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PRÉHISTOIRE

 

 

 

 

 

 

 

préhistoire

Cet article fait partie du dossier consacré à la préhistoire.
Période de l'histoire humaine qui a précédé l'apparition de l'écriture.

Histoire de la préhistoire
Introduction

L'existence de l'homme préhistorique et de ses industries a été entrevue, affirmée puis pleinement confirmée grâce à diverses recherches ou découvertes faites séparément par des sciences comme la géologie, la paléontologie, l'ethnologie et l'anthropologie. Science jeune, au carrefour des sciences humaines et des sciences de la nature, la préhistoire ne cesse désormais de faire progresser notre connaissance sur nos plus lointains ancêtres. Cette discipline s'est peu à peu imposée, malgré les interdits et les tabous, religieux notamment. Ainsi, jusqu’au xviiie s., l'idée même d'une pré-histoire, différente de celle écrite dans la Bible notamment, était absolument impensable. Au xviiie s., Linné et Buffon placent au sommet de la hiérarchie des êtres vivants l'homme, qui dès lors n'est plus seulement une créature, mais devient le plus doué des mammifères. Charles Darwin, au xixe s., cherchant le plus proche ancêtre de l'homme trouve le singe. L'idée selon laquelle l'homme appartient au même système évolutif que tous les êtres vivants va devenir prédominante et encourager les premières fouilles visant à découvrir le « pré-homme », le « chaînon manquant » qui ne peut être qu'un singe pensant. À la fin du xxe s., les diverses techniques dont disposent les préhistoriens leur permettent de savoir d'une façon de plus en plus précise comment vivaient les hommes préhistoriques, de reconstituer leurs diverses activités et jusqu'au mode de relations sociales qu'ils entretenaient. La préhistoire atteint là à une véritable « ethnologie préhistorique ».

Des superstitions médiévales aux premiers antiquaires

Depuis le Moyen Âge chrétien jusqu'au xixe s., la Bible – et plus particulièrement la Genèse – sont, en Occident, les fondements de l'histoire de l'homme et servent de base pour évaluer les âges de la Terre. Ainsi, l'Encyclopédie de Diderot et d’Alembert expose encore que le monde a connu plusieurs époques : la Création remonte à 6000 ans avant J.-C. ; 2262 ans plus tard se produisit le Déluge, puis 738 ans après le partage des nations, etc. Cependant, au xixe s., il faudra bien admettre l'existence d'un homme antédiluvien qui fabriquait des outils de pierre. Longtemps d'ailleurs, les silex taillés et les haches polies ont attiré l'attention des hommes. Ainsi, au Moyen Âge et jusqu'au xviiie s., ces vestiges étaient appelés « pierres de foudre », car, selon les croyances populaires, elles étaient issues de l'orage. De la même façon, les silex taillés, et plus particulièrement les pointes de flèches, étaient réputés avoir un pouvoir magique bénéfique et des vertus curatives. Ces pointes étaient connues sous le nom de « glossopètres » (du grec glossâ, langue, et petra, pierre). Longtemps on les confondit, en effet, avec les dents fossiles de certains poissons que les Anciens croyaient être des langues de serpent pétrifiées. C'est l'Italien Michele Mercati qui, dès le xvie s., comprit la confusion, mais son œuvre ne parut qu'au xviiie s.
En 1492, la découverte de l'Amérique provoque un bouleversement complet de la pensée occidentale. La découverte de peuples « primitifs » fabriquant des outils comparables aux glossopètres et aux pierres de foudre va faire naître la curiosité de certains. À partir du xvie s., les premiers passionnés d'antiquités collectionnent les pierres gravées et sculptées, les cabinets de curiosités se multiplient et l'idée de fouiller commence à se faire jour. En 1685, la première fouille est réalisée : celle du dolmen de Cocherel en Normandie.

La découverte de l'homme nouveau

*        

Puisque le Déluge avait englouti tout ce qui était vivant à la surface de la Terre, le xviiie s. recherche plus particulièrement les hommes ensevelis par la punition divine et c'est, pendant la première moitié du xixe s., la course aux ossements fossiles. Au cours de ces recherches, de nombreux outils en pierre sont mis au jour. Il devient clair, notamment sous l'impulsion de Jacques Boucher de Crèvecœur de Perthes, que ces outils ont été fabriqués par l'homme. On accepte alors peu à peu l'idée que ces témoins de l'activité humaine sont contemporains des animaux d'espèces disparues dont on retrouve aussi les ossements. L'existence de l'homme à une époque géologique antérieure aux temps actuels est ainsi prouvée, bien que certains, comme George Cuvier, l'aient niée jusqu'à l'absurde.

Il restait à trouver les squelettes de l'homme qui avait façonné ces premiers outils. Le crâne de Neandertal, découvert en 1856 dans la vallée de Neander (Allemagne), avait été considéré comme une pièce pathologique en raison de sa voûte fuyante et de la taille de ses arcades sourcilières. Il est oublié jusqu'en 1864, où l'espèce est officiellement reconnue par Kingen comme distincte de l'homme moderne et baptisée Homo neandertalensis. En France, la mise au jour d'un squelette à peu près complet d'homme de Neandertal aura lieu à la Chapelle-aux-Saints en 1908. À partir des années 1860, les recherches mais aussi les exhumations d'hommes fossiles se succèdent. L'homme de Cro-Magnon est trouvé en 1868. En 1891, c'est la retentissante découverte par le Néerlandais E. Dubois du pithécanthrope (Pithecanthropus erectus), à Java, qui fut alors considéré comme l'« homme-singe », le chaînon manquant de l'évolution.
Depuis un siècle, les nombreuses fouilles ont permis de mieux cerner et de faire reculer dans le temps les origines de l'homme. En 1974, en Afrique orientale, a lieu la découverte du squelette de Lucy, préhomme appartenant à l'espèce Australopithecus afarensis(australopithèque), qui vécut il y a 3,5 millions d'années. À la fin des années 2000, on considère que les espèces les plus vieilles appartenant à la lignée humaine sont Ardipithecus ramidus (4,4 millions d'années), découvert en Éthiopie, Australopithecus anamensis (entre 4,2 et 3,9 millions d'années), découvert au Kenya, et Toumaï, âgé de 7 millions d’années et mis au jour au Tchad

La bataille de l'art

Au début du xxe s., la communauté scientifique a, difficilement, fini par admettre l'ancienneté de l'homme et sa contemporanéité avec les grands mammifères quaternaires disparus. Elle connaît les outils qu'il fabriquait et les animaux qu'il chassait. Cependant, si l'image de l'homme préhistorique n'est plus tout à fait celle d'une brute épaisse et fruste (grâce, notamment, à la découverte de sépultures, preuve d'une certaine croyance en un « au-delà »), on n'ose imaginer que ces hommes, sortis des ténèbres, puissent être des artistes raffinés. Pourtant, la mise au jour la plus ancienne d'un objet préhistorique décoré (grotte du Chauffaud, dans la Vienne) date de 1834, mais l'objet est alors attribué aux Celtes. Les découvertes se multiplient avec les fouilles de l'abri rocheux de La Madeleine, qui révèlent un mobilier très abondant, celles de Gourdan ou d'Arudy dans les Pyrénées. L'art mobilier est peu à peu reconnu et Édouard Lartet en fait la base de sa classification des différentes périodes préhistoriques.

Il n'en va pas de même pour toutes les figures peintes ou gravées sur les parois des grottes. Lorsque le docteur Garrigou révèle, en 1864, les magnifiques peintures de Niaux (Ariège), lorsque Léopold Chiron signale, en 1878, l'existence de gravures dans la grotte Chabot (Gard) et le marquis de Santuola les grandioses peintures du plafond d'Altamira (Espagne), la communauté scientifique reste indifférente et sceptique. En 1895, Émile Rivière décrit les peintures de la Mouthe aux Eyzies ; l'année suivante, François Daleau raconte sa découverte des gravures de Pair-non-Pair (fouillé depuis 1881) ensevelies sous des sédiments préhistoriques. En 1901, l'abbé Henri Breuil participe aux fouilles de Font-de-Gaume et des Combarelles aux Eyzies-de-Tayac. Quelques semaines plus tard, Émile Cartailhac, éminent opposant à l'existence de l'art pariétal paléolithique, se range à l'avis de Breuil et la reconnaissance officielle se fera en 1902 lors du congrès de l'Association française pour l'avancement des sciences (A.F.A.S.).

Vers une ethnologie de la préhistoire
Jusque dans les années 1950, la fouille visait essentiellement à la récolte des objets : outils de silex ou d'os, parure en coquillage, etc. Pour ce faire, des terrassiers réalisaient, à la pelle ou à la pioche, des tranchées profondes dont la terre était ensuite tamisée pour en séparer les objets. Outre la recherche de vestiges matériels, la fouille servait aussi, éventuellement, à établir une stratigraphie pouvant permettre une relative datation de l'occupation des sols. Nombre de gisements, malheureusement parmi les plus importants, furent ainsi abîmés.
À partir de la seconde moitié du xxe s. se produisent un renouvellement des idées et une révolution dans les méthodes de fouille dont l'un des précurseurs est André Leroi-Gourhan. Pour lui, ethnologue et anthropologue, « on ne fait pas plus de préhistoire en ramassant des haches taillées qu'on ne fait de la botanique en cueillant des salades ». Il met l'accent, tout au long de sa vie, sur la nécessité d'une étude globale des gisements, sur la possibilité de connaître les modes de vie des hommes préhistoriques. À partir de 1952, lors des fouilles d'Arcy-sur-Cure, il adopte de nouvelles méthodes de fouille, tentant de prendre en compte tous les vestiges, la moindre esquille osseuse, témoignage du repas de nos ancêtres, ayant la même importance que le foyer, centre physique et social de l'habitat. Ces méthodes seront pleinement exploitées sur le site de Pincevent, fouillé depuis 1964. Le sol où vécurent les hommes du magdalénien, il y a plus de 12 000 ans, est dégagé horizontalement, chaque vestige laissé scrupuleusement en place. Le résultat, lorsqu'une surface suffisante a été dégagée, donne une image très proche de celle que purent avoir les hommes préhistoriques lorsqu'ils quittèrent leur site, à l'automne, avant d'aller rechercher ailleurs leur nourriture pour l'hiver.
À la fin du xxe s., les préhistoriens ont pleinement conscience du fait que la fouille représente une destructuration irréversible des témoins du passé. Aussi procède-t-on avec d'infinies précautions pour relever la position de chaque objet le plus précisément possible dans les trois dimensions. À partir de ce repérage précis des vestiges les plus ténus, les techniques modernes permettent de reconstituer les activités quotidiennes de nos ancêtres : taille du silex, cuisine, travail des peaux, etc., et de plus, d'imaginer ce qu'était non seulement leur mode de vie mais aussi leurs relations sociales. La préhistoire vise ainsi à une véritable ethnologie du passé.

L'homme et l'outil
Introduction
On considère généralement que la première manifestation de l'intelligence humaine fut le premier outil fabriqué. L'homme a peu à peu appris à maîtriser la matière : pierre, os ou bois, pour réaliser ses outils et ses armes. Il a certainement utilisé tout ce qui, dans la nature, pouvait être employé ; mais, s'il est logique de penser que la plupart des matières périssables (bois, cuir, lianes ou tendons d'animaux) ont été utilisées par l'homme préhistorique, le préhistorien, lui, n'en possède aucune trace matérielle. L'industrie osseuse a subi la sélection de la corrosion naturelle et, bien que l'on suppose que le travail de l'os remonte aux premiers âges, c'est dans les gisements du paléolithique supérieur, qui débute il y a environ 35 000 ans, qu'il est attesté. En fait, seule la pierre n'a pas subi les ravages du temps. Elle constitua l'élément de base de l'outillage pour sa dureté, ses propriétés tranchantes, ses possibilités variées de façonnage et son abondance. Si, au début de la préhistoire, les premiers outils étaient rudimentaires et de formes peu variées, ils se diversifièrent et s'adaptèrent de plus en plus finement à leur fonction aux cours des temps. Il existe une différence fondamentale entre les premiers galets grossièrement aménagés par les premiers hominidés, il y a 3 millions d'années, et l'industrie du paléolithique supérieur, qui prouve le prodigieux degré de technicité acquis par nos ancêtres Homo sapiens. Bien que les outils aient été conçus et fabriqués dans un but utilitaire, ils témoignent aussi de la tradition des divers groupes préhistoriques en caractérisant leur culture.

Dates clés de l'évolution des outils préhistoriques

DATES CLÉS DE L'ÉVOLUTION DES OUTILS PRÉHISTORIQUES
2 millions d'années avant J.-C.    Premiers outils attribués aux australopithèques et découverts en Afrique orientale.
1 million d'années avant J.-C.    Apparition des premiers bifaces.
200 000 ans avant J.-C.    Les Acheuléens prédéterminent la forme des produits à débiter : c'est l'invention de la technique Levallois.
35 000 ans avant J.-C.    L'Homo sapiens sapiens développe le débitage laminaire et façonne l'os.
18 000 ans avant J.-C.    Apogée de la taille avec les Solutréens qui utilisent le débitage par pression. Cette même culture invente l'aiguille à chas en os.
9 000 ans avant J.-C.    L'industrie lithique tend à une miniaturisation.
 
Les premiers outils

La première « industrie lithique » humaine (premiers essais de transformation de pierres en outils) reconnue comme telle a été découverte en Afrique orientale sur le gisement d'Olduvai, en Tanzanie ; elle est aussi désignée sous le nom anglais de « Pebble culture » et est l'œuvre de Homo habilis, qui vécut il y a environ 2 millions d'années. Cette industrie est surtout représentée par des galets dits « aménagés », qui présentent soit un seul enlèvement sur l'une de leur face (galets appelés choppers), soit un enlèvement sur chacune des deux faces, l'intersection créant ainsi un tranchant (galets appelés chopping-tools). Il s'agit d'outils extrêmement frustes qui devaient servir à broyer. Plus tard, en Europe notamment, à l'acheuléen, il y a plus de 1 million d'années, le biface constitue l'outil le plus fréquemment retrouvé. Outil allongé à l'extrémité pointue ou arrondie, il est obtenu à partir d'un bloc (ou nucléus) qui est, comme le chopping-tool, taillé sur ses deux faces. Mais il est beaucoup plus élaboré et montre une volonté de mise en forme du tranchant, donc de la silhouette de l'objet.

Au cours du paléolithique inférieur, les outils vont commencer à se diversifier et c'est pendant l'acheuléen moyen que l'on trouve les premiers outils sur éclat, tels que le racloir, éclat retouché sur son long côté, et des outils encochés ou denticulés (grattoirs, burins, etc.). Enfin, vers-200 000 ans, l'industrie lithique va subir une évolution fantastique avec l'apparition de la « technique Levallois ». Il s'agit d'un mode de débitage qui consiste à obtenir un éclat de forme prédéterminée, à partir d'une préparation particulière et élaborée du bloc de matière première (silex le plus souvent). Cette technique permet, à partir d'un rognon de silex (le nucléus), d'obtenir plusieurs éclats ou pointes prédéterminés de forme semblable : il s'agit d'une véritable production en série. Du simple enlèvement dans le but de créer un tranchant sur le chopper, les hommes du paléolithique inférieur ont franchi, grâce à l'invention de la technique Levallois, une étape fondamentale aussi bien pour la pensée humaine (présence d'un schéma opératoire complexe) que pour le perfectionnement technique. En effet, au paléolithique supérieur, le débitage des lames de silex à partir d'un nucléus ne fera que reprendre cette technique.

Forme et fonction
Au cours de la préhistoire, les outils se sont beaucoup diversifiés et les archéologues les retrouvent en grand nombre dans les gisements préhistoriques. Pour attribuer à ces témoins un cadre chronologique précis et en découvrir l'évolution, il a fallu les étudier selon, d'une part, la technique de fabrication et, d'autre part, leurs formes et leurs fonctions. La corrélation de ces éléments a permis de créer une typologie, c'est-à-dire une classification cohérente des différents types d'objets. Depuis Boucher de Perthes, qui, au xixe s., lança les bases d'une classification des outils préhistoriques, les préhistoriens ont reconnu, de façon intuitive, des types aux formes constantes en leur donnant, le plus souvent, soit le nom de leur fonction présumée, soit, par analogie avec des formes actuelles, le nom d'outils contemporains : ainsi les grattoirs, les burins, les perçoirs et autres « bâtons de commandement ». En fait, l'ethnologie a prouvé qu'un même outil pouvait avoir des fonctions variées ou que, à l'inverse, différents outils pouvaient être utilisés pour une même tâche. On sait aujourd'hui, notamment grâce à l'étude des plus infimes traces d'utilisation (microtraces d'utilisation), que, par exemple, les grattoirs ne servaient pas toujours à gratter et que les racloirs ne servaient pas forcément à racler. Ce fait confirme que plusieurs types de fonctions peuvent être attribués à un même outil. Toutefois, la communauté scientifique a conservé les noms de la typologie traditionnelle.
L'étude des microtraces d'utilisation remet effectivement en question les interprétations anciennes. Au moyen de microscopes à fort grossissement, on analyse les stries, les écaillures, les émoussés de l'outil, son utilisation par les hommes préhistoriques ; pour relier ces traces à la fonction de l'outil, on procède à des comparaisons avec des outils reproduits aujourd'hui et utilisés dans les mêmes conditions qu'alors. On a pu ainsi retrouver la manière dont il était utilisé, s'il était emmanché et le matériau qu'il a travaillé.

Les outils en os

Vivant en contact permanent avec les animaux, l'homme a très tôt utilisé leurs ossements. Les australopithèques fracturaient des os longs, produisant ainsi un biseau formant une pointe solide ; le site de Melka Kontouré (Éthiopie) a ainsi livré dans une couche datée de 1 700 000 ans les premiers outils en os portant les traces d'une utilisation humaine. Pendant le paléolithique inférieur et jusqu'à la fin du paléolithique moyen (vers- 35 000 avant J.-C.), la forme de l'outil d'os est restée fortuite, seule la partie active était, parfois, aménagée par percussion. C'est au paléolithique supérieur que l'artisanat de l'os se développe réellement, l'habileté technique permettant même d'atteindre un incomparable esthétisme. Ainsi, des techniques spécifiques ont abouti à une très grande variété d'armes et d'outils, d'objets de parure et d'art. L'industrie de l'os a été utilisée pour fabriquer des armes qui servaient pour la plupart à la chasse des grands mammifères. Ainsi la sagaie, qui est constituée d'une baguette d'os dont une extrémité est appointée, l'autre étant fixée à une hampe en bois. Elle était lancée grâce à un propulseur, qui décuplait sa force par rapport au lancer à la main et en augmentait la précision.

