamme diatonique prédomine sur les autres et leur impose une hiérarchie. C’est en 1923 qu’Arnold Schoenberg va proposer la méthode de compositions avec 12 tons, d’où l’échelle dodécaphonique, dans laquelle aucune note n’est prédominante. Une composition dodécaphonique se fonde sur une séquence de 2 sons musicaux distincts, sans répétition, nommée série élémentaire. L’œuvre est une combinaison de cette série et d’autres séries dérivées par des symétries..
ii. Quelques outils de formalisme
Les transformations
Chaque note peut être représentée par un nombre qui renvoie à une classe d’équivalence modulo 12 : chaque nombre représente lui-même, ainsi que ce nombre additionné d’un multiple de 12. Par exemple, 1 est équivalent à 49 (=1+4*12) ou -11 (=1-12) L’addition de 2 nombre devient une somme modulo 12 : par exemple, . Partant d’une série élémentaire P, on peut définir la notion de symétries. On appel ainsi série rétrograde R, la série P jouée à l’envers. On peut aussi définir la série renversée I, dans laquelle les nombres sont les opposés de ceux de P, modulo 12. On peut alors appliquer ces deux opérations, pour obtenir la série renversée rétrograde RI de P. Enfin, la série transposée de P par k demi-tons est obtenue par l’addition modulo 12 de k à tous les nombres de la série P. De même, on obtient les transposées par k demi-tons d’une série rétrograde , d’une série renversée et d’une série renversée rétrograde.
La symétrie axiale généralisée
Cette notion renseigne sur la composition d’une polyphonie sérielle constituée de 2 hexacordes (séries de 6 notes) liées par une telle symétrie (cf. : Figure 1).

Figure 1 : Symétrie axiale généralisée utilisée dans le sérialisme
Cette notion de symétrie axiale est fondée sur le concept de groupe et est utilisée dans la musique sérielle, mais aussi dans la musique modale, comme par exemple celle du compositeur français Olivier Messiaen (cf. : Figure 2).

Figure 1 : Symétrie axiale généralisée utilisée dans la musique modale
En musique, le mode d’une gamme est constitué des même notes que la gamme dont il est issu, mais a une sonorité qui lui est propre, caractérisée par une tonique est par les intervalles entre cette tonique et les autres notes. Par exemple, à partir de la gamme de do majeur, dont la tonique est do (do, ré, mi, fa, sol, la et si), avec pour structure intervallique en demi-tons (2, 2, 1, 2, 2, 2, 1), on peut déplacer l’axe tonal sur la deuxième note afin d’obtenir un nouveau mode (en ré) ayant une nouvelle structure intervallique (2, 1, 2, 2, 2, 1, 2) en conservant les mêmes notes (ré, mi, fa, sol, la, si et do). Dans ce type de composition, on privilégie des notes ou des intervalles au détriment des autres.
Modélisation en musique
iii. Les structures de groupe
Le groupe Z/12Z
L’ensemble des entiers modulo 12 donne un premier exemple musical de structure de groupe, celui noté . Il peut être interprété musicalement de plusieurs façons :
1 Comme le groupe des intervalles musicaux (avec l’addition modulo 12) ;
2 Comme un groupe de transformations, celui engendré par les transpositions. On peut représenter ce groupe par un cercle, correspondant à une octave et divisé en 12 parties.
Sur l’exemple de la figure ci-contre est représentée la gamme tempérée, c’est-à-dire dont toutes les notes sont séparées d’un-demi ton. Elle est représentée par un cercle où chaque note est numérotée (le do correspondant au 0 dans la tradition américaine, et au 1 pour les Européens). On a ici une structure intervallique, qui correspond aux intervalles séparant les sommets du polygone à n côtés (figure en rouge) correspondant à un ensemble de notes. Par exemple, la structure intervallique de l’accord majeur (constitué d’une fondamentale, d’une tierce majeur et d’une quinte, tels do, mi, sol) est égale à (4, 3, 5). En effet, 4 demi-tons séparent do et mi, 3 séparent mi et sol et 5 séparent sol et le do supérieur.

