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ISRAËL - HISTOIRE

 


 

 

 

 

 

Israël : histoire


1. L'évolution de la vie politique
1.1. Les fondements de l'État d'Israël
Le rôle de la Histadrout
L'Agence juive
L'Assemblée des élus et le Conseil national
La prééminence du sionisme socialiste
1.2. La domination de la gauche travailliste (1948-1977)
L'ère Ben Gourion (1948-1963)
Levi Eshkol (1963-1969) et Golda Meir (1969-1974)
Yitzhak Rabin (1974-1977)
1.3. Alternances politiques (1977-2000)
Menahem Begin (1977-1983)
Yitzhak Shamir (1983-1992)
Yitzhak Rabin (1992-1995), Shimon Peres (1995-1996)
Benyamin Netanyahou (1996-1999)
Ehoud Barak (1999-2001)
1.4. L'échec du sommet de Camp David (2000) et le retour de la violence
Jérusalem
Les frontières
Les réfugiés
Bilan
Reprise de la violence
1.5. Les droites au pouvoir (2001-2015)
Quasi-réoccupation de la Cisjordanie, élimination de cadres palestiniens et construction d'un mur de séparation
L'impasse diplomatique du « Quartet »
L'accord Nusseibeh-Ayalon et l'initiative de paix de Genève
Retrait unilatéral de la bande de Gaza et gel des négociations israélo-palestiniennes
Ehoud Olmert (2006-2008)
Le retour de Benyamin Netanyahou (depuis 2009)
2. Une société plurielle en devenir
2.1. Un pays d'immigration
2.2. Les Arabes en Israël
2.3. Ashkénazes et Séfarades
2.4. Religieux et laïcs
2.5. Riches et pauvres
2.6. Quelle identité nationale ?
3. Israël dans la communauté internationale
3.1. Israël, la France et l'Europe
Israël et la France
Israël et l'Allemagne
Israël et l'Europe
3.2. L'alliance stratégique avec les États-Unis
3.3. Des relations extérieures profondément transformées

Israël : histoire

1. L'évolution de la vie politique

1.1. Les fondements de l'État d'Israël

Le 14 mai 1948, conformément à la résolution de l'assemblée générale de l'ONU en date du 29 novembre 1947, David Ben Gourion proclame l'indépendance de l'État d'Israël (« Medinat Israel ») et devient Premier ministre. Le nouvel État doit immédiatement faire face à l'offensive de cinq armées arabes (Égypte, Transjordanie, Iraq, Syrie, Liban) qui viennent prêter main-forte aux Arabes de Palestine, militairement défaits. La guerre s'achève par la victoire d'Israël, mais engendre un nouveau problème humanitaire et politique, celui des réfugiés palestiniens.
Si l'année 1948 marque l'accession à la souveraineté d'un nouvel État, elle constitue à bien des égards la consécration d'une réalité sociopolitique qui a pris progressivement corps dans la première moitié du siècle. Les pionniers juifs qui arrivent de Russie dès 1904 jettent en effet les premières bases d'une société juive indépendante (villages coopératifs, partis politiques, union agricole, organisation paramilitaire d'autodéfense). Ces débuts modestes connaissent d'importants développements après l'instauration du mandat britannique sur la Palestine en 1920.
Pour en savoir plus, voir l'article Palestine.
Le rôle de la Histadrout
La Histadrout (Fédération générale des travailleurs d'Eretz Israel) est, dès le départ, bien plus qu'un simple syndicat : elle agit aussi comme entrepreneur (coopératives, entreprises, kibboutzim, mochavim), pourvoyeur de soins (par l'intermédiaire de la Koupat Holim, Caisse d'assurance maladie) et « agence culturelle » (gestion jusqu'en 1951 des écoles du courant ouvrier, d'associations sportives et culturelles, de maisons d'édition, de journaux…). Elle contrôle également à l'origine la Haganah, l'embryon d'armée juive, qui s'étoffera progressivement jusqu'à rassembler 45 000 hommes en 1947.
L'Agence juive
Si la Histadrout est le véritable instrument de consolidation du sionisme, la communauté juive de Palestine (yichouv) dispose également de véritables organismes « paragouvernementaux ». Le plus important est l'Agence juive qui, dirigée par Ben Gourion à partir de 1935, fonctionne comme le gouvernement officieux des Juifs de Palestine et de la diaspora qui se reconnaissent dans le projet sioniste.
 L'Assemblée des élus et le Conseil national
Deux autres instances spécialisées représentent les seuls Juifs de Palestine : l'Assemblée des élus (Asefat ha-Nivharim) et le Conseil national (Vaad Leoumi). La première est un « Parlement des Juifs de Palestine », qui préfigure la Knesset, et permet d'organiser la vie politique naissante autour de quatre courants : le bloc socialiste, qui voit régulièrement croître son audience, les sionistes généraux (libéraux centristes), les révisionnistes (droite conservatrice), les sionistes religieux. Quant au Conseil national, émanant de l'Assemblée des élus, il constitue un organe essentiellement administratif s'occupant de l'acquisition des terres, de l'éducation, de la santé, des affaires sociales…
La prééminence du sionisme socialiste
Toute cette infrastructure institutionnelle encadre une communauté juive qui s'est renforcée démographiquement durant l'entre-deux-guerres du fait de l'immigration, passant de 56 000 en 1918 à 550 000 en 1945 (durant la même période, la population arabe passe de 600 000 à 1,2 million).
La déclaration d'indépendance en 1948 marque un tournant, mais, à bien des égards, elle constitue aussi l'aboutissement de l'entreprise de consolidation nationale menée depuis un demi-siècle. Les représentants du sionisme socialiste, qui dominent l'appareil du mouvement sioniste et les institutions du yichouv depuis les années 1930, vont conserver cette suprématie jusqu'aux élections de mai 1977 – où, pour la première fois, l'opposition de droite accède au pouvoir.
1.2. La domination de la gauche travailliste (1948-1977)

L'ère Ben Gourion (1948-1963)

Israël et les territoires occupésIsraël et les territoires occupés
Cette longue période est d'abord marquée, de 1948 à 1963, par l'« ère de Ben Gourion », dont le parti Mapai (travailliste) rassemble en moyenne 35 % des voix. Toutefois, bien que dominant, le « parti des travailleurs d'Eretz Israel » est obligé de s'allier à d'autres formations pour constituer une majorité gouvernementale. Ce recours aux coalitions est lié au mode de scrutin. Les 120 députés de la Knesset sont en effet élus tous les quatre ans, par listes, à la proportionnelle intégrale (pour être représenté, il suffit d'obtenir 1,5 % des suffrages exprimés). Aucun parti n'est donc en mesure de bénéficier à lui seul de la majorité des sièges et, pour former le gouvernement – auquel appartient le véritable pouvoir exécutif –, les alliances politiques s'avèrent indispensables.
Jusqu'en 1955, le Mapai s'est appuyé sur les sionistes généraux et les partis religieux (dont les exigences seront à l'origine de nombreuses crises gouvernementales). Par la suite, il entrera dans une alliance de plus en plus étroite avec les autres formations de gauche, Ahdout ha-Avodah (centré autour de la fédération de kibboutzim ha-Kibboutz ha-Mehouhad) et Mapam (formation marxisante centrée autour d'une autre fédération de kibboutzim, ha-Kibboutz ha-Artzi).
À l'intérieur de son parti, Ben Gourion, qui n'accepte pas facilement d'être contesté, doit faire face à des divergences d'opinion avec son ministre des Affaires étrangères, Moshe Sharett, favorable à une attitude plus modérée vis-à-vis des pays arabes. Cela le conduit à une première retraite politique (décembre 1953-février 1955) au cours de laquelle il ne cesse de réclamer une politique plus offensive envers l'Égypte nassérienne qui se fait le héraut du nationalisme arabe. La détérioration du climat politique en Israël, consécutive à « l'affaire Lavon » (du nom du ministre de la Défense israélien compromis dans une série d'attentats anti-américains commis en Égypte dans le but de provoquer une crise entre Washington et Le Caire), favorise son retour au pouvoir et lui permet de lancer, en coopération avec la France et la Grande-Bretagne, la campagne de Suez contre l'Égypte (→ canal de Suez, octobre 1956).

De nouveaux rebondissements dans l'affaire Lavon, à partir de 1960, conduisent finalement Ben Gourion à la démission (juin 1963). Sa tentative pour se doter d'une nouvelle base politique – il constitue en 1965 un nouveau groupement, le Rafi, avec de jeunes partisans comme Moshe Dayan et Shimon Peres – sera un échec. En 1968, le Rafi rejoint Ahdout ha-Avodah et le Mapai pour constituer le parti travailliste israélien (PTI).
Levi Eshkol (1963-1969) et Golda Meir (1969-1974)
Le successeur de Ben Gourion, Levi Eshkol, n'infléchit guère la ligne politique générale. La montée de la tension régionale en mai 1967 le pousse à nommer le général M. Dayan ministre de la Défense et à former un gouvernement d'union nationale où siège, pour la première fois, Menahem Begin, le leader du Gahal, un bloc de droite regroupant la droite conservatrice (Herout) et le parti libéral.


Ce gouvernement bipartisan continuera à fonctionner jusqu'à l'été 1970 sous la direction de Golda Meir, nommée Premier ministre à la mort de L. Eshkol (février 1969). Celle-ci maintient difficilement l'unité du parti travailliste, traversé par des luttes sévères entre Yigal Allon et Abba Ebban d'un côté, Shimon Peres et Moshe Dayan de l'autre. De plus, elle doit faire face à un mécontentement grandissant des Séfarades, qui dénoncent les discriminations sociales dont ils sont l'objet.
Enfin, la guerre d'usure entre l'Égypte et Israël, le long du canal de Suez, entretient une tension régionale persistante qui conduit d'ailleurs à l'éclatement de la quatrième guerre israélo-arabe, en octobre 1973 (guerre du Kippour). La victoire à l'arraché obtenue par Israël engendre une grave crise de confiance qui pousse Golda Meir à démissionner en avril 1974, après des élections législatives au cours desquelles le crédit des travaillistes a été largement entamé, alors que le bloc de droite, appelé désormais Likoud, gagne du terrain.
Yitzhak Rabin (1974-1977)

Les années 1974-1977, où le Premier ministre, Yitzhak Rabin, doit faire face à une opposition de droite de plus en plus virulente (y compris dans les colonies juives de Cisjordanie), sont également marquées par une rivalité grandissante entre celui-ci et son ministre de la Défense, S. Peres, pour le leadership du parti. Cette décomposition interne contribue à la victoire du Likoud, en mai 1977. En obtenant 43 sièges contre 32 à l'Alignement travailliste (PTI et Mapam), le Likoud de M. Begin met fin à l'hégémonie du sionisme socialiste et intègre définitivement le camp nationaliste de droite dans le jeu politique israélien.
1.3. Alternances politiques (1977-2000)

Menahem Begin (1977-1983)

Le Likoud doit avant tout son succès au « second Israël », ces couches populaires séfarades qui se considèrent comme des laissés-pour-compte de l'État travailliste. Le changement de gouvernement entraîne une série de conséquences : multiplication des implantations juives en Cisjordanie et à Gaza au nom de l'édification du « Grand Israël » (de la Méditerranée au Jourdain), libéralisation de l'économie, qui accroît la liberté de mouvement des capitaux mais produit aussi un emballement de l'inflation (160 % en 1983)… Le grand succès de l'ère Begin reste la paix avec l'Égypte (mars 1979), conclue grâce à l'entremise américaine (→ accords de Camp David) ; son échec le plus sérieux est la guerre du Liban, déclenchée en juin 1982, qui n'atteint aucun de ses objectifs (reconstruction d'un État libanais fort, marginalisation de la Syrie, élimination de l'Organisation de libération de la Palestine [OLP] comme acteur politique).
Yitzhak Shamir (1983-1992)

Lorsque M. Begin passe la main à Y. Shamir (août 1983), le pays est dans une situation assez médiocre. Isolé sur le plan diplomatique pour son engagement au Liban et son refus de dialoguer avec l'OLP, en proie à des difficultés économiques (inflation, grèves…), le gouvernement finit par tomber, mais les élections de juillet 1984, loin de dégager une majorité cohérente, donnent un poids parlementaire quasiment équivalent à la gauche et à la droite et contraignent le PTI et le Likoud à constituer un gouvernement d'union nationale. Ce dernier procède en 1985 au retrait de l'armée israélienne du Liban (à l'exception d'une zone dite de sécurité, au sud du pays) et stabilise l'économie nationale.

L'élection, en novembre 1988, d'une nouvelle chambre ingouvernable (droite : 47 députés ; gauche sioniste : 49 ; partis religieux : 18) entraîne de nouveau la formation d'un gouvernement d'union nationale, dirigé par Y. Shamir. Miné par des rivalités internes, le gouvernement se trouve rapidement paralysé, alors même qu'Israël est confronté à un soulèvement populaire de grande ampleur (Intifada) dans les territoires occupés depuis 1967 en Cisjordanie et à Gaza. Après une ultime crise, l'union nationale se brise en mars 1990, permettant à Y. Shamir de constituer une coalition de droite qui va diriger les affaires du pays jusqu'en juin 1992, date à laquelle le parti travailliste reprendra le pouvoir.
Pour en savoir plus, voir l'article Question palestinienne.
Yitzhak Rabin (1992-1995), Shimon Peres (1995-1996)


La victoire du PTI sous la conduite de Yitzhak Rabin n'est pas la réédition – inversée – du triomphe électoral du Likoud en 1977. Il s'agit en effet davantage d'un vote sanction contre le Likoud pour ses échecs internes (mauvais résultats économiques, absorption imparfaite des immigrants russes) que d'un vote d'adhésion au PTI, même si le nouveau Premier ministre, leader respecté et pragmatique, paraît plus convaincant que son adversaire. Rabin place la question de la paix au premier rang de ses priorités.
En étroite collaboration avec son ministre des Affaires étrangères, Shimon Peres, il imprime à la diplomatie israélienne un tournant radical en concluant avec l'ennemi d'hier, l'OLP, lors de négociations secrètes menées à Oslo, une déclaration de principes (13 septembre 1993) qui dresse les contours d'un règlement définitif du conflit israélo-palestinien (→ accords de Washington.) Cette décision courageuse suscite des critiques véhémentes de la droite et des oppositions de plus en plus vives de certains secteurs de la société israélienne (en particulier parmi les sionistes religieux). L'hostilité au gouvernement croît d'autant plus que le processus de négociations avec les Palestiniens s'accompagne d'une montée de la violence (massacre de musulmans à Hébron par un colon juif ultranationaliste, attentats suicides du mouvement islamiste Hamas).
Dans ce climat de plus en plus tendu, l'irréparable se produit : le 4 novembre 1995, Y. Rabin est assassiné à Tel-Aviv par un ultranationaliste juif. Ce meurtre, qui traumatise les Israéliens, souligne combien la fracture est profonde entre partisans et adversaires du processus de paix. L'héritier politique de Y. Rabin, S. Peres, qui le remplace comme Premier ministre, bénéficie d'un crédit politique de courte durée. En février-mars 1996, cinq attentats islamistes extrêmement meurtriers permettent à la droite, d'abord discréditée par ses outrances verbales, de retrouver une audience plus large.
Benyamin Netanyahou (1996-1999)
Après une lutte très serrée, le candidat de la droite, Benyamin Netanyahou, remporte les premières élections directes au suffrage universel en mai et devient Premier ministre. Il parvient sans mal à constituer un gouvernement avec l'appui des formations religieuses et des partis de centre droit. Tout en ne rejetant pas explicitement les accords de Washington, le nouveau Premier ministre en donne toutefois une interprétation rigide qui ralentit considérablement le rythme des négociations, alors qu'il relance parallèlement la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem.
Soumis à une forte pression américaine, il finit cependant par signer, en octobre 1998, avec Yasser Arafat un mémorandum destiné à relancer le processus de paix (accord de Wye River [ou Wye Plantation]). Abandonné progressivement par ses amis politiques, opposés aux accords, et condamné par la gauche qui lui reproche d'avoir bloqué l'application de ces derniers, B. Netanyahou ne parvient pas à s'opposer au vote du Parlement en faveur d'élections générales anticipées (fin décembre). Victime de ses contradictions, il est ainsi contraint d'écourter le terme de son mandat, prévu initialement en 2001.
Ehoud Barak (1999-2001)

Ce scrutin, organisé en mai 1999, permet le retour des travaillistes au pouvoir : Ehoud Barak est élu Premier ministre (56,1 % des suffrages), succédant à B. Netanyahou (43,9 %). Cette large victoire tend à démontrer le renforcement des idées centristes, mais le résultat des élections législatives relativise cette première impression : d'abord, la fragmentation de la Knesset, qui compte désormais quinze formations politiques ; ensuite, le renforcement des tendances centrifuges qui fissurent la société israélienne (poussée des partis religieux et de ceux qui revendiquent ouvertement la laïcité).
Au terme de longues tractations, E. Barak parvient à former un gouvernement, qui lui donne une large majorité à la Knesset ; il se caractérise notamment par la participation du Shas, le parti orthodoxe séfarade, qui obtient quatre postes ministériels. Investi officiellement le 7 juillet, E. Barak réaffirme sa détermination à mettre fin au conflit israélo-arabe. Trois principaux dossiers sont à l'ordre du jour : la reprise des négociations de paix avec les Palestiniens, la normalisation des relations israélo-syriennes et le départ des troupes israéliennes du Liban.
Les négociations avec les Palestiniens reprennent en juillet 1999 et une version révisée de l'accord de Wye River est signée à Charm el-Cheikh (Égypte), par E. Barak et Y. Arafat, le 4 septembre. Mais les hésitations des négociateurs à s'engager de façon irrévocable retardent le processus qui devrait conduire à un accord de paix définitif, accord qui se prononcera, entre autres, sur le statut des territoires palestiniens.
La normalisation des relations israélo-syriennes s'avère beaucoup plus difficile que prévu, puisque les différentes rencontres initiées en décembre 1999 se soldent par un premier constat d'échec (mars 2000). Pourtant, dans la foulée, Israël annonce unilatéralement le retrait en juillet de ses troupes du Liban-Sud, finalement exécuté en mai avec plus d'un mois d'avance sur la date préalablement fixée. En arrière-plan à ces difficiles négociations, E. Barak lutte sans relâche pour conserver une coalition gouvernementale particulièrement hétéroclite. En juin 2000, les ministres du Meretz (gauche laïque) démissionnent ; ils sont suivis en juillet par les ministres de trois autres formations.
1.4. L'échec du sommet de Camp David (2000) et le retour de la violence

Les États-Unis convoquent alors en urgence un sommet israélo-palestinien, qui a pour but d'arracher un compromis historique aux deux parties. Ehoud Barak, en grande difficulté (gouvernement désormais minoritaire, motions de censure à répétition), n'a qu'une très faible marge de manœuvre et compte sur le soutien de son peuple, tandis que Y. Arafat reste étroitement dépendant d'une direction palestinienne très divisée.
Ouverte le 11 juillet 2000 à Camp David, cette rencontre s'achève deux semaines plus tard sans l'accord escompté. Pourtant les négociations ont permis de lever certains tabous.