Pour la pêche sont fabriqués des hameçons, des têtes de harpons avec une ou deux rangées de barbelures. Certains outils sont encore utilisés aujourd'hui, l'aiguille à chas par exemple, inventée par les hommes du solutréen il y a plus de 18 000 ans et dont la forme, même si le matériau a changé, n'a guère varié. Le propulseur est resté en usage jusqu'au xxe s. chez les Inuit et certaines populations océaniennes. Enfin, il existe d'autres outils dont on ne connaît pas encore la fonction : le bâton percé, parfois appelé « bâton de commandement », ou les baguettes demi-rondes par exemple. L'homme travaille également l'ivoire, comme en témoignent les statuettes féminines trouvées à Brassempouy (Landes) et le bois de renne, qu'il façonne en armes de chasse (emmanchement des haches de pierre polie).

La fabrication des outils


Les techniques de fabrication des outils en pierre varient en fonction de la matière première, les roches compactes ne se travaillant pas de la même façon que les roches friables. Elles utilisent deux types d'opération : le débitage et le façonnage. Le débitage est l'action qui consiste à détacher, par percussions successives, des éclats d'un bloc de pierre. L'éclat sera alors utilisé, le bloc initial (appelé nucléus) pouvant être considéré comme un déchet. Le façonnage a pour but de mettre en forme l'éclat débité, ou bien le bloc lui-même, afin de permettre un débitage plus efficace. Au paléolithique, la technique de façonnage la plus répandue est la retouche. Celle-ci consiste à détacher de l'objet de très petits éclats par percussion ou par pression. La percussion directe (la plus courante) utilise un percuteur (galet de pierre pour un percuteur dur ; bois végétal ou animal pour un percuteur tendre) frappant directement l'objet. La percussion indirecte, par écrasement entre percuteur et enclume, produit des retouches verticales ; enfin, la pression permet des retouches très fines, les enlèvements étant alors très longs et étroits. Les hommes du solutréen, qui, il y a 20 000 ans, atteignirent l'apogée des techniques de débitage, utilisaient la retouche par pression pour réaliser les magnifiques « feuilles de laurier ». Ainsi, pour fabriquer un outil comme le grattoir, très utilisé au paléolithique supérieur, il faut commencer par bien choisir le silex, le préparer (enlever le cortex), le mettre en forme et aménager un plan de frappe pour pouvoir débiter aisément puis frapper avec le percuteur afin de détacher une lame ; cette lame est façonnée par des retouches obliques, sur sa partie étroite, qui déterminent le front du grattoir, c'est-à-dire la partie active, l'autre bout pouvant être emmanché.
La fabrication des outils en os requiert des techniques plus variées et l'existence préalable d'outils de pierre. Le matériau est généralement constitué par les bois, l'ivoire ou les os longs des grands mammifères comme le mammouth, le cheval, le bison ou le renne, animal par excellence du paléolithique supérieur. Pour fabriquer des outils tels que la sagaie, le harpon, l'aiguille à chas ou le propulseur, il faut creuser dans la partie compacte d'un bois de renne, à l'aide d'un burin de silex, deux rainures séparées par une distance égale à la largeur de l'outil désiré. Ces rainures sont peu à peu approfondies jusqu'à ce que la partie spongieuse de l'os soit atteinte. La baguette est alors extraite. L'ébauche peut ensuite être transformée soit en sagaie par raclage au moyen d'un silex tranchant, soit en aiguille à chas ; la perforation du chas se pratique soit par pression à partir d'une petite rainure, soit par rotation en utilisant un perçoir de silex.

Les microlithes

L'outillage des derniers chasseurs-cueilleurs se caractérise par la fabrication et l'utilisation de très petits outils produits à partir d'éclats ou d'esquilles de silex. Ce sont, la plupart du temps, des armatures de pointes de flèches. De forme géométrique, leur dimension est inférieure à 40 mm et leur épaisseur à 4 mm. Ces microlithes étaient réunis en série sur le tranchant d'un support d'os ou de bois ou étaient utilisés comme pointes sur des armes de jet.
À la fin du paléolithique supérieur, l'homme façonne des outils de plus en plus petits. Si les premiers tailleurs obtenaient 10 cm de tranchant utile avec 1 kg de silex, les hommes de l'acheuléen en obtenaient 40 cm, puis ceux du moustérien (au paléolithique moyen) 2 m, enfin les hommes de la fin du paléolithique supérieur obtinrent de 6 à 20 m. L'homme s'est-il complètement affranchi par rapport aux gisements de matière première, ou s'agit-il d'exploiter au maximum une matière première devenue rare ou difficile à trouver en raison du bouleversement climatique, réchauffement intervenu vers- 9000 et qui eut pour conséquence majeure le retour de la forêt ?

L'apparition de l'agriculture
Introduction
L'apparition de l'agriculture, qui marque le début de la période appelée néolithique, constitue, au même titre que la découverte du feu, une véritable révolution dans l'histoire de l'humanité. Pendant la plus grande partie de son histoire (que nous nommons préhistoire), c'est-à-dire pendant près de quatre millions d'années, l'homme a toujours connu le même mode d'existence. Il vit en petits groupes, nomades ou semi-nomades, et pratique pour assurer sa subsistance la chasse et la cueillette. En quelques millénaires à peine, il abandonne le nomadisme, se sédentarise et se libère de la recherche constante de nourriture grâce à l’agriculture.
L'émergence des premières communautés paysannes, dès le Xe millénaire avant notre ère en Orient et au Moyen-Orient, vers le VIe millénaire avant notre ère en Europe, aura des conséquences irréversibles. Comme les autres espèces animales, l'homme vivait en équilibre avec son milieu. En domestiquant plantes et animaux, il va le modifier en profondeur, l'humaniser, mais aussi y causer des atteintes encore visibles aujourd'hui. (→ environnement.)
L'habitat de l'homme change aussi. Les petits groupes de nomades, qui s'abritaient sous des huttes, des tentes, des abris-sous-roche ou dans des grottes, deviennent sédentaires, et construisent de véritables maisons groupées en villages. L'apparition de l'agriculture modifie également les techniques et l'outillage. Parmi les inventions les plus caractéristiques de cette époque se trouvent la hache de pierre polie, qui sert à l'abattage des arbres, et la poterie, dont les récipients de terre cuite, le plus souvent décorés, ont un usage domestique.

La domestication des animaux et des plantes
La domestication des animaux et des plantes constitue une étape fondamentale dans l'histoire des hommes. On peut parler de domestication lorsqu'il y a une intervention humaine sur une population animale ou végétale afin de la favoriser parce qu'elle représente un intérêt particulier. Il faut distinguer deux processus dans la domestication. L'un est dit primaire lorsqu'il s'effectue sur un groupe d'animaux et de plantes d'origine locale (comme cela s'est probablement produit, en Europe, pour le porc qui est un sanglier domestiqué sur place). L'autre est dit secondaire lorsqu'il s'agit d'acclimater des animaux ou des végétaux déjà domestiqués ailleurs (c'est sans doute le cas du mouton, importé en Europe après avoir été domestiqué au Moyen-Orient). La domestication a pour conséquence presque immédiate une évolution génétique des espèces qui doivent s'adapter à leur nouvel environnement. Ainsi, la culture du blé, à partir d'une espèce sauvage, puis sa sélection ont conduit à un accroissement de la taille et du nombre de grains sur chaque épi, puis à l'apparition d'espèces à rachis solides plus faciles à moissonner. À l'inverse, le bœuf domestique (dont l'ancêtre sauvage est l'aurochs) voit sa taille diminuer tout au long de la période néolithique.

Les berceaux du néolithique
On situe habituellement le berceau de l'agriculture au Moyen-Orient, dans une zone communément appelée le « Croissant fertile », comprenant les territoires actuels de la Syrie, du Liban, d'Israël, de l'Iran et de l'Iraq. Dès le IXe millénaire avant notre ère, des populations sédentaires domestiquent des espèces animales et végétales sauvages locales parmi lesquelles la chèvre et le mouton, l'orge et le blé, qui sont les céréales principales, mais aussi des légumineuses comme les pois, les fèves, les gesses et les lentilles.
D'autres foyers de néolithisation s'individualisent dans le monde. Dans le Baloutchistan pakistanais, des découvertes archéologiques récentes ont mis au jour des couches attribuées au VIIIe millénaire avant notre ère, dans lesquelles les squelettes animaux appartiennent à une faune en voie de domestication (bœuf, chèvre, mouton). Ce sont les débuts de la période préindusienne. Les céréales dominantes sont l'orge et le blé. Les récoltes étaient stockées dans de grandes bâtiments en briques crues, qui servaient de grenier. La poterie n'y apparaît qu'au VIe millénaire avant notre ère. La culture du riz, en Chine, du riz et du millet, dans l'Asie du Sud-Est, est attestée au VIe millénaire avant notre ère. C'est à la même époque que se développe une civilisation pastorale au Sahara (domestication du bœuf).
Le continent américain est tardivement peuplé (vers 40 000 avant J.-C.), et les premiers villages d'agriculteurs n'apparaissent en Amérique centrale qu'au milieu du IIIe millénaire avant notre ère.

La diffusion du néolithique

L'Europe préhistorique
C'est à partir du Croissant fertile, zone de découvertes privilégiée aujourd'hui par les spécialistes, que le néolithique va se diffuser pendant environ deux millénaires, sur le pourtour méditerranéen, par contact et acculturation des derniers chasseurs-cueilleurs. En ce qui concerne l'Europe, atteinte au VIe millénaire avant notre ère, deux axes essentiels ont été mis en évidence : les Balkans et le Danube d'une part, la Méditerranée occidentale d'autre part.
Pour le premier axe, on se fonde sur la découverte d'une céramique de forme ronde-ovale au riche décor peint caractéristique des cultures appelées proto-Sesklo et Sesklo en Grèce, Starčevo en Serbie-et-Monténégro, Karanovo en Bulgarie. Ces cultures forment, en remontant vers le nord-ouest, le courant de diffusion danubien, ou culture à « céramique linéaire occidentale ». Elles parviennent jusqu'au nord de la Pologne, aux Pays-Bas, en Belgique et dans le Bassin parisien. L'élevage, principalement le bœuf et le mouton, représente souvent plus de 90 % des ressources en viande ; blé, orge, petits pois et lin sont également cultivés. Ces populations danubiennes, dites « rubanées » en raison des incisions en forme de ruban qui ornent leurs poteries, défrichent, recherchant presque systématiquement les terres les plus meubles et faciles à travailler que constituent les lœss. Elles habitent dans de longues maisons de bois, de torchis et de chaume qui mesurent de 10 à 40 mètres de longueur, ce qui permet d'abriter jusqu'à 25 personnes, et qui sont regroupées en villages.
En Méditerranée occidentale, l'apparition de l'agriculture se situe entre le VIe et le IVe millénaire avant notre ère. On ignore toujours si les « colons » néolithiques sont venus par terre – traversant la Grèce, l'Italie, le midi de la France – ou par mer – abordant les côtes italiennes, celles de l'Afrique du Nord, de l'Espagne et du sud de la France. Vers – 6000 avant J.-C., en effet, la mer n'est plus un obstacle. L'homme fabrique des embarcations, certes sommaires (on a retrouvé surtout des pirogues dites « monoxyles », c'est-à-dire creusées dans un seul tronc d'arbre), mais qui lui permettent d'effectuer du cabotage. La culture des premières communautés paysannes de Méditerranée occidentale est appelée le cardial, en raison du décor caractéristique de leurs vases, réalisé à l'aide d'un coquillage, le Cardium edule. L'habitat de ces populations est de deux types : soit des sites protégés, fréquentés depuis déjà bien longtemps (grottes et abris-sous-roche), soit des cabanes construites en plein air. Le mouton et la chèvre sont domestiqués, ainsi que les bovidés ; la chasse joue encore un rôle important (petit gibier, mais aussi cerf et sanglier). Les céréales les plus consommées sont là encore le blé et l'orge, mais la cueillette n'est pas totalement absente, noisettes et glands notamment. Au cardial, l'agriculture est pratiquée avec des moyens très rudimentaires tels que les « bâtons à fouir », bâtons appointés qui permettent de creuser des trous ou de briser les mottes de terre ; des faucilles, avec des éléments de silex insérés dans un manche en bois, servent à la récolte des céréales, tandis que des meules en pierre servent à broyer et à moudre les grains.
Mais bien des peuples ignorent encore l'agriculture, tandis que, dès le VIIIe millénaire avant notre ère, la métallurgie du cuivre naît au Proche-Orient.

Les conséquences de l'apparition de l'agriculture
Les conséquences de l'apparition de l'agriculture sont multiples, atteignant tous les domaines de la vie des hommes : économique, social et écologique. Économique d'abord, puisque l'homme, de prédateur devient producteur. Ce changement d'état a été précédé (et non suivi, comme on l’a longtemps cru), par un bouleversement social : l'abandon du nomadisme pour la sédentarité ; les hommes vont donc, peu à peu, habiter des maisons construites pour durer, en pierre ou en bois. Ces maisons sont regroupées en villages. En outre, le temps de travail s'accroît, les soins à apporter aux cultures et au bétail étant beaucoup plus contraignants que ceux nécessaires à la chasse et à la cueillette ; cet accroissement du temps de travail va aussi mener à une spécialisation des tâches et à la naissance du commerce.
Les données de l'archéologie montrent, pour le début du néolithique, que les sociétés devaient être « égalitaires », car il n'a pas été mis au jour, dans les maisons ou les sépultures, d'accumulation de richesses ou des signes distinctifs qui prouvent l'existence d'une hiérarchie. En revanche, la production accrue des biens alimentaires va entraîner un accroissement de la population et engendrer des chefferies. La guerre fait son apparition et les villages se fortifient.
Si l'on peut dire que l'essor de l'agriculture au VIe millénaire avant notre ère est à l'origine de notre système culturel et social, il est aussi souvent pour beaucoup dans l'aspect de notre environnement actuel. Les chasseurs-cueilleurs vivaient en étroite symbiose avec le milieu naturel dont ils dépendaient entièrement, alors que les premiers agriculteurs vont détruire ce milieu pour y installer cultures et pâturages. Au VIIe millénaire avant notre ère, le changement climatique que connaît l'Europe, depuis déjà trois mille ans, a favorisé l'expansion de la forêt, principalement constituée par les chênes. Les premiers agriculteurs armés de leurs haches de pierre polie vont commencer par déboiser de petites parcelles afin d'en cultiver quelques arpents ; les animaux peuvent alors trouver leur nourriture dans le sous-bois. En moins d'un millénaire, cependant, ces terrains se révèlent exigus, s'appauvrissent, et il faut défricher de nouveaux territoires. À cela il faut ajouter, et notamment pour la région méditerranéenne, l'action dévastatrice du mouton et de la chèvre qui broutent les jeunes pousses et sont les acteurs essentiels du déboisement et de l'érosion des sols. Au VIe millénaire avant notre ère, l'apparition de l'agriculture entraîne la dégradation ou la fin des milieux naturels : le paysage est transformé par l'homme.
L'art préhistorique
L'art de l'époque paléolithique

C'est en 1834 qu'est découvert, dans la grotte du Chaffaud (Vienne), le premier témoin d'un art préhistorique : un os gravé. Entre 1860 et 1865, Édouard Lartet découvre en Dordogne et en Ariège d'autres témoignages d'une activité artistique des hommes magdaléniens. L'art préhistorique pariétal ne sera cependant révélé qu'en 1879 par M. de Santuola dans la grotte d'Altamira. Mais son authenticité n'est admise qu'en 1895, après la découverte de gravures et de peintures dans la grotte de la Mouthe.
Le sud-ouest de la France et le nord-ouest de l'Espagne constituent le foyer le plus important de l'art pariétal paléolithique. Cette province franco-cantabrique renferme un grand nombre de grottes ou d'abris ornés parmi lesquels : Pair-non-Pair (Gironde), la Mouthe, les Combarelles, Font de Gaume, le Cap Blanc, Lascaux (Dordogne), Niaux, les Trois Frères (Ariège), Pech-Merle, Cougnac (Lot), Angle-sur-l'Anglin (Vienne), le Castillo et Altamira (Santander, Espagne). La découverte, plus récemment, d'un site près de Marseille (la grotte Cosquer, sous-marine) et d'un autre en Ardèche (la grotte Chauvet) modifie toutefois la géographie des témoignages rupestres.
Les artistes paléolithiques utilisaient des techniques variées : simples tracés digitaux sur support tendre, gravures avec un outil de silex sur surface dure, sculptures en bas relief, modelage d'argile, dessin et peinture mono- et polychrome.
L'art paléolithique comporte également des œuvres mobilières : statuettes, plaquettes et blocs gravés, instruments décorés, dont le contexte archéologique permet une attribution chronologique et culturelle relativement précise. Par analogie stylistique à ces œuvres, dont on connaît l'origine stratigraphique, il est possible de dater les œuvres pariétales.
C'est l’abbé Henri Breuil qui établit, au cours de la première moitié de ce siècle, la première synthèse sur l'art franco-cantabrique et proposa une chronologie comportant deux cycles évolutifs successifs : le cycle « aurignaco-périgordien », débutant par des figurations au trait peint passant, par la suite, aux teintes plates, puis polychromes. Le cycle « solutréo-magdalénien », commençant lui aussi par des figurations linéaires pour passer aux teintes plates, noires le plus souvent, devenant polychromes. Ce cycle s'achève par de fines gravures.
Les nombreuses statuettes féminines dites « Vénus aurignaciennes » sont en fait attribuables au gravettien, ou périgordien. Des blocs de calcaire portant des représentations sexuelles féminines ont été trouvés en association avec des industries aurignaciennes. A. Leroi-Gourhan reprit, après Breuil, l'étude de l'art paléolithique et proposa une chronologie différente. Sur la base d'arguments stylistiques observés dans l'art mobilier, quatre styles peuvent être distingués :
– le style I, ou primitif, correspondant aux gravures grossières de l'aurignacien ;
– le style II, ou archaïque, auquel appartiennent les œuvres gravettiennes. Les figurations, dépourvues de détails, sont réduites à quelques traits simples ;
– le style III, qui constitue une nette amélioration du précédent par un perfectionnement du modelé et l'adjonction de détails anatomiques précis. De nombreuses figurations de la grotte de Lascaux appartiennent à ce style ;
– le style IV, qui correspond à un plus grand réalisme des figurations, dont le modèle est rendu par des hachures ou des variations dans la densité des couleurs.
L'étude des grottes et abris ornés semble indiquer que les artistes paléolithiques avaient un souci de composition esthétique auquel s'ajoutait une trame de liaisons symboliques qui nous échappent en grande partie.
La conservation de ce patrimoine artistique pariétal est des plus délicates. Le milieu souterrain qui, jusqu'à nos jours, a permis la conservation de ces œuvres est très sensible aux perturbations, et l'altération des parois entraîne la disparition des peintures et gravures. Les visites trop fréquentes modifient dans certaines grottes les conditions d'éclairage et de température, la teneur en gaz carbonique et introduisent des bactéries, pollens et spores qui menacent les œuvres pariétales. C'est pourquoi certaines grottes ne sont ouvertes qu'à un nombre limité de visiteurs, voire même interdites au public. C'est le cas de la grotte de Lascaux, dont un fac-similé a été réalisé et est accessible au public depuis 1983.