Ainsi, l’hypothèse sous-jacente de cette représentation circulaire est qu’elle permet de formaliser tout accord musical.
Le groupe de Klein
M. Babbitt va proposer d’exprimer des transformations de la structure du groupe cyclique . Effectivement, il remarque que l’on peut interpréter les 4 formes d’une série dodécaphonique (la série elle-même, la série rétrograde R, inversée I et renversée rétrograde RI) comme les 4 transformations suivantes :

Ici, la série dodécaphonique P est représentée par une suite de couple (a, b), a indiquant la position de la note dans la série, et b, la note (par rapport à l’origine 0).
Ces 4 groupes de transformations d’une série dodécaphonique et, plus généralement, d’un profil mélodique, constituent les éléments d’une structure algébrique nommée groupe de Klein de 4 éléments. Il tient compte de toutes les transformations de la musique, alors que le groupe cyclique  ne rend compte que des transpositions.
Le groupe diédral
Il s’agit de l’ensemble de toutes les compositions (au sens mathématique) des transpositions et des inversions. En d’autres termes, c’et le groupe des symétries axiales généralisées. Le nom diédrale signifie « à 2 faces », et indique que d’un point de vue géométrique, ce groupe renvoie au groupe des symétries d’un polygone régulier de n côtés dans le plan.
Ces symétries sont de 2 types : rotations et réflexions (ou miroirs par rapport à un axe). Musicalement, les rotations correspondent aux transpositions, et les réflexions sont des inversions par rapport soit à une note choisie comme pôle, soit à une note « imaginaire » qui se trouve entre 2 notes séparées d’un demi-ton, quand l’axe de symétrie ne passe pas par une note du cercle chromatique. Ce type de groupe peut aussi être utilisé dans les musiques atonales.
Un exemple de l’application de ce type de groupe concerne la Pièce pour piano op.33a de Schoenberg, 1929 (cf. : Figure 4). Les accords obtenus suite à la segmentation de l’œuvre se disposent de façon symétrique dans la partition.

Figure 4 : Premier exemple d’application du groupe diédral pour l’analyse musicale
Plus généralement, les parties résultant de la segmentation de l’œuvre peuvent avoir des intersections : on parle alors de segmentation par imbrication. Un exemple de cette démarche est l’analyse du théoricien David Lewin du Klavierstück III de Stockhausen (cf. : Figure 5). Dans cette analyse, 2 stratégies sont utilisées. Selon la 1ère, les transformations sont organisées dans un ordre qui reflète le déroulement temporel de la pièce. Cette vision « chronologique » de l’organisation des transformations est une progression transformationnelle. Ici, le processus de segmentation par imbrication met en évidence une structure de pentacorde (série de 5 notes), où l’on passe de l’un à l’autre (les 2 ayant des notes en commun) grâce à une symétrie axiale généralisée : tous les pentacordes sont reliés par des transpositions et des inversions.
La 2nde stratégie consiste à considérer les transformations comme une structuration possible d’un espace abstrait, un réseau transformationnel, des formes du pentacorde dans lequel on analyse le déroulement de la pièce. Dans le réseau transformationnel de l’exemple Figure 5, tous les pentacordes sont liés par des relations de transpositions et d’inverses (d’où les T et I). Ici, l’organisation des formes du pentacorde dans un réseau n’a aucun lien direct avec leur apparition chronologique.
Le groupe affine d’ordre 48
C’est l’ensemble des fonctions f qui transforment un élément x de  en , où a est premier avec 12 : c’est un facteur multiplicatif appartenant à l’ensemble U={1, 5, 7, 11}. Quant à b, il appartient à . Dans ce cadre, une transformation affine consiste en une transposition quand a=1 et à une inversion quand a=11. Le théoricien Robert Morris a montré que ce type de transformation est compatible avec des techniques utilisées dans le Jazz.