Le plus important concerne Jérusalem. Rompant avec la ligne officielle soutenue jusqu'alors par tous les gouvernements israéliens pour lesquels Jérusalem « réunifiée » est la capitale du seul État d'Israël, E. Barak propose de concéder aux Palestiniens des espaces de souveraineté dans les quartiers arabes du secteur oriental de la ville, rattaché unilatéralement à Jérusalem-Ouest dans la foulée de la victoire militaire en juin 1967. La souveraineté israélienne serait en revanche préservée dans la dizaine de quartiers juifs (180 000 habitants) édifiés depuis 1967.
Sur le kilomètre carré de la Vieille Ville, là où se trouvent la plupart des Lieux saints (→ Haram al-charif ou esplanade des Mosquées [mont du Temple, pour les Juifs], Mur occidental ou Mur des lamentations, Saint-Sépulcre), Israël est disposé à admettre une souveraineté palestinienne dans les quartiers chrétien et musulman.
Enfin, Israël souhaite se voir reconnaître la souveraineté ultime sur le mont du Temple, même si les autorités musulmanes conservaient la gestion de fait de ce site sur lequel se dressent le dôme du Rocher et la mosquée al-Aqsa qui font de Jérusalem la troisième ville sainte de l'islam. Ce dernier point, à forte dimension religieuse, est un élément majeur du blocage avec les Palestiniens.
Pour en savoir plus, voir l'article Jérusalem.
Les frontières
Si Jérusalem apparaît comme la pierre d'achoppement principale, les autres dossiers sont loin d'être réglés. Celui sur les frontières enregistre des avancées significatives mais la proposition de restituer aux Palestiniens 91 % de la Cisjordanie, les 9 % restants – où résident 80 % des colons juifs – étant annexés par Israël, aurait pratiquement coupé en trois leur futur État.
Les réfugiés
Finalement, la question des réfugiés (soit 3,6 millions de personnes) n'est qu'effleurée. Israël rejette toute responsabilité dans l'exode des 750 000 Palestiniens en 1948 et refuse de prendre en considération la résolution 194 de 1948, prévoyant soit le retour des réfugiés dans leurs foyers, soit le versement de compensations financières. Pour l'Organisation de la Palestine (OLP), qui a été pendant des décennies le porte-parole des réfugiés palestiniens, il est évident qu'accepter un compromis – pourtant nécessaire – sur ce dossier s'est avéré, pour l'heure, prématuré.
Bilan
Le bilan du sommet de Camp David est donc mitigé. D'un côté, E. Barak a incontestablement transformé les termes du débat intérieur en Israël. Sur Jérusalem comme sur les colonies, il a posé de nouveaux paramètres qui ne pourront être ignorés par ses successeurs. D'un autre côté, malgré ces avancées, le sommet n'a pas abouti à un accord concret et cet échec a pesé lourd par la suite pour les Palestiniens qui y ont vu l'illustration de l'impasse persistante du processus de Washington au cours duquel la colonisation juive s'est poursuivie sans relâche, rendant un compromis territorial de plus en plus difficile à mettre en œuvre.
Reprise de la violence
À l'évidence, cette réalité sur le terrain a nourri un profond ressentiment qu'un geste a suffi à faire éclater. La visite d'Ariel Sharon sur l'esplanade des Mosquées (mont du Temple pour les Juifs), fin septembre 2000, est l'étincelle qui met le feu aux poudres, ouvrant une phase de confrontation violente entre Israéliens et Palestiniens. Celle-ci se traduit par une militarisation croissante : liquidations d'activistes du Hamas et du Fatah, incursions prolongées de chars, raids d'hélicoptères de combat et d'avions de la part d'Israël ; mitraillages de colonies juives, tirs de mortier et attentats-suicides du côté palestinien. Le prix humain est considérable : plus de 5 800 morts (à la fin août 2007), dont les quatre cinquièmes sont palestiniens, des milliers de blessés, deux sociétés traumatisées. Dnas l'État hébreu, cette violence généralisée a alimenté un mouvement de « défense patriotique » assez large, qui a conduit à une « droitisation » de l’opinion publique.
Pour en savoir plus, voir l'article seconde Intifada.
1.5. Les droites au pouvoir (2001-2015)


En Israël, le sentiment que le pays est en danger a amené une majorité d'électeurs à se rassembler autour d'Ariel Sharon, élu Premier ministre en février 2001 avec 62 % des suffrages, et à soutenir l'établissement d'un gouvernement d'unité nationale, Shimon Peres devenant ministre des Affaires étrangères.
Toutefois, une crise gouvernementale finit par mettre un terme à l'union nationale en Israël, conduisant à des élections législatives anticipées en janvier 2003. A. Sharon voit sa position consolidée : avec 40 mandats, le Likoud double sa représentation à la Knesset, tandis qu'avec 19 sièges, le parti travailliste enregistre une défaite historique. Le bloc de droite est largement dominant avec 69 sièges (sur 120), tandis que celui de gauche obtient difficilement 36 mandats, 15 sièges revenant à la formation centriste Shinouï (Changement). Fort de ces résultats, A. Sharon constitue un gouvernement rassemblant le Likoud, l'extrême droite et le Shinouï, à l'exclusion des ultraorthodoxes qui se retrouvent pour la première fois depuis bien longtemps sur les bancs de l'opposition.
Quasi-réoccupation de la Cisjordanie, élimination de cadres palestiniens et construction d'un mur de séparation
La tâche de cette nouvelle équipe est double : redresser une situation économique dégradée (hausse du chômage, reprise de l'inflation, baisse des investissements…) et sortir de la confrontation avec les Palestiniens dans un environnement régional transformé. Pour répondre au premier défi, le gouvernement a adopté un budget d'austérité qui comporte en particulier une réduction draconienne des aides sociales.
Face à la seconde Intifada, qui a conduit à la suspension des relations diplomatiques entre Israël et le monde arabe, le gouvernement a choisi l'option militaire. Elle s'est traduite par la quasi-réoccupation de la Cisjordanie (accompagnée de mesures de bouclages très sévères, d'arrestations et de destructions de maisons) ainsi que par une politique d'« assassinats ciblés » visant les cadres des groupes paramilitaires palestiniens. Au printemps 2004, Israël liquidait tour à tour le cheikh Ahmad Yassine, fondateur et chef spirituel du Hamas, et son successeur Abdel Aziz al-Rantissi. Parallèlement, la construction d'un mur de séparation, édifié depuis 2002 de manière unilatérale entre Israël et la Cisjordanie, s'est accélérée malgré sa condamnation par la Cour internationale de justice (CIJ) en juillet 2004.
L'impasse diplomatique du « Quartet »
Sur le front diplomatique, en revanche, les choses n'ont guère avancé. L'adoption, au printemps 2003, par le « Quartet » (États-Unis, Union européenne, Russie, Nations unies) d'une « feuille de route » visant à parvenir, en trois étapes, à un règlement définitif du conflit israélo-palestinien sur la base de la coexistence entre deux États, marquait une volonté renouvelée d'implication de la communauté internationale. Néanmoins, en l'absence de gestes significatifs d'Israël (sur la question des implantations et les opérations de l'armée dans les territoires palestiniens) comme de trêve inter-palestinienne durable, cette initiative a tourné court.
L'accord Nusseibeh-Ayalon et l'initiative de paix de Genève
Face à cette impasse diplomatique, les raisons d'espérer sont venues de l'intérieur des sociétés palestinienne et israélienne avec le lancement, à l'automne 2003, de deux initiatives. La première consiste en une pétition à l'origine de laquelle se trouvent Ami Ayalon, ancien chef des services de renseignements intérieurs de l'État hébreu, et Sari Nusseibeh, président de l'université palestinienne al-Quds, pétition qui précise que la solution au conflit passe par la constitution, dans les frontières du 4 juin 1967, d'un État palestinien, aux côtés d'Israël, et par le respect de certains principes (évacuation des colonies juives, souveraineté divisée à Jérusalem-Est, strict cadrage de l'application du « droit au retour » des réfugiés palestiniens).
La seconde, plus politique et dite « initiative de Genève », lancée par Yossi Beilin, au nom d'une large partie de la gauche israélienne, et par Yasser Abed Rabbo, soutenu par d'importants secteurs du Fatah, consiste en un véritable plan de paix alternatif contenant des dispositions très précises pour régler l'ensemble du contentieux israélo-palestinien.
Retrait unilatéral de la bande de Gaza et gel des négociations israélo-palestiniennes
Du côté israélien, ces propositions de paix ont suscité un vaste débat interne et contraint A. Sharon à reprendre l'initiative en annonçant son intention de procéder à un retrait unilatéral de la bande de Gaza et du Nord de la Cisjordanie. Cette initiative devrait conduire au retrait de l'armée et, surtout, pour la première fois, au démantèlement de 25 implantations juives et à l'évacuation de leurs habitants (environ 8 000 personnes). Ce projet a suscité l'opposition des partis d'extrême droite, qui ont quitté la coalition, contraignant A. Sharon à s'allier, à nouveau, au parti travailliste en janvier 2005. La constitution de ce gouvernement d'unité nationale a facilité la mise en œuvre fructueuse du plan de désengagement au cours de l'été 2005.
Concentré sur cette politique unilatérale, le gouvernement Sharon n'a guère cherché à relancer les négociations bilatérales avec les Palestiniens, malgré l'élection de Mahmud Abbas à la présidence de l'Autorité nationale palestinienne en janvier 2005. Le triomphe du Hamas aux législatives palestiniennes de janvier 2006, qui refuse de reconnaître l'État hébreu, a conduit à sa mise en quarantaine et au gel des négociations.
Contraint d'organiser des élections législatives anticipées, A. Sharon choisit de créer une formation politique plus centriste, Kadima (En avant), afin d’accroître sa marge de manœuvre politique, mais, victime d'une attaque cérébrale au tout début de l'année 2006, il disparaît brusquement de la scène politique.
Ehoud Olmert (2006-2008)
Désormais emmené par Ehoud Olmert, Kadima gagne les élections de mars 2006 (29 sièges) et constitue un nouveau gouvernement d'union avec le parti travailliste. La voie de l'unilatéralisme dans laquelle Kadima entendait persister après le triomphe du Hamas aux législatives palestiniennes de janvier 2006, est suspendue après le semi-échec de la guerre menée contre le Hezbollah au Liban au cours de l'été, qui fragilise considérablement le gouvernement.
La prise du pouvoir par la force du Hamas à Gaza, en juin 2007, contribue aussi à détériorer la situation sur le terrain avec la multiplication des tirs de roquette sur le sud d'Israël d'un côté, la poursuite des opérations militaires israéliennes de l'autre. Les conclusions de la commission d'enquête chargée de se pencher sur la conduite de la seconde guerre du Liban soulignent de graves défaillances politiques et militaires.
Bien que E. Olmert ait vu sa popularité entamée, l'absence d'alternative politique crédible contribue un temps à son maintien au pouvoir. Prenant acte de l'impasse de l'unilatéralisme, il reprend, dans le sillage de la conférence internationale d'Annapolis (États-Unis, novembre 2007), des négociations de fond avec le président M. Abbas, mais celles-ci échouent à mettre en place un accord-cadre sur le règlement final avant la fin 2008. Rattrapé par une nouvelle affaire de corruption, E. Olmert annonce fin juillet qu'il ne participera pas aux primaires de son parti et qu'il démissionnera dans la foulée.
Le retour de Benyamin Netanyahou (depuis 2009)
Tzipi Livni remporte ces primaires, en septembre, mais la nouvelle dirigeante de Kadima ne parvient pas à constituer un gouvernement autour d'elle, rendant de nouvelles élections inévitables. Tenu en février 2009, après une campagne militaire de plus de trois semaines menées contre le Hamas à Gaza, ce scrutin donne la majorité au bloc de droite, permettant à B. Netanyahou de constituer, fin mars, un gouvernement qui regroupe, autour du Likoud, formations religieuses et nationalistes (Shas, « Foyer juif », Israel Beitenou, Judaïsme unifié de la Torah) mais aussi, de façon plus inattendue, le parti travailliste (jusqu'en janvier 2011).
Ce gouvernement, très marqué à droite, doit faire face à des tensions inédites avec la nouvelle administration américaine, soucieuse de relancer le processus de paix en obtenant d’Israël un arrêt complet de la colonisation. Face à la pression américaine, B. Netanyahou finit par accepter un gel limité dans le temps (novembre 2009-septembre 2010) et à la seule Cisjordanie ; toutes choses qui ne suffisent ni à rétablir la confiance avec Washington ni à redémarrer les négociations avec les Palestiniens.
En janvier 2013, suite à de nouvelles élections législatives, B. Netanyahou est reconduit comme Premier ministre à la tête d’une coalition différente. À l’alliance entre le Likoud et Israël Beitenou s’adjoignent les partis centristes Yesh Atid et Ha-Tnouah Tnouah (créé par T. Livni en 2012), mais aussi avec le parti sioniste-religieux « Foyer juif ». L’agenda prioritaire du gouvernement est centré sur les questions intérieures : enrôlement des ultra-orthodoxes dans l’armée, budget de rigueur, question du logement.
De nouvelles élections anticipées doivent cependant être convoquées en mars 2015 après la destitution, en décembre 2014, des ministres des Finances (Yaïr Lapid, leader de Yesh Atid) et de la justice (T. Livni), tous deux opposés au projet de budget prévoyant une hausse des dépenses consacrées à la défense ainsi qu'à un projet de loi déclarant Israël « État-nation du peuple juif ».
Ce scrutin (précédé par une augmentation du seuil électoral à 3,25 % des voix), s’annonce serré, mais malgré leur alliance au sein de l’Union sioniste, Ha-Tnouah et le parti travailliste de Yitzhak Herzog, axant leur campagne sur des réformes sociales et sociétales (davantage que sur la relance des discussions avec les Palestiniens), n’obtiennent que 18,67 % des suffrages et 24 sièges. Avec un discours privilégiant les enjeux sécuritaires, déjouant les pronostics malgré un bilan plutôt médiocre, B. Netanyahou et son parti parviennent à s’imposer en remportant 30 sièges avec 23,4 % des suffrages.
Ce quatrième mandat repose toutefois sur une majorité d’une seule voix (61 sur 120), Israël Beitenou d'A. Liberman (6 sièges contre 15 en 2009) ayant décidé de rejoindre l’opposition. Au Likoud acceptent ainsi de s’allier le nouveau parti de centre droit Koulanou (fondé en décembre 2014 par Moshe Kahlon, issu du Likoud, 10 sièges), les ultra-orthodoxes ashkénazes (« Judaïsme unifié de la Torah ») et sépharades (Shas) ainsi que « Foyer juif ». Ce dernier est l’un des principaux perdants de ce scrutin avec le Shas, Israël Beitenou et Yesh Atid, tandis que la liste réunissant quatre partis arabes en vue de surmonter le nouveau seuil électoral, arrive en troisième position avec 10,6 % des voix et 13 députés. Ne se présentant pas à ces élections, le parti Kadima (2 députés en 2013) disparaît de la Knesset.
Ce gouvernement à l’assise étroite doit bientôt faire face à un regain inquiétant de la violence. À partir du mois de septembre, des affrontements renaissent à Jérusalem à la suite de heurts entre forces de l’ordre israéliennes et jeunes Palestiniens sur l’esplanade des Mosquées (ou mont du Temple). Le statu quo régissant ce lieu saint depuis 1967 cristallise les oppositions dans un contexte où les nationalismes israélien et palestinien s’imprègnent de plus en plus de tensions d’ordre religieux que les extrémistes des deux bords n’hésitent pas à attiser.
Largement spontanées et individuelles, des attaques à l’arme blanche se multiplient contre des civils et des militaires israéliens et les affrontements s’étendent en Cisjordanie, notamment à Hébron. L’engrenage de la violence et de la répression fait alors craindre la résurgence d’une nouvelle « intifada », que B. Netanyahou et M. Abbas doivent désamorcer.
2. Une société plurielle en devenir

2.1. Un pays d'immigration


Le judaïsme dans le monde aujourd'huiLe judaïsme dans le monde aujourd'hui
Parce qu'il est défini comme l'État du peuple juif, l'État d'Israël est ouvert à tous les Juifs de la diaspora qui bénéficient d'un droit naturel et inaliénable à y immigrer (réglementé par la loi du retour de 1950). La réalisation du sionisme passe avant tout par l'immigration (aliyah), qui a essentiellement touché deux zones géographiques : la Russie et l'Europe orientale, d'où vinrent les gros bataillons d'immigrants (jusqu'en 1950, puis dans les années 1970 et les années 1990), et les pays d'islam, qui se vidèrent quasiment de tous leurs Juifs en trois vagues successives entre 1948 et 1964.
Durant les quinze premières années qui suivirent sa création, alors qu'Israël accueillait plus d'un million d'immigrants, l'État défendit une intégration nationale par fusion qui supposait que les nouveaux arrivants abandonnent leurs identités d'origine et se laissent absorber dans leur nouvelle société d'accueil.
Cette idéologie du melting-pot réclamait l'assimilation des nouveaux immigrants au modèle socioculturel en place, forgé par les pionniers russo-polonais ayant immigré entre 1904 et 1923. Cette intégration, menée par l'État, passait par la mobilisation de deux instruments de socialisation, l'école et l'armée. Celles-ci ont contribué de façon déterminante à faire naître une conscience collective partagée. Elles ont nourri un patriotisme israélien, qui s'est également renforcé avec l'usage de l'hébreu comme langue parlée, abondamment diffusée par les mass media, et avec l'attachement à une territorialité spécifique (nourri par l'étude de la Bible, l'archéologie, les excursions à travers le pays). Si un sentiment d'appartenance nationale a vu le jour, la société israélienne reste toutefois fortement divisée selon trois lignes de fracture.
2.2. Les Arabes en Israël

Comme tous les États du Proche-Orient, l'État d'Israël est fondé sur la reconnaissance des appartenances communautaires. Par conséquent, Juifs, Arabes et Druzes (secte hétérodoxe de l'islam) sont officiellement considérés comme des groupes ethniques différents.
1,2 million d'Arabes et de Druzes possèdent de plein droit la citoyenneté israélienne, mais leur statut de minoritaires dans un État juif les place souvent dans une situation très délicate. Soumis jusqu'en 1966 à une administration militaire qui restreignait sévèrement leurs libertés civiles, les Arabes d'Israël virent leurs terres expropriées et remises à des localités juives et à des kibboutzim. Quant aux ressources qui leur étaient allouées, elles étaient notoirement plus réduites que celles destinées aux Juifs (subventions publiques, dotations budgétaires aux conseils locaux et municipaux…).
Bien que la situation objective des Arabes d'Israël se soit améliorée depuis les années 1970, leur intégration dans un État juif dont ils ne peuvent partager les valeurs et les symboles demeure nécessairement problématique, et leur participation à la vie de la cité, imparfaite : il faudra attendre 2001 pour voir un Arabe accéder à un poste de ministre et 2007 pour qu'un musulman devienne ministre.
Situés à la périphérie de la société israélienne, les Arabes apportent majoritairement leurs suffrages à des partis non sionistes (parti communiste, parti démocratique arabe, Alliance nationale démocratique, Liste arabe commune) et poursuivent une stratégie de consolidation communautaire qui passe de façon croissante par l'islam. De plus, tout en exigeant l'égalité de traitement avec leurs concitoyens juifs, ils ont réaffirmé, au contact des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, leur identité palestinienne. La reprise de l'Intifada n'a fait que resserrer ces liens, 13 Arabes israéliens ayant été tués par la police lors de manifestations en octobre 2000.
2.3. Ashkénazes et Séfarades