L'art du néolithique

Les archéologues ont souvent remarqué la disparition presque totale des formes d'art des civilisations paléolithiques et ont parfois pensé qu'avec le néolithique les manifestations artistiques étaient devenues de plus en plus schématiques jusqu'à disparaître. Il n'en est rien : plusieurs foyers de création artistique apparaissent alors, révélant dans la forme une forte inspiration et, dans le fond, l'expression symbolique d'une vision globale de la société nouvelle.
Si les peintures rupestres du Levant espagnol ne sont pas encore bien datées, si certains animaux font encore penser aux représentations paléolithiques, divers caractères semblent spécifiques du néolithique, en particulier les scènes guerrières qui font s'affronter deux bandes d'archers ; celle de la gorge de Gasulla à Castellon ou celle de Morella la Vella sont vraisemblablement du Ve millénaire avant notre ère.
Dans le nord de l'Europe, à la même époque, parmi les vestiges maglemosiens, des armes guerrières en os ou en bois de cervidé, des poignards, des pointes de lance et des haches peuvent être finement décorés de motifs géométriques qui se combinent parfois en évocation anthropomorphe, comme sur la hache provenant d'une tourbière de Jordløse, dans le Sjaelland, au Danemark.
Un autre foyer original de création artistique, du début de l'époque postglaciaire, est celui de Lepenski Vir, en Serbie-et-Monténégro, sur les bords du Danube, au niveau des Portes de Fer. Des sculptures sur pierre représentent des êtres mi-hommes, mi-poissons qui devaient jouer un rôle important dans cette société de chasseurs-pêcheurs déjà sédentarisés.

Une source importante d'inspiration de l'art néolithique est puisée dans l'ambiance de la fertilité agricole telle qu'elle s'exprime, dès le VIIIe millénaire avant notre ère en Syrie-Palestine, par des statuettes en pierre et surtout en terre cuite d'animaux domestiqués et de divinités féminines. L'ensemble iconographique le plus complet et le plus cohérent de la religion néolithique est celui qui a été mis au jour en Anatolie, à Çatal Höyük (vers 6000 avant J.-C.). Il serait hasardeux de généraliser les conclusions tirées sur ce site à propos de la déesse mère associée à des animaux comme le taureau et le léopard. Ce thème caractéristique du Proche-Orient et de la Méditerranée orientale n'est probablement pas à transporter tel quel dans d'autres régions comme la vallée du Danube. Pourtant, l'abondance des statuettes féminines (plus rarement masculines) et zoomorphes (bovidés et ovicapridés surtout, cervidés parfois) dans le néolithique de l'Europe tempérée en général montre l'expression symbolique et probablement religieuse d'une société agricole que certains archéologues n'ont pas hésité à qualifier de matriarcale. Les statuettes féminines sont souvent représentées nues sous des formes plastiques stylisées d'une grande variété : des gravures ou des lignes peintes viennent souvent accentuer l'expression abstraite. Les plus célèbres de ces statuettes viennent de la culture de Tripolie en Ukraine, des cultures de Gumelniţa et de Cucuteni en Bulgarie et Roumanie, de la culture de Vinča en Serbie-et-Monténégro, des cultures de Sesklo (Sésklon) et Dimin (Dhiminion) en Grèce. Les deux figures en terre cuite d'une femme accroupie et d'un homme assis sur un tabouret, la tête entre les mains, provenant d'une sépulture de la culture de Hamangia, fouillée à Cernavodă près de Dobroudja en Roumanie, sont de véritables chefs-d'œuvre du IVe millénaire avant notre ère. Ces statuettes existent en Hongrie, en Tchécoslovaquie, en Allemagne, en France, en Italie, dans la péninsule Ibérique, etc. Elles sont de plus en plus stylisées à mesure que l'on s'avance vers l'ouest : les « yeux » gravés ou peints sur la céramique de Los Millarès au sud de l'Espagne, les idoles en pierre de la région d'Almeria ou celles du Portugal, les quelques statuettes en terre cuite de Fort-Harrouard (Eure-et-Loir) ou encore le petit bloc calcaire sculpté et représentant une « divinité » à Grimes Graves (Grande-Bretagne) témoignent de la large diffusion d'une idéologie aux traits communs. Celle-ci apparaît encore, d'une manière très allusive, dans des sépultures comme les hypogées de la Marne ou les allées couvertes, dans lesquelles on reconnaît parfois la « tête de chouette » associée aux seins et parfois à la représentation d'un collier. L'art décoratif gravé ou piqueté sur des piliers de tombes mégalithiques de Bretagne (Gavrinis) ou d'Irlande (Newgrange) date d'environ 3000 avant J.-C. Les monuments mégalithiques eux-mêmes représentent, depuis le Ve millénaire avant notre ère, en Occident, un aspect religieux original de l'art architectural dont l'équivalent civil, et surtout défensif, se trouve depuis les remparts de Jéricho jusqu'aux camps à fossés de la Saintonge néolithique.
Plus au nord, des civilisations dites « forestières » sculptent l'ambre et le bois de cervidé avec une grande habileté : la statuette anthropomorphe d'Ousviaty et la tête d'élan de Chiguir en Russie révèlent les qualités artistiques de peuples non citadins trop souvent considérés comme « retardés ». Les grands rochers gravés de Suède méridionale ou de Carelie nous racontent des scènes émouvantes de la vie quotidienne, pêche, chasse, cérémonies et même enfantement. Ces figures ont été réalisées à partir de la fin du néolithique et pendant les âges des métaux.
En dehors de l'Europe, pendant cette même époque néolithique, s'épanouissent les premiers arts rupestres du Sahara et une partie de ceux d'Afrique du Sud. L'Égypte n'aura de grand art qu'avec les civilisations prédynastiques. L'Asie connaît une évolution semblable au Proche-Orient, et les statuettes féminines existent jusqu'en Chine. Nous connaissons bien moins l'art contemporain des sociétés vivant alors en Australie et en Amérique, où de grandes cités du monde précolombien vont bientôt être construites.

L'art à l'époque protohistorique

Le métal intervient aussi dans le domaine artistique pour mettre en valeur la classe dirigeante par le biais de la richesse. Les tombes royales d'Our (vers 3000 avant J.-C.) contenaient vaisselles, armes et statuettes en or, en argent et en bronze. Le groupe des tumulus princiers de Maïkop dans le nord du Caucase et les sépultures de Varna en Bulgarie présentent, en des temps assez proches, des vaisselles, des ornements et des parures en or, en argent et en cuivre. En Mésopotamie et en Égypte, l'écriture apparaît alors et de grandes civilisations historiques se développent. À leur pourtour, de nombreux peuples protohistoriques acquièrent leur personnalité pendant les âges du bronze et du fer (→ protohistoire). La Méditerranée a connu des arts protohistoriques de grande qualité : idoles cycladiques en marbre jusqu'aux peintures minoennes de Crète ou de Thêra. C'est encore dans le cadre des palais royaux que l'écriture est apparue (linéaires A et B). En Italie, plusieurs peuples indigènes et bientôt les Étrusques décorent leurs temples de grandes terres cuites historiées et font l'offrande de statuettes en bronze, comme le feront encore les Ibères quelques siècles plus tard. La sculpture sur pierre de Méditerranée occidentale reflète souvent une inspiration orientale transmise par les Phéniciens fixés à Carthage et dans bien d'autres colonies. Quelques enclaves d'art rupestre, comme celle du mont Bégo dans les Alpes-Maritimes, révèlent la tradition de vieilles populations locales.

Au nord, le monde celtique n'a probablement pas encore l'unité décrite par les auteurs antiques au deuxième âge du fer. Pourtant, des thèmes iconographiques sont communs (des oiseaux, des cygnes [ ?] et le disque solaire porté par un bateau ou véhiculé sur un chariot) depuis l'âge du bronze, de la Scandinavie aux Balkans et depuis l'Irlande jusqu'à la Hongrie. Les gravures de Suède méridionale illustrent cette mythologie, de même que certaines pièces célèbres en métal comme le char de Trundholm au Danemark. Des chars en modèle réduit de l'époque de Hallstatt, représentant des scènes de chasse, celui de Strettweg (Autriche) ou celui de Mérida (Espagne) appartiennent aussi à cette ambiance culturelle que l'on peut suivre jusqu'aux grandes sépultures princières à char de la fin du premier âge du fer, celle de Vix (Côte-d'Or) en France et celles de Hochdorf et de Klein-Aspergle en Allemagne du Sud, par exemple. Dans ce monde celtique naissant, les influences méditerranéennes sont perceptibles et expliquent en partie des sculptures sur pierre comme le guerrier de Hirschlanden (Allemagne du Sud). Pourtant, une orfèvrerie originale, un art des situles historiées en tôle de bronze, un style décoratif général dit « celtique », comme celui de Waldalgesheim, se répandent dans toute l'Europe tempérée.
Dans l'Europe de l'Est, des unités culturelles protohistoriques fortes possèdent leur propre expression artistique : les Thraces, les Daces et bientôt les Slaves. Les habitants du Caucase, et surtout ceux de Koban, nous ont laissé de nombreuses statuettes en bronze (cervidés, chiens, carnivores et animaux fantastiques). Les Scythes possèdent un art raffiné, inspiré en partie par l'art grec des colonies de la mer Noire. Les guerriers scythes sont probablement en relation avec les peuplades des steppes sibériennes de la région de Pazyryk, ou, sous des tumulus, des contenus somptueux de tombes ont été découverts avec des soieries, des feutres aux couleurs vives. En Inde, en Chine, au Viêt Nam, la formation d'empires aux arts prestigieux se situe dès le IIe millénaire avant notre ère dans un contexte historique. La découverte des arts protohistoriques d'Afrique, du monde précolombien, de Polynésie, de Micronésie, etc., révèle, d'année en année, l'univers complexe et les héritages millénaires des peuples ayant vécu avant l'écriture.

 

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LE CLAVECIN

 

 

 

 

 

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clavecin


Famille d'instruments à clavier dont les cordes sont mises en vibration par un mécanisme comportant un plectre. De forme, d'étendue et de dimensions variables, le clavecin a été employé dans toute l'Europe dès le milieu du xve siècle, pour ensuite disparaître presque complètement de la vie musicale vers 1800, cédant ainsi la place à un instrument totalement différent et correspondant mieux à l'évolution du goût à cette époque : le piano-forte. Redécouvert par quelques pionniers au début du xxe siècle, le clavecin a progressivement retrouvé son langage propre tout en élargissant son répertoire par l'augmentation de ses possibilités. Sous l'action conjuguée des compositeurs et de certains facteurs d'instruments, on assiste aujourd'hui à la naissance d'un clavecin nouveau mis à la disposition d'interprètes de talent défendant courageusement la musique de leur temps.

Les origines
On ne sait pas avec précision à quelle date apparaît le clavecin en Europe. Son nom nous est révélé pour la première fois, sous la forme latine clavicymbalum, dans un poème en bas allemand de 1404, Der Minne Regeln. On pense généralement que ce nouvel instrument résulte de la combinaison, réalisée par un artisan inconnu, d'un instrument à cordes à caisse trapézoïdale d'origine arabo-persane, le « qâ nun », avec un clavier à touches étroites comme ceux des orgues portatifs ou positifs. Dès 1420, de nombreux témoignages iconographiques attestent la rapidité de sa diffusion. Vers 1440, un traité capital révèle les règles de construction de divers instruments parmi lesquels figure en bonne place le clavicimbalum. Rédigé par Henri Arnaut de Zwolle (v. 1400-1466), physicien et astronome du duc de Bourgogne Philippe le Bon, puis de Louis XI, ce manuscrit constitue le seul traité de construction de toute l'histoire de la facture de clavecins. Le plan très précis du clavicimbalum qui nous est proposé a de quoi surprendre le lecteur ; en effet, toutes les dimensions de l'instrument sont indiquées par rapport à un « module » de base qui sera ensuite reporté selon une « série » mathématique précise (1, 2, 3, 5, 8, 13…). Aucune dimension mesurée n'est indiquée et toutes les reconstitutions actuelles sont des hypothèses qui s'appuient principalement sur la largeur des touches du clavier. Les plus vraisemblables de ces reconstitutions conduisent à un instrument relativement court à la courbe très prononcée ­ un arc de cercle parfait ­, tendu d'un seul rang de cordes de fer. Son étendue est de trois octaves (35 notes de si à la) et sa sonorité extrêmement brillante et percutante s'explique à la fois par le faible volume de la caisse de résonance, par les plectres de bronze qui mettent les cordes en vibration, et par l'absence de tout système d'étouffoir. Cette dernière particularité contraint l'interprète à adopter un tempo plus que modéré s'il veut éviter toute confusion.

Il n'y a pas à cette époque de littérature spécifique spécialement destinée au clavicimbalum. Son clavier lui permet cependant d'aborder les transcriptions de messes polyphoniques ou bien les tablatures d'orgue d'un Conrad Paumann, dont le Fundamentum Organisandi voit le jour en 1452. Son encombrement réduit et sa légèreté lui permettent sans doute aussi de participer à des musiques de divertissement où son éclat et la précision de son timbre lui permettent de soutenir quelque « danserye ».
Certains regretteront peut-être que le quatrième dispositif décrit par Henri Arnaut de Zwolle pour mettre les cordes en vibration ait été si rapidement oublié : il s'agissait d'une sorte de levier comportant un « crampon » métallique, projeté contre la corde par la touche du clavier. Oublié pendant trois siècles, il devait être redécouvert ensuite pour devenir… le marteau du piano-forte !

Le fonctionnement
Dès le milieu du xve siècle, le principe directeur du clavecin est acquis. Il restera identique, plus ou moins amplifié, jusqu'à la fin du xviiie siècle. Ce principe est simple : un certain nombre de cordes métalliques, de longueur décroissante et correspondant chacune à une note de la gamme, sont tendues au moyen de chevilles d'accord entre deux points fixes. L'un de ces points fixes est destiné à transmettre et amplifier la vibration des cordes, au moyen de la table d'harmonie, véritable membrane de bois mince qui agit à la façon d'une peau de tambour. Le second point fixe est placé sur une partie généralement non résonnante. La réunion de ces différents points constitue respectivement le chevalet et le sillet. Le mécanisme de mise en vibration de chaque corde, le sautereau, est constitué d'une mince réglette de bois (d'environ 14 X 3 mm de section dans un clavecin classique) armée d'un plectre à sa partie supérieure. Ce plectre, jadis en plume de corbeau et maintenant souvent remplacé par un matériau de synthèse, est enchâssé dans une languette de bois dur susceptible de pivoter autour d'un minuscule axe métallique. Un infime ressort, autrefois tiré d'une soie de sanglier, maintient cette languette en position verticale de repos. Lorsque l'on enfonce une touche du clavier, le sautereau qui repose sur l'arrière de la touche se soulève d'autant, guidé dans sa course par une réglette de bois percée de mortaises : le registre. Le plectre qui se trouvait sous la corde accroche ou « pince » celle-ci dans son mouvement ascendant, la mettant ainsi en vibration. La corde « sonne » jusqu'à ce que ses vibrations s'éteignent par perte d'énergie. Relâche-t-on cette même touche ? Le sautereau retombe par son propre poids, son plectre rencontre à nouveau la corde dans un mouvement inverse qui oblige la languette à basculer autour de son axe, laissant ainsi échapper la corde sans émission de son. Toute vibration parasite est évitée grâce à un étouffoir de drap ou de feutre qui coiffe le sautereau. À chaque touche du clavier correspond au moins une corde mise en vibration par un sautereau.

S'il a existé des clavecins à une corde seulement pour chaque note, les facteurs ont eu bientôt l'idée ­ inspirés peut-être en cela par les facteurs d'orgues ­ d'ajouter une seconde corde, accordée à l'unisson ou à l'octave de la première, créant ainsi des « jeux » supplémentaires. Ces jeux posséderont chacun leur propre rang de sautereaux sur des registres séparés qui pourront être mis « en jeu » ou « hors jeu » au moyen de mécanismes simples actionnés par le musicien. Par analogie avec l'orgue, l'arrangement des différents jeux d'un clavecin est appelé sa « disposition ».
Si nous ajoutons que tout clavecin doit posséder une caisse de résonance close ­ à l'inverse de celle du piano moderne ­, nous aurons résumé tous les éléments spécifiques propres à cet instrument. Tous les clavecins dignes de ce nom possèdent ces caractères généraux, mais leur structure ainsi que leur disposition ont sans cesse varié selon les époques ou selon les régions, aboutissant ainsi à des instruments d'esthétique et de sonorité différentes que l'on a l'habitude de regrouper au sein de plusieurs grandes écoles.