Figure 5 : Deuxième exemple d’application du groupe diédral
iv. Intérêt dans les sciences cognitives
Dans un réseau, on peut retrouver les mêmes configurations de correspondances entre les pentacordes de la pièce dans des régions différentes : ce sont des isographies, à partir desquelles il pourrait y avoir un lien étroit entre les réseaux transformationnels et la perception musicale. L’écoute de la pièce deviendrait ainsi un des parcours à l’intérieur de ce réseau, avec la possibilité de repérer les isographies. Cependant, cette hypothèse n’a pas suffisamment fait l’objet de tests en psychologie expérimentale.
A partir de cet exemple, il apparaît que l’analyse transformationnelle implique la « construction » d’un réseau, mais aussi l’ « utilisation » de cette architecture formelle pour dégager des critères de pertinence pour la réception de l’œuvre et pour son interprétation. Ainsi, l’intérêt de construire un réseau transformationnel réside dans la possibilité de l’utiliser pour « structurer » l’écoute, mais aussi pour établir des critères formels utiles à son interprétation. En effet, la construction d’un tel réseau permet de mettre en évidence une certaine logique musicale dans la pièce analysée. L’approche transformationnelle représenterait donc un tournant en théorie et analyse musicale, et elle révèlerait aussi une position particulière dans les rapports entre mathématiques, musique et cognition.
b) Quelques exemples d’applications aux sciences cognitives
Pour les études sur la cognition musicale, les modèles mathématiques ont été appliqués aux ensembles de hauteurs dans la musique tonale, à la représentation interne de séquences de hauteurs dans la musique tonale, aux facteurs tonals et harmoniques, aux aspects des échelles et aux relations psychologiques entre les timbres. Ces modèles se sont principalement attachés à analyser les relations structurales dans ces matériaux musicaux.
Un des spécialistes de la théorie des ensembles en musique est Hasty (1981, 1986), à l’origine de l’intégration d’une théorie de la segmentation en musique post-tonale dans une théorie du traitement de l’information, et ce dans le but de développer un ensemble de contraintes psychologiques quant à la façon dont les sons d’un morceau peuvent être regroupés.
Dans un autre domaine, Deutsch et Feroe (1981) ont proposé un modèle de l’organisation des structures pour la musique tonale. Ce modèle utilise une notion très développée de la hiérarchie pour les structures sonores, basée sur un certain nombre de primitives, appelées « alphabets », comme les triades, les échelles diatoniques et les échelles chromatiques. Cette notion est liée à l’idée de chunking (division en groupe), utilisée pour surmonter la complexité du stimulus en interaction avec les ressources limitées de la mémoire à court terme (Miller, 1956).
Une autre façon d’aborder le problème des modèles mathématiques de l’écoute musicale se retrouve dans un groupe d’étude sur la structure des échelles et sur les relations tonales et de timbres (Krumhansl, 1979 ; Wessel, 1979 ; Balzano, 980 ; Shepard, 1982 ; Bharucha et Krumhansl, 1983). Ces modèles utilisent diverses techniques de base, dont l’échelle multidimensionnelle, mais tous se servent de représentations mathématiques ou géométriques des aspects structuraux de ces éléments musicaux.
Ainsi, les divers modèles proposés tendent à mettre en avant les interactions existant entre mathématiques et musique. Mais on peut dégager d’autres relations avec différentes disciplines, et notamment l’informatique. Les diverses théories proposées dans ce champ d’étude (en lien avec d’autres disciplines) permettent de modéliser diverses caractéristiques dans la musique, et notamment selon deux axes principaux :
1 Modéliser les performances de l’Homme dans la musique, plus particulièrement l’apprentissage d’une mélodie par un individu (cf. : modèle LM présenté ci-après), ou encore la production musicale par un sujet pour l’adapter à une machine (exemple de la bouche artificielle, permettant la production de notes et donc l’analyse des phases dynamiques du jeu) ;
2 Modéliser les caractéristiques plutôt propres aux instruments musicaux (ou au son), comme par l’extraction de leurs caractéristiques physiques, afin de mieux comprendre leur fonctionnement (comment ils peuvent moduler les ondes sonores créées, selon leur manipulation) et ce afin de créer des instruments virtuels aux sonorités réalistes. Il existe aussi les techniques de spatialisation du son, consistant à créer l’illusion que des sons proviennent de diverses directions de l’espace, et permettant ainsi d’organiser des scènes sonores en trois dimensions.
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