Autant les différences entre Juifs et Arabes sont officiellement reconnues, autant celles entre Juifs sont récusées par un État fondé sur le postulat de l'unité du peuple juif. Pourtant, les conditions mêmes dans lesquelles la société israélienne s'est constituée progressivement (par immigrations successives) ont perpétué un clivage entre Ashkénazes et Séfarades.
Jusqu'à la récente vague migratoire venant de l'ex-URSS, la population juive était à peu près également distribuée entre les deux groupes ethniques. Bien que les Séfarades aient connu une ascension sociale certaine depuis les années 1970 (forte pour les Irakiens, normale pour les Yéménites, faible pour les Marocains) et que les phénomènes de convergence (dans les modes de vie, les pratiques familiales) soient réels, la constitution d'une nation israélienne homogène par amalgame des immigrants est loin d'être réalisée.
La persistance d'un écart ethnique important dans les domaines éducatif et professionnel au détriment des Séfarades montre que la stratégie de fusion dans un creuset commun n'est pas parvenue à ses fins. Ainsi, les élèves d'origine orientale sont concentrés dans les écoles professionnelles alors que leurs condisciples ashkénazes sont plus nombreux dans l'enseignement général. À l'université, les Séfarades ont cinq fois moins de chance d'obtenir un diplôme que les Ashkénazes.
Au niveau économique, les Juifs des pays d'islam sont concentrés parmi les cols bleus (ouvriers) alors que les Juifs d'Occident forment les gros bataillons des classes moyennes et dominent l'élite économique, universitaire et médiatique. Le mécontentement du « second Israël » par rapport au parti travailliste, accusé d'avoir conduit la politique d'intégration de façon autoritaire, s'est traduit par le soutien massif accordé au Likoud en 1977, ce qui a permis la première alternance politique du pays. Cette adhésion au Likoud demeure importante, mais l'État d'Israël a affaire aujourd'hui à une mobilisation inédite de la « séfaradité » à travers le parti Shas (« Séfarades gardiens de la Torah »), qui appelle à une pratique rigoriste du judaïsme et valorise la spécificité culturelle des Juifs des pays d'islam. En offrant un ensemble de services (jardins d'enfants, écoles primaires…), le Shas est parvenu à renforcer sa base politique et à s'imposer comme le porte-parole de l'« Israël séfarade », économiquement défavorisé et culturellement marginalisé. Son audience électorale reste forte. Si le résultat obtenu lors des élections législatives de mai 1999, avec 17 sièges, demeure exceptionnel, les 11 mandats décrochés en 2009 et 2013 montrent que le Shas est bien installé dans le paysage politique israélien, même si avec 5,7 % des voix et 7 députés, il est l’un des perdants du scrutin de 2015.
Le processus de communautarisation n'est pas limité au monde séfarade puisqu'il a touché les nouveaux immigrants de l'ex-URSS, mais il a, dans ce cas, évolué différemment. Un certain nombre de facteurs ont entretenu la tendance à la mobilisation communautaire : le poids démographique (1 million d'immigrants), le profil identitaire (forte déjudaïsation allant de pair avec la valorisation d'une identité culturelle russe), l'organisation interne très efficace (associations, presse et télévision en russe).
La communautarisation est demeurée une réalité sociale mais elle a connu des traductions politiques variables. Présentes à la Knesset à partir de 1996, les formations « russes » s'étaient fondues dans la droite israélienne en 2003 avant de renaître en 2006 avec le parti Israel Beitenou (Israël, notre maison) dirigé par Avigdor Liberman, qui est devenu en 2009 le troisième parti avec 15 sièges avant de s’allier au Likoud en 2013-2015. Cette formation revendique un nationalisme sans concession qui réclame, à terme, l'homogénéisation ethnique d'Israël par rattachement des zones peuplées d'Arabes israéliens à toute future entité palestinienne.
Qu'elle soit séfarade ou « russe », l'ethnicité est une ressource disponible pour être mobilisée politiquement dans une société israélienne plurielle mais traversée par une forte opposition entre religieux et laïcs.
2.4. Religieux et laïcs

Dès le départ, Israël s'est défini comme un État juif, devant donc assurer, à travers ses institutions, un projet de vie collective juive. Même si le contenu précis de cette identité nationale n'a jamais été clairement déterminé, le caractère juif de l'État impliquait que le droit de la famille et l'espace public étaient partiellement régis par une législation d'origine religieuse. D'où l'adoption d'une série de lois réglementant le respect du shabbat, la distribution de nourriture kasher dans les cantines publiques, l'élevage et la commercialisation de porc…, et attribuant la gestion des mariages et des divorces aux seules autorités religieuses.
Ce statu quo dans lequel l'État concède certains droits à la sphère religieuse s'est maintenu jusqu'à aujourd'hui, malgré de nombreuses crises. Il est toutefois malmené par un phénomène contradictoire qui voit la réaffirmation religieuse aller de pair avec l'approfondissement de la sécularisation de la société.
Le pôle religieux, qui regroupe environ un quart de la population juive, est composé de deux courants : l'un ultraorthodoxe et l'autre sioniste religieux. Bien que séparés par d'importantes controverses théologiques quant à la signification religieuse à accorder à l'État d'Israël, ces deux courants défendent une même interprétation rigoriste du judaïsme, et sont favorables à une présence plus grande de la religion dans la vie publique. Le rôle pivot que les partis religieux remplissent dans les différentes coalitions gouvernementales leur donne un moyen de pression idéal pour faire avancer leurs revendications.
Toutefois, l'activisme des groupes religieux se heurte à l'opposition d'autres secteurs de la société israélienne, qui défendent une laïcité inconditionnelle (passant, entre autres, par la séparation de la synagogue et de l'État). Cette laïcité militante a été parfois défendue par des formations politiques comme le parti Shinouï (Changement), qui obtint 15 mandats à la Knesset en 2003 au nom de la lutte contre la coercition religieuse, mais ne parvint pas à perdurer sur le plan électoral.
Le clivage religieux / laïcs se cristallise beaucoup sur la question de la conscription. En effet, alors que les Juifs laïcs et nationalistes-religieux passent, pour les hommes, trois ans sous les drapeaux puis effectuent des périodes de réserve jusque dans leur quarantaine, 60 000 étudiants des instituts d’études talmudiques sont dispensés d’obligations militaires en vertu d’un ancien accord datant de 1948 (à peine 400 jeunes gens étaient alors concernés). Cette situation nourrit un profond sentiment d’injustice chez les laïcs, poussant nombre d’électeurs laïcs à voter pour Yair Lapid, et sa formation Yesh Atid (« Il y a un avenir », 19 mandats en 2013, ramenés à 11 en 2015), qui s’est engagée à mettre fin aux exemptions systématiques dont bénéficient les Juifs ultra-orthodoxes.
En mars 2014, la loi prévoyant la conscription des ultra-orthodoxes est adoptée par 67 voix (une contre). Saluée par ses promoteurs comme une avancée significative sur la voie de l’universalisation du service militaire, la loi a été critiquée tant par les ultra-orthodoxes – qui la dénoncent par principe –, que par des laïcs qui la jugent trop timorée. Sa mise en œuvre, nécessairement graduelle, risque d'être retardée par nombre d'obstacles.
Deux mouvements contradictoires traversent la société israélienne, amenant les uns à prôner un État selon la Torah, et les autres à se faire les avocats d'un Israël post-sioniste. Entre les deux pôles, il existe toutefois un vaste conglomérat « centriste » de personnes attachées à la nature hybride de l'État d'Israël comme État juif et démocratique. La bipartition politique de la société israélienne (en particulier autour de la question déterminante du processus de paix) entretient une polarisation croissante entre un courant « normalisateur » (regroupant les laïcs de toute obédience) et un courant « identitariste » (allant des ultra-orthodoxes aux traditionalistes).
2.5. Riches et pauvres

Israël a longtemps été basé sur une économie sociale-démocrate, avec une forte présence du secteur public et parapublic, et un système d’aide à l’emploi, à la santé et à l’éducation qui assurait une distribution relativement égalitaire des ressources.
À compter des années 1980, le pays entra dans une phase de libéralisation économique, de privatisation et de dérégulation, qui eut pour effet de réduire l’ampleur de la protection sociale. Deux conséquences s’en suivirent : d'une part, la croissance régulière de l’écart entre les plus riches et les plus pauvres, qui fait d’Israël un des pays les plus inégalitaires parmi les 34 membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ; d’autre part, le pourcentage des familles israéliennes vivant sous le seuil de pauvreté est important, puisqu'il représente 20 % des familles.
Cette situation d’inégalité a pourtant nourri une contestation sociale relativement limitée, sauf en 2011. L’augmentation continue du coût du logement a en effet conduit à l’apparition d’un « mouvement des tentes » qui, né à Tel-Aviv, a progressivement gagné des dizaines de villes d’Israël. D’abord sur la défensive, le gouvernement Netanyahou répondit à cette contestation sociale en mettant en œuvre certaines réformes : augmentation des impôts sur les entreprises et les hauts revenus, loi sur le logement…
2.6. Quelle identité nationale ?

Le jeu complexe des différents clivages – Juifs / Arabes, Séfarades / Ashkénazes, religieux / laïcs, riches / pauvres – définira les contours de l'État d'Israël de demain. En effet, les incertitudes sur l'évolution de l'identité nationale se multiplient, alors que le pays a gagné progressivement une légitimité internationale plus large, dont la consolidation dépendra, toutefois, d'un règlement global de l'ensemble du contentieux israélo-arabe.
3. Israël dans la communauté internationale

Paradoxe d'Israël : créé par une décision de la communauté internationale en 1947 (par 33 voix pour, 13 contre et 10 abstentions), l'État juif est sans doute l'État au monde dont l'existence a été la plus contestée dans le concert des nations. Ses relations internationales s'en sont longtemps ressenties. Depuis sa création, Israël n'a établi des rapports stables et continus qu'avec l'Occident. Le monde arabo-musulman lui a été totalement hostile pendant des décennies, alors que les pays de l'Est et le tiers-monde ont entretenu avec lui, le plus clair du temps, des relations globalement assez distantes.
Pendant longtemps, l'isolement total de l'État juif dans la région rendait impérieux l'établissement de relations fortes avec des partenaires susceptibles de le soutenir, et ceux-ci se trouvaient essentiellement en Occident.
3.1. Israël, la France et l'Europe

Israël et la France
Durant les vingt premières années de son existence, Israël est surtout soutenu par la France. Dans les années 1950, grâce aux efforts de Shimon Peres alors directeur général du ministère des Affaires étrangères, plusieurs accords d'armement sont conclus entre les deux pays, prévoyant la livraison de tanks, d'avions et de pièces d'artillerie. Le début de la révolution algérienne, en novembre 1954, amène la constitution d'une alliance encore plus étroite, dans la mesure où le principal ennemi d'Israël, l'Égypte, est aussi le soutien majeur du Front de libération nationale (FLN).
Pour en savoir plus, voir l'article guerre d'Algérie.
L'expédition conjointe sur le canal de Suez, en octobre 1956, comme l'aide française à la construction du réacteur nucléaire de Dimona, dans le Néguev, constituent les manifestations les plus fortes de cette union franco-israélienne contre le nationalisme arabe. L'instauration en France de la Ve République ne conduit pas immédiatement à une modification des rapports bilatéraux, mais la fin du conflit en Afrique du Nord pousse le général de Gaulle à renouer avec les pays arabes et à adopter, ce faisant, une position plus équilibrée dans le conflit israélo-arabe.
La guerre des Six-Jours (5-10 juin 1967) marquera un tournant de la politique française : de Gaulle déclare un embargo sur la livraison de toutes les armes à destination du Moyen-Orient, ce qui pénalise fortement Israël, tributaire de la France en matière d'armement. Cette mesure fera progressivement des États-Unis le fournisseur quasi exclusif de l'État juif, tout en refroidissant les relations franco-israéliennes.
Israël et l'Allemagne
Avec l'Allemagne, le rapprochement était à la fois extrêmement délicat et pourtant indispensable. En reconnaissant publiquement la responsabilité allemande dans le génocide des Juifs d'Europe, le chancelier Adenauer enclencha un processus qui permit la conclusion, en septembre 1952, de l'accord de Luxembourg au terme duquel l'Allemagne s'engageait à verser à Israël, à titre de réparation, pendant douze anné

 
 
 
 

ORFÈVRERIE

 


orfèvrerie

Art de fabriquer en métaux précieux, argent ou or principalement, des objets destinés au service de la table, à l'ornementation de l'intérieur ou à l'exercice du culte.
Le domaine de l'orfèvrerie comprend non seulement les techniques propres au travail des métaux précieux, mais aussi celles qui concernent les matériaux de qualité entrant dans la réalisation de certaines pièces : l'émail, le nielle, les pierres fines, l'ivoire, etc. Hormis le métal argenté, destiné à des objets de grande diffusion et donc produits de façon industrielle, tous ces matériaux sont traités artisanalement, des techniques de fabrication aux procédés d'ornementation.
L'orfèvrerie, dont les premiers témoignages, découverts en Europe sur les rives de la mer Noire, remontent au Ve millénaire avant J.-C., a toujours été soigneusement réglementée. Depuis la loi du 19 brumaire an VI (9 novembre 1797), les orfèvres sont soumis à un contrôle strict de leurs productions, dont sont chargés les bureaux de garantie. Les marchands doivent tenir des livres d'entrée et de sortie des pièces, paraphés par les autorités de police. Des visites d'agents du contrôle de la garantie assurent l'apposition des différents poinçons légaux.
Techniques

Si quelques inventions marquent l'histoire de l'orfèvrerie – la granulation en Méditerranée au viie s. avant J.-C., l'émail translucide sur basse-taille au xiiie s. après J.-C., les nouveaux alliages et les méthodes électrochimiques de placage au xixe s. –, il reste frappant de voir que les techniques et les outils sont pratiquement les mêmes depuis la plus haute Antiquité.
Les outils

Un détail de fresque à Pompéi, dans la maison des Vetti, ou, plus haut encore dans le temps, une peinture de la tombe du vizir Rekhmirê (xve s. avant J.-C.), qui nous décrivent avec quelque détail l'atelier de l'orfèvre, mentionnent tous deux son enclume et ses marteaux. Le marteau – qu'il soit en fer, en bois, plat ou rond – et l'enclume – tas ou bigorne – sont encore de nos jours les deux outils de base de l'orfèvre. S'y est ajouté tout ce qui sert à graver, ciseler, limer : le compas, le poinçon, la cisaille, le ciselet et le burin.
La conception des modèles

Dès le Moyen Âge – on ne dispose pas de témoignages antérieurs –, les objets d'orfèvrerie qui ne sont pas fabriqués « au jugé » sont élaborés à partir de modèles en bois ou en plâtre. Dans l'introduction à son traité d'orfèvrerie (1568), Benvenuto Cellini insiste sur le rôle du dessin. En effet, esquisses et dessins préparatoires sont en général les premières étapes de la conception d'un objet d'orfèvrerie. Le xviiie s. verra fleurir de très nombreux recueils de modèles. Le plus célèbre d'entre eux est celui de Pierre Germain, paru en 1748. Au xixe s., Viollet-le-Duc publiera un recueil de modèles pour l'orfèvrerie religieuse.
La mise en forme

Les objets d'orfèvrerie peuvent être mis en forme à chaud – il s'agit alors de fonte au sable ou à la cire perdue – ou à froid, par martelage.
Les petites figures en ronde bosse, les couverts, les anses, les pieds et les petits bijoux sont moulés.
Les plaques de métal aujourd'hui réalisées par laminage étaient autrefois traitées au marteau sur un tas.
La mise en forme proprement dite de cette plaque de métal peut alors être réalisée selon trois méthodes : ou elle constitue le revêtement d'un objet en bois, en métal ou en tout autre matériau – on parle alors de placage ; ou on lui fait prendre par martelage la forme d'une matrice en matière dure – on parlera d'emboutissage si la matrice est creuse et de coquillé si la matrice est convexe ; enfin, la forme pourra être donnée en transformant la feuille uniquement par martelage – on parle alors de rétreinte.
La surface ainsi obtenue garde les traces des coups de marteau ; cette surface pourra être lissée par une opération de planage ou gardée telle quelle.
Les cannelures (façonnées sur un tas à canneler), les moulures, les boutons, les anses, les appliques sont rapportés sur les pièces d'orfèvrerie par soudure.
L'assemblage

Les divers éléments constituant une pièce peuvent être assemblés selon trois méthodes : le filetage, le rivetage et la soudure. La soudure, qui pose des problèmes délicats d'alliages – puisqu'elle doit être du même métal que l'objet mais à un titre inférieur –, fut pratiquée avec un art consommé dès l'Antiquité, notamment pour les granulations.
Les finitions

Le polissage, effectué à l'aide de brosses, de poudres abrasives, de peaux de chamois, était naguère le secret de chaque atelier. Si l'objet est en cuivre ou en argent, il peut être doré. La dorure au mercure fut longtemps employée : une pâte graisseuse de mercure et d'or est répartie à l'aide d'une brosse métallique sur la pièce à dorer. La pièce enduite est alors passée au four. Le mercure, très volatil, s'évapore et laisse l'or déposé sur la pièce, laquelle peut alors être brunie avec un brunissoir – une agate ou une hématite emmanchée.
Les techniques de décor

On obtient le décor des pièces d'orfèvrerie soit en travaillant le métal lui-même, soit en lui adjoignant des éléments divers. Le travail du métal compte six grandes techniques : le repoussé, la gravure, la ciselure, le poinçonné, l'estampage et le découpage à jour.


Dans la technique du repoussé, le relief est produit en travaillant à l'envers une plaque de métal mince et en la déformant à l'aide d'un poinçon. C'est l'une des techniques les plus anciennes : les petits bijoux minoens en forme de fleurs, les disques d'or de Stollhof qui sont conservés à Vienne (IIe millénaire avant J.-C.) sont décorés suivant cette technique.
La gravure consiste pour l'orfèvre à enlever – à l'aide d'un burin (à section carrée ou losangique), d'une gouge (à section triangulaire) ou d'une échoppe (à section rectangulaire) – des parcelles de matière, le travail s'effectuant sur la face de l'objet. Le sgraffite et le guillochis constituent des variantes de la gravure.
Dans la ciselure, le métal est également travaillé sur l'endroit, mais la matière n'est pas enlevée ; elle est repoussée à l'aide d'un marteau et d'un ciselet, outil clair – ni coupant ni tranchant – à l'extrémité polie. Les motifs ciselés ont une grande douceur de modelé. Le tracé mati – obtenu avec un matoir –, qui permet d'orner les fonds de décor de quadrillages et de les sabler, relève de la même technique.
La technique du poinçonné est une variante de la ciselure. Celle du pointillé, ou poinçonné très fin, est souvent utilisée comme fond pour les pièces d'or émaillé.
L'estampage consiste à réaliser un motif en frappant la feuille de métal à l'aide d'une matrice – sur la face si elle est épaisse, au revers si elle est mince –, tandis que le découpage à jour met en œuvre un emporte-pièce à l'aide duquel on crée des motifs en tranchant la feuille de métal.
Les adjonctions métalliques

Elles sont de plusieurs types : l'applique, la granulation, le filigrane, le damasquinage et le nielle.
Les appliques, obtenues séparément, sont rapportées par rivetage ou soudure.
La technique de la granulation consiste à fixer sur une plaque de métal de minuscules grains de métal. La soudure, longtemps restée mystérieuse, se fait à basse température par phénomène de migration du métal.


Le filigrane permet de former un décor par fixation d'un fil de métal – lisse, strié, graineté ou multiple – sur la feuille de métal. Au xiiie s., l'effet visuel étant préféré à la prouesse technique, le faux filigrane – une plaque de métal découpée à l'emporte-pièce – fut largement utilisé.
Le damasquinage, répandu en Égypte, connaît son apogée au xiiie s. sous la dynastie des Mamelouks. Il s'agit de l'incrustation à froid d'un fil d'or ou d'argent par force dans une rainure à bords légèrement rentrants préalablement creusée dans le métal.
Le nielle, matière de décor, est un alliage d'argent, de plomb et de soufre. La surface à décorer est passée au borax (tétraborate de sodium), enduite de nielle et mise au four. Le décor niellé est plani et lissé à l'huile alors qu'il est encore chaud.
Les adjonctions non métalliques

Le vernis brun est une matière collante et épaisse, à base d'huile de lin chauffée, qui permet l'application de motifs sur les pièces dorées.
Connu dès le IIIe millénaire avant J.-C. à Sumer, le décor cloisonné consiste à sertir à froid des tables de verre ou des pierres précieuses découpées selon la forme désirée dans des cloisons de métal rapportées sur une plaque du même métal. Pour donner de l'éclat aux tables de grenat, on fixe dessous un paillon, qui est un petit élément de métal gaufré ou guilloché.