La facture italienne
Celle-ci représente un cas particulier parmi toutes les écoles européennes de facture de clavecins. En effet, ses caractères dominants se retrouvent tout au long de son histoire, pendant près de trois siècles, sans que le schéma initial né vers 1500 subisse de profondes altérations : tout se passe comme si l'instrument primitif avait été parfait dès le début de son histoire. Seules des modifications mineures (étendue, suppression ou adjonction d'un jeu, mise à d'autres diapasons, etc.) attestent, par ces déviations par rapport au schéma type, la vitalité et la créativité d'un art qui a toujours su éviter la monotonie.
Historiquement et technologiquement, l'école italienne est celle qui suit au plus près le principe directeur « bourguignon » légué par Henri Arnaut de Zwolle au milieu du xve siècle. Historiquement d'abord, les clavecins les plus anciens sont dus à des facteurs italiens, à une exception près. Il ne se passe « que » soixante ans environ entre la rédaction du célèbre traité et les premiers instruments qui nous sont parvenus. Techniquement ensuite, ces premiers facteurs ont suivi de très près la construction « harmonique » dans l'élaboration de leurs plans et de leurs tracés. À l'examen, on devine aisément l'existence d'un « module » de base qui se retrouve, multiplié ou réduit, dans toutes les parties de l'instrument. L'un de ces modules, et le plus évident, est la conséquence d'une loi physico-acoustique qui veut qu'une corde sonore, d'un matériau et d'un diamètre donnés, sous une tension égale, sonne une octave en dessous d'une corde de référence moitié moins longue. C'est cette constatation qui régit l'ensemble de la production italienne pendant ces trois siècles en incitant les facteurs à adopter la « règle de la juste proportion » pour le tracé de leur plan de cordes. La longueur de la corde correspondant à l'ut de 1 pied (1') est souvent prise pour module, et cette valeur (comprise entre 280 et 300 mm) sera simplement doublée d'octave en octave sur presque toute l'étendue du clavecin. Cette construction quasi mathématique va conférer au clavecin italien sa caractéristique visuelle principale qui est une courbe extrêmement prononcée. L'éclisse courbe est en effet parallèle au chevalet dont la place est déterminée par la longueur des cordes. On observe cependant une altération de la « juste proportion » dans le grave, de façon à ne pas obtenir un instrument exagérément long et fragile, ainsi que des cordes molles et sans timbre. La pointe du chevalet est alors simplement brisée par l'emploi d'une courte portion droite soutenant les cordes les plus longues. Sous l'aspect de la fabrication proprement dite, le clavecin italien est une caisse fermée, d'une ligne très élancée, construite avec des matériaux de faible épaisseur. Son poids en est donc relativement réduit. À titre d'exemple, un instrument dû au facteur Trasuntino, daté de 1538, pèse seulement 12 kg, clavier compris, pour une longueur de 2,08 m ! C'est donc une technique de fabrication qui s'apparente encore beaucoup à la lutherie proprement dite.
Sur le plan pratique, la caisse est construite à partir d'un fond en sapin dont l'épaisseur varie de 10/11 à 21/22 mm selon les instruments. Ce fond est parfois consolidé par des traverses « en écharpe », clouées et collées diagonalement pour renforcer l'assemblage. Sur cette assise plane seront fixées, par simple collage ou par encastrement, des équerres qui supporteront une « couronne de contre-éclisses » servant ultérieurement d'appui à la table d'harmonie. Des arcs-boutants partant du fond et rejoignant les contre-éclisses viennent encore rigidifier cette charpente sans nuire à sa légèreté. Le sommier qui recevra les chevilles d'accord est généralement issu d'un bloc de noyer et est fixé solidement sur des supports en ménageant un espace ou « fosse » à l'avant de la table, espace destiné au passage des registres. Il est à noter que la majorité des instruments italiens anciens comportent une « fosse » placée en oblique par rapport au sommier et au clavier : le registre est ainsi plus éloigné du clavier au grave qu'à l'aigu. Nous retrouvons là une préoccupation majeure des facteurs pour tenter de maintenir une harmonie entre les rapports des points de pincement de chaque corde sur toute l'étendue du clavier. Les éclisses sont ensuite collées sur la périphérie de cette charpente. Ce sont des planches minces, de 3 à 6 mm d'épaisseur et de 180 à 200 mm de largeur, généralement en cyprès mais aussi parfois en noyer. Après assemblage, ces éclisses ainsi que le bas de la caisse seront ornés de moulures au profil très accentué. Moulures ornementales, certes, mais qui joueront surtout le rôle de renforts destinés à rigidifier ces surfaces déformables, sans augmenter sensiblement le poids de l'ensemble. La table d'harmonie est préparée, généralement, à partir d'un assemblage de minces feuillets de cyprès, mais parfois aussi d'épicéa, puis dotée de son barrage (armature de la face interne destinée à délimiter avec précision des aires de vibration) et de son chevalet (baguette moulurée et cintrée qui transmet les vibrations à la table). Cette table est collée sur les contre-éclisses et prête à recevoir, après « division » et « pointage », un ou deux rangs de cordes très fines, généralement en fer et en laiton.
Il n'entre donc dans l'élaboration de la caisse des instruments italiens que des matériaux légers et résonnants. Cette légèreté conduisant à une relative fragilité, le clavecin italien est contenu dans un étui ou « caisse extérieure » en bois plus massif. C'est cette caisse qui recevra le couvercle et c'est sur celle-ci que s'exercera le talent des peintres et des ornemanistes, car l'instrument lui-même est toujours laissé nu, dans la beauté du bois soigneusement poli. Un piètement qui peut aller jusqu'à l'extravagance supporte le tout, lorsque le clavecin est fixé à demeure. En cas de déplacement fréquent ­ les princes n'aiment-ils pas être accompagnés de leurs musiciens ? ­ une table peut le recevoir, deux tréteaux permettent d'en jouer.
Une autre singularité intéressante est l'adoption systématique par les facteurs italiens ­ et par les musiciens, par conséquent ­ d'un clavecin à un seul clavier dont l'étendue reste longtemps fixée autour de quatre octaves. Pour cette étendue, représentant 49 notes, le clavier ne comprend souvent que 45 touches, l'octave la plus grave étant amputée de certains demi-tons. Cela résulte de l'accord particulier des instruments à clavier préconisé jusqu'au milieu du xviiie siècle au moins. Cet accord, dit « à tempérament inégal », avait pour cause l'impossibilité de diviser l'octave en douze demi-tons égaux en conservant des intervalles (tierce, quinte, etc.) acoustiquement « justes ». Les musiciens « trichaient » donc en favorisant certaines tonalités au détriment de certaines autres, peu employées (fa dièse mineur, par exemple). Tous les systèmes gravitant autour de ce principe avaient pour énorme avantage de rendre l'œuvre musicale « expressive » par sa tonalité même. En revanche, le nombre de tonalités autorisées était plus restreint, d'où la présence de cette « courte octave » dans les claviers de l'époque, dans une région sonore où la main gauche ne réalise que l'harmonie. Générale au xvie siècle et pendant presque tout le xviie, cette pratique disparut peu à peu, à mesure que l'étendue des claviers augmentait pour atteindre quatre octaves et une quinte, entièrement chromatiques, au xviiie siècle.
Avec ses deux seuls jeux de « huit pieds » (8') et son clavier unique, le clavecin italien possède une vie et une présence indiscutables. La légèreté des matériaux favorise une attaque du son très mordante suivie d'un son très coloré et relativement peu soutenu. Son timbre lumineux ne pardonne pas la moindre erreur de phrasé ; mais qu'il soit servi par un musicien sensible et averti, qu'il soit surtout accordé selon l'un des « tempéraments inégaux », alors il servira mieux que n'importe quel autre les œuvres étonnantes qu'ont écrit pour lui Giovanni Picchi, Salomone Rossi, Girolamo Frescobaldi, ou… les « virginalistes » anglais !

La péninsule Ibérique
Fort peu de chose distingue la facture italienne de celle de la péninsule, ce qui est assez normal compte tenu de l'étroitesse des liens qui ont uni ces deux régions sous l'Ancien Régime. Plan et matériaux y sont identiques et seuls quelques éléments du décor accusent des différences sensibles. Il faut cependant reconnaître que peu de clavecins espagnols ou portugais antérieurs au xviiie siècle nous sont parvenus. En revanche, les instruments portugais de la fin du xviiie qui ont survécu permettent peut-être de résoudre le problème posé par certaines sonates de Domenico Scarlatti. On sait que plusieurs sonates du Napolitain dépassent l'étendue des plus grands clavecins construits en Europe à son époque, et atteignent le sol aigu, alors que les instruments italiens atteignent tout juste le mi. Plusieurs instruments existent, qui permettent d'élaborer une hypothèse satisfaisante, deux parmi ceux-ci atteignant le la aigu (instruments de Manuel Anjos Leo de Beja – 1700 et Joze Antunes – 1789). Au service de Maria Barbara, ex-infante du Portugal, reine d'Espagne, pour qui il a composé de nombreuses « sonates », Scarlatti ne peut avoir ignoré de tels instruments et c'est peut-être dans cette voie que l'on peut souhaiter une plus grande authenticité dans l'interprétation de ses œuvres.

La facture flamande
Vouloir esquisser une histoire du clavecin en Europe revient, en fait, à étudier plus particulièrement deux pays : l'Italie et les Flandres. Issues toutes deux du vieux tronc commun « bourguignon », leurs caractéristiques spécifiques divergent sensiblement au milieu du xvie siècle. Tandis que l'Italie influence la facture espagnole et portugaise, les Flandres inspirent fortement les facteurs français, allemands et anglais. Comme celle de tout produit manufacturé important, l'histoire du clavecin, en Flandres, reflète l'histoire politique et économique de ses principaux centres. Dès le xive siècle, Bruges jouit d'une opulence incontestée due à sa situation géographique lui permettant d'offrir au commerce l'un des plus fameux ports de l'Europe du Nord. Malheureusement, l'envasement progressif de ses accès, dès le milieu du xve siècle, donne l'avantage à Anvers. Toute la vie artistique brugeoise y est transférée et le trafic international dont bénéficie la ville à cette époque porte loin des frontières le renom de la cité. Parmi toutes les activités que cette opulence naissante contribue à développer, la facture instrumentale tient une place non négligeable. Dès le xvie siècle, les nombreux facteurs de clavecins sont regroupés au sein de la « guilde de Saint-Luc », confrérie réunissant des peintres et des sculpteurs, et codifiant leurs activités. L'appartenance à cette guilde permet simplement aux facteurs de réaliser eux-mêmes la décoration de leurs clavecins. Il faut attendre une ordonnance de 1558 pour que dix d'entre eux, dont les noms sont ainsi passés à la postérité, soient reconnus comme facteurs à part entière.
Trois instruments seulement nous sont parvenus des cosignataires de cette ordonnance : celui de Joost Karest (1548), un autre de Martin Van der Biest (1580) et un troisième de Lodwijck Theewes (1579). L'instrument de Karest, un virginal conservé au Musée instrumental de Bruxelles, atteste d'une profonde influence italienne : plan polygonal, éclisses fines à moulures, présence d'une caisse extérieure. Mais des différences fondamentales l'éloignent du type traditionnel italien : clavier entièrement « en retrait », guidage des sautereaux par la table et par un guide séparé, et surtout adoption d'un module de cordes plus long que sur la plupart des instruments italiens (ut de 1' : 292 mm). Il s'agit donc d'un instrument hybride dû à un facteur né à un carrefour d'influences, Karest se disant lui-même « de Colonia ». L'étude de nombreux documents iconographiques confirme la présence de ce type d'instrument jusque dans la seconde moitié du xvie siècle.
On considère généralement que le clavecin flamand typique est dû à une dynastie de facteurs anversois, les Rückers, actifs pendant plus d'un siècle, et dont le fondateur, Hans Rückers « le Vieux » est admis à la guilde de Saint-Luc en 1579. Il meurt vraisemblablement en 1598, laissant à deux de ses fils, Johannes II (1578-1643) et Andreas I (1579-1654) le soin de continuer la tradition familiale. Admis tous deux comme membres de la guilde en 1610 et 1611, ceux-ci transmettent à Andreas II (1607 – apr. 1667) les secrets du métier. Le nom des Couchet, dont Johannes (1611-1655) est le plus illustre, est inséparable des précédents dans l'élaboration du clavecin flamand traditionnel.
La facture anversoise de cette époque se distingue de la facture italienne par ses conceptions et par ses procédés de fabrication. Dès la fin du xvie siècle, les Rückers adoptent une politique de « modèles » de clavecins pour des usages bien définis, modèles qu'ils reproduiront à de nombreux exemplaires sans modification. Ces modèles sont conçus pour se mêler aux autres instruments de musique groupés en familles homogènes depuis le début de la Renaissance. Pour les seuls clavecins, en plus de l'instrument « standard » accordé au ton, les ateliers anversois fabriquent des clavecins plus courts pour être accordés un ton ou une quinte au-dessus ou bien même à l'octave. Conception différente encore par le choix d'un module de cordes « long » (ut de 1' : 355/356 mm pour l'instrument au ton). La règle de la juste proportion est sensiblement corrigée par un raccourcissement progressif des cordes graves et un allongement sensible des cordes aiguës avec comme zone charnière la région des 2'. Il en résulte une courbe du chevalet peu prononcée. L'éclisse courbe n'est plus parallèle au chevalet, mais s'en écarte dans les basses alors qu'elle s'en rapproche à l'aigu.
La fabrication proprement dite est différente de celle pratiquée en Italie. Le clavecin ne sera pas élaboré en partant du fond, mais par assemblage successif des différentes éclisses montées « en l'air ». Matériaux et dimensions diffèrent aussi. Le tilleul, le peuplier ou le saule traités en fortes épaisseurs (13 à 14 mm pour les éclisses) sont seuls employés pour la fabrication de la caisse, le sommier étant constitué d'un fort bloc de chêne débité « sur quartier ». Chaque éclisse est assemblée à sa voisine par un joint « en mitre » assurant une cohésion suffisante de l'ensemble. L'habituelle couronne de contre-éclisses augmente encore la rigidité qui est accrue par un double système de traverses, coincées entre l'échine (grande éclisse droite) et la courbe. Les traverses inférieures sont perpendiculaires au fond ­ qui sera posé après le tablage et peut-être même le cordage du clavecin ­ tandis que les traverses supérieures ou arcs-boutants viennent résister à la tension des cordes, au niveau des contre-éclisses. La table est exclusivement constituée de feuillets d'épicéa d'une épaisseur variant, dans un même instrument, de 2 mm à 3,5/4 mm. Elle comporte un chevalet de 8' et un chevalet de 4'. Le barrage intérieur est assez complexe mais sert lui aussi à délimiter des aires de vibration précises. Entre la table et le sommier rectangulaire viennent se loger deux registres avec guide inférieur fixe. Le clavier unique comporte 45 touches pour une étendue de quatre octaves, la plus grave étant « courte ». Les « marches » (ou notes diatoniques) sont plaquées d'os blanchi et poli, pendant que les « feintes » (ou notes chromatiques) sont faites de blocs de chêne noirci.
Le clavecin type est tendu de deux rangs de cordes, laiton pour le grave et fer pour le reste. La disposition courante est généralement un jeu de 8' plus un jeu de 4', bien que l'on rencontre parfois des instruments ne possédant que deux 8'.
La nécessité de fournir des instruments de différentes tailles utilisés à des fins de transposition a conduit les facteurs anversois, dès la fin du xvie siècle, à concevoir et à réaliser un clavecin double réunissant l'instrument au ton et l'instrument transpositeur, tendu lui aussi de deux rangs de cordes (1 X 8' + 1 X 4'). La transposition est obtenue par deux claviers indépendants et décalés, placés l'un sous l'autre. Cette pratique que l'on conçoit assez mal de nos jours s'est maintenue jusque dans la seconde moitié du xviie siècle, période à laquelle les facteurs substituèrent des claviers alignés et accouplables qui devaient particulièrement s'illustrer pendant tout le xviiie siècle, sous l'appellation ­ moderne ­ de « clavecin contrastant ».
Les clavecins flamands sont abondamment décorés. La table est ornée d'un liseré d'arabesques et d'un semis de fleurs et de petits animaux. La « rose » qui comporte les initiales du facteur participe à cette composition et attire les regards avec sa couverture de feuilles d'or. L'intérieur du couvercle reçoit une garniture de papier moiré sur laquelle se détachent les grandes lettres d'une devise latine. Des papiers imprimés, comme celui dit « aux hippocampes », garnissent les éclisses situées au-dessus du clavier. Il n'y a plus de caisse extérieure, le clavecin étant suffisamment robuste. On peut donc peindre les éclisses, afin de ne pas laisser le bois à nu. Sauf commande spéciale, les motifs les plus couramment rencontrés sont les faux marbres, traités en bandes ou en médaillons sertis dans des imitations de ferrures. Le piètement, souvent composé de puissants et nombreux balustres, reflète bien l'opulence et le goût des citoyens prospères de la vieille cité commerçante.
La sonorité des clavecins flamands est plus robuste que celle des instruments italiens, et le son est plus soutenu, conséquence logique de la relative lourdeur de la construction. C'est sans doute cela, associé à une indéniable clarté, qui confère à ces instruments un caractère polyphonique très marqué, où chaque partie du discours sonore est intégralement respectée. Les « ricercari » et « fantaisies » d'un Jan Pieterszoon Sweelinck y sont particulièrement bien adaptées, de même que les œuvres de William Byrd et de John Bull, deux des plus prestigieux « virginalistes » anglais.
La tradition anversoise n'a pas disparu avec le dernier des Rückers et le xviiie siècle a vu s'amplifier le schéma initial légué par ces artisans. Afin de correspondre à la musique du jour, l'étendue des clavecins s'accroît pour atteindre cinq octaves complètes, à partir du fa, vers 1745-1750. La caisse de l'instrument s'allonge pour répondre aux longues cordes de l'extrême grave, le nombre des jeux est porté à trois (2 X 8' + 1 X 4') et l'on ajoute même un rang de sautereaux séparé, traversant le sommier en oblique et pinçant l'un des huit pieds tout près du sillet. La sonorité de ce jeu « nasal » est particulièrement riche en partiels aigus et contraste radicalement avec les autres jeux. Les noms de Johannes Daniel Dulcken (actif de 1736 à 1769), de Johannes Petrus Bull et de Jakob Van den Elsche doivent être associés à ces derniers feux du clavecin flamand, de même que l'original Albertus Delin qui œuvrait à Tournai entre 1743 et 1770.