Le décor émaillé reprend les principes du décor cloisonné, mais remplace les tables de pierre par de la pâte de verre. Le décor d'émail peut être déposé sur le métal selon divers procédés désignés sous les termes de : émail cloisonné, émail champlevé, émail sur basse-taille, émail sur ronde-bosse et émail peint.
Dans le cas de l'émail cloisonné, les cloisons de métal sont rapportées sur le fond et soudées ou collées (avec de la colle de pépin, de coing ou de peau de lapin). L'adhérence se fait au moment de la fusion de la pâte de verre, au four. Les cloisons, épaisses ou fines, sont rapportées selon les techniques du plein émail ou de l'émail enfoncé. Dans ce dernier cas, la plaque de métal est préalablement creusée.
L'émail de plique est une variante du cloisonné sur or, l'émail de plique à jour se présentant comme un vitrail sans fond : la pâte de verre adhère aux cloisons par capillarité.
Au début de notre ère apparaît l'émail sur filigrane, appelé à connaître un grand succès en Grèce et en Russie. Les cloisons y sont remplacées par des filigranes, et l'émail n'est pas poli après cuisson, contrairement à ce qui se pratique dans les différents autres types d'émaillage.
Dans le cas de l'émail champlevé, la plaque de métal est creusée au burin. Dans les alvéoles aux parois plus ou moins épaisses ainsi formées, la poudre de verre est déposée, passée au four puis polie, parfois dorée au mercure.
L'émail sur basse-taille voit le jour en Italie. Vasari l'appellera la « sculpture mélangée à la peinture ». La période gothique goûte ces bas-reliefs d'argent ou d'or couverts d'une pellicule de verre coloré et translucide : les effets d'ombre dans les creux et de lumière sur les parties saillantes leur donnent vie et relief.
L'émail sur ronde-bosse apparaît vers le milieu du xive s. à Paris : on commence alors à recouvrir d'émail opaque ou translucide la petite sculpture.
L'émail peint est réalisé en déposant l'émail, telle une peinture, à l'aide d'un pinceau sur le fond métallique préalablement nettoyé. Le décor est fixé par cuissons successives.
Enfin, les objets d'orfèvrerie peuvent être ornés de diverses pierres ou de perles selon la méthode du montage : monture à jour, monture à intaille centrale, monture sur bâte (élément d'entourage en métal) ou troche (petit bouquet de perles enfilées en croix) constituent l'essentiel de cette ornementation.
Histoire de l'orfèvrerie

À Varna, en Bulgarie, sur les côtes de la mer Noire, on a découvert, en 1972, une vaste nécropole datée du Ve millénaire avant J.-C. Certaines tombes ont livré de véritables trésors : diadèmes, colliers, perles, bracelets, amulettes en forme de bovidé, le tout découpé dans d'épaisses feuilles d'or et orné de bossettes au repoussé, et dans une profusion qui témoigne de la richesse et du pouvoir des défunts.
Deux millénaires plus tard, des « amulettes » aux formes abstraites, disques à protubérances circulaires ornés de petits points, semblent indiquer que l'or est chargé d'une fonction magique et prophylactique pour les populations d'Europe centrale, tandis que, dans l'Égypte du IVe millénaire avant J.-C., l'or n'est utilisé qu'en petite quantité, sur la lèvre d'un vase ou pour souligner une anse. Dès qu'il apparaît, l'or semble investi de multiples fonctions : orner, protéger, signaler la richesse et le pouvoir.
Des Sumériens aux Étrusques

Dès le IIIe millénaire avant J.-C., les Sumériens, puis les Égyptiens, mettent au point le décor cloisonné (bague en or et en émail de Tello, 2400 avant J.-C.) et le travail de l'argent (trésor de Tôd, Moyen Empire).
Quinze siècles plus tard, les artisans de Mycènes déploient une grande habileté dans le décor au repoussé. Les deux gobelets en or retrouvés à Vaphio, près de Sparte, sont traités dans un style expressionniste et violent qui témoigne d'une haute maîtrise technique. Dès l'époque orientalisante (720-620 avant J.-C.), Rhodes, émule du Proche-Orient, produit des bijoux d'une grande virtuosité technique. Le répertoire de rosettes et de griffons associe la granulation et le filigrane avec talent (pendentif de Camiros, 630 avant J.-C.).


À l'époque archaïque (620-480 avant J.-C.), les orfèvres grecs exécutent tout un matériel de toilette utilisé dans les gynécées : épingles, broches, boucles, fibules, pieds de miroir. La statuaire monumentale chryséléphantine, qui associe l'or et l'ivoire, prouve que des artistes comme Polyclète (ve s. avant J.-C.), Phidias et Lysippe (ve et ive s. avant J.-C.) sont également des orfèvres émérites.

Le travail des Étrusques, au viie s. avant J.-C., démontre que les courants technologiques venus des côtes de la Palestine ont alors atteint l'Italie. La granulation est le procédé favori des artisans étrusques. Mais le pendentif à l'effigie du dieu-fleuve Achéloos (ve s. avant J.-C.), traité au repoussé, associe le filigrane et la granulation. Grands voyageurs et commerçants, les Étrusques passent les Alpes. On retrouve dans les tombes des princes celtes des viie et vie s. avant J.-C. des chaînettes, des perles, des pièces d'orfèvrerie au décor de filigranes et de granulations, objets exotiques et de luxe réservés aux puissants.
Des Celtes aux Romains


L'orfèvrerie celtique, qui s'épanouit dans le même temps, reste réfractaire aux influences grecque et étrusque. Hormis quelques motifs, tels ceux du bijou de la princesse de Vix, orné de deux petits chevaux ailés évoquant Pégase, et telle la palmette orientalisante adaptée à l'esthétique des Celtes, l'abstraction est de règle dans l'orfèvrerie de ces peuples. Les bracelets et les torques constituent la majeure partie de leur production. Les torques, colliers métalliques rigides, sont un objet typique des peuples dits « barbares », Scythes, Thraces et Perses. Jusqu'au iiie s. avant J.-C., ce sont des parures de femme. Puis, jusqu'à l'époque gallo-romaine, c'est un ornement de pouvoir réservé aux guerriers ou aux dieux (le dieu de Bouray, du ier s. après J.-C., porte un torque au cou).
Contrairement aux Celtes, les peuples des steppes affectionnent les représentations figuratives. Les grandes tombes princières, ou kourganes, recèlent un riche matériel comprenant notamment des fibules et des plaques où chevaux, cerfs, animaux divers côtoient des figures humaines (le Repos du chasseur, plaque en métal, ive-iiie s. avant J.-C.).
Longtemps réfractaires au luxe, les Romains ne viennent que tardivement à l'orfèvrerie. Le trésor de Boscoreale (ier s. avant J.-C.), trouvé près de Pompéi, est essentiellement constitué de vaisselle d'argent. Aux thèmes épicuriens ou purement décoratifs vont succéder les sujets chrétiens tirés de l'Ancien et du Nouveau Testament.
L'orfèvrerie byzantine

L'orfèvrerie occupe une place exceptionnelle dans les arts somptuaires de Byzance, héritière des traditions romaines. Jusqu'au viie s. après J.-C., le goût pour la vaisselle d'argent de la société romaine se maintient, mais, à côté de la production d'objets destinés à un usage privé, celle de vaisselle liturgique prend de plus en plus d'importance. Une grande partie des pièces parvenues jusqu'à nous proviennent des trésors d'églises : encensoirs, ciboires, reliquaires.
À quelques exceptions près, les œuvres du ive s. ne sont pas signées, et seule l'analyse du style permet de déterminer leur provenance. De son côté, l'État tente de mettre en place un système de contrôle des métaux précieux, qui disparaîtra au milieu du viie s. À Byzance, le travail des métaux précieux, de l'or en particulier, est associé aux pierres de couleur (émeraude, grenat), mais aussi aux perles, comme en témoigne, sur la mosaïque de Ravenne, le portrait de l'impératrice Théodora. Le décor niellé et l'émail relèvent de ce goût pour la polychromie.
Les bijoux conservés permettent de distinguer certaines formes privilégiées, tel le pendant d'oreille semi-circulaire à décor ajouré. Cette technique de découpage d'une mince feuille d'or, apparue à Rome au iiie s., connaît une grande faveur jusqu'au viie s.
Le Moyen Âge



Reliquaire de Pépin
Sous la poussée des royaumes barbares s'opère du ve au viiie s. une fusion entre l'héritage romain et les nouveaux usages. L'orfèvrerie cloisonnée, qui connaît une perfection éblouissante chez les Wisigoths et chez les Ostrogoths, atteint son apogée à la veille de la renaissance carolingienne. Une timide tentative de retour à la figuration antique peut se remarquer dans les reliefs de la petite châsse en cuivre doré de l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire (viie s.).

C'est sous le règne de Dagobert (629-639) que sont produites les dernières grandes créations de l'orfèvrerie cloisonnée de tradition barbare, avec le groupe d'œuvres exécutées par saint Éloi, fondateur à Paris d'un couvent comprenant dans ses dépendances un atelier d'orfèvrerie. L'art ottonien (xe-xie s.) opère un retour systématique à l'Antiquité et introduit une simplification géométrique du décor dont le reliquaire de saint André de Trèves (réalisé de 977 à 992) offre un exemple.
Un des aspects majeurs de l'orfèvrerie romane est l'essor de l'émaillerie champlevée sur cuivre. Le Limousin, dès 1170, développe considérablement ses ateliers, qui exportent leur production dans toute l'Europe. Ciboires, pyxides, plaques, médaillons, crosses, plats de reliures, châsses s'animent de décors vivants aux couleurs franches. À Saint-Denis, l'abbé Suger accueille notamment des orfèvres mosans dont le style classique tempère l'exubérance parisienne et limousine (ciboire d'Alpais, de 1200, en émail champlevé sur cuivre orné de caractères pseudo-coufiques).
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Nicolas de Verdun, ambon de l'abbatiale de KlosterneuburgNicolas de Verdun, ambon de l'abbatiale de Klosterneuburg
C'est en Moselle, avec Nicolas de Verdun, que survient une véritable révolution stylistique. La châsse des Rois mages de Cologne se libère des contraintes romanes avec une mise en page franchissant le cadre qui enserrait les motifs romans. Les drapés, avec leurs plis « en cuvette » hérités des plis « mouillés » antiques, donnent aux figures une liberté et un naturalisme nouveaux. Ainsi assiste-t-on à la naissance du « style 1200 », incarné par les créations de Nicolas de Verdun.
Sous Philippe le Bel (1285-1314), des nouveautés techniques apparaissent, les émaux de plique – cloisonnés sur or –, inventés par l'orfèvre parisien Guillaume Julien, permettent de réaliser de petits motifs, fleurs, trèfles, éléments de décor ou bijoux.
Au xive s., l'œuvre de Jean Pucelle, peintre et orfèvre, représente la plus haute expression du « style courtois ». La Vierge en argent doré (1339) offerte à Jeanne d'Évreux est empreinte de la douceur et de la fluidité qui caractérisent ce style. Les émaux du socle sur lequel se tiennent la Vierge et l'Enfant offrent un des premiers exemples français de la technique des émaux translucides sur basse-taille, inventée par des orfèvres toscans ou napolitains au siècle précédent. Un siècle plus tard, l'orfèvrerie parisienne apporte un perfectionnement à cette technique en obtenant un émail rouge clair parfaitement translucide.
L'influence italienne


Vers 1450, le peintre et miniaturiste français Jean Fouquet, de retour d'Italie, réalise sur une plaque de cuivre un autoportrait or et gris-brun sur fond noir, selon des procédés qui annoncent l'art des émaux peints de la fin du siècle et de la Renaissance, et notamment ceux de Léonard Limosin et ceux de Pierre Reymond.
En effet, plusieurs grands sculpteurs et orfèvres italiens, Ghiberti, les frères Turini, Donatello, Verrocchio, Pollaiolo, Finiguerra, assurent magistralement le passage du gothique à la Renaissance. Au cours de cette période, la réputation de Benvenuto Cellini ne cesse de grandir.
L'école de Fontainebleau, à travers les créations d'ornemanistes tels que Jacques Androuet Du Cerceau ou Étienne Delaune, diffuse des modèles aux décors inspirés de grotesques et de mauresques, et où les scènes historiées dénotent le goût pour la polychromie.
Spécialité de Limoges, la peinture d'émail sur cuivre orne tant des tableaux de dévotion que des vaisselles décoratives.
Mais il ne subsiste de cette époque que fort peu d'œuvres, dont le luxueux bouclier en fer repoussé, plaqué d'or et émaillé, livré à Charles IX vers 1572 par l'orfèvre Pierre Redon.
Du baroque au style Empire

Les fontes ordonnées par Louis XIV puis par Louis XV aux xviie et xviiie s. ainsi que celles effectuées sous la Révolution n'ont laissé subsister que quelques pièces.
Les vases en pierre dure montée suscitent dans toute l'Europe un véritable engouement au xviie s. À Milan, le graveur Ottavio Miseroni est particulièrement réputé pour ce genre de travail. Abondamment répandus à Byzance, ces vases, régulièrement remontés au goût du jour, furent collectionnés par les plus hauts personnages de l'époque : Mazarin, l'empereur Rodolphe II (1576-1612) et Louis XIV figurent parmi ceux-ci.
Sous le règne du Roi-Soleil, la production des orfèvres est spectaculaire. Fondu, le mobilier d'argent réalisé pour Versailles ne peut être imaginé et reconstitué qu'à partir de pièces d'archives et de représentations sur les décors de tapisserie.


C'est, notamment, par le biais des cadeaux royaux que l'influence française se diffuse à travers l'Europe. Boîtes et tabatières ornées du portrait des souverains, et enrichies de pierres précieuses, sont traditionnellement offertes aux diplomates étrangers.
Vers 1730, le style rocaille fait son apparition dans l'orfèvrerie (nécessaire de la reine Marie Leszczyńska par H. N. Cousinet). Il est repris un temps par François-Thomas Germain (1726-1791), qui devient ensuite un précurseur du néoclassicisme : le style grec éloignera les compositions asymétriques et les volutes végétales du répertoire rocaille.
Les grands orfèvres parisiens travaillent alors pour les cours étrangères. François-Thomas Germain œuvre pour celle du Portugal (surtout en argent, 1758), après son père Thomas, et pour celle de Saint-Pétersbourg, tandis que Robert Joseph Auguste (1725-1795) reçoit des commandes des cours d'Angleterre, du Danemark et de Russie. Le fils de ce dernier, Henri Auguste (1759-1816), réalisera, en 1804, le fameux service en vermeil du Grand Couvert, offert à Napoléon Ier par la Ville de Paris. Il bénéficiera dès lors de nombreuses commandes de l'Empereur, mais, mauvais gestionnaire, il fera faillite en 1810.
Dans le domaine de l'orfèvrerie, la première moitié du xixe s. est dominée par Charles Percier (1764-1838), associé à Pierre Fontaine (1762-1853), par Guillaume Biennais (1764-1843), par Jean-Baptiste Claude Odiot (1763-1850) et par François Désiré Froment-Meurice (1802-1855). Également architectes et décorateurs, Percier et Fontaine contribuent largement à l'élaboration du style Empire, qui se répand dans toutes les cours d'Europe. L'abondante production de Biennais, orfèvre de Napoléon Ier, est d'inspiration antique. La mode étrusque, avec ses figures ailées et ses frises de palmettes et de feuilles d'eau, lui fournit un répertoire de motifs. Il affectionne les formes ovales et la technique du ciselage. Froment-Meurice, qui sera nommé grand argentier de la Ville de Paris en 1843, montrera une grande diversité d'inspiration, mais c'est probablement le maître du vermeil, Odiot, qui aura le plus grand rayonnement européen.
Le retour aux sources

La seconde moitié du xixe s. est sous le signe de l'historicisme, et l'orfèvrerie religieuse connaît un regain d'intérêt. En France même, Jean-Charles et Léon Cahier, Poussielgue-Rusand, à Paris, Armand-Calliat et Favier, à Lyon, renouvellent profondément l'orfèvrerie religieuse en puisant aux sources médiévales, puis en se coulant dans des mouvements comme le symbolisme et l'Art nouveau.
Tandis qu'en Angleterre la firme Rendell, Bridge & Rendell trouve également son inspiration dans les modèles anciens, en Rhénanie le néogothique fleurit très tôt. Le meilleur représentant de ce style est le maître orfèvre Gabriel Hermeling de Cologne. À Augsbourg, les orfèvres Johann Aloïs Seethaler et Odoot se signalent par des productions originales. Mais, dans les années 1870, c'est le néo-Renaissance qui supplante le néogothique.
L'historicisme s'épanouit également en Suisse, où l'orfèvre Johann Karl Bossard est lauréat de l'Exposition universelle de 1880.
En Norvège, la mise au jour de bateaux vikings, en 1867, 1880 puis 1903, alimente un style « dragon », ou néoviking, qui aura de violents détracteurs au siècle suivant. À Oslo – alors appelée Christiania –, David Andersen renoue avec les techniques médiévales et pratique les émaux champlevés et le filigrane. Il est l'auteur du coffret en émail de plique à jour, soutenu par quatre dragons, offert à Louis Pasteur en 1892. Toujours dans le même esprit, cornes à boire et bijouterie nordique traditionnelle en filigrane sont la spécialité de Jacob Tostrup. Le renouveau de ces techniques trouve sa consécration dans l'exposition d'orfèvrerie qui se tient à Budapest en 1884. En Bohême, la fabrication des bijoux s'industrialise.
La Russie, enfin, avait entretenu, depuis le Moyen Âge, une tradition d'orfèvrerie originale. L'émaillerie a été introduite à Kiev au xie s., et au xve s., Moscou avait pris la relève. Deux grands orfèvres moscovites, Khlebnikov et Outchinnikov, excellèrent dans l'émail sur fond ciselé en bosselages et sur arabesques filigranées. Mais c'est Carl Fabergé qui, à Saint-Pétersbourg au xixe s., avec son émail filigrané, donnera aux émaux russes leurs lettres de noblesse, sanctionnées par un rayonnement mondial : il ouvre des ateliers à Moscou (1887), Kiev (1905) et même à Londres (1906).
Par ailleurs, à côté de Novgorod, Pskov et Moscou, où le travail de l'argent et de l'or était réputé, certaines villes s'étaient forgé une renommée dans des spécialités : Veliki Oustioug dans le nielle et Toula dans le travail de l'acier.
L'aventure industrielle

La maison Christofle
En 1845, Charles Christofle, « marchand de paillettes, paillons et boutons », achète le brevet Elkington et s'intitule orfèvre l'année suivante. La maison Christofle devient, avec les successeurs de Charles, Henri Bouilhet et Fernand Champetier de Ribes, tous deux ingénieurs centraliens, une véritable entreprise industrielle. Leur objectif est de produire une orfèvrerie bon marché en alliages non nobles – laiton ou maillechort, mis au point par Maillot et Chorier en 1816 – argentés, mais en conservant des critères de qualité propres à l'orfèvrerie traditionnelle. Les catalogues que la maison publie à partir de 1883 insistent sur la qualité des produits. Et l'organisation commerciale fondée sur des contrats de représentation exclusive garantit la qualité annoncée. Concurrent de Froment-Meurice, Christofle s'associe les plus grands créateurs du temps, Gilbert, Carrier-Belleuse. Son ambition est d'allier production en série et recherche artistique. Ainsi, c'est avec le procédé de la galvanoplastie que sont fabriqués les bronzes du palais Garnier. En 1854, Christofle ouvre à Karlsruhe une usine qui emploie 100 ouvriers. En 1878, son usine de Saint-Denis en compte 1 500, non compris les ouvriers à domicile. Dans le laboratoire qui jouxte l'usine, des recherches sur le damasquinage galvanique ou les patines chimiques sont menées avec succès.
L’abbé Pillon
Dans ce grand courant industriel qui préfigure l'orfèvrerie du xxe s., l'aventure de l'abbé Pillon et de sa « pantographie voltaïque » est unique. Curé de campagne à Ercuis, petit village de l'Oise, il décide de créer une fabrique d'orfèvrerie artistique. Pour la financer, il fonde en 1855 un journal, le Rosier de Marie, qui compte 40 000 abonnements en 1865. C'est grâce aux souscriptions auprès de ses lecteurs – curés pour la plupart –, à des dons et à l'émission d'actions que, en 1867, avec ses 2 400 actionnaires et ses 2 millions de francs de capital, il se lance dans l'aventure. En 1870, il a 200 employés. Pour un prix modeste, il émaille, dore ou argente des objets neufs ou anciens. Il utilise tous les nouveaux métaux, le maillechort, le minargent (inventé par Bugniot en 1867). En 1881, l'abbé Pillon ouvre un grand magasin à Paris où sont présentés autels, meubles émaillés, orfèvrerie d'église, etc. Quelque 400 ouvriers produisent alors 250 douzaines de couverts par jour. Mais les autorités ecclésiastiques veillent. En effet, cet abbé chef d'entreprise est mal vu de sa hiérarchie. Des procès successifs ruinent l'entreprise de l'abbé Pillon. Mais la maison Ercuis lui survit et elle existe encore aujourd'hui.
C'est entre ces deux grandes tendances qui se dessinent au xixe s., excellence dans la grande tradition des maîtres orfèvres et invention de qualité du côté des industriels, que se partage la production contemporaine, laquelle bénéficie également de l'apport des orfèvres nordiques, attachés à la pureté des lignes et au caractère fonctionnel des objets.

 

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FOURMI ROUSSE

 

fourmi rousse

Fourmi rousse
Issues d'un ancêtre commun avec les guêpes et les abeilles il y a plus de 100 millions d'années, les fourmis se sont répandues dans le monde entier, dans tous les milieux naturels au cours des siècles. Elles sont sans doute 20 000 espèces à peupler la Terre. Les fourmis rousses sont parmi les plus évoluées des espèces connues.
Introduction
Les premières fourmis, descendant d'un ancêtre aculéate (les aculéates sont des insectes hyménoptères dont les femelles portent un aiguillon, ou dard, à l'extrémité de l'abdomen), sont apparues au crétacé, il y a probablement 110 à 130 millions d'années. Les plus anciens fossiles connus, comme par exemple Gerontoformica cretacica, mis au jour dans l'ambre de France, sont vieux d'environ 100 millions d'années.
La plus primitive sous-famille de fourmis connue par des fossiles est celle des sphécomyrminés. Ces insectes du milieu du crétacé possèdent à la fois les mandibules et le thorax d'une guêpe solitaire, ainsi que la taille étroite entre l'abdomen et le thorax, signe distinctif des fourmis et de tous les aculéates, témoignant ainsi, dans sa morphologie, d'une souche primitive commune aux guêpes, aux abeilles et aux fourmis. Plusieurs espèces ont été découvertes dans l'hémisphère Nord, dans les ambres du crétacé d'Amérique du Nord (Canada, New Jersey) et d'Asie, réparties en plusieurs genres, notamment : Sphecomyrma, Cretomyrma, Biakuris et Dlusskyidris.
Les fourmis se diversifient très vite : on trouve des fossiles appartenant à plusieurs sous-familles actuelles dès le crétacé (ponérinés, formicinés, myrmicinés, dolichodérinés). À la suite du crétacé, au tertiaire, sur plusieurs milliers de restes fossiles retrouvés, la grande majorité appartient à des genres actuels. Empreintes incomplètes datant de l'éocène, fossiles vieux de 38 à 26 millions d'années (oligocène) et très bien conservés dans l'ambre de la Baltique et dans celui de Sicile, restes plus récents exhumés de l'argile du miocène dans l'Ohio témoignent de cette diversification ancienne et d'une remarquable adaptation de ces insectes aux diverses modifications climatiques. Hôtes sans doute des milieux secs à l'origine, les fourmis primitives étaient terricoles. Certaines espèces, plus évoluées, nidifiaient dans les arbres. Au cours des âges, elles ont colonisé tous les types d'habitat, des déserts arides aux sommets des montagnes et aux régions polaires.
Le nombre total d'espèces de fourmis est estimé à 20 000. On en connaît quelque 12 000 espèces, qui représentent environ 1 % de la totalité des insectes connus dans le monde. Certaines portent des aiguillons, d'autres sécrètent des substances corrosives ; les unes voient bien, les autres sont aveugles ; mais toutes sont sociales et possèdent des ouvrières sans ailes. Elles sont regroupées dans la grande famille des formicidés. Les fourmis rousses, Formica rufa, appartiennent, comme d'autres espèces parmi les plus spécialisées, à la sous-famille des formicinés. Appelées aussi fourmis des bois, elles vivent en sociétés nombreuses et très organisées, dans les forêts de conifères ou les forêts mixtes, en Europe, en Asie et en Amérique du Nord.
La vie des fourmis rousses
Des kilomètres de galeries souterraines
Les fourmis rousses vivent en colonie. Celle-ci comporte une ou plusieurs reines qui se consacrent uniquement à la ponte des œufs, et de multiples ouvrières, stériles, chargées de toutes les autres tâches. Au printemps, certains œufs donnent naissance à des fourmis ailées sexuées, mâles et femelles, qui assurent la reproduction. Seules quelques-unes de ces femelles survivront et deviendront reines.
La colonie vit dans une fourmilière, située en lisière d'un bois ou dans une clairière, près des sources de nourriture, et souvent exposée au sud-est pour profiter de l'ensoleillement maximum. Plus le climat est rude, plus sa partie visible, le dôme, est élevée, l'accumulation de branchettes, de débris de feuilles et de cailloux très solidement imbriqués assurant l'étanchéité.
Pour étendre son territoire ou maintenir la croissance de sa population, la colonie forme parfois des supercolonies de deux à plusieurs dizaines de fourmilières (sociétés polycaliques) reliées à la fourmilière mère par 5 à 8 pistes de liaison, longues de 50 à 100 mètres.
À l'intérieur, les effets de l'insolation et la chaleur dégagée par la digestion des fourmis contribuent à réchauffer la température ambiante. L'été, des ouvertures supplémentaires sont pratiquées sur la face ensoleillée du dôme en début de matinée pour réchauffer le nid, ou sur la face ombragée l'après-midi pour évacuer le surplus de chaleur.
Ce maintien d'une température élevée permet un développement rapide du couvain et une activité permanente de toute la colonie, dont chaque individu, par sa tâche précise, assure le déroulement.
En hiver, après avoir dévoré œufs, larves et nymphes, les fourmis ralentissent leur activité et se calfeutrent. Les reines sont les premières à s'enfoncer dans le nid, entre 30 et 50 cm au-dessous de la surface du sol. À cette profondeur, quand la température extérieure est de - 10 °C, il fait entre 0 et - 2,5 °C. Seules les ouvrières « messagères thermiques » restent dans les zones supérieures.
Au printemps, ce sont elles les premières à sortir du nid pour se réchauffer, descendant ensuite porter leur chaleur en profondeur et réactivant ainsi reines et ouvrières, qui, à leur tour, convergent vers le sommet du dôme. Les ouvrières chargées des réparations rétablissent alors l'étanchéité du nid, dégagent les pistes et évacuent les fourmis mortes.

La fourmilière

Installée dans une vieille souche d'arbre, elle est creusée de galeries. Au-dessus des chambres de ponte, au centre, brindilles et feuilles forment un dôme, où se trouvent les chambres à chaleur sèche pour les cocons. Les chambres de la partie souterraine sont plus fraîches.

Quelques fourmis chassent pour toute la colonie
Les fourmis rousses sont omnivores. Elles se nourrissent de proies animales (33 %), de la sève des arbres (4,5 %), de champignons (0,3 %) et de graines (0,2 %), ainsi que de miellat de pucerons.
Nourrir la colonie est la tâche des ouvrières les plus âgées ; à la fois plus rapides et plus entreprenantes, elles sont les « initiatrices du travail », ou « fourrageuses ». Celles qui chassent sont les plus agressives. Dès le printemps, de jour comme de nuit, mais surtout entre 7 heures et 19 heures, la fourrageuse part seule pour retrouver les pistes. Lorsqu'elle rentre à la fourmilière, la fourmi marque son trajet en déposant sur le sol des gouttes d'une sécrétion odorante appelée « phéromone de piste » (produite par des glandes de son abdomen). Cette piste odorante sert à retrouver le chemin et à guider les autres ouvrières vers les sources de nourriture ; la quantité de phéromone déposée augmente avec la richesse de la source de nourriture.
Attaques à l'acide
La fourmi palpe de ses antennes toute autre fourmi qu'elle rencontre. Si celle-ci ne porte pas « l'odeur de la colonie » et appartient à un nid étranger, les deux insectes tentent de se paralyser réciproquement – par un jet d'acide formique ou par morsure pour répandre l'acide formique sur les plaies – et émettent des phéromones d'alarme pour alerter des ouvrières guerrières de leur colonie. Les hostilités ont lieu de jour et peuvent durer plusieurs jours, l'agressivité des fourmis augmentant à mesure que la température ambiante croît. Lorsque celle-ci n'augmente plus, il se crée une zone neutre entre les deux fourmilières, qui modifie le territoire des colonies.
En chasse, la fourrageuse se déplace dans un rayon de 100 m autour du nid à la recherche de chenilles, papillons, guêpes, punaises, coléoptères et araignées, chassant aussi les fourmis des autres espèces. Lorsqu'elle a détecté une proie, elle pointe ses antennes vers celle-ci et, ouvrant ses mandibules pour s'en saisir, elle la paralyse d'un jet d'acide formique.
La proie est parfois charriée jusqu'au nid, puis déchiquetée, mâchée et réduite en bouillie par les ouvrières et par les larves. Mais, le plus souvent, elle est dépecée et avalée sur place. Une partie est absorbée par la fourrageuse pour sa propre alimentation, le reste est stocké dans son jabot social et sert à l'échange de nourriture (ou trophallaxie) avec les fourmis nourrices restées au nid.
Lorsqu'elle sent sur son corps ou sur sa tête les antennes d'une quémandeuse, la fourrageuse s'arrête : les deux fourmis, dressées sur leurs pattes antérieures, se font face, tête contre tête. Caressée par les antennes de la solliciteuse, la pourvoyeuse ouvre ses mandibules et régurgite une goutte de nourriture. Son jabot rempli, l'ouvrière approvisionnée va à son tour nourrir d'autres membres de la colonie.
L'élevage des pucerons et la récolte du miellat
Les fourmis rousses sont incapables de prélever la sève à l'intérieur des tiges des végétaux, que seuls les pucerons, les cochenilles, les psylles et autres homoptères peuvent extraire. Les pucerons aspirent la sève avec leur rostre, sorte de stylet buccal, et en assimilent les produits azotés, rejetant le surplus de matière sucrée, ou miellat. Pour récolter ce miellat, les fourmis entretiennent des colonies de pucerons ou de cochenilles d'espèces différentes, qu'elles sollicitent continuellement, provoquant ainsi chez ces insectes une sécrétion accrue de miellat. Cette relation est appelée « trophobiose ».
Les fourmis chargées de repérer les colonies de pucerons ne sont pas les mêmes fourrageuses que celles qui chassent. Ces fourmis trayeuses sont toutefois capables de tuer et de dévorer les ennemis de leurs précieux pucerons.
Ainsi, les gardiennes des pucerons tuent les coccinelles adultes (qui consomment, chacune, une soixantaine de pucerons par jour) ainsi que leurs larves (1 000 à 2 000 pucerons dévorés au cours de la vie larvaire). De même, les fourmis chassent les phalènes, dont les chenilles se nourrissent des feuilles dont la sève alimente les pucerons.
La traite des pucerons
Pour récolter le miellat, la fourmi trayeuse sollicite le puceron avec ses antennes. Ce dernier relève alors son abdomen, excrétant par l'anus une gouttelette de miellat, que la fourmi stocke dans son jabot social.
Une ouvrière est capable de transporter de 3 à 8 mg de miellat à chacun de ses voyages, pouvant ainsi doubler son propre poids. Le miellat récolté par une fourmilière peut être estimé à 20 kg par saison d'activité.
Un vol nuptial éphémère
Les fourmis sexuées sont issues des premiers œufs pondus par les reines du nid, au printemps, quand la colonie redevient active. Ces « œufs d'hiver » donnent, après 35 à 45 jours, des mâles et des femelles ailés, qui, par une journée chaude et humide d'été, sortent en masse à la surface de la fourmilière par de nombreuses ouvertures pratiquées par les ouvrières. Tous s'envolent à quelques dizaines de mètres du sol, dans la direction du soleil, d'un vol lourd et maladroit qui n'excède pas une demi-heure. Lorsque leur poids, 30 mg environ, les fait retomber au sol, ils s'accouplent presque immédiatement, chaque femelle étant entourée de nombreux mâles qui attendent patiemment leur tour. Le stock de spermatozoïdes accumulé dans la spermathèque de la femelle assurera la reproduction de la fourmilière pendant des années. Puis, les jeunes reines, s'étant amputées de leurs ailes, rejoignent la fourmilière dont elles sont issues pour pondre ou s'installent dans un autre nid ; il arrive aussi qu'elle investisse une colonie d'une autre espèce (le plus souvent Formica fusca), tuant la reine et prenant sa place. Dans ce cas, les ouvrières de l'espèce « envahie » s'occupent de la nouvelle reine et de sa progéniture, qui finit par supplanter les occupants initiaux de la fourmilière.
Les mâles, eux, meurent peu après l'accouplement.
Dix œufs par jour et par reine
La ponte est l'unique tâche qui échoit aux reines. Tous les jours, chacune monte jusqu'à une chambre de ponte, dans les étages supérieurs du nid, et pond une dizaine d'œufs, puis regagne les profondeurs de la fourmilière.
Jaunes ou blanchâtres, ces minuscules œufs, de 0,2 à 1 mm, composent, avec les larves, le couvain. Sitôt pondus, ils sont immédiatement transportés par les ouvrières nourrices dans des chambres spéciales, les couveuses, à différents niveaux de la fourmilière, pour bénéficier des meilleures conditions climatiques (humidité et chaleur). Constamment léchés, les œufs deviennent collants, ce qui facilite leur transport. Les ouvrières qui s'occupent du couvain, nées au cours de l'été précédent, élèvent les jeunes larves avec les réserves de graisse qu'elles ont accumulées.
Les larves muent trois fois, parfois quatre, et se transforment en nymphes au bout de quatorze jours. La métamorphose complète nécessite au moins six semaines. Pour tisser leur cocon, elles sécrètent un liquide qui, au contact de l'air, prend la consistance d'un fil de soie. Lorsqu'elles rompent ce cocon, les jeunes fourmis adultes ont la tête et l'abdomen gris, le thorax brun et les pattes très pâles. Il faut plusieurs jours pour que leur corps mou acquière la taille et la consistance propres à l'adulte. Au début, elles ne sollicitent pas de nourriture et leur démarche est souvent hésitante. Aussi, au moindre danger, les nourrices les saisissent dans leurs mandibules par une patte ou par une antenne pour les déplacer à l'abri.

La fécondation

Les œufs fécondés donnent naissance à des ouvrières ou, si les nourrices sont nombreuses (un millier environ), à des femelles sexuées. Lorsque la température du nid est inférieure à 19 °C, les muscles de la reine, qui libèrent d'ordinaire les spermatozoïdes, n'agissent pas, et les œufs pondus, non fécondés, donnent des mâles (parthénogenèse arrhénotoque).


Le corps d'une fourmi rousse, ou fourmi des bois, se compose, comme celui de tous les insectes, de trois parties : la tête, le thorax et l'abdomen. Les ouvrières peuvent être une fois et demie plus grandes que les reines ou les mâles, mais les femelles sexuées vivent environ 15 ans de plus.
La tête, plus petite chez la femelle, porte des yeux composés (formés de très nombreuses unités, les facettes, ou ommatidies), des yeux simples (ou ocelles), des pièces buccales de type broyeur-lécheur, et une paire d'antennes.
Le système nerveux est le siège de la mémoire et de la coordination des instincts. Le cerveau et les ganglions nerveux sont inégalement développés dans les différentes castes. Chez le mâle, dont la vie est courte, leur faible activité est tendue vers la reproduction ; chez les autres membres de la colonie, elle est plus variée.
Les yeux à facettes permettent à la fourmi de percevoir les mouvements ; elle détecte avec netteté le déplacement d'une proie ou d'un prédateur ; en revanche, elle perçoit assez mal un paysage. Sa vision des couleurs, ou vision chromatique, est médiocre. Des études ont montré que, le spectre des couleurs étant déplacé dans l'ultraviolet, la fourmi ne voit donc pratiquement pas le rouge. Les yeux simples, sensibles uniquement à la luminosité, aident à la vision nocturne.
La tête et les antennes (de même que le thorax et les tibias des pattes antérieures) contiennent des organes auditifs (organes chordotonaux), qui perçoivent des vibrations sonores. Les antennes jouent un rôle extrêmement précis dans la perception du goût, de l'odorat, de l'ouïe et surtout du toucher. Elles sont munies de nombreux poils tactiles courts, dont la base est soutenue par des terminaisons nerveuses particulièrement développées, puisque la majeure partie des activités de la fourmi est déclenchée par la perception de substances chimiques variées, les phéromones.
La fourmi émet des sons, comparables à des petits cris ou à des grincements, parfaitement audibles à l'oreille humaine.
Les mandibules, atrophiées chez les mâles, sont au contraire puissantes chez les femelles et les ouvrières. La langue est courte ; les pièces buccales annexes servent au léchage et au nettoyage.
Le thorax diffère aussi selon les castes. Chez la femelle ailée et la reine désailée, le mésonotum (premier article du thorax) est très développé, car il porte l'articulation des ailes. Les deux paires d'ailes des individus sexués sont membraneuses – les fourmis appartiennent (comme les guêpes et les abeilles), à l'ordre des hyménoptères, littéralement « ailes en membranes » (du grec hymen, membrane, et pteron, aile). Sur le thorax, voûté chez le mâle et réduit chez l'ouvrière, s'articulent les pattes, composées de la hanche, du trochanter (tubérosités du fémur, où s'attachent les muscles qui actionnent la cuisse), du fémur, du tibia et des tarses. À l'extrémité des tibias des pattes antérieures se trouve un organe de nettoyage destiné aux antennes. À la base des pattes, les glandes métathoraciques sécrètent un produit odorant qui contribue sans doute à la défense. Si les six pattes sont longues chez les femelles et les ouvrières, elles sont atrophiées chez les mâles.
Le système digestif est composé du pharynx, de l'œsophage, situé dans le thorax, du jabot, du gésier (ou intestin moyen) et de l'intestin postérieur, localisé dans le gastre. À l'inverse du jabot, très extensible, le gésier est fortement rétréci et musclé. À hauteur de l'anus, la glande à poison renferme l'acide formique – que l'insecte peut projeter, si nécessaire, à 1 m de distance –, et la glande de Dufour sécrète des phéromones essentielles pour la communication.
Les divers organes de l'appareil génital de la reine (ovaires, utérus et poche copulatrice contenant les spermatozoïdes déposés par les mâles) sont entourés de forts muscles transversaux, qui aident à la descente des œufs et facilitent l'accès des spermatozoïdes aux ovocytes. Chez l'ouvrière, la poche copulatrice est absente ou peu développée. Chez les mâles, deux testicules déversent leurs spermatozoïdes dans deux vésicules séminales aboutissant à un conduit éjaculateur unique, terminé par un pénis.
La respiration s'effectue par un système de tubes, les trachées, qui atteint toutes les parties du corps de l'insecte et s'ouvre à l'extérieur par les stigmates.
FOURMIS ROUSSES
Nom (genre, espèce) :
Formica rufa
Famille :
Formicidés
Ordre :
Hyménoptères
Classe :
Insectes
Identification :
Trois castes : ouvrières, femelles sexuées (reines) et mâles ; couleur noire ou rousse ; antennes coudées ; yeux composés latéraux, plus gros chez les mâles ; trois paires de pattes thoraciques, atrophiées chez les mâles ; deux paires d'ailes chez les individus sexués. Deuxième et troisième segment abdominal étranglé en pétiole
Taille :
Ouvrières : de 4 à 9 mm ; reines et mâles : de 9 à 11 mm
Poids :
Ouvrières : de 7 à 10 mg, reines et mâles : 30 mg
Répartition :
Toute l'Europe (excepté le Sud), Caucase, Sibérie, Amérique du Nord
Habitat :
Forêts de conifères en plaine et en altitude
Régime alimentaire :
Omnivore ; essentiellement miellat des pucerons et proies animales
Structure sociale :
Colonie de plusieurs milliers d'individus par fourmilière ; société monogyne (une seule reine) ou polygyne (plusieurs centaines de reines), monocalique (une seule fourmilière) ou polycalique (plusieurs dizaines de fourmilières [supercolonies])
Longévité :
Ouvrières : de 5 à 6 ans ; reines : jusqu'à 20 ans et plus ; mâles : quelques semaines
Statut :
Espèce protégée dans plusieurs pays d'Europe ; considérée comme « quasi-menacée » par l' U.I.C.N. (Union internationale pour la conservation de la nature)
Remarque :
Espèce utilisée dans la lutte biologique contre les insectes ravageurs forestiers
 