La facture française
Nous avons vu précédemment que la Bourgogne était le lieu d'origine du clavicymbalum, et l'absence de documents contraires nous autorise à supposer que ce type d'instrument était répandu dans toute l'Europe cultivée d'alors. Les liens économiques et culturels privilégiés que le « grand duc d'Occident » entretenait avec les autres pays a certainement favorisé la rapide expansion du prototype décrit par Henri Arnaut de Zwolle. De nombreuses représentations en attestent dans des pays aussi divers que l'Angleterre, les Pays-Bas, l'Allemagne, la Suède et jusqu'en Istrie, ancienne dépendance vénitienne maintenant rattachée à la Yougoslavie.
Les facteurs ont dû s'intéresser rapidement à la construction de l'instrument à sautereaux, car les noms de plusieurs d'entre eux nous sont parvenus. En revanche, et c'est là le principal paradoxe de l'école française, pas un seul clavecin antérieur à la seconde moitié du xviie siècle n'a survécu. Curieuse situation où les textes sont nombreux (H. A. de Zwolle, Mersenne, Trichet, La Rousselière, l'Encyclopédie, etc.) et où les instruments font défaut.
Entre 1440 et 1636, année de la publication de l'Harmonie universelle du religieux Marin Mersenne, existe un trou de deux siècles sur lequel nous ne savons presque rien. L'instrument décrit par Mersenne semble s'inspirer de la tradition italienne : construction légère, éclisses fines et courbe prononcée supposant l'adoption assez rigoureuse de la règle de la juste proportion. L'instrument possède deux rangs de cordes et son clavier unique contient quatre octaves entièrement chromatiques, d'ut à ut.
Les quelques clavecins de la fin du xviie siècle qui nous restent montrent une amplification de ce schéma. Tous ces instruments possèdent deux claviers et n'ont apparemment jamais été des instruments transpositeurs, au sens flamand du terme. La caisse est plus imposante, sensiblement plus longue et plus large et les éclisses en noyer ou en sapin sont d'une épaisseur moyenne entre les mesures italiennes et les mesures flamandes. L'instrument est entièrement monté à partir d'un fond en sapin et, comme en Italie, adopte les équerres soutenant les éclisses et les contre-éclisses. Les facteurs empruntent cependant à leurs homologues du Nord des arcs-boutants renforçant la caisse à la hauteur des contre-éclisses. Un module assez long (de 302 à 320 mm pour l'ut de 1'), associé à une correction importante de la règle de la juste proportion, confère à ces instruments de la fin du siècle une courbe tenant le milieu entre celles des deux précédentes écoles. Tous ces clavecins sont tendus de trois rangs de cordes (2 X 8' + 1 X 4') et leur étendue maximum est de quatre octaves plus une quarte (de sol à ut) avec l'octave courte à la basse. Les facteurs qui ont le mieux illustré cette période portent les noms de Denis (toute une dynastie), Jaquet, Richard, Barbier, pour les facteurs parisiens, ou encore l'étonnant Vincent Thibaut de Toulouse pour la province.
À leurs successeurs revient le mérite d'avoir profondément modifié ces éléments afin de donner naissance au grand clavecin français du xviiie siècle. S'inspirant désormais plus étroitement des modèles flamands, les Nicolas Dumont (actif entre 1673 et 1708), Pierre Bellot (1675 – apr. 1732) et surtout Nicolas Blanchet (1660-1731) donnent naissance à des instruments à forte personnalité. Ceux-ci possèdent un ou deux claviers de plus de quatre octaves (fa à ré, fa à mi) faisant parler deux ou trois rangs de cordes (2 X 8' ou 2 X 8' + 1 X 4'). La construction de la caisse s'apparente à la méthode flamande, avec l'emploi systématique du tilleul comme matériau de base, la table étant, bien entendu, en épicéa. Le barrage, de même que la structure interne sont fidèlement dérivés des modèles flamands dont ils sont, parfois, la simple amplification. Un module de cordes assez long (compris entre 340 et 365 mm), associé à une règle de proportion radicalement corrigée (basses raccourcies et aigu allongé), confère à ces instruments un aspect robuste et puissant non dénué d'élégance. Si la décoration de la table s'inspire nettement des instruments anversois ­ avec plus de modelé, cependant ­, le décor extérieur ainsi que celui du couvercle reflètent les caractéristiques des styles et des ornements en vigueur à la cour de France. Le piètement ressortit lui-même beaucoup plus à l'histoire du siège qu'à celle de la facture instrumentale : balustres ou colonnes torses en bois naturel jusqu'à la fin du xviie siècle, pieds à gaine avec entretoises sous Louis XIV, solides pieds cambrés nerveusement sculptés de la Régence.
Les deuxième et troisième générations de facteurs français se contentent de parfaire ces modèles, grâce surtout à des mécaniques irréprochables et un timbre fortement caractérisé. Parmi ces facteurs, les Blanchet (François-Étienne Ier et II), Jean-Claude Goujon, les frères Hemsch, puis plus tard Pascal Taskin fournissent la cour et les musiciens parisiens, pendant que Collesse, Donzelague et Stirnemann à Lyon ou Sébastien Garnier à Reims honorent les commandes des amateurs provinciaux. À l'aube de la Révolution, le clavecin français typique est un instrument à un ou à deux claviers, d'une étendue de cinq octaves complètes (du fa au fa), possédant trois rangs de cordes (2 X 8' + 1 X 4'), que les inventions de Taskin (jeu de « peau de buffle », genouillères pour actionner les jeux) ou de Sébastien Érard (clavecin « mécanique ») ne préservent pas de la tourmente. Prudemment, certains facteurs commencent d'ailleurs à commercialiser des pianos-forte. Il n'y a pas, comme en Italie, de relative homogénéité du timbre des clavecins français. Un instrument de Vincent Thibaut, par exemple, ne préfigure en rien la sonorité d'un grand clavecin de Hemsch des années 1750. Au premier convient parfaitement la grandeur un peu hiératique des pièces de Chambonnières, Danglebert ou Louis Couperin, cependant que le second rend pleinement justice aux suites de François Couperin le Grand groupées en « ordres », ou à la prodigieuse invention des œuvres de Jean-Philippe Rameau. Ces derniers clavecins se caractérisent essentiellement par la somptuosité de leur grave, le moelleux du médium et la brillance parfois agressive de leurs aigus. Ils ne sont absolument pas « polyphoniques » et l'interprétation d'œuvres allemandes y est parfois problématique. Par contre, la musique française pour clavecin se montre toujours en parfaite adéquation avec le type d'instrument qui l'a vue naître.

Le ravalement des clavecins flamands
Les clavecins anversois ont été prisés, de tout temps, loin de leur pays et particulièrement en France. À la fin du xviie siècle, leur étendue s'avère trop restreinte et leur ancienne mécanique a du mal à rivaliser avec les claviers neufs parisiens. Les facteurs de la capitale agrandissent donc le vieil instrument tout en conservant la majeure partie des bois originaux, cause de ce timbre si recherché. Le clavecin est totalement mis en pièces, élargi et rallongé, les chevalets et sillets prolongés sont redivisés pour correspondre à la mesure de l'octave française, plus étroite que celle des Flandres. L'ensemble de la décoration est soit simplement retouché, soit entièrement refait au goût du jour. La mécanique (claviers, registres, sautereaux) est refaite à neuf selon l'étendue de la « musique nouvelle », et l'instrument plus que centenaire recommence une nouvelle vie sous le nouveau vocable de « Rückers-Blanchet » ou « Rückers-Taskin » ! Il y a, certes, différents degrés dans l'ampleur de ces reconstructions et certains instruments sont « ravalés » plusieurs fois. Cette opération, extrêmement coûteuse puisqu'elle s'élève au prix d'un bon clavecin neuf, devient la spécialité de certains facteurs parisiens qui y déploient une habileté diabolique. Ceux-ci proposent même parfois des « clavecins contrefaits de Flandres », totalement neufs mais qui ont l'honnêteté de se présenter comme tels ! C'est ainsi que les « petites affiches » de 1769 ont proposé « un clavecin du célèbre Goujon, tenant l'accord deux ans ( !), ayant pour titre Rückers, les claviers sont de Blanchet… ».
Ces pratiques ne parviennent pas à sauver « le royal et majestueux clavecin » de Balbastre d'une disparition certaine, alors que « le nouveau venu, cet instrument de chaudronnier » que fustige Voltaire fait peu à peu la conquête des cœurs et des esprits : ici commence l'histoire du piano.

La facture anglaise
Le style propre de la facture de clavecins en Angleterre ne s'affirme réellement qu'au cours du xviie siècle. Jusque-là coexistent, comme sur le continent, des instruments d'esthétique flamande ou italienne. C'est l'époque où tout instrument à sautereaux, quel qu'il soit, grand ou petit, reçoit l'appellation générique de virginal. Ce peut être un petit instrument à un rang de cordes du type rectangulaire comme à Anvers, ou bien de plan polygonal comme en Italie, comme cet instrument dit « de la reine Élisabeth » conservé au Victoria and Albert Museum de Londres. Ce terme peut aussi désigner un grand clavecin à un ou deux claviers ; ce dernier est souvent nommé dans les inventaires « a pair of virgynalles ». Les musicologues ont nommé cette époque féconde en œuvres pour clavier le siècle des « virginalistes », créant ainsi une confusion qui risque de conduire les interprètes à utiliser exclusivement de petits instruments pour les œuvres admirables d'un Orlando Gibbons, d'un John Bull ou d'un William Byrd.
Un « claviorganum » ­ combinaison d'un clavecin et d'un orgue ­ de 1579 construit par un Flamand installé à Londres, Lodewijck Theewes, nous permet de constater une légère dérive par rapport aux modèles anversois typiques. L'étendue est plus grande (quatre octaves chromatiques, de ut à ut), et la disposition comporte déjà trois rangs de cordes (2 X 8' + 1 X 4'). La structure de l'instrument reste cependant très « flamande ». À l'opposé, un clavecin de 1622, dû au facteur John Haward, révèle un plan directeur italien avec ses structures légères et sa courbe très prononcée. Le matériau est cependant typiquement britannique puisqu'il s'agit d'un instrument entièrement construit en chêne, à l'exception de la table d'harmonie, bien sûr. Son étendue dépasse les quatre octaves (de ut à mi chromatique, ou de sol à mi avec l'octave courte) mais sa disposition est inconnue.
Un instrument de transition construit en 1683 par Carolus Haward achève de nous dérouter. Son plan est articulé autour d'un module de cordes extrêmement court (257 mm pour l'ut de 1') et sa disposition ne comporte que deux 8'. Trois particularités signalent ce clavecin : l'éclisse courbe est raccordée à l'échine par une « contre-courbe », la caisse est construite entièrement en noyer, et l'on note pour la première fois l'emploi d'un rang de sautereaux séparé, pinçant un des 8' très près du sillet : le « lute stop » ou jeu nasal.
Il faut attendre l'établissement à Londres de deux émigrés pour voir la facture anglaise prendre un essor inouï. Le premier, Burkat Shudi (1702-1773) est d'origine suisse alors que le second, Jacob Kirkman (1710-1792) est né près de Strasbourg, à Bischwiller. Tous deux vont rationaliser la fabrication des clavecins au point d'imposer leur style pendant tout le xviiie siècle. Respectivement créés en 1730 et 1738, leurs ateliers bénéficient de cette révolution dans le travail artisanal qui naît à cette époque et qui prépare la grande révolution industrielle de l'Angleterre. Les clavecins ne sont plus élaborés un à un dans le secret des ateliers, avec chacun leur identité propre, mais au contraire à partir de modèles standards pratiquement immuables, reproduits identiquement par le moyen de la fabrication en série. On estime à environ deux mille clavecins la production totale des deux firmes sur une période de cinquante ans. Elle se répartit en clavecins à un clavier et à deux claviers en proportion à peu près égale. Trois modèles de base sont régulièrement fabriqués dans ces ateliers :
­ clavecins à 1 clavier à 2 X 8' ;
­ clavecins à 1 clavier à 2 X 8' + 1 X 4' ;
­ clavecins à 2 claviers : 2 X 8' + 1 X 4' + lute stop.
L'aspect en est puissant et le seul décor de la caisse est le chatoiement des bois de placage, acajou et noyer, disposés « en panneaux » délimités souvent par des filets de buis. Aucune peinture n'orne le couvercle ni la table d'harmonie. Le clavier reproduit la disposition actuelle des touches du piano, marches plaquées d'ivoire, feintes en ébène. La structure de la caisse en sapin et en chêne est d'une grande complexité. Elle tente d'opposer à la tension continue des cordes une charpente rigide et très lourde merveilleusement exécutée mais souvent dépourvue d'efficacité : en effet, les instruments anciens de ce type sont souvent considérablement déformés. L'épaisseur des matériaux employés est souvent plus importante qu'en France à la même époque et le timbre de ces instruments est très soutenu et très rond. Il lasse l'auditeur assez rapidement par un excès de somptuosité dans le timbre et un manque de contraste entre les deux 8'. Ceci conduit sans doute les facteurs à généraliser le jeu nasal, ce « lute stop » qui est souvent utilisé en jeu contrastant, en de brusques oppositions avec le plenum, oppositions facilitées par le « machine stop », mécanisme de changement rapide des jeux commandé au pied ou à la main. En 1769, Burkat Shudi prend un brevet pour un dispositif composé de lattes d'acajou articulées, placées au-dessus des cordes et venant obturer la table d'harmonie au moyen d'une pédale commandée progressivement par le pied du musicien. Ces « jalousies » (venetian swell) autorisent de relatifs crescendo qui ne suffisent pas à sauver l'instrument au tournant du xixe siècle. En 1809, les ateliers de Kirkman construisent leur dernier clavecin.
Le travail des nombreux facteurs de clavecins anglais a été admirablement mis en valeur à diverses époques par une pléiade de musiciens comptant parmi les plus importants de leur temps. En premier lieu, les « virginalistes » dont les œuvres ont vu le jour entre 1550 et 1620 environ et que nous connaissons grâce à deux recueils importants, le Parthenia or the Maydenhead et surtout le Fitzwilliam Virginal Book, collection comprenant près de trois cents pièces. Trois grandes figures émergent de cette gigantesque compilation des différentes formes d'écriture pour le clavier en usage à cette époque : celles de William Byrd (1543-1623), musicien universel, de John Bull (1562-1628), le plus savant de tous et le plus attaché aux timbres instrumentaux, et surtout de Giles Farnaby (1565-1640), le plus profondément original. On note l'absence curieuse dans le Fitzwilliam Virginal Book d'œuvres du célèbre Orlando Gibbons (1583-1625), considéré à son époque comme l'un des plus grands. À ces suites de danses (pavanes, gaillardes, allemandes) s'enchaînent des œuvres de musique « pure », plus abstraites, telles que les variations sur un thème, les fantaisies (fancy) et ricercari. John Morley et Martin Peerson complètent cette liste de musiciens qui ont contribué à l'éclat des règnes d'Élisabeth Ire et de Jacques Ier. Il faut attendre ensuite Matthew Locke (1630-1677), John Blow (1649-1708) et surtout Henry Purcell (v. 1659-1695) qui adapte au caractère anglais la « suite » du continent, composée d'une succession de danses groupées dans un ordre défini. Les suites importantes pour clavecin écrites par Georg Friedrich Haendel (1685-1759) marquent un sommet dans la suite instrumentale que les œuvres de Thomas Arne (1710-1778), le dernier des clavecinistes anglais, ne parviendront pas à éclipser. Le clavecin anglais de la seconde moitié du xviiie siècle s'adresse alors plus spécialement aux sonates romantiques allemandes d'un Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), d'un Wilhelm Friedemann Bach (1710-1784) et surtout convient admirablement à l'exécution des sonates pour clavier de Joseph Haydn. Déjà à cette date, la frontière est mouvante entre les œuvres spécifiquement écrites pour le clavecin et celles pensées pour le piano-forte.

La facture allemande
C'est en Allemagne que naît le terme de « clavicymbalum », dans un poème de 1404. Ceci suppose une connaissance de cet instrument, sinon une pratique régulière du métier de facteur de clavecins. Dès le début du xvie siècle, sont publiés de nombreux traités musicaux où figurent déjà tous les représentants de la famille des instruments à clavier à cordes pincées. Le premier ouvrage, le Musica Getutscht de Sébastien Virdung, est publié à Bâle en 1511. Il est suivi par les ouvrages de Martin Agricola (Musica Instrumentalis Deutsch, Wittenberg, 1528), et Othmar Luscinius (Musurgia seu Praxis Musicae, Strasbourg, 1536). Malgré l'imprécision des gravures ornant ces traités, on peut cependant déduire que l'étendue habituelle était comprise entre 38 et 40 notes, en partant du la ou du si au grave. L'échelle des illustrations suppose un accord en quatre pieds (une octave plus haut que la normale). Là encore, nous ne nous éloignons pas du schéma « bourguignon » de Henri Arnaut de Zwolle. C'est pour de tels instruments qu'écrivent des musiciens tel Conrad Paumann (1410-1473) dont le Fundamentum Organisandi de 1452 n'est pas strictement réservé à l'usage des organistes. Aux xvie et xviie siècles, subsistent, dans les pays germaniques, des instruments de type italien ou flamand, sans qu'il soit possible de voir là une facture nettement individualisée. Force nous est de consulter les traités, car les instruments authentiques ne nous sont pas parvenus. Le plus important de ceux-là est la Syntagma Musicum, publiée de 1615 à 1620 par le compositeur et théoricien Michael Praetorius (1571-1621). Il nous décrit sept instruments en usage à son époque : trois de type « virginal », deux clavecins, un clavecin vertical monté de cordes de boyau et un claviorganum. Après Praetorius, survient une éclipse de plus d'un demi-siècle, due probablement aux conséquences économiques de la guerre de Trente Ans. De plus, les compositeurs des pays du Nord ont souvent préféré l'orgue comme moyen d'expression, plutôt que l'instrument à sautereaux. C'est d'ailleurs souvent un facteur d'orgues qui signe occasionnellement un clavecin, les attributions respectives des deux corps de métier étant encore floues. Au xviiie siècle, la facture allemande est dominée par deux écoles : celle de Hambourg (Allemagne du Nord) avec la dynastie des Hass (4 facteurs), Fleischer (3 facteurs) et Zell, et une école de l'Allemagne de l'Est et du Sud, géographiquement plus dispersée, dont les chefs de file sont Carl August Gräbner et surtout les Silbermann.
La facture hambourgeoise ­ et celle des Hass en particulier ­ représente une exception par rapport aux standards pratiqués à la même époque dans le reste de l'Europe. Ces particularités sont la multiplication des rangs de cordes (2', 4', 8' et 16'), du nombre de registres (jusqu'à 6 pour certains clavecins) et des claviers portés parfois au nombre de 3. Il faut sans doute voir là un reflet de la passion qu'éprouvent les musiciens allemands pour l'orgue. La disposition de ces instruments d'exception peut sembler extravagante si l'on songe que le clavier supérieur comporte (sur un exemple dû à Johann Adolph Hass daté de 1740) un jeu de 8' avec plectres en plume et seulement une « basse » de 2', sur 30 notes. Le clavier inférieur, lui, constitue un plenum imposant, avec, dans l'ordre, un 4', un 8' (plectres en cuir), un 16' (plectres en plume) et une basse de 2' de 44 notes cette fois-ci !