Signes particuliers
Yeux
Les yeux composés des ouvrières comptent de 400 à 600 ommatidies, ou facettes oculaires ; les reines ont des yeux plus larges, composés de 100 à 900 ommatidies. Mais ce sont les mâles qui possèdent les plus gros yeux, avec de 200 à 2 000 ommatidies, ce qui leur permet de repérer plus précisément les femelles lors du vol nuptial. De même, les ocelles sont plus gros chez les mâles que chez les femelles, mais sont plus visibles chez ces dernières que chez les ouvrières.
Pièces buccales
De type broyeur-lécheur, les pièces buccales annexes sont molles et servent au léchage et au nettoyage. La langue de la fourmi est souvent courte et ridée en travers. Les mandibules sont puissantes chez les ouvrières. La sécrétion des glandes mandibulaires est peu fluide et sert à malaxer les aliments durs. L'appareil buccal est également équipé de palpes labiaux et de palpes maxillaires, qui ont un rôle sensitif.
Coupe d'une reine
Le système nerveux est bien développé. Le système digestif se prolonge de la bouche dans le thorax par l'œsophage, puis dans l'abdomen par le jabot, ou estomac social. Celui-ci est très extensible grâce à la dilatation des muscles abdominaux. Le gésier, ou intestin moyen, très rétréci et musclé, ne laisse passer que les aliments destinés à l'intestin postérieur. Les tubes de Malpighi (de 4 à 20 tubes) récupèrent les déchets et font office de reins. Le système reproducteur est entièrement dans l'abdomen. La poche copulatrice d'une reine vivant dans un nid de plus de 100 000 ouvrières est de 1 mm environ de diamètre. La glande à poison des fourmis des genres Formica et Cataglyphis contient de l'acide formique concentré à plus de 50 %.
Les autres fourmis
Les fourmis, qui forment la famille des formicidés de l'ordre des hyménoptères, sont dans leur grande majorité tropicales ou équatoriales. Environ 12 000 espèces ont été décrites, mais leur nombre total est estimé à environ 20 000. Toutes les fourmis sont sociales, mais les stades d'évolution sont très inégaux. Certaines sociétés se composent d'une demi-douzaine d'individus, d'autres de plusieurs millions. Martialis heureka, une espèce de fourmi amazonienne découverte en 2003, est extrêmement primitive : elle se situe, génétiquement parlant, à la base de l'arbre évolutif des fourmis ; ainsi est-elle sans doute identique aux toutes premières fourmis qui vivaient sur Terre, il y a plus de 100 millions d'années.
La famille des formicidés est répartie en une vingtaine de sous-familles. Les fourmis présentées ci-dessous appartiennent à huit d'entre elles.
Les fourmis primitives
Sous-famille des ponérinés. Ce sont les fourmis porte-aiguillon.
Environ 1 800 espèces.
Identification : morphologiquement proches des guêpes ; reines et ouvrières semblables ; très peu développées ; exclusivement terricoles et carnivores ; se nourrissent de mille-pattes, cloportes, termites, chaque fourmi subvenant à ses besoins.
Répartition : monde entier, surtout Australie et Amérique du Nord.
Genre le mieux connu :
Genre Myrmecia. Ce sont les « fourmis sauteuses » (jumper ants), ou « fourmis bulldogs » (bulldog ants).
Une centaine d'espèces qui vivent en Australie et en Tasmanie. Jusqu'à 2,5 cm de long.
Très féroces ; leur piqûre est douloureuse ; fourmilières souterraines n'abritant que quelques centaines d'individus.
Les fourmis chasseresses ou légionnaires
Sous-familles des dorylinés (200 espèces), des cérapachyinés tropicaux (environ 100 espèces) et des leptanillinés (environ 200 espèces).
Les colonies alternent phases nomade et sédentaire. En phase nomade, migrations nocturnes et chasse diurne pendant 14 à 17 jours. Puis nymphose des larves et phase sédentaire de repos (21 jours), au cours de laquelle la reine pond plus de 100 000 œufs. Reproduction de sexués au début de la saison sèche et division de la colonie selon le nombre de reines fécondées.
Quelques genres :
Genre Dorylus (sous-genre Anomma). Ce sont les fourmis magnans d'Afrique. Comme toutes les fourmis légionnaires, yeux petits, parfois aveugles. Colonies peu évoluées socialement, mais très importantes sur le plan numérique (parfois plus de un million et demi d'individus, et jusqu'à 10 ou 20 millions chez certaines espèces, telle Dorylus nigricans), avec une seule reine. Polymorphisme des ouvrières. Migrations en colonnes serrées (20 m/h) et « bivouacs » périodiques.
Carnivores, elles chassent en groupes insectes, arthropodes et petits vertébrés, et dévastent tout sur leur passage.
Genre Eciton d'Amérique du Sud ; mâles ailés, ouvrières polymorphes, les plus grosses étant des soldats. Au bivouac, reine et couvain sont à l'abri au milieu d'un agrégat des fourmis de la colonie, accrochées les unes aux autres et suspendues dans une cavité naturelle.
Les fourmis moissonneuses et champignonnistes
Sous-famille des myrmicinés, ou fourmis à nœuds, essentiellement.
300 espèces connues.
Répartition : presque partout dans le monde, surtout sous les climats chauds.
Identification : 2 segments pédoncules ; la plupart possède un organe émetteur de sons et un aiguillon ; ouvrières de quelques millimètres ; échanges de nourriture continuels.
Quelques genres :
Genre Myrmica, fourmis rouges, primitives, nid dans la terre ; proies animales et végétales.
Genre Messor, fourmis méditerranéennes, et genre Pogonomyrmex, fourmis d'Amérique du Nord, récoltent des graines et les amassent en prévision des saisons sèches ; nids à plusieurs mètres sous terre ; soldats non belliqueux.
Genre Cataglyphis, fourmis des régions méditerranéennes, se reproduisent à terre.
Genre Atta, les fourmis coupeuses de feuilles, ou fourmis parasols, d'Amérique tropicale et subtropicale, cultivent des champignons en mâchant feuilles et fleurs découpées, pour se nourrir des tubercules mycéliens qui y poussent. Chaque espèce a sa propre variété. Colonies gigantesques, souterraines, sur des centaines de mètres ; polymorphisme des ouvrières ; soldats aux mandibules coupantes. Les reines mangent les 9/10 de leurs œufs.
Les fourmis pastorales ou éleveuses
Sous-familles des formicinés (environ 2 500 espèces), des camponotinés et des dolichodérinés, ou fourmis puantes.
Répartition : monde entier. Elles élèvent des pucerons, cochenilles, cicadelles, chenilles de papillons rhopalocères, dont elles utilisent le miellat.
Quelques genres :
Genre Crematogaster, espèces enfermant leur « bétail » dans des galeries de terre cimentée ou de matières végétales mâchées, le « carton ».
Genre Lasius, ces fourmis entretiennent des pucerons très nuisibles aux cultures et les transportent d'une plante à l'autre (Lasius americana) ; elles les maintiennent en vie, en hiver, en rentrant les œufs dans la fourmilière.
L'espèce Myrmecocystus mexicanus, ou fourmi pseudo-mellifère, la plus évoluée du groupe, utilise certaines ouvrières, les « replètes », comme récipients ou sacs à miel. Suspendues au plafond d'une chambre par dizaines, celles-ci sont gavées par les fourrageuses, puis elles nourriront les autres par trophallaxie.
Genre Acropyga : chez ces espèces, lors du vol nuptial, chaque reine emporte quelques cochenilles.
Les fourmis tisserandes
Sous-famille des formicinés ; un seul genre, Œcophylla, deux espèces.
Identification : dans les arbres, construisent leur nid en tirant et en rabattant les feuilles, qu'elles cousent en promenant des larves d'un bord à l'autre, pour leur faire sécréter des fils de soie, qui forment un tissu dense maintenant la feuille roulée. L'unique reine engendre plusieurs centaines de milliers d'ouvrières et colle ses œufs sur les feuilles. Le couvain se développe dans ces berceaux. Pour envahir un territoire, elles montent l'une sur l'autre, construisant des chaînes et des pyramides, jusqu'à former des ponts au-dessus du vide.
Répartition : Afrique, sud de l'Asie.
Les fourmis voleuses et esclavagistes
Sous-familles des formicinés et des myrmicinés. Très petites et très agiles, les voleuses dérobent nourriture et couvain d'espèces plus grandes ; les esclavagistes, comme Raptiformica, les fourmis sanguines d'Amérique du Nord, capturent ouvrières et nymphes d'espèces voisines pour les mettre à leur service.
Répartition : Europe, Amérique du Nord et Amérique du Sud (voleuses).
Quelques genres :
Genre Dorymyrmex ; odeur repoussante pour les féroces fourmis moissonneuses Pogonomyrmex, chez qui elles construisent leur nid.
Genre Carebara vidua d'Amérique du Sud : envahit les nids des termites.
Milieu naturel et écologie
Les fourmis rousses cohabitent avec de nombreux invertébrés (quelque 3 000 espèces), espèces myrmécophiles (littéralement « qui aiment les fourmis »), qui utilisent parfois les ressources de la fourmilière et bénéficient de ses conditions thermiques avantageuses. Cette hospitalité des fourmis peut être bienveillante, tolérante ou intéressée.
Quelques insectes sont recherchés par les fourmis pour leurs sécrétions huileuses. Il s'agit de certaines mouches (phoridés) et des Lochemusa, coléoptères staphylinidés qui se font gaver par les fourmis ouvrières. Celles-ci, qui semblent intoxiquées par les sécrétions de ces insectes, les lèchent constamment, si bien qu'elles délaissent leurs propres larves au profit de celles de leurs hôtes. Les larves de fourmis négligées se développent anormalement et produisent des ouvrières un peu difformes, pâles et très agitées, incapables de tout travail. Ces coléoptères peuvent donc provoquer des affaiblissements importants dans les sociétés de fourmis rousses.
Les homoptères (pucerons, cochenilles, cicadelles) et les chenilles de certains lépidoptères lycénidés sont, en revanche, des hôtes bienvenus, parfois même attirés ou amenés par les fourmis. La chenille de plusieurs espèces de papillons sécrète un liquide sucré très apprécié des fourmis. Lorsque celles-ci découvrent une telle chenille, elles l'emportent dans leur nid, où elles la léchent avidement pour récolter sa sécrétion. La chenille, elle, se nourrit du couvain des fourmis pendant l'hiver, puis se transforme en papillon et part de la fourmilière sans être importunée par ses occupants. On trouve ce type d'association par exemple entre l'azuré du serpolet (Maculinea arion) et la fourmi Myrmica sabuleti.
De nombreux saprophages, comme les larves de Microdon, des mouches à fleurs de la famille des syrphidés, et celles de la cétoine dorée (Cetonia aurata), un scarabée, se nourrissent des déchets, végétaux en décomposition, excrétions et cadavres se trouvant dans la fourmilière. Ils sont tolérés par les fourmis, qui ne les attaquent pas, excepté en cas de famine. Certaines espèces de coléoptères, de lépismes (petits insectes dépourvus d'ailes connus aussi sous le nom de poissons d'argent) ou de collemboles sont habiles à dérober une gouttelette du liquide sucré régurgité par une fourmi à une autre.
Les prédateurs tels que les araignées peuvent mettre en fuite les fourmis ouvrières par une émission de sécrétions anales. Ils repèrent les phéromones laissées sur les pistes par les fourrageuses ; certains myriapodes (mille-pattes), acariens ou serpents agissent de même. D'autres intruses, les fourmis voleuses, viennent piller la nourriture ou les couvains.
Les vrais parasites, enfin, guêpes et nématodes (vers ronds), vivent sur les fourmis ou dans leur corps. Les guêpes tuent généralement les larves. Les nématodes parasitent les fourmis ; celles-ci deviennent des adultes modifiés, stériles et très voraces. Les ichneumons, insectes hyménoptères, attaquent les fourmis rousses et leur injectent un œuf dans le corps. La larve se développe dans leur abdomen et les dévore lentement.
Champignons et bactéries
D'autres parasites, tels que des champignons, sont responsables de maladies contagieuses graves dans les populations de fourmis des bois. Vers le début de l'automne, des ouvrières parasitées qui s'accrochent à un brin d'herbe se trouvent collées à celui-ci par un exsudât visqueux apparaissant au niveau des articulations du thorax. Le lendemain, le mycélium germe et, le surlendemain, les conidies (spores de champignons) apparaissent, qui provoquent une contamination, obligeant les fourmis à détruire tous les sujets parasités dans la fourmilière avant que les conidies ne commencent leur germination. Le froid qui empêche les fourmis de sortir en hiver peut toutefois enrayer la contamination.
Les fourmis rousses sont aussi parfois les hôtes intermédiaires de la petite douve du foie (Dicrocoelium dendriticum), un ver trématode qui engendre une maladie chez les mammifères brouteurs, notamment le mouton. Les œufs, libérés dans les excréments d'un mouton, sont consommés par des escargots, qui les expulsent sous forme de larves appelées cercaires. Les fourmis rousses récoltent et ingèrent ces cercaires, qui s'enkystent dans leur ganglion sous-œsophagien et modifient leur comportement : le soir, elles ne rejoignent pas le nid mais grimpent sur les tiges herbacées, se trouvant ainsi à l'origine de la contamination des moutons qui broutent ces herbes.
Enfin, une maladie d'origine virale hypertrophie les glandes labiales situées dans le thorax, pendant le stade nymphal, et produit des fourmis de taille inférieure et peu actives.
La stratégie du fourmilion
La stratégie du fourmilion

À l'état larvaire, les fourmilions (tel Euroleon nostras) construisent de véritables pièges pour leurs proies, les fourmis. La larve de ces insectes névroptères, cachée au fond d'un trou creusé en forme d'entonnoir dans le sable (seul dépasse généralement, au fond de l'entonnoir, le haut de sa tête, équipé de deux longues et puissantes mandibules en forme de pinces), attend que la fourmi y tombe et l'attrape aussitôt. Elle bombarde avec des jets de sable la fourmi qui essaie de remonter les parois, jusqu'à ce qu'elle glisse dans l'entonnoir, emportée par les grains de sables qui roulent vers le fond. Les longues et redoutables mandibules de la larve lui permettent de saisir sa proie sans quitter son repaire. Puis elle lui injecte un liquide digestif et aspire ensuite l'intérieur de son corps, rejetant son enveloppe rigide à l'extérieur de son piège. La larve du fourmilion devient adulte après deux ou trois ans. Sa vie est alors courte et ne dure que le temps de l'accouplement et de la ponte.

Le parasitisme social temporaire
Les fourmis rousses sont, elles aussi, capables de parasitisme. Elles peuvent représenter un danger mortel pour les espèces du sous-genre de fourmis Serviformica (littéralement « fourmis esclaves »), Formica (Serviformica) sp, et notamment pour l'espèce Formica (Serviformica) fusca. Lorsqu'une reine Formica rufa, désireuse de fonder une nouvelle colonie, s'introduit dans une fourmilière de serviformica, elle tue la reine (elle est plus forte qu'elle) afin d'usurper sa place. Les œufs qu'elle pond sont pris en charge par les ouvrières de la fourmilière. La colonie devient mixte au fur et à mesure que sont élevées de nouvelles ouvrières issues de la ponte de la reine usurpatrice. À la mort des derniers ouvrières Serviformica, la colonie prend une identité purement Formica rufa.
Oiseaux de mauvais augure
Les fourmis des bois sont la cible de plusieurs oiseaux prédateurs qui, durant l'été, les chassent sur les arbres et au sol, mais jamais sur les fourmilières, par crainte des projections d'acide formique des ouvrières. Les coqs de bruyère attrapent les fourrageuses qui empruntent les pistes d'été.
Sur les 5 000 à 10 000 jeunes reines d'une fourmilière qui effectuent chaque année leur vol nuptial, moins d'une dizaine survit ; les autres sont victimes des prédateurs divers avant d'avoir trouvé un abri dans le sol, ou bien sont détruites par des champignons ou des bactéries.
En automne, les pics, en particulier les pics verts (Picus viridis), les plus voraces consommateurs de fourmis rousses (ils peuvent anéantir de 5 à 15 % de l'effectif d'une fourmilière), creusent des galeries longues parfois de plus de 60 cm à l'intérieur du nid et attrapent les fourmis en projetant leur langue à une dizaine de centimètres. Les hirondelles capturent de nombreuses fourmis ailées lors du vol nuptial printanier de celles-ci.
Les pics, mais aussi les renards et les blaireaux, qui recherchent les larves de scarabées présentes dans la fourmilière, démolissent également le nid.
Des insectes indispensables
Des graines qu'elles consomment, les fourmis rousses ne mangent que l'élaïosome, réserves huileuses très nutritives. Ensuite, elles les rejettent hors du nid. Elles assurent leur dissémination. Des études ont montré qu'une colonie de fourmis rousses peut transporter quelque 50 000 graines en une saison d'activité. Elles participent ainsi au repeuplement de régions peu fournies. Par leurs travaux constants, elles enrichissent les sols en substances organiques et les rendent plus perméables aux eaux de pluie, favorisant ainsi l'irrigation. Enfin, elles détruisent de nombreux insectes ravageurs forestiers, s'attaquant principalement à ceux qui connaissent une forte démographie. Un nid moyen anéantit près de 50 000 insectes chaque jour (dont les deux tiers sont des ravageurs), soit une récolte de 700 000 tonnes par an en Europe pour l'ensemble des nids de fourmis du genre Formica.
Les fourmis rousses et l'homme
Ravageur ou auxiliaire écologique ?
Indésirables dans les demeures des hommes, les fourmis rousses peuvent y commettre bien des méfaits, ou se montrer simplement un peu trop envahissantes. Elles jouent pourtant un rôle écologique majeur. Dans plusieurs pays d'Europe, l'espèce est protégée et importée pour repeupler des zones dont elle avait disparu.
Un enseignement multiple et plusieurs fois millénaire
La vie laborieuse et organisée de la fourmi sert depuis longtemps de référence idéologique ou pédagogique. La religion bouddhiste propose la fourmi comme modèle de persévérance dans le labeur. Dans le Talmud, elle symbolise l'honnêteté. Elle figure un serviteur appliqué et infatigable dans un conte celtique gallois. Elle est prévoyante dans la fable de Jean de La Fontaine, la Cigale et la fourmi. En Inde, son mode de vie social est cité en exemple pour que chacun participe à l'harmonie terrestre en s'acceptant comme un infime maillon de la grande chaîne des êtres vivants. Au Mali, certaines peuples estiment que les fourmis leur ont enseigné le tissage et de nombreux éléments d'architecture. Les Bambara, pour qui elles seraient en liaison avec l'eau invisible du sous-sol, forent leurs puits aux emplacements des fourmilières. Chez les Dogons et les Bambara, elles sont par ailleurs associées aux mythes cosmogoniques : aux origines des temps, le sexe de la Terre-Mère était une fourmilière ; aussi les femmes stériles s'assoient-elles sur des fourmilières pour demander au dieu Amma de les rendre fécondes.
Des vertus curatives sont attribuées aux fourmis. Au Maroc, autrefois, on faisait avaler des fourmis aux malades atteints de léthargie, afin qu'elles leur transmissent ardeur et vitalité. Plusieurs peuples africains utilisent les mandibules extrêmement puissantes des fourmis légionnaires comme agrafes pour suturer leurs plaies.
L'acide formique, isolé par Andreas Marggraf en 1749, s'est révélé être un excellent remède contre les rhumatismes. Au début des années 1990, le biologiste australien A. Beattie a effectué des recherches sur la sécrétion métapleurale sécrétée par des glandes situées sur le thorax de la fourmi australienne Myrmecia gulosa. Cette substance détient des pouvoirs antibiotiques et antifongiques préservant les œufs et les larves des moisissures dans les nids ; in vitro, elle présente des propriétés similaires : elle est active sur plusieurs espèces de bactéries, dont le bacille pyocyanique (Pseudomonas aeruginosa) et la bactérie intestinale Escherichia coli, ainsi que sur le champignon Candida albicans, responsables de septicémies et de différentes mycoses.
Fourmis ravageuses, fourmis utiles
Les fourmis sont souvent considérées comme des fléaux par les hommes, car certaines sont la cause de grands dommages. Les grandes fourmis charpentières, par exemple, peuvent détruire le bois des maisons en y creusant des galeries. Les petites fourmis des pharaons, originaires d'Afrique, peuvent envahir des lieux chauffés, comme les boulangeries, les cuisines ou les hôpitaux, où elles risquent de transmettre des germes. Certaines fourmis (dolichodérinés) volent les graines, tuent de jeunes oiseaux au nid et empêchent l'installation d'insectes utiles. Dans le sud des États-Unis, les petites fourmis de feu, très agressives, ont un venin si douloureux et laissent de telles plaies que les ouvriers agricoles refusent de travailler dans les champs infestés. En Amérique du Sud, les fourmis coupeuses de feuilles sont capables de dévaster des pans entiers de forêts et de cultures. Les fourmis légionnaires, en Amérique latine et en Afrique, sont des nomades qui se déplacent sous la forme de très longues colonnes que rien ne détourne de leur trajet. En chemin, elles dévorent tous les animaux qu'elles rencontrent : insectes, larves, grenouilles, serpents, rongeurs, etc. S'ils sont morts ou immobilisés, elles peuvent aussi dévorer des animaux beaucoup plus gros, comme des buffles, des antilopes ou même l'homme, ne laissant que les os. En Afrique, la fourmi magnan (Dorylus nigricans) est particulièrement redoutée.
En revanche, les fourmis rousses apportent toutes sortes de bienfaits. Leurs activités de semailles et d'irrigation et leur rôle d'insecticide naturel font d'elles de remarquables auxiliaires écologistes des forestiers, qui remarquent souvent la présence de territoires luxuriants là où elles sont installées. Les forestiers ont multiplié artificiellement les colonies de ces indicateurs biologiques précieux dans des forêts à faible population de fourmis, à l'aide de transplantations et d'implantations de reines fécondées en laboratoire ou prélevées d'une fourmilière. Certaines fourmilières sont protégées par un filet qui empêche le passage de prédateurs comme les pics.
Cependant, on observe une nette régression des fourmis rousses en Europe. Parmi les causes connues, il faut citer : le prélèvement des cocons servant de nourriture de base aux faisans d'élevage ou à des poissons exotiques ; les travaux forestiers exécutés sans précautions près des fourmilières ; les promeneurs, qui compromettent l'équilibre thermique des nids en y plantant un bâton, favorisant ainsi la pénétration de l'eau de pluie ; enfin, le traitement aux insecticides des terres agricoles en lisière de forêts. Les fourmis rousses sont protégées en différentes régions d'Europe, notamment en Wallonie. Formica rufa est une espèce classée « quasi-menacée » sur la liste rouge des espèces menacées établie par l'U.I.C.N. (Union internationale pour la conservation de la nature).