Le jeu de 16' dans les instruments historiques
Si l'on cherche attentivement des exemples anciens et authentiques de jeux de seize pieds au clavecin, il est évident que l'on en trouve quelques-uns, particulièrement en Allemagne du Nord, mais aussi en Alsace. Ces exemples ont toujours constitué des exceptions et le fait est toujours souligné comme dans cette annonce du Strassburger Gelherte Nachrichten de 1783 proposant la vente « d'un grand clavecin inhabituel, de Silbermann, sonnant en 16' ». Les Hass eux-mêmes, pourtant habitués à cette pratique, semblent en avoir pressenti les limites acoustiques. On ne peut, en effet, charger exagérément une table d'harmonie sans nuire à son rendement acoustique et obtenir ainsi un instrument assourdi et confus. Les instruments qui comportent ce jeu ont toujours été construits de manière particulière, avec chevalet et table séparés (Hass, Swannen) et ont été davantage considérés comme des clavecins d'apparat et de prestige que comme de véritables instruments de musique. Tous ces exemples sont, par ailleurs, très tardifs et la littérature qu'ils auraient pu servir est déjà très adaptée au piano-forte. Ce qui est certain, c'est que l'un des plus grands compositeurs de tous les temps, J. S. Bach, a forcément connu ces tentatives, car il était en contact permanent avec les plus grands facteurs de son temps. Il serait plus que hasardeux d'en déduire qu'il en appréciait le principe. D'ailleurs aucun des instruments lui ayant effectivement appartenu ne comportait de jeu de 16'.

L'école allemande de l'Est
En Saxe et en Thuringe s'est développée une école bien proche de la facture française. Les instruments à deux claviers ont la disposition habituelle 2 X 8' + 1 X 4', avec seulement un 8' au clavier supérieur. La simplicité mécanique est de règle, avec un accouplement « à tiroir » qui s'effectue parfois en faisant coulisser le clavier inférieur. Les clavecins de cette école sont d'une sobriété exemplaire, en comparaison avec leurs homologues hambourgeois : le bois de la caisse est souvent laissé à nu, qu'il soit de chêne comme dans les instruments de Carl August Gräbner (1749 – apr. 1796) ou de superbe noyer verni chez les Silbermann. Le timbre de ces clavecins est assez proche de celui des français, avec néanmoins un caractère polyphonique plus marqué, et des aigus moins agressifs. Leur rareté ne permet pas d'affirmer qu'ils servent mieux que d'autres la littérature écrite pour eux, qui est très abondante. Signalons pour mémoire les œuvres pour clavecin de Johann Kaspar Kerll (1627-1693), Johann Krieger (1651-1725), Delphin Strunck et Karlman Kolb (Certamen Aonium, 1733). Les pièces pour clavecin de Johann Peter Kellner (1705-1772), dont le Manipulus Musices a été publié en 1753-1756, sont beaucoup plus intéressantes et sont curieusement teintées d'italianismes annonçant l'éclosion prochaine de la forme sonate. Georg Philipp Telemann (1681-1767), toujours prolixe, a laissé un nombre très important de pièces pour clavecin, comportant des suites, plus de 20 fugues (1731) et ses curieux Dix-huit Canons mélodieux, sonates en duo publiées en 1738 à Paris. L'œuvre la plus importante de toutes est, sans conteste, celle de Jean-Sébastien Bach dont les suites (Suites anglaises, Suites françaises), les Variations Goldberg, les toccatas et partitas, le Concerto italien, les inventions et symphonies sont dans toutes les mémoires. Les préludes et fugues du Clavier ­ clavecin ? ­ bien tempéré de même que son Art de la fugue constituent des sommets inégalés. À l'inverse des musiciens français, J. S. Bach n'écrit pas une musique étroitement associée au timbre et au caractère du clavecin qui la traduit ; l'instrument est presque interchangeable, sans altération sensible du message musical. Seules quelques indications d'utilisation de deux claviers (Variations Goldberg, Concerto italien) signalent une exigence particulière de la part du compositeur. Au moins deux de ses fils ont laissé une trace durable dans la littérature tardive écrite pour le clavecin. Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), dans ses fantaisies et surtout ses Würtembergische Sonaten de 1744, tente de revitaliser par une invention nouvelle l'instrument vieux de trois siècles, avant de consacrer son art à l'emploi exclusif du piano-forte à partir de 1780. Son frère Johann Christian (1735-1782), sensiblement plus jeune, laisse le choix de l'instrument à l'exécutant dès la parution de son opus 5, constitué de Six Sonates pour le clavecin ou le piano-forte dédiées à S. A. S. le duc Ernest de Mecklembourg. Dualité d'un instrument moribond que ne pourra sauver de l'oubli l'intérêt de Félix Mendelssohn découvrant Bach et …le clavecin chez son maître Zelter.

La facture contemporaine
Après l'abandon presque unanime du clavecin vers 1780-1790 au bénéfice du piano-forte, le xixe siècle développe et perfectionne l'instrument qui correspond le mieux au goût de cette époque : le piano. Les anciens facteurs de clavecins qui ont échappé à la tourmente révolutionnaire se reconvertissent dans la fabrication et la vente du nouvel instrument. C'est l'époque où se créent les grandes manufactures de pianos. Quelques rares musiciens, cependant, n'oublient pas le clavecin et tentent de le faire revivre au cours de concerts « historiques » : Ignace Moscheles et Charles Salaman à Londres, Karl Engel en Allemagne et plus tard Louis Diemer en France. Quelques facteurs, généralement formés à la technique de construction du piano, entretiennent ou « restaurent » les clavecins les moins moribonds. Un exemple assez unique est représenté par Louis Tomasini, ancien technicien du piano, qui va même jusqu'à copier des instruments de Henri Hemsch vers 1885. En 1882, la famille Taskin confie à Tomasini la restauration du clavecin familial construit en 1769 et, à cette occasion, la firme Érard, réputée pour la qualité de ses pianos, est autorisée à en dresser un plan complet. Ce relev&

 
 
 
 

GUERRE FROIDE

 

 

 

 

 

 

 

guerre froide


État de tension qui opposa, de 1945 à 1990, les États-Unis, l'URSS et leurs alliés respectifs qui formaient deux blocs dotés de moyens militaires considérables et défendant des systèmes idéologiques et économiques antinomiques.

Données générales
Un monde bipolaire. La guerre froide présente deux caractéristiques principales. Premièrement, elle oppose deux très grandes puissances, les États-Unis et l'URSS, dotées de vastes territoires et de moyens militaires considérables, affirmant des valeurs idéologiques incompatibles et fondées sur des systèmes économiques antinomiques.
Cette situation a pour conséquence un effet de bipolarisation dans la mesure où chacun des adversaires attire dans sa sphère d'influence les États moins puissants. Bien que ce phénomène affecte surtout l'Europe, enjeu principal, il se répercute également sur le processus de décolonisation puis sur les affrontements régionaux qui se développent dans le tiers-monde.
Un conflit indirect. Deuxièmement, dès 1949, ces deux puissances disposent de l'arme nucléaire, d'abord à fission (bombe A) puis à fusion (bombe H), et, dans les années suivantes, de vecteurs balistiques pouvant transporter cette arme sur des distances intercontinentales (environ 8 000 km).
Cette situation nouvelle, dans la mesure où elle crée pour chacun le risque de devoir subir des dommages intolérables, sans aucune commune mesure avec les capacités de destruction connues jusqu'alors, interdit que l'on recoure à la guerre directe pour dénouer la rivalité. En revanche, les manœuvres indirectes (guerres périphériques par alliés interposés), les affrontements économiques (usure du système adverse) et politico-idéologiques (guerre psychologique) prennent une importance accrue. On distingue trois périodes dans la guerre froide.
1. Engagement et formation des blocs (1945-1962)
1.1. La rupture des équilibres traditionnels en Europe
La suprématie soviétique en Europe
La défaite de l'Allemagne au centre de l'Europe, l'effondrement de la France et l'affaiblissement du Royaume-Uni à son extrémité occidentale créent, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une rupture des équilibres traditionnels sur le continent. En dépit des immenses destructions qu'elle a subies, l'Union soviétique manifeste désormais une écrasante suprématie. Ayant gagné 600 000 km2 en Europe, elle dispose, à l'été de 1946, d'une armée de 100 divisions, soit 4 millions d'hommes, et de 6 000 avions, tandis que les Anglo-Saxons procèdent à la démobilisation rapide de leurs forces et à la reconversion des industries de guerre.
La doctrine américaine de l'endiguement
En mars 1946, dans le discours de Fulton, dit « du rideau de fer », le « vieux lion » britannique Churchill met en garde contre le risque de domination communiste sur une Europe dont la division s'aggrave. On assiste, en effet, à une succession de crises d'intensité croissante (Iran, Turquie, Grèce) et à la mise en place de régimes procommunistes dans les pays d'Europe orientale occupés par l'Armée rouge. Ces faits conduisent le nouveau président des États-Unis, Harry Truman, à réviser la traditionnelle politique isolationniste des États-Unis et à adopter une stratégie (doctrine Truman, mars 1947) à laquelle le diplomate George Kennan qui en est l'inspirateur donne le nom d'« endiguement » (containment).
Dans cette logique, en juin 1947, le général Marshall, secrétaire d'État américain, annonce un plan d'aide pour tous les pays européens qui en feront la demande, proposition que les régimes soumis à Moscou sont contraints de refuser.
1.2. Formation et confrontation des deux blocs (1947-1953)
Poussée communiste, inquiétudes à l'Ouest : la formation des deux blocs (1947-1949)


La division du monde en deux blocs engagés dans une lutte sans merci est solennellement énoncée par le délégué soviétique Jdanov lors de la réunion de formation du Kominform (bureau d'information des partis communistes) à Szklarska Poręba en Pologne, le 22 septembre 1947.
Ce que l'on a appelé le « coup de Prague » de février-mars 1948 – le parti communiste s'empare du pouvoir faisant basculer le dernier régime démocratique d'Europe centrale, et la Constitution du 9 mai 1948 fait de la Tchécoslovaquie une démocratie populaire – suscite une très vive inquiétude chez les Européens de l'Ouest et conduit d'abord à la formation du pacte de Bruxelles (mars 1948) puis à l'engagement de pourparlers en vue d'une alliance défensive avec les États-Unis.
Le blocus de Berlin (juin 1948-mai 1949) aggrave la tension et favorise la conclusion rapide du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) en avril 1949. La formation, la même année, de deux États allemands antagonistes achève d'entériner la division de l'Europe et l'impossibilité de donner à la guerre une conclusion juridique acceptable.
Enfin, la victoire des communistes chinois sous la direction de Mao Zedong, à l'automne de 1949, et l'attaque, en 1950, de la Corée du Sud par le leader communiste de la Corée du Nord, Kim Il-sung, confèrent au conflit sa dimension intercontinentale.
À la recherche d'une défense occidentale commune (1950-1953)


La probabilité d'une agression en Europe paraît augmenter d'autant. La politique de défense des États-Unis prend sa forme définitive dans la directive de sécurité nationale de 1950 (NSC-68), élaborée par le haut fonctionnaire américain Paul H. Nitze, qui fixe comme objectif la dissuasion par l'acquisition de la supériorité à tous les niveaux.
Or, il apparaît à la conférence de Lisbonne, en 1952, que, en l'absence d'une armée allemande, l'OTAN n'est pas réellement en mesure de faire face à une attaque soviétique massive. Cela conduit les États-Unis à soutenir le projet français de Communauté européenne de défense (CED). Mais l'hostilité, en France même, à l'égard du réarmement allemand est telle que le plan ne verra jamais le jour. Il en résulte que les États-Unis prennent en 1953 la décision d'introduire sur le théâtre européen des armes nucléaires tactiques capables d'interdire les fortes concentrations de troupes nécessaires pour une attaque d'envergure.
1.3. L'échec de la coexistence pacifique (1953-1962)


La mort de Staline en 1953 n'apporte aucune accalmie dans la guerre froide. En dépit de l'évacuation de l'Autriche par l'URSS pour prix d'une avantageuse neutralité (1955), en dépit aussi des déclarations, en 1956, du dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev sur la coexistence pacifique, rien ne vient concrétiser une réelle détente.

« Représailles massives » et pacte de Varsovie


En janvier 1954, le chef du département d'État, John Foster Dulles, énonce la doctrine dite « des représailles massives », qui prévoit l'engagement de toutes les forces nucléaires américaines en cas d'agression soviétique contre les États-Unis et leurs alliés.
En outre, la création d'une armée ouest-allemande (→ Bundeswehr) étroitement intégrée dans l'OTAN provoque la formation par les Soviétiques de l'Organisation du pacte de Varsovie en 1955. L'échec des deux conférences de désarmement de Genève en 1955 puis l'intervention soviétique à la fin de 1956 en Hongrie (→ insurrection de Budapest) accroît fortement l'anxiété des États-Unis, alors que l'URSS annonce bientôt, en 1957, la mise en orbite du premier satellite artificiel, Spoutnik.
Le territoire américain ayant cessé d'être totalement à l'abri d'une frappe nucléaire adverse, les États-Unis intensifient la production d'armements nucléaires et de vecteurs (fusées, sous-marins, bombardiers) capables de les emporter.
Au risque de la crise



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Dans ce contexte où chacun teste les capacités de l'autre, Berlin devient un point de crispation : Khrouchtchev réclame d’abord dans les six mois l’intégration de la ville à la RDA ou son érection en ville libre sous contrôle de l’ONU, puis, devant l’enlisement des négociations, fait élever le « mur de la honte » entre les deux parties de la ville en août 1961 (→ mur de Berlin), mais renonce de ce fait à son projet d’annexion ; enfin, le président John Fitzgerald Kennedy vient, en juin 1963, exprimer sa solidarité avec les Berlinois par son fameux discours : « Ich bin ein Berliner ! ».
Cette deuxième crise de Berlin (1958-1963) et la crise de Cuba (septembre 1962) se situent dans la perspective de cette compétition où il s'agit de pousser le plus loin possible ses pions jusqu'à rencontrer les limites que son adversaire a décidé de fixer, dans un mélange d'audace exploratoire et de prudence – en témoigne la correspondance entre Khrouchtchev et Fidel Castro de septembre 1962 (publiée en 1990).
2. Stabilisation et codification de l'affrontement (1963-1978)
Tandis que la cohésion des blocs est elle-même partiellement remise en question (conflit sino-soviétique, sortie de la France du commandement intégré de l'OTAN), cette deuxième période de la guerre froide se caractérise par la combinaison de deux types d'entreprises différentes qui s'affectent mutuellement. Au niveau central, une communication étroitement bilatérale s'instaure entre les deux Grands, tandis qu'à la périphérie se développe une compétition violente, bien qu'indirecte.
2.1. Une prudente coopération au sommet
Téléphone rouge et doctrine de la riposte graduée
La mise en place d'un « téléphone rouge » (liaison directe par télex) entre la Maison-Blanche et le Kremlin ne fait pas cesser la course aux armements (développement des Polaris américains et des missiles sol-sol soviétiques). Néanmoins, elle matérialise la volonté d'entretenir une communication non seulement en cas de crise, mais afin de prévenir une confrontation directe qui impliquerait un risque d'utilisation des armes nucléaires.
Le traité de limitation des essais nucléaires de 1963 puis celui relatif à la non-prolifération des armes nucléaires (1968) témoignent de l'existence d'un intérêt commun minimal, mais qui n'exclut nullement la compétition. Cette ambiguïté apparaît dans la nouvelle doctrine de l'OTAN, officiellement adoptée en 1968 et dite « de la riposte graduée » (flexible response) : il s'agit de maintenir l'incertitude quant au risque d'escalade d'une guerre conventionnelle qui éclaterait en Europe et évoluerait en une guerre nucléaire.
Les négociations au sommet


Vienne, Helsinki, Stockholm deviennent à partir de 1965 des lieux de rencontres régulières où se préparent les sommets entre les deux Grands. Si certaines de ces négociations s'enlisent durablement, comme les MBFR (Mutual Balanced Forces Reduction), d'autres aboutissent. C'est le cas pour les SALT (Strategic Arms Limitation Talks), qui limitent les vecteurs balistiques porteurs d'armes nucléaires, et le traité ABM (Anti Ballistic Missiles), qui fixe à deux le nombre de sites défensifs sur le territoire de chacune des deux parties – accords imparfaits, partiels et temporaires qui visent à réguler le développement des armes plus qu'à les supprimer.
D'autres négociations visent à réduire les risques de conflit nucléaire, particulièrement sur le théâtre majeur de la confrontation, l'Europe (accord quadripartite sur Berlin de septembre 1971 et accord de juin 1973 sur la prévention de la guerre nucléaire). La Conférence d'Helsinki sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), constitue, en août 1975, une sorte de point d'orgue de ces manœuvres, qui donnent le sentiment que l'on entérine un statu quo préférable à des remises en cause trop dangereuses.
2.2. Vive compétition à la périphérie et répercussions au sommet


Il en va tout autrement sur les périphéries, en Asie du Sud-Est, au Moyen-Orient, en Afrique, où se développe sous des formes variées une compétition violente par alliés interposés auxquels chacun apporte une assistance plus ou moins importante. Et cela peut aller jusqu'à un engagement unilatéral direct, comme au Viêt Nam pour les Étas-Unis (→ guerre du Viêt Nam).
Mais les résultats enregistrés sur la périphérie ont nécessairement des répercussions au niveau central. Et si les répercussions sont trop fortes, c'est l'ensemble de la relation qui finit par se transformer.
Or, à la fin de 1973, les États-Unis sont affectés par leur défaite au Viêt Nam et l'ébranlement politique intérieur causé par l'affaire du Watergate et la démission de Richard Nixon. L'affaiblissement américain résultant de cette conjugaison devient trop important pour ne pas remettre en question l'équilibre fragile qui s'était établi.
Le repli américain s'accompagne d'un développement extensif de la puissance militaire soviétique, qui culmine avec le déploiement des missiles balistiques SS-20 en Europe (1977) et l'invasion de l'Afghanistan (décembre 1979), tandis que la chute du chah d'Iran (janvier-février 1979) aggrave encore le recul de la position américaine.
3. Intensification et dénouement (1979-1991)
3.1. Le retour à une phase de tension aiguë (1979-1985)
La contre-offensive américaine


Le refus du Congrès américain de ratifier le traité SALT II, signé en juin 1979 par Leonid Brejnev et Jimmy Carter, la relance des programmes de modernisation des forces nucléaires stratégiques des États-Unis et l'embargo céréalier à l'encontre de l'URSS marquent le début d'une très forte dégradation des relations entre les deux Grands et la relance des tensions bloc à bloc.
L'OTAN proclame en décembre 1979 son intention de riposter au déploiement des SS-20 soviétiques par l'installation en Europe occidentale de missiles Pershing II. Dès janvier 1980, le président Carter affirme le caractère vital du golfe Persique pour les États-Unis et leur détermination à s'y porter en force au cas où une puissance extérieure chercherait à en prendre le contrôle à son profit. L'arrivée à la présidence de Ronald Reagan (janvier 1981) ouvre une phase nouvelle, la stratégie américaine visant désormais à reprendre une initiative perdue depuis plus de cinq ans.
Des déclarations belliqueuses de part et d'autre


Le gouvernement américain développe une rhétorique agressive contre « l'empire du Mal » qui vise à la fois à réactiver l'anticommunisme américain et à impressionner l'adversaire par la démonstration de sa conviction. De nouvelles dispositions stratégiques renforcent la directive présidentielle 59 du président Carter en insistant sur la capacité de mener victorieusement une guerre nucléaire. À quoi la propagande soviétique répond par des accusations de bellicisme et d'irresponsabilité contre les États-Unis, dont « la politique d'agression menace de pousser le monde dans le jeu de la guerre nucléaire » (discours de L. Brejnev, octobre 1982, peu avant sa mort).

Aspects économiques et stratégiques


L'embargo, peu efficace et contraire aux intérêts américains, est rapidement levé. En revanche, l'administration Reagan réactive les organismes chargés de la surveillance des transferts de technologies sensibles, tel le COCOM, et s'en prend avec virulence aux sociétés européennes, singulièrement françaises, dont les activités commerciales favoriseraient le développement des technologies de pointe soviétiques (affaire du gazoduc euro-sibérien).
C'est à ce niveau de confluence entre économie, savoir-faire technologique et stratégie que les États-Unis font porter leur effort. L'initiative de défense stratégique (IDS) – programme connu sous le nom de « guerre des étoiles » – vise ainsi à placer l'Union soviétique devant une impasse : renoncer à faire jeu égal avec les États-Unis ou s'épuiser économiquement afin de rattraper son handicap dans la course technologique. Cette inflexion s'appuie sur un important redressement des dépenses militaires américaines entre 1979 et 1983.
Aspects diplomatiques et militaires
Même si les négociations ne sont interrompues que durant peu de temps (fin de 1983-fin de 1984), la tension monte considérablement durant l'année 1983 tant sur le théâtre principal européen, fortement agité par la crise des euromissiles, que sur les périphéries.
Les États-Unis interviennent violemment, en octobre 1983, à la Grenade (Caraïbes) pour prévenir l'établissement d'un régime procastriste ; partout dans le monde, ils soutiennent les guérillas anticommunistes (Nicaragua, Afghanistan, Mozambique). Après la destruction par l'armée de l'air soviétique d'un Boeing civil sud-coréen, la tension à l'Est devient extrême lors des manœuvres de l'OTAN de l'automne 1983.
3.2. Relâchement et fin de la guerre froide (1985-1990)
Retour à une attitude prudente (1985-1988)


Sur fond de grave crise économique intérieure, l'ensemble de ces données convainquent Mikhaïl Gorbatchev, qui dirige l’Union soviétique à partir de 1985, qu'il est temps de revenir à une forme de compétition stabilisée, ce qui ne signifie pas encore la fin de la guerre froide.
Entre 1985 et 1988, il est clair que l'URSS recherche de nouveau les voies d'un accommodement et à se désengager d'entreprises militairement indécises et ruineuses, moralement et économiquement, mais rien n'indique que les Soviétiques renoncent à se poser en rivaux des États-Unis. Lors des négociations sur les forces nucléaires de portée intermédiaire (FNI) stationnées en Europe, chacune des deux parties tente, comme à l'accoutumée, d'obtenir les gains maximaux par rapport à l'enjeu européen et de placer l'adversaire en situation délicate par rapport à son propre camp.

Dénouement (1989-1990)


La fin de la guerre froide, qui n'est pas comparable à une fin de guerre traditionnelle, doit être considérée dans une double perspective : d'une part, ses manifestations et, d'autre part, l'enchaînements des causes.
Les manifestations sont discernables entre novembre 1989 (démantèlement du mur de Berlin) et le 12 septembre 1990 (signature du traité d'unification allemande).
Le communisme s'effondre en Europe orientale et entre en crise grave en URSS même. Concrètement, la situation géostratégique issue de la Seconde Guerre mondiale, qui faisait du centre de l'Europe une base de départ pour les armées soviétiques, disparaît. En avril 1991, la dissolution de la composante militaire du pacte de Varsovie entérine un état de fait.
Pourquoi la fin de la guerre froide ?
Le bouleversement qui se manifeste ainsi en Europe est plus délicat à expliquer. Il est lié à la fois à la politique gorbatchévienne de perestroïka (restructuration) et à son échec, qui l'engage plus loin que ce qui, au départ, était envisagé. Il est également lié au comportement des forces politiques dans les pays de l'Est, qui se sont précipitées vers l'émancipation totale sans laisser le temps aux partis communistes d'opérer une reconversion.
Il s'explique enfin par la pression exercée sans relâche sur le long terme et au coup par coup par les États-Unis et leurs alliés afin de contenir puis de réduire les capacités d'extension du système communiste.
La stratégie de « containment », définie en 1947, aura donc mis plus de quarante années pour atteindre ses objectifs, laissant une Union soviétique, toujours surarmée, s'enfoncer dans la crise économique tandis que son unité politique et nationale paraît gravement compromise.
L'apparition brutale, au début du xxie siècle, du terrorisme sur la scène politique internationale rend difficile d'envisager avec certitude ce que sera durablement le monde de l'après-guerre froide ; on peut cependant affirmer que l'affrontement idéologique qui a opposé les deux blocs pendant près d'une cinquantaine d'années a contribué à la désagrégation des empires coloniaux et à l'émancipation de l'Asie et de l'Afrique – ce qui suffit à en faire, au regard de l'histoire, l'un des phénomènes majeurs de la seconde moitié du xxe siècle.

 

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ROME ANTIQUE

 

 

 

 

 

 

 

Rome antique (entre 264 et 27 avant J.-C.)


Histoire de Rome, de la conquête du bassin méditerranéen à la fin de la République.

Pour en savoir plus, voir également les articles Rome antique (jusqu'en 264 avant J.-C.), Rome : l'Empire romain (27 avant J.-C.-476 après J.-C.).
Après avoir conquis l’Italie, Rome est amené à intervenir de plus en plus loin à travers le bassin méditerranéen, jusqu’à en assurer le contrôle intégral, à la fin du ier siècle avant J.-C. Mais cette expansion bouleverse tout l’équilibre de la cité-État primitive, qui peine à s’adapter à cette nouvelle échelle. Il en résulte, à la fin du iie siècle, une crise grave qui va déboucher sur la chute de la République, en 27 avant J.-C.

1. La conquête du bassin méditerranéen

1.1. L’essor de l’impérialisme

Le passage de Rome du niveau italique à l'échelon méditerranéen amène d'autres conséquences : un esprit impérialiste naît progressivement. Il n'acquiert toute son ampleur que vers 200 avant J.-C. Jusque-là, Rome n'a pas été libre de refuser le combat. Il lui fallait vaincre ou périr. Ensuite, l'ambition et l'avidité l'emportent. L'aristocratie politique est la première intéressée. C'est un petit cercle de sénateurs qui décide de la guerre. Ce petit groupe social organise sa structure oligarchique, freinant les ascensions trop rapides et partageant au mieux les honneurs (lex Villia annalis, de 180 avant J.-C., organisant le cursus honorum, carrière réglementaire des magistratures). En dessous des sénateurs, les chevaliers, qui s'organisent en une classe équestre, ont aussi des intérêts convergents en politique extérieure. Parmi eux se recrutent les hommes d'affaires, qui, surtout après la deuxième guerre punique, opèrent au loin et précèdent même l'invasion militaire. L'historien grec Polybe (vers 200-121 avant J.-C.) n'hésite pas à dire que la politique romaine est commandée par la finance.

1.2. Les guerres puniques (264-146 avant J.-C.)
La première guerre punique (264-241 avant J.-C.)
Rome n'est cependant pas ce qu'on pourrait appeler une « oligarchie marchande ». Mais ses intérêts sont tels que la présence, face à elle, d'un puissant État répondant à cette définition représente un danger. Il s'agit de Carthage, dont l'empire maritime s'étend sur la Méditerranée occidentale. Le conflit est inévitable. Il éclate à propos de la Sicile, où les Carthaginois (ou Puniques) sont solidement implantés et où Rome souhaite s'établir. C'est la première guerre punique qui contraint les Romains à construire une flotte de guerre et les rend maîtres de la Sicile, de la Corse et de la Sardaigne.
L'extension de l'influence romaine (241-218 avant J.-C.)
Ce conflit provoque aussi l'extension de l'influence romaine. Un enchaînement de circonstances fait naître l'inquiétude chez les Celtes d'Italie du Nord : leur offensive échoue, et la colonisation de la plaine du Pô (Gaule cisalpine, dans le nord de l'actuelle Italie) s'amorce alors (218 avant J.-C.). Des difficultés avec les pirates illyriens ont entraîné la création d'un État vassal en Dalmatie, sur la côte est de l'Adriatique (225 avant J.-C.). Rome commence aussi à entrer en négociations avec l'Asie séleucide et l'Égypte lagide.
Deuxième et troisième guerres puniques (218-146 avant J.-C.)


Hannibal
La deuxième guerre punique (218-201 avant J.-C.), ou guerre d'Hannibal, paraît résulter de l'esprit revanchard de quelques Carthaginois. Hannibal est bientôt en Italie, où plus d'une cité abandonne la cause romaine, dont Capoue après l’écrasante victoire d’Hannibal à Cannes (216). Rome tremble et doit faire appel à toutes ses ressources : hommes (y compris esclaves et prisonniers), vivres, faveurs divines. Les mines d'argent d'Espagne sont un autre enjeu de la guerre.
image: http://www.larousse.fr/encyclopedie/data/images/1008862-Scipion_lAfricain.jpg

Rome, victorieuse après la bataille de Zama (202) grâce à Scipion l'Africain, domine une partie de l'Espagne et bientôt la plaine du Pô et toute la Sicile. L'Italie est plus soumise que jamais.
Mais Carthage, vaincue, survit. C'est la troisième guerre punique qui aboutit, grâce à la victoire de Scipion Émilien, à son anéantissement (146 avant J.-C.) et à la création d'une province romaine d'Afrique.
Pour en savoir plus, voir l'article guerres puniques.
1.3. La conquête de l'Orient
Les origines de la conquête


Dès avant ces derniers événements, Rome a commencé à intervenir dans les pays grecs. On a prétendu, les Anciens les premiers, que ces guerres étaient défensives. On a pu, de même, alléguer un sentiment philhellène qui aurait poussé à l'intervention pour défendre la « liberté des Grecs ». Mais le prétexte est commode. La vérité semble résider dans l'impérialisme sénatorial (formulé par Manlius Vulso en 188 avant J.-C.), dans l'habitude prise des guerres victorieuses et du pillage, et dans l'engrenage d'une diplomatie tantôt susceptible, tantôt perfide. Le programme de conquêtes est élaboré a posteriori par des théoriciens. Les succès viennent non par hasard, mais grâce au déséquilibre des forces, qui défavorise les adversaires, et au sentiment de puissance et de supériorité qui inspire le sénat.

Déroulement (197-63 avant J.-C.)
La Macédoine est battue à Cynoscéphales en 197 avant J.-C. et à Pydna en 168 avant J.-C., la monarchie séleucide à Magnésie du Sipyle en 189 avant J.-C. Rome n'annexe pas toujours, mais crée des États vassaux. L'annexion suit quelques dizaines d'années plus tard. La Macédoine devient ainsi une province en 148 avant J.-C. La Grèce est occupée, et Corinthe est rasée en 146 avant J.-C., l'année où Carthage subit le même sort. Le dernier roi de Pergame, Attalos III, lègue en 133 avant J.-C. son royaume à Rome, qui l'annexe après y avoir réprimé des troubles sociaux. Au ier siècle avant J.-C., les progrès de Rome se poursuivent après les succès très éphémères du turbulent roi du Pont (nord de l'actuelle Turquie), Mithridate VI : Rome doit reconquérir la Grèce et l'Asie, puis occupe la Syrie et la Judée (64-63 avant J.-C.) grâce à Sylla et à Pompée.

1.4. Les progrès en Occident
La prise de possession de l'Espagne s'achève par de durs combats contre les autochtones, qui culminent au siège de Numance, prise par Scipion Émilien en 133 avant J.-C. L'Italie du Nord, ou Gaule cisalpine, est lentement pacifiée, et la conquête d'une partie des vallées alpines est entreprise. Le sud de la Gaule transalpine est occupé à partir de 125 avant J.-C., ce qui permet l'établissement de la via Domitia vers l'Espagne. Première colonie lointaine, Narbo Martius (Narbonne) donnera son nom à la province de Narbonnaise. L'établissement en Gaule donne à Rome l'occasion de prendre contact avec les premiers flots d'envahisseurs barbares venus du nord, Cimbres et Teutons, qui infligent d'abord de sérieuses défaites aux armées romaines (Orange, 105 avant J.-C.), jusqu'à ce que Marius rétablisse la situation et les fasse repartir (Aix-en-Provence, 102 ; Verceil, 101 avant J.-C.). Le même Marius, en battant le turbulent roi numide Jugurtha (105 avant J.-C.), étend la zone l'influence romaine en Afrique.
2. Les conséquences des conquêtes

2.1. Conséquence économique : un enrichissement spectaculaire
Les guerres ont pu être qualifiées de guerres coloniales. Sur certains peuples, ce sont des « victoires de la civilisation », c'est-à-dire de la culture matérielle la plus évoluée. Elles ont été menées avec la sauvagerie primitive, qui subsiste et à laquelle s'ajoute désormais le mépris à l'égard du Barbare. Lors de la reddition d'une ville, le massacre des combattants et la réduction en esclavage des populations restent la normale. On emporte ce qui a de la valeur et on anéantit le reste. Les indemnités de guerre et le butin permettent à l'État romain de prospérer, surtout entre 200 et 150 avant J.-C. Les objets d'art raflés en Grèce s'entassent : en 158 avant J.-C., il faut même débarrasser le Forum des statues qui l'encombrent.

2.2. Conséquences militaires
De l'armée de citoyens à l'armée de métier
Les profits de la conquête sont donc immenses. Le Romain n'éprouve plus le besoin de porter les armes : il préfère jouir des succès acquis. Dès 150 avant J.-C., on observe une nette désaffection à l'égard du service militaire. Marius entreprend une réforme de l'armée en récupérant les prolétaires, jusque-là dispensés, puisqu'ils n'avaient rien à défendre, à présent concernés, puisqu'ils sont intéressés au butin. Peu à peu, l'armée de métier va se constituer, à la place de l'armée de citoyens. Elle sera de règle sous l'Empire. Dans le même temps, l'armement tire parti de l'expérience des adversaires ; l'armée adopte le glaive espagnol, le bouclier ligure, l'artillerie des Grecs, comme elle reçoit l'appui de troupes auxiliaires étrangères : archers crétois, frondeurs baléares et cavaliers numides.

L'ascension des généraux victorieux
Les dieux ont, occasionnellement, leur part du butin, les soldats aussi et les chefs plus sûrement encore, et de plus en plus. Quinctius Flamininus, venu en Grèce en « libérateur », ne se gêne pas pour dépouiller les villes ; Caecilius Metellus orne ses constructions des statues prises au royaume de Macédoine : au triomphe de Paul Émile, on voit défiler 250 chariots remplis de statues et de tableaux. Le triomphe, ce vieux cérémonial romain au cours duquel le général victorieux (imperator) monte en cortège du champ de Mars au Capitole, pourvu des attributs royaux, la toge brodée d'or, le visage barbouillé de rouge, est l'occasion de déployer les résultats de la campagne : chars regorgeant de butin, prisonniers, chefs vaincus chargés de chaînes (et exécutés après la cérémonie). N'a droit au triomphe que celui qui a tué au moins 5 000 ennemis.
2.3. Conséquences sociales : la montée des inégalités
L'extension de l'esclavage
Les prisonniers deviennent ordinairement esclaves, et l'esclavage est à la fois la conséquence normale de la guerre et une institution indiscutée de l'Antiquité. Les victoires romaines peuplent Rome d'esclaves. Beaucoup sont grecs ou asiatiques. Ils introduisent leur culture avec eux. Certains sont des lettrés ou des artistes, dont la compétence est utilisée. Mais le « bon esclave », qui a rendu des services, qui a accumulé un pécule pour se racheter, peut être affranchi. Les affranchis se multiplient aux dépens des effectifs serviles, par eux-mêmes peu prolifiques. Or, une société esclavagiste a besoin de ces bras, qui sont sa source d'énergie essentielle. La guerre devient nécessaire au réapprovisionnement.
La question agraire
Une seule chose n'est pas ramenée dans les fourgons du vainqueur : la terre. Il faut aller l'occuper là où elle est. Et c'est l'un des éléments d'une émigration de l'Italie vers les autres contrées de l'Occident romain. La création de colonies se poursuit – inégalement selon les époques – et n'arrive pas à résoudre un problème agraire spécifiquement romain. Seuls les gros propriétaires ont surmonté les difficultés de la période des guerres ; ils étendent leurs domaines aux dépens des petits propriétaires, qui, évincés, grossissent les rangs des citadins, tout en plaçant leurs espérances dans la générosité de l'État.