 

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VENISE

 

 

 

 

 

 

 

Venise
en italien Venezia


Ville d'Italie, chef-lieu de province et capitale de la Vénétie.
Population : 263 996 hab. (recensement de 2011)
Nom des habitants : Vénitiens
GÉOGRAPHIE
Venise se dresse en un site exceptionnel. Au fond de l'Adriatique, elle est construite au milieu d'une lagune, sur un archipel de 118 petites îles séparées par 177 canaux, et compte 400 ponts. Elle se trouve à 4 km de la terre ferme, à laquelle elle est réunie par un pont ferroviaire et routier, et à 2 km de la mer dont elle est séparée par un long cordon littoral (cordons de Pellestrina, du Lido de Venise, de Cavallino). Venise a constitué au Moyen Âge un vaste État reposant sur le commerce, unifié sous son autorité, et qu'elle a maintenu libre pendant une dizaine de siècles. La cité des Doges porte les marques de cette richesse passée avec la place Saint-Marc et l'alignement de somptueux palais le long du Grand Canal. Diverses activités ont été transférées sur d'autres îles ou cordons littoraux à Chioggia (pêche), Murano (verrerie), le Lido (tourisme de luxe). Sur la terre ferme se sont développés les quartiers de résidence à Mestre et les zones industrielles à Marghera (travail des métaux non ferreux, pétrochimie). Les fonctions de Venise sont variées. La plus célèbre est la fonction touristique, qui est à la source d'une vive activité commerciale. Les fonctions administrative et culturelle (Biennale d'art, festival international de cinéma, université) sont importantes, mais c'est l'industrie qui offre le plus d'emplois. Son développement menace l'existence même de Venise par la pollution et par l'affaissement de la ville dans sa lagune lié au tassement des sédiments dû au pompage des eaux industrielles, affaissement de l'ordre de 20 cm depuis un siècle. La mer envahie régulièrement la ville au moment des grandes marées. Le plus haut niveau de ces hautes eaux date de novembre 1966, avec 1,94 m au-dessus du niveau de référence. L'acqua alta de décembre 2008 a atteint 1,56 m, soit le plus haut niveau depuis 22 ans. Un projet, appelé Moïse, lancé en 2003, consiste à construire 78 digues mobiles pour limiter ces inondations dues aux grandes marées.
HISTOIRE DE VENISE
Les origines (ve-viiie s.)

Les invasions des Huns (ve s.) puis l'arrivée des Ostrogoths de Théodoric ont vraisemblablement eu pour effet de provoquer des exodes temporaires des populations côtières (pêcheurs, marins et sauniers) sur les îlots de la lagune. Mais, à la fin du vie et au viie s., la lagune sert de refuge durable aux paysans et citadins du littoral, fuyant les invasions lombardes. Elle se peuple de cités romano-byzantines placées sous l'autorité de l'exarque de Ravenne. Au cours de la crise iconoclaste, les cités de la lagune s'émancipent momentanément de la tutelle byzantine et leurs armées élisent un duc (doge) : Orso Ipato (726-737). Après la conquête des États continentaux par Charlemagne (774), le pacte romano-carolingien de 814 reconnaît l'appartenance de la lagune à l'Empire byzantin, lui assurant ainsi une position stratégique aux confins des empires d'Orient et d'Occident et du monde slave.
Implantation et croissance de la ville (ixe-xiie s.)
Au début du ixe s., le doge Agnello Partecipazio (809 ou 810-827) transfère le siège ducal dans sa résidence des îles du Rialto où sont déposés les restes de saint Marc en 828. La situation privilégiée de Venise lui permet de fonder sa puissance sur les échanges commerciaux maritimes. Les Vénitiens redistribuent en Occident les soieries, les épices, les produits exotiques et de luxe en provenance de Constantinople, d'Alexandrie et d'Orient, tout en exportant vers l'Orient byzantin et arabe les esclaves (Slaves), le bois, le fer et, à partir du xiie s., les draps de laine de l'Occident. La ville développe aussi un commerce de première nécessité avec la vallée du Pô et les Pouilles.
Venise consolide ses positions commerciales en établissant, sous Pietro II Orseolo (992-1009), un protectorat sur la côte et les îles dalmates, de Zara (Zadar) à Raguse (Dubrovnik). Son soutien à l'empereur Alexis Ier Comnène contre les Normands (1081) lui vaut de considérables privilèges commerciaux dans l'empire d'Orient (1082). Peu après, la consécration de la basilique Saint-Marc (1094) et l'établissement du grand marché international au bord du Grand Canal (1099) matérialisent la prospérité de la ville. Au début du xiie s., Venise doit faire face à la concurrence des Pisans et des Génois. La participation de sa flotte aux premières croisades lui assure la concession de quartiers dans plusieurs villes de Syrie et de Palestine, tandis que l'aide apportée à l'empire d'Orient contre les Normands à Corfou (1148) pérennise ses privilèges commerciaux à Constantinople.
Cette activité commerciale est à l'origine commanditée par les familles de propriétaires fonciers dont sont issus les doges, et mise en œuvre par de nouveaux venus (case nuove) rapidement enrichis. Sous l'influence de ces nouvelles familles, les institutions se précisent pour faire obstacle aux tentatives de pouvoir personnel des doges. Ils restent nommés à vie, mais leur élection est retirée à l'assemblée du peuple (arengo). Ceux-ci sont entourés de conseils (Conseil des sages, 1143 ; Petit Conseil de six membres, 1172) et doivent à leur entrée en charge prêter serment de respecter les institutions. Le doge devient ainsi le premier magistrat d'un État dont la puissance est consacrée par la signature de la trêve de Venise (1177).
L'apogée (1204-1453)

La participation de la flotte vénitienne à la quatrième croisade et à la prise de Constantinople (1204) permet au doge Enrico Dandolo (1192-1205), promoteur de l'expédition, d'obtenir pour Venise la plupart des îles grecques, une partie de la Thrace et le Péloponnèse. Établissant des comptoirs sur les côtes de ses nouvelles possessions, Venise dispose d'escales et d'entrepôts sur la route de l'Orient, qui lui est désormais ouverte jusqu'au fond de la mer Noire, et son doge s'intitule désormais « seigneur du quart et demi de la Romanie ». Au moment où Marco Polo atteint la Chine, Venise développe son commerce vers l'Atlantique en envoyant des convois de galères vers l'Angleterre et les Flandres. Les pays germaniques sont aussi associés à son commerce par l'intermédiaire de leur établissement vénitien (fondaco dei Tedeschi). La puissance de Venise, édifiée au prix de luttes constantes avec ses rivales, Pise et Gênes, se matérialise en 1284 par la frappe d'une pièce d'or, le ducat, qui, pendant trois siècles, est avec le florin de Florence l'étalon monétaire du monde méditerranéen occidental.
Les institutions vénitiennes sont de nouveau redéfinies : le Grand Conseil, organe essentiel du gouvernement, est assisté de conseils spécialisés (Petit Conseil, exécutif ; Quarantia, judiciaire ; Sénat, chargé de politique générale). Devenu plus difficile dès le xiiie s., l'accès au Grand Conseil se ferme totalement au xive s. Une oligarchie de deux cents familles gouverne alors Venise. Elle résiste à la conjuration menée par Baiamonte Tiepolo avec l'appui du peuple (1310) et se dote d'un organe de police : le Conseil des Dix. En 1354, le doge Marino Falier, accusé de visées monarchistes, est exécuté. Cette oligarchie dominante réunit la plupart des familles d'affaires dont l'activité assure l'existence même de Venise. Elle réussit donc à se maintenir au pouvoir malgré les longues guerres contre Gênes qui mettent Venise à deux doigts de sa perte (guerre de Chioggia, 1378-1381).
Au début du xve s., le développement de grandes puissances territoriales en Italie risquant d'entraver le ravitaillement de la ville dont la population dépasse 100 000 habitants, Venise entreprend, sous l'impulsion du doge Francesco Foscari (1423-1457), la conquête d'un État de Terre Ferme, grâce à une armée de mercenaires. La paix de Lodi (1454), conclue entre Milan, Florence et Venise, rend les Vénitiens maîtres du Frioul, de Trévise, Padoue et Vérone. Venise donne à son nouvel État une législation unifiée et nomme les principaux magistrats des villes, dont elle préserve l'essentiel des coutumes.
La résistance à l'adversité (xve-xviiie s.)
La progression des Turcs dans les Balkans s'est manifestée depuis longtemps par l'émigration à Venise de lettrés grecs (Bessarion), qui introduisent dans la ville une école humaniste. Mais la prise de Constantinople (1453) atteint directement les intérêts vénitiens en Orient. Pour maintenir ses relations commerciales vitales, Venise achète Chypre (1489) et lutte pied à pied avec les Turcs. Les expéditions des rois de France en Italie à la fin du xve s. constituent une nouvelle menace contre laquelle Venise se mobilise. Mise en difficulté par la ligue de Cambrai (1509), elle finance une nouvelle coalition qui met les Français en échec, mais dont le poids financier compromet son équilibre économique. Enfin la découverte par Vasco de Gama de la route maritime des Indes enlève à Venise le monopole de l'importation des produits de l'Orient, bien que les Vénitiens réussissent à s'imposer sur les marchés occidentaux (foires de Lyon) jusqu'en 1580. Pour soutenir son commerce, la ville développe les industries des textiles et du verre. Sa splendeur atteint alors son apogée avec l'achèvement du palais des Doges et de la place Saint-Marc, la construction des plus beaux palais du Grand Canal et l'épanouissement d'une des plus grandes écoles de peinture du monde, de Bellini à Titien.
Après la perte de Chypre (1571), puis de la Crète (1669), la concurrence commerciale des ports méditerranéens rend le déclin de Venise irrémédiable. Au xviiie s., Venise n'est plus qu'une ville de fêtes (carnaval), de luxe et d'intrigues, peu pénétrée par l'esprit des Lumières, bien qu'elle conserve intactes ses institutions républicaines.
La liberté perdue (xixe-xxe s.)
Bonaparte, après avoir conquis la République de Venise et contraint le doge Ludovico Manin à abdiquer, cède l'État à l'Autriche (traité de Campoformio, 1797). Malgré l'union de Venise au mouvement national italien et la proclamation d'une éphémère république par Daniele Manin en 1848, la ville n'est rattachée à l'Italie qu'en 1866.
VENISE, VILLE D'ART
La période byzantine
Devant les invasions continentales, la civilisation héritée de l'Empire trouva un refuge dans les îles de la lagune vénitienne. Fondée en 639, mais agrandie au début du xie s., la cathédrale de Torcello s'inscrit dans la tradition de la première architecture chrétienne et des églises de Ravenne par son plan basilical et ses mosaïques, dont une partie remonte au viie s., le xiie s. ayant ajouté une page grandiose avec le Jugement dernier qui se déploie au revers de la façade. Alors que Santa Fosca, l'église voisine, dessine une croix grecque au milieu d'un octogone, Santi Maria e Donato de Murano, reconstruite à la fin du xiie s., reste fidèle au type basilical ; une influence lombarde apparaît dans la décoration extérieure de son abside aux arcades superposées.
Dans la ville de Venise, la basilique Saint-Marc (San Marco), fondée en 828-829 et incendiée en 976, a fait place à partir de 1063 à l'étonnant édifice actuel, qui se rattache au « deuxième âge d'or byzantin » sans qu'en soient absentes les particularités dues au génie local. Le plan passe pour reproduire celui des Saints-Apôtres de Constantinople : en croix grecque, avec cinq coupoles sur pendentifs couvrant respectivement la croisée, la nef, le chœur et les deux bras du transept, chacune étant éclairée par des arcs très larges qui retombent sur d'énormes piles évidées ; celles-ci sont reliées par des colonnades portant des galeries. Il s'y ajoute une abside flanquée de deux absidioles et, enveloppant la nef, un atrium voûté de petites coupoles. L'ossature de brique a été progressivement revêtue d'une somptueuse décoration tant extérieure qu'intérieure. Le sol, les surfaces verticales, les colonnes et leurs chapiteaux sont en marbres polychromes. De nombreux morceaux proviennent de la basilique précédente ou de monuments dépouillés lors d'expéditions maritimes : les quatre chevaux de bronze, hellénistiques, rapportés de Constantinople, en 1204, puis placés au-dessus du portail central ; le groupe en porphyre des Tétrarques, sculpture syrienne du ive s. ; le pilier de Saint-Jean d'Acre (ve s. ou vie s.) ; peut-être aussi les colonnes du baldaquin d'autel… Les marbres ciselés à thèmes ornementaux sont d'exécution byzantine ou d'imitation locale, de même que les portes de bronze (xie-xiiie s.) ou la partie la plus ancienne (xe s.) de la « pala d'oro », avec ses émaux et ses pierres précieuses. Mais l'intérieur offre surtout, dans ses parties hautes, l'immense revêtement de ses mosaïques, dont l'exécution a commencé à la fin du xie s. Avec leur fond d'or et leurs couleurs éclatantes, avec leur iconographie réglée par un programme d'inspiration théologique, les plus anciennes relèvent de l'art byzantin. Mais l'entreprise s'est poursuivre jusqu'au xviie s., soumise à l'évolution du goût. Dès le xiie s. apparaît un style plus libre, plus réaliste et plus vivant, où l'influence romane est sensible. On le retrouve au xiiie s., avec un ton brillamment narratif, dans les scènes de l'Ancien Testament qui ornent l'atrium. Cette tendance à l'occidentalisation est confirmée par le décor sculpté de la même époque : surtout les bas-reliefs du portail central, représentant les Mois, les Métiers, les Saisons, les Vertus, les Prophètes, etc., avec une vigueur plastique et un accent réaliste qui les rapprochent de la sculpture émilienne et notamment de Benedetto Antelami.
Cette période a vu aussi se fixer le type vénitien du palais conçu à la fois comme un entrepôt, avec débarcadère, une maison de commerce et une habitation patricienne. La façade sur le canal forme une sorte de triptyque avec deux tours, qui deviendront deux massifs aux percées assez peu nombreuses, de part et d'autre d'un corps central ajouré d'arcades superposées. L'ossature de brique se dissimule sous des placages de marbres souvent polychromes et assemblés en figures géométriques. Ainsi se présentent encore sur le Grand Canal, plus ou moins restaurés, les palais jumeaux Loredan et Farsetti, la Ca'da Mosto, le palais Palmieri, devenu au xviie s. le « fondaco dei Turchi ».
Venise gothique

Commencée au milieu du xiiie s., la construction de l'église des Dominicains, Santi Giovanni e Paolo (« San Zanipolo »), puis de celle des F ranciscains, Santa Maria Gloriosa dei Frari, marque l'abandon des formules byzantines et romanes au profit de la voûte à croisée d'ogives et d'un style lié au gothique péninsulaire. Ces deux majestueux vaisseaux de brique, à ornements de pierre blanche et de marbre, deviendront les nécropoles des doges et des Vénitiens illustres, San Zanipolo surtout. Parmi les autres églises, la Madonna dell'Orto se signale par sa façade gracieuse, Santo Stefano par sa couverture en carène lambrissée.
Dans tout cela, seuls des détails révèlent l'originalité du gothique proprement vénitien, amalgame d'éléments nordiques et orientaux. Sa floraison va du deuxième quart du xive au milieu du xve s. Il se définit moins par la structure que par son décor mouvementé, nerveux, riche et cependant léger grâce à la prépondérance des vides sur les pleins, souvent polychrome. Deux édifices, l'un religieux, l'autre civil, ont joué un rôle déterminant. Saint-Marc doit au gothique vénitien l'insolite couronnement de sa façade et de ses flancs : une alternance de grands arcs en accolade et d'édicules à pinacles, avec d'abondantes sculptures ornementales ou figuratives, auxquelles ont travaillé des maîtres florentins et lombards. À l'intérieur, Jacobello et Pier Paolo Dalle Masegne élevèrent en 1394 l'iconostase avec ses nobles statues.
Mais c'est dans l'art profane que le gothique vénitien a donné toute sa mesure, et d'abord dans le palais des Doges (Palazzo Ducale), reconstruit à partir de 1340 environ. On doit à une première campagne le corps de bâtiment donnant sur la lagune et formant, sur la Piazzetta, l'amorce de la façade en retour d'équerre. L'élévation, d'une vive originalité, inverse le rapport habituel des masses : c'est en effet la moitié inférieure qui est le plus évidée, au moyen d'un portique et d'une loggia à arcades, alors que la moitié supérieure, en faisant prévaloir la muraille sur les ouvertures, met en valeur l'assemblage de ses marbres bicolores. Entrepris à la fin du xive s. par des maîtres dont un grand nombre étaient originaires de Lombardie, le magnifique décor sculpté comprend notamment les deux groupes d'angles représentant l'un Adam et Ève, l'autre l'Ivresse de Noé. À la seconde campagne, commencée en 1424, revient l'achèvement de l'aile donnant sur la Piazzetta. Elle reproduit l'élévation de la plus ancienne et laisse le même rôle à la sculpture, mais à la contribution des maîtres lombards s'ajoute celle des Toscans, dont on reconnaît la force plastique dans le groupe d'angle représentant le Jugement de Salomon. On doit à Giovanni et à Bartolomeo Bon, pour l'essentiel, l'exubérant décor de la porte d'honneur, dite « porta della Carta » (vers 1440), ainsi que le « portique Foscari », qui s'ouvre sur la cour.
Sur la voie triomphale que forme le Grand Canal, les palais des patriciens témoignent aussi de la floraison gothique. Leur structure dérive du type primitif : entre deux parties plus massives, des arcades superposées forment un écran d'une grâce nerveuse. Ainsi se présentent les palais Foscari, Giustinian, Pisani-Moretta, etc.