L'essor des milieux d'affaires
Ce n'est pas le seul secteur où les conséquences des conquêtes favorisent les classes supérieures. L'exploitation des pays conquis se partage entre une classe dirigeante et une classe affairiste. La première envoie ses promagistrats dans ces pays : ceux-ci gouvernent les provinces, mais ils les exploitent pour leur propre compte. Ils constituent très vite de grosses fortunes par leurs concussions, pratiquement impunies. Les hommes d'affaires se rencontrent partout, mais surtout à Délos, grand marché des esclaves en même temps que foyer d'orientalisme, où Juifs et Égyptiens côtoient les Grecs et les Thraces. La perception des taxes imposées aux provinces est affermée à des sociétés financières dont les actions se négocient à la Bourse de Rome. Le transfert incessant d'argent de la province vers Rome va favoriser l'activité économique des pays soumis, aux dépens de la capitale.

2.4. Conséquences culturelles
L'influence de l'hellénisme
L'influence de l'hellénisme – sensible de longue date – prend alors des proportions énormes : « La Grèce vaincue a conquis son farouche vainqueur. » Elle a fait découvrir à Rome un art plus évolué, y a fait naître la littérature, lui a révélé la philosophie, et lui a amené d'autres dieux. Les sentiments des conquérants ont été divers : Lucius Mummius, le spoliateur de Corinthe, avertit les transporteurs d'œuvres d'art qu'en cas de perte ils devront les remplacer, alors que ses soldats jouent aux dés sur un tableau célèbre. Plus tard, Cicéron qualifie de puérile l'admiration des Grecs pour les chefs-d'œuvre de leur art. Mais l'esprit béotien, compatible avec l'esprit de rapine, n'empêche pas le goût de l'art de progresser insidieusement.

L'hellénisation de la culture romaine
De même, la prise de conscience de la place de l'hellénisme à Rome est progressive. Jusqu'au iiie siècle avant J.-C., la langue latine ne s'écrit pratiquement pas, que ce soit sur inscriptions ou sur papyrus. Vers 240 avant J.-C., un Grec de Tarente, Livius Andronicus, traduit des tragédies grecques en latin et adapte l'Odyssée. Puis, vers 200 avant J.-C., la fierté romaine des auteurs de la génération suivante se retourne contre l'hellénisme qui les a fait naître. Enfin, les conquêtes et le pillage font déferler l'hellénisme qui, après avoir été le propre de cercles cultivés (comme celui des Scipions), après avoir converti Caton l'Ancien, vieux Romain réactionnaire, se manifeste dans la vie de tous les jours par l'essor de la culture écrite dont pierres et murs deviennent les supports éloquents : sur les murs de Pompéi, le passant écrit des médisances aussi bien que les vers d'un grand poète.
Un révélateur : l'affaire des bacchanales (186 avant J.-C.)
L'affaire des bacchanales est assez significative de la manière dont les Romains ont su parfois s'intéresser à ce qui était le moins louable dans la vie grecque. Les bacchanales étaient des fêtes de Bacchus qui avaient vite pris la forme de réunions populaires clandestines et nocturnes autour desquelles gravitaient la débauche et le crime. Une enquête découvrit l'étendue de l'affaire et entraîna 6 000 condamnations. Il ne manqua pas d'autres sociétés de ce genre, mystiques ou frénétiques, qui, peut-être inoffensives, inquiétaient pourtant les tenants de la religion traditionnelle.

2.5. Une civilisation matérielle transformée
L'adoption du luxe
L'apparition du luxe est progressive, bien que Tite-Live l'indique comme une conséquence du retour de l'armée d'Asie en 129 avant J.-C. Les intérieurs se garnissent de tapis, d'étoffes luxueuses, de meubles de bronze et d'argenterie. C'en est fini de la vieille rusticité romaine, des maisons de brique, des plats de légumes. C'est maintenant le luxe des parvenus, des enrichis. Les vertus ancestrales s'évanouissent du même coup. L'aristocratie s'entoure de musiciens, de danseurs, de courtisans. On invente une gastronomie romaine, dans laquelle s'illustrera Lucullus. Nous voici déjà loin de l'ancienne Grèce. Les Romains n'ont pas pris le meilleur. Ils sont surtout devenus d'autres Romains.
La nouvelle maison romaine
Les maisons ont beaucoup évolué depuis les cabanes primitives. Elles ont adopté l'atrium, puis, sous l'influence de la Grèce, se sont dédoublées, une partie des pièces s'ordonnant autour de l'atrium, l'autre autour d'un péristyle. Une des pièces de séjour prend le nom grec d'oecus (oikos, maison). On mange couché, dans le triclinium, ce qui ne se faisait pas dans la Rome primitive.
Une nouvelle parure monumentale
Les monuments publics caractérisent mieux encore la civilisation de la Rome classique, par leurs fonctions mêmes : la basilique, vaste salle à colonnes, prolongement sous abri de ce lieu de réunion qu'est le Forum, salle des pas perdus, lieu où siègent les tribunaux, monument presque symbolique de ce droit dont on répète à satiété qu'il est une des grandes créations romaines ; le cirque, où se livrent les courses de chars, autour d'une spina chargée d'un abondant décor ; le théâtre, qui, longtemps, n'est qu'une structure de bois et qui diffère légèrement dans son plan de celui des Grecs ; l'amphithéâtre, typiquement occidental, probable invention campanienne, adopté tardivement pour déployer des combats de gladiateurs, dont la tradition est bien plus ancienne et qui, auparavant, avaient lieu au Forum.
Les loisirs publics
Gladiateurs, courses de chars et spectacles de mimes correspondent à de vieux usages italiques. Ces réjouissances s'insèrent dans un cadre à la fois religieux et politique. Elles sont prévues dans le calendrier des fêtes religieuses, mais organisées par les édiles, qui savent que leur popularité auprès des électeurs dépend des efforts qu'ils déploient. La course de chars, exercice militaire, perd peu à peu sa place au profit des luttes, puis des carnages de fauves, autorisés à partir de 170 avant J.-C., émanation directe des conquêtes lointaines.

3. Crise et fin de la République
3.1. La crise de la république oligarchique
Problèmes politiques et sociaux

Ces divertissements consolident indirectement les positions de la nobilitas, cette classe dirigeante tirée des vieilles familles, mais qui accueille aussi les « hommes nouveaux » pourvu qu'ils soient riches. La conquête a favorisé la classe des chevaliers, qui pratiquent le commerce ; celui-ci est théoriquement interdit depuis 218 avant J.-C. aux sénateurs, qui se contentent d'accaparer les terres. À peine les grandes conquêtes terminées, les rivalités oligarchiques se donnent libre cours.
Des problèmes sociaux viennent s'y greffer : tandis que certains étendent leurs domaines en Italie, d'autres cherchent désespérément un lopin à cultiver. Les pays tributaires fournissent un blé concurrentiel, et la main-d'œuvre servile met en chômage les hommes libres. Il y a de l'agitation sociale : dans le Latium (143 et 141 avant J.-C.), en Sicile (guerres serviles de 135 et de 104 avant J.-C.).
L'émergence du parti « populaire »
On voit alors se former à Rome un parti dit « populaire », théoriquement destiné à soulager ces insatisfactions. En réalité, les partis sont des factions constituées par des familles tenues par des rapports de clientèle, des groupes au sein desquels les intérêts sont enchevêtrés. Les mariages sont ainsi lourds de conséquences politiques. Et puis le parti populaire, en prétendant défendre les intérêts du peuple, se trouve en présence d'une contradiction, le peuple de la ville et celui des champs ayant des revendications différentes. Il manque aussi d'homogénéité du fait que ses membres les plus actifs sont aussi bien des entrepreneurs ambitieux que des révolutionnaires prêts aux grands moyens.
L'échec de la réforme des Gracques (133-121 avant J.-C.)
Après un gouvernement sénatorial sans trop de problèmes (200-140 avant J.-C.) vient la crise, dont l'aspect financier est essentiel. Les Gracques, Tiberius et Caius Gracchus, deux frères tribuns de la plèbe inspirés par des théories révolutionnaires d'origine grecque et ayant renvontré un écho favorable en Asie, essaient d'entraîner le peuple et lui promettent des terres. Aristocrates romains, ils ont su inspirer des attitudes désintéressées à quelques-uns, mais ils sèment surtout la discorde, et tombent l'un puis l'autre, accusés d'aspirer à une sorte de despotisme démocratique.
3.2. Les guerres civiles (108-27 avant J.-C.)
Les problèmes de Rome ne sont pas près de se résoudre, quand commence le temps des grands généraux ambitieux. Dès les guerres puniques, la société romaine a senti le danger des prétentions d'un général victorieux et populaire, et le gouvernement sénatorial a pris des précautions. Mais les Gracques ont montré le chemin de l'illégalité. Les imperatores vont l'emprunter à leur tour.

Le temps des démagogues
La société dirigeante de l'époque des guerres civiles souffre d'une absence d'idéal. Seuls semblent compter l'argent et le pouvoir politique, qui, lui-même, procure l'argent. Cicéron écrit philosophie, mais pense affaires. Les partis n'ont plus de programme, si tant est qu'ils en aient jamais eu de bien définis. L'abolition des dettes finit par être la seule perspective qui passionne encore les masses. Tous tiennent cependant à la libertas, la liberté, que l'on réclame en toute circonstance, mais qui semble vide de signification réelle. Chacun compte sur ses soldats, ses clients, son influence pour s'imposer. À ce jeu, il y a beaucoup d'appelés, mais aussi de proscrits.

Marius et Sylla (108-79 avant J.-C.)


Après une période de gouvernement autoritaire des sénateurs (121-109 avant J.-C.) Marius (108-101, puis 88-86 avant J.-C.), puis son rival Sylla (88-87, puis 83-79 avant J.-C.) s'imposent tour à tour par leur charisme grâce à l'appui de soldats fidèles, en dépit de la légalité, et par les proscriptions aussi, dont Sylla est l'initiateur.
Ce dernier s'illustre en mettant fin à la guerre sociale – c'est ainsi qu'on appelle la révolte des alliés (socii) de l'Italie, qui réclament la citoyenneté romaine. Les montagnards insurgés réclamaient, en fait, que cessât leur condition subalterne, qui leur valait de voir rétrécir leurs espaces de transhumance. Leur revendication contribue au désordre politique de Rome, où ils trouvent un puissant appui (→  Marcus Livius Drusus), puis leur révolte ouverte ensanglante l'Italie (91-89 avant J.-C.) ; il en subsistera des maquis dispersés. L'avenir économique n'y a rien gagné, même si le droit de cité a été accordé à tous les Italiens.

La république minée de l'intérieur (79-63 avant J.-C.)
Sylla, c'est peut-être la « monarchie manquée ». La période qui suit son abdication en 79 avant J.-C. est marquée à la fois par les guerres lointaines (lutte contre les pirates des côtes d'Asie), la révolte sociale (guerre servile de Spartacus, 73-71 avant J.-C.), l'inquiétude générale et la haine entre factions. Rome est divisée entre un sénat oligarchique, des chevaliers, qui sont des financiers, et les populaires. L'instabilité politique qui en résulte n'est pas sans rapport avec des soucis économiques. Les capitaux fuient l'Italie. En Sicile, un procès contre le gouverneur concussionnaire Verrès révèle les abus de l'administration provinciale, principale voie d'enrichissement des élites politiques, assurées le plus souvent de l'impunité. Enfin sous le consulat de Cicéron (63 avant J.-C.), éclate l'affaire de la conjuration de Catilina, peut-être destinée à renverser la république.
Pompée et César (63-48 avant J.-C.)

    Le sénat, manquant de fermeté, donne de grands pouvoirs à Pompée, revenu triomphant de son expédition contre les pirates, après avoir constitué la province de Syrie et occupé la Judée (62 avant J.-C.). En 61, son fastueux triomphe marque pratiquement la fin d'une vie politique libre dans une République où le pouvoir était parfois disputé par la force, mais toujours publiquement et sans recours à l'armée.
Pompée, César, neveu de Marius, et Crassus, réputé l'homme le plus riche de la république, s'entendent alors en secret pour s'associer dans le premier triumvirat (60 avant J.-C.). Il va tenir une dizaine d'années, confirmer d'abord la prééminence de Pompée, et assurer, en outre, de grands commandements provinciaux, d'abord à César, ensuite à Crassus.
Crassus mort à la guerre (53 avant J.-C.), Pompée a d'abord la faveur du sénat, puis il inquiète celui-ci par son ambition. En 49 avant J.-C., César, qui a conquis les Gaules, franchit le Rubicon qui le sépare de l'Italie, pourchasse Pompée, qui est assassin en Égypte en 48, et prend le titre de dictateur.
La dictature de César (48-44 avant J.-C.)


César préside les comices, se fait élire consul (48), abdique alors la dictature, puis reçoit plus tard une seconde dictature : le droit de présider à l'attribution des magistratures, de nommer les gouverneurs des provinces prétoriennes et à nouveau le consulat (pour cinq ans).
Son appui principal est la plèbe de Rome, d'où la nécessité pour lui de s'unir à ses tribuns et de faire voter de nombreux plébiscites. Pour disposer d'un sénat à sa dévotion, il nomme de nombreux partisans, en particulier des Gaulois de la plaine du Pô (ses clients), et y réintègre certains de ses adversaires ou leurs fils.


Les campagnes de César
Après sa victoire sur les derniers pompéiens en 45, César est presque parvenu à la monarchie. Mais la crainte qu'il ne la restaure va le perdre. Un complot, réunissant autour de Brutus et de Cassius quelques-uns de ses partisans déçus et des pompéiens, est organisé pour supprimer César, qui est assassiné le 15 mars 44 en plein sénat.

Marc Antoine et Octave (44-30 avant J.-C.)

Après la mort de César, son lieutenant Marc Antoine et son fils adoptif Octave forment avec Lépide le second triumvirat (43 avant J.-C.), qui organise l'élimination des autres factions. Cicéron est au nombre des victimes. À Marc Antoine est dévolu l'Orient, où il va mener de grandes opérations jusqu'en Arménie, tandis que Octave prend le contrôle des provinces occidentales, où il doit mettre fin à une guerre difficile en Illyrie. Lépide est relégué en Afrique.
La rupture qui couve depuis longtemps survient en 32, lorsque Marc Antoine, que ses adversaires disent ensorcelé par la reine d'Égypte, Cléopâtre, tente de reprendre le contrôle de l'Italie à Octave, qui, par un coup de force, chasse de Rome les partisans de son rival. Ce dernier, dont les forces sont équivalentes, sinon supérieures à celles d'Octave, se révèle un général hésitant et un politique maladroit en refusant de se séparer de Cléopâtre. En plein engagement naval, à Actium, sur les côtes d'Épire, tous deux prennent la fuite. Les légions de Marc Antoine, abandonnées, se soumettent à Octave (septembre 31), qui, un an plus tard, annexe l'Égypte après le suicide de son compétiteur et de Cléopâtre.

3.3. Conséquence des guerres civiles
Auguste et le retour de l'ordre
Octave, devenu l'empereur Auguste en 27 avant J.-C., peut gouverner un empire et une société qui sont las du désordre. Les provinces ne se sont pas révoltées. L'aristocratie est fort mal en point, et c'est peut-être là ce qui fait la solidité du pouvoir d'Auguste. Elle a été décimée physiquement. Ceux qui vivaient d'affaires financières en Asie sont ruinés. Le sénat accueille des chevaliers, des vétérans, mais il s'éclipse de la vie politique. Les sénateurs s'absorbent dans l'otium (le loisir studieux) ou la vie de cour. Les chevaliers deviennent de hauts fonctionnaires impériaux. Auguste est aidé par deux militaires et administrateurs, Agrippa et Tibère, et, jusqu'en 23 avant J.-C., par un chevalier bon diplomate : Mécène, qui rallie à sa propagande Horace et Virgile.
Un épanouissement intellectuel
Si la génération de l'orateur et philosophe Cicéron, du poète Lucrèce, des historiens Salluste et César, de l'érudit Varron a donné ses lettres de noblesse à la langue latine, l'époque augustéenne, avec les poètes Horace, Virgile, Ovide, l'architecte Vitruve et l'historien Tite-Live, enrichit encore cet héritage.

Une société appauvrie en quête de paix
Le prix de la terre est en baisse : on n'est plus aussi sûr de son droit de propriété. Les vainqueurs distribuent à leurs vétérans des terres expropriées sans façon. Virgile se fait l'écho des plaintes des victimes, qui sont innombrables. L'agriculture italique est appauvrie. La ville a accueilli des fuyards de toute la péninsule et la disette s'y est fait sentir. Ceux qui n'ont pas rallié la ville ont émigré hors d'Italie. Tous aspirent à la paix. C'est ce que leur donne Auguste, qui bénéficie de la nouvelle conception admise du pouvoir, détenu de fait par le plus fort, qui se dit le meilleur (princeps, optimus), résultat d'une évolution amorcée sous Sylla.
En se dilatant aux dimensions du bassin méditerranéen, la cité-État des origines s'est retrouvée face à la nécessité d'adapter ses structures traditionnelles à ce changement d'échelle. Après être devenue un empire territorial, Rome se laisse tranformer par Auguste en empire politique, sous couvert de restauration de la république.


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