La « Ca'd'oro », palais de Marino Contarini (1421-1440), se signale par sa décoration particulièrement luxueuse. Sur les rii et les campi, les palais sont aussi en grand nombre, mais généralement plus simples.
À Saint-Marc, deux cycles de mosaïques datant du milieu du xive s. (baptistère et chapelle Sant'Isidoro) font apparaître un croisement d'influences byzantines et gothiques. À la même époque, on retrouve cette hésitation dans le style du premier maître connu de l'école vénitienne de peinture Paolo Veneziano (Couronnement de la Vierge, galeries de l'Académie). Lorenzo Veneziano (?-vers 1379) se révèle mieux dégagé de l'emprise byzantine et plus proche de l'esprit gothique dans son Mariage mystique de sainte Catherine (Académie). Venise, alors, semble ignorer la révolution opérée par Giotto à Padoue, la ville voisine, malgré l'écho qu'en apporte Guariento en venant peindre en 1360, dans le palais ducal, la fresque (détruite) du Paradis. Le milieu vénitien paraît mieux disposé envers le gothique fleuri et courtois, dit « international », celui de Gentile da Fabriano et de Pisanello, également appelés l'un et l'autre pour peindre des fresques au palais ducal (début du xve s., détruites). Représentant vénitien de ce style, Michele Giambono est l'auteur d'une partie des scènes de la vie de la Vierge ornant en mosaïque la chapelle des Mascoli à Saint-Marc (entre 1430 et 1450). Le gothique international trouvera un dernier refuge dans l'école dite « de Murano », fidèle à la préciosité arbitraire des couleurs et à la somptuosité décorative. On doit à la collaboration d'Antonio Vivarini (?-vers 1484), qui en est le chef, et de Giovanni d'Alemagna (?-vers 1450) le grand triptyque de la Vierge (1446) encore en place dans l'ancienne Scuola della Carità, dont le local est devenu l'Académie.
La première phase de la Renaissance

Venise tarda beaucoup à prendre part au mouvement de la Renaissance. Elle n'avait pu cependant ignorer tout à fait l'exemple de Padoue, laboratoire des nouveautés artistiques et relais de l'esprit toscan en Italie du Nord. Dès 1425, Paolo Uccello était venu dessiner des mosaïques pour San Marco, où la décoration de la chapelle des Mascoli rappelle en partie son style ; Andrea del Castagno avait peint en 1442 les fresques de la chapelle San Tarasio à San Zaccaria, peu avant que Donatello ne sculptât le Saint Jean-Baptiste des Frari, statue d'un âpre réalisme.
Après ces apports sporadiques, il faut attendre la seconde moitié du siècle pour voir la Renaissance envahir le décor urbain. Elle apparaît en 1460 à l'Arsenal, dont la porte est traitée en arc de triomphe par Antonio Gambello. Ce qu'elle fait ensuite prévaloir, c'est un style pittoresque et orné, qui associe étroitement la sculpture à l'architecture et adapte au goût vénitien des éléments d'origine toscane ou, plus souvent, lombarde. Pietro Lombardo (vers 1435-1515), originaire de Lugano, en est le représentant le plus caractéristique. Son œuvre d'architecte et de sculpture a pour traits dominants une grâce sensuelle et une fantaisie qui n'excluent pas la perfection du détail. Avec ses revêtements de marbres polychromes et finement ciselés, ses arcatures légères, son fronton courbe épousant le cintre de la voûte à caissons, la petite église Santa Maria dei Miracoli (1481) est une création très homogène, et d'un goût exquis ; la façade de la Scuola di San Marco (vers 1485), avec ses perspectives illusionnistes traitées en bas relief, exprime davantage la tendance au pittoresque. Pietro Lombardo s'est distingué aussi dans l'art funéraire. Les monuments des doges Pasquale Malipiero, Pietro Mocenigo et Niccolo Marcello, à San Zanipolo, sont d'amples compositions de goût déjà classique et d'accent triomphal, peuplées de nombreuses figures. Tous ces travaux de Pietro, surtout pour la sculpture, impliquent la collaboration de ses fils Tullio et Antonio, qui, dans leurs ouvrages personnels, affirment la tendance classique. On doit à Tullio Lombardo (?-1532) le plus imposant des tombeaux de la Renaissance vénitienne, celui du doge Andrea Vendramin à San Zanipolo. Le concours de l'architecture et de la sculpture se retrouve chez Antonio Rizzo (vers 1430-vers 1499). Le monument du doge Niccolo Tron, aux Frari, unit les deux arts dans une composition solennelle (1473). Au palais des Doges, les deux statues d'Adam et d'Ève, ciselées en marbre pour les niches du portique Foscari, sont d'admirables études de nu ; on y reconnaît l'influence padouane, c'est-à-dire celle de Donatello et de Mantegna, mais l'intensité de l'expression les apparente à la sculpture germanique. Après l'incendie de 1483, Rizzo fut chargé de reconstruire l'aile oriental du palais. Sur la cour, elle offre une façade très ornée, de style composite, dont le morceau de bravoure est l'escalier dit plus tard « des Géants ».
Mauro Coducci (vers 1440-1504) incarne une tendance plus strictement architecturale, qui subordonne les ornements à la clarté de l'articulation. Après la façade de San Michele in Isola, celle de San Zaccaria (1486-1500), avec son grand fronton semi-circulaire étayé par deux éléments symétriques en quart de cercle, fixe avec majesté un type vénitien de frontispice d'église. Auteur d'autres églises et de la tour de l'Horloge sur la place Saint-Marc, Coducci affirme son exigence de régularité dans le dessin de deux façades ouvrant sur le Grand Canal par de larges baies cintrées : celles des palais Corner-Spinelli et Vendramin-Calergi, la seconde ayant plus d'ampleur et de relief avec ses colonnes détachées et ses entablements en forte saillie.
L'esprit de la première Renaissance aura encore des fidèles parmi les architectes de la génération suivante : Guglielmo dei Grigi (?-1550), dit Bergamasco, auteur des Procuratie Vecchie, dont la longue façade à arcades superposées forme le côté nord de la place Saint-Marc (vers 1515), et probablement du pittoresque palazzo dei Camerlenghi, c'est-à-dire des trésoriers de la République ; Antonio di Pietro degli Abbondi (?-1549), dit le Scarpagnino, dont le style se fait mouvementé dans les façades richement ornées de la cour des Sénateurs au palais des Doges et de la Scuola Grande di San Rocco.

La sculpture, on l'a vu, restait le plus souvent subordonnée au décor architectural. Pour ériger un grand monument en ronde bosse, on fit appel au Florentin Andrea Verrocchio. Exécutée de 1479 à 1488, mise en place en 1495 sur le campo Santi Giovanni e Paolo, l'éloquente statue équestre du condottiere Bartolomeo Colleoni porte un peu abusivement la signature d'Alessandro Leopardi (vers 1465-1523), à qui l'on doit cependant la fonte, la ciselure et le socle. Cet excellent bronzier est l'auteur des trois socles ciselés d'où s'élèvent les mâts de drapeaux sur la place Saint-Marc (1515).
La seconde moitié du quattrocento ajoute à tout cela l'essor de la peinture vénitienne. Sans rompre avec l'école de Murano, Bartolomeo Vivarini (vers 1432-après 1491), frère d'Antonio, se laisse gagner par l'influence de Mantegna, son collaborateur aux Eremitani de Padoue ; les triptyques des Frari, de San Giovanni in Bragora et de Santa Maria Formosa jalonnent son abondante production. Giovanni Bellini, dans sa première période, emprunte aussi à Mantegna une certaine tension ; mais c'est en assouplissant les formes, en les modelant par la couleur, en les chargeant d'humanité qu'il prouve ensuite son adhésion profonde, et bien vénitienne, à l'esprit de la Renaissance. Dans cette orientation, un rôle déterminant revient à Antonello da Messina, dont le séjour à Venise se place vers 1475. Entraîné hors du cercle de Murano par le maître sicilien, Alvise Vivarini (vers 1445-1505), fils d'Antonio, trouve l'expression d'une spiritualité inquiète dans le dessin nerveux et la palette raffinée qui caractérisent par exemple sa « conversation sacrée » de San Francesco de Trévise, aujourd'hui à l'Académie. Son atelier, rival de celui de Bellini, formera des peintres doués, sensibles d'ailleurs à l'influence de ce maître : surtout Giovanni Battista Cima da Conegliano (vers 1459-1517 ou 1518), habile à associer les figures au paysage dans des compositions – la Madonna dell'arancio (Académie), le Baptême du Christ (San Giovanni in Bragora) – dont une lumière sereine fait l'unité.
Un autre courant, celui des narrateurs et des réalistes, s'est manifesté dans les cycles peints pour les Scuole, ces institutions charitables auxquelles revient un si grand rôle dans la vie artistique de Venise. À la Scuola di San Giovanni Evangelista, Gentile Bellini eut pour collaborateurs Lazzaro Bastiani (?-1512), Giovanni Mansueti (?-1527) et surtout Carpaccio. Celui-ci donna d'autres preuves de sa sensibilité en travaillant pour les Scuole de Sant'Orsola et de San Giorgo degli Schiavoni ; la vivacité de sa touche permet de le classer parmi les novateurs.
La Renaissance de la maturité
Le fait le plus marquant des premières années du xvie s. est la révolution introduite dans la peinture par la brève carrière de Giorgione. L'auteur de la Tempête fait de la couleur un langage intime, d'une poésie rêveuse. Le « giorgionisme » touche la plupart des peintres vénitiens de cette époque : Jacopo Nigretti (1480-1528), dit Palma le Vieux, auteur de paisibles « conversations sacrées » et de la Sainte Barbe entre quatre saints de Santa Maria Formosa ; Sebastiano Luciani (1485-1547), dit Sebastiano del Piombo, qui a plus de puissance, comme en témoignent les figures des portes d'orgue à San Bartolomeo et la pala de San Giovanni Crisostomo, peintes avant le départ de l'artiste pour Rome et son entrée dans le cercle de Raphaël ; le vieux Giovanni Bellini et le jeune Titien ; d'autres encore, moins connus…
Pour voir l'architecture se dégager des traditions du quattrocento, et gagner en ampleur ce qu'elle peut perdre en délicatesse, il faut attendre l'arrivée du Florentin Jacopo Sansovino. Le palais Corner della Ca'Grande, qu'il élève en 1537 sur le Grand Canal, montre déjà comment il a su adapter le répertoire classique au goût vénitien. Devenu l'architecte officiel de la République, il conçoit en 1536 le fastueux décor que formeront, sur la Piazzetta, la « loggetta », habillant avec grâce la base du campanile de Saint-Marc, et la Libreria, dont les ordres superposés et les arcades à la romaine contrastent avec le robuste appareil de la Zecca (palais de la Monnaie). Sculpteur lui-même, d'un maniérisme tantôt élégant, tantôt plus déclamatoire (statues de Mars et de Neptune, dites « des Géants », ajoutées à l'escalier extérieur du palais des Doges), Sansovino dirige un vaste atelier de sculpture pour la décoration de ses bâtiments. On y trouve notamment Alessandro Vittoria (1525-1608), maniériste raffiné dans les stucs de l'escalier de la Libreria, dans ceux de la « scala d'oro » du palais des Doges et dans ses petits bronzes, mais d'un naturalisme vigoureux quand il sculpte en marbre le saint Jérôme des Frari, celui de San Zanipolo, des bustes de patriciens et de doges.

Dans le décor urbain du xvie s., la scénographie solennelle de Sansovino peut faire place à l'expression d'une tendance plus classique. Architecte de Vérone, et spécialiste des fortifications, Michele Sammicheli (1484-1559) donne à Venise deux exemples de son style mâle en élevant sur le Grand Canal le palais Corner-Mocenigo, dont le soubassement à bossages servira de modèle à ceux des palais baroques, et le palais Grimani, d'une majesté romaine, rythmé par l'alternance de ses baies rectangulaires et cintrées. Si Vicence et les villas patriciennes de Vénétie résument l'œuvre profane d'Andrea Palladio, à Venise, l'illustre architecte a marqué de sa personnalité des édifices religieux dont l'inspiration abstraite peut paraître étrangère au génie local : l'harmonieux sanctuaire du Redentore, San Giorgio Maggiore, où le cloître et le réfectoire ont précédé la reconstruction de l'église. C'est un disciple peu imaginatif de Palladio, le théoricien Vincenzo Scamozzi (1552-1616), qui, à partir de 1584, élèvera sur le côté sud de la place Saint-Marc les Procuratie Nuove, reproduisant l'ordonnance de la Libreria avec un étage supplémentaire. Il y a plus d'originalité chez Antonio da Ponte (vers 1512-1597), qui restaure le palais des Doges après l'incendie de 1577, achève le puissant bâtiment des Prisons et reconstruit en 1588 le célèbre pont du Rialto, hardi et mouvementé.

À l'intérieur du palais des Doges, les salles refaites alors (du Collège, du Sénat, du Grand Conseil, du Scrutin), avec leurs opulents plafonds de bois sculpté et doré, accueillent les compositions de peintres qui ont depuis longtemps délaissé le giorgionisme pour des programmes plus amples. C'est par une conception particulière de la couleur que l'école vénitienne, isolée en Italie, échappe presque entièrement à l'empire du maniérisme, qui ne peut guère revendiquer que la fantaisie brillante d'Andrea Meldolla (vers 1510-1563), dit le Schiavone, de Zadar, ou le style tendu de Gian Antonio de Sacchis (vers 1483- 1539), dit le Pordenone. Cette conception préside à la longue carrière de Titien, dont le succès international explique qu'il ne soit plus représenté à Venise que par ses grands tableaux religieux, ou par des ouvrages tels que le plafond de la Libreria, décoré sous sa direction. L'œuvre du Tintoret s'inscrit au contraire dans un cadre typiquement vénitien, celui du palais des Doges, des églises, des Scuole. La sincérité de sa foi s'exprime dans un langage dramatique, où la force du coloris n'est pas absorbée par le contraste de l'ombre et de la lumière. C'est la Venise patricienne que reflète le monde fastueux du Véronèse, avec ses architectures inspirées de Sansovino, ses perspectives hardies, son coloris lumineux. Des peintres de second rang ont travaillé à l'ombre de ces trois maîtres : Paris Bordone (1500-1571), auteur de bons portraits et du tableau illustrant d'une manière savoureuse la légende du pêcheur remettant au doge l'anneau de saint Marc (à l'Académie, provenant de la Scuola di San Marco) ; Bonifazio De Pitati (1487-1553), court de souffle, mais narrateur agréable quand il introduit la représentation de la société vénitienne dans des compositions telles que le Festin du mauvais riche (Académie). Lorenzo Lotto est au contraire un indépendant, très original par sa sensibilité inquiète, sa facture vive et son coloris froid. Conçue pour glorifier l'histoire et les institutions de Venise, la nouvelle décoration du palais des Doges a employé une cohorte de peintres dont les compositions encombrées sont d'un style un peu laborieux, issu de Titien, du Véronèse, de Jacopo Bassano et surtout du Tintoret. Avec Domenico Tintoretto, fils du maître, Francesco et Leandro Bassano, d'autres encore, figure ici le fécond lacopo Palma le Jeune (1544-1628), dont beaucoup de tableaux d'églises pêchent par un coloris lourd, mais qui réveille l'intérêt avec le cycle narratif de l'oratoire des Crociferi.
Venise baroque


Baldassare Longhena, église Santa Maria della Salute, Venise
image: http://www.larousse.fr/encyclopedie/data/vignettes/1001336.jpg
Baldassare Longhena, église Santa Maria della Salute, Venise
La physionomie actuelle de Venise doit beaucoup à une architecture baroque dont l'esprit ne marque d'ailleurs aucune rupture avec le passé. Le xviie s. en est l'âge d'or, et Baldassare Longhena le plus grand maître. Les palais bâtis selon ses dessins, avec ampleur et faste, dérivent des modèles de la Renaissance : Ca'Rezzonico (aujourd'hui musée du Settecento), Ca'Pesaro, à la façade puissamment modelée (musée d'Art moderne)… Il y a plus de mouvement dans ses constructions religieuses : le sanctuaire de la Salute, merveilleuse illustration du thème de la coupole centrale ; le grand escalier du couvent de San Giorgio Maggiore ; la façade de Santa Maria dei Derelitti (ou Ospedaletto), pittoresque et chargée de sculptures comme celle de San Moise, œuvre d'Alessandro Tremignon, et celle de Santa Maria del Giglio (ou Zobenigo), due à Giuseppe Sardi (1680-1753) – auteur précédemment de la façade, plus majestueuse, de Santa Maria degli Scalzi, église bâtie sur des plans de Longhena. Les édifices de cette époque ont donné lieu à l'intervention de nombreux sculpteurs, d'origine souvent étrangère, dont le plus notable est Giusto Le Court (1627-1679), d'Ypres. Leur art est au service de l'architecture ; accord dont témoigne encore en 1708 le monument funéraire de la famille Valier, à San Zanipolo, théâtrale composition de l'architecte Andrea Tirali (vers 1660-1737). Les principaux constructeurs baroques du xviiie s. sont le Tessinois Domenico Rossi (1678-1742), auteur de la pittoresque façade de Santo Stae et de celle des Gesuiti ; Giovanni Scalfarotto (vers 1690-1764), à qui l'on doit San Simeon Piccolo, dominée par une élégante coupole ; Andrea Cominelli (1677-1750), qui s'est inspiré de Longhena en dessinant le vaste palais Labia.

La peinture vénitienne passe pour avoir connu une sorte de temps mort au cours du seicento, par épuisement de sa veine. Ce n'est pas, loin de là, par manque de peintres ; mais beaucoup d'entre eux se sont contentés d'exploiter les formules des grands maîtres de la Renaissance. Il en est ainsi d'Alessandro Varotari (1588-1648), dit le Padovanino, de Pietro Liberi (1614-1687), dont le registre mineur ne manque pas de grâce, tandis que Pietro Muttoni (1605-1678), dit Pietro Della Vecchia, se singularise par son goût du bizarre. Si la flamme reste alors entretenue, c'est plutôt par des étrangers qui, séjournant ou fixés à Venise, y apportent le sang frais de l'invention baroque : Domenico Fetti (vers 1589-1624), de Rome ; l'Allemand Johann Liss (vers 1597-1629) ; Bernardo Strozzi (1581-1644), de Gênes ; Francesco Maffei (vers 1600-1660), de Vicence, remarquable par sa verve et la nervosité de sa touche… Le réalisme violent et ténébreux du Génois Giovan Battista Langetti (1625-1676), d'ascendance caravagesque, trouve un écho dans la manière vigoureuse d'Antonio Zanchi (1631-1722), un autochtone comme Giovanni Antonio Fumiani (1643-1710) ; ce dernier, formé auprès des spécialistes bolonais de la perspective, peuplera de figures l'immense plafond de San Pantalon.
C'est en s'inspirant de l'exemple laissé à la Salute par Luca Giordano, de Naples, avec trois grands tableaux de la vie de la Vierge, et en se réclamant de la tradition du Véronèse, vivifiée par une sensibilité nouvelle, que Sebastiano Ricci, à l'aube du xviiie s., rendra sa place prédominante à la couleur et ouvrira la voie à ce renouveau qui fait de Venise le principal foyer de la peinture italienne du settecento. Il y a cependant plus de brio encore dans la manière apparemment facile et le coloris frais de Giovanni Antonio Pellegrini (1675-1741). Comme beaucoup de ses compatriotes, ce décorateur fécond contribuera par ses voyages en Europe (Angleterre, Pays-Bas, Paris, Vienne) au renom de l'école vénitienne. Plus court de souffle, mais d'une grâce élégiaque, lacopo Amigoni (1682-1752) fera de même à Londres, puis comme peintre de cour en Bavière et en Espagne. Le rococo trouve son représentant le plus typique en Giovan Battista Pittoni (1687-1767), dont les compositions mouvementées allient un dessin capricieux à la fraîcheur du coloris.
À cette tendance hédoniste, Giovan Battista Piazzetta (1682-1754) oppose la force et la gravité de son tempérament, l'efficacité dramatique d'un clair-obscur issu du Caravage et cependant plus moelleux (grâce à l'enseignement reçu de Giuseppe Maria Crespi à Bologne), l'austérité d'une gamme savante où dominent blancs, noirs et bruns. La sincérité de son inspiration religieuse apparaît dans des compositions telles que le Saint Jacques conduit au supplice de Santo Stae, la Vierge avec saint Philippe Neri de Santa Maria della Fava, la Gloire de saint Dominique, peinte à fresque au plafond d'une chapelle de San Zanipolo ; mais il a traité aussi, sans mièvrerie, des sujets de genre (la Devineresse, 1740, Académie).

On reconnaît l'influence de Piazzetta dans la première période de Giambattista Tiepolo. Mais ce n'est qu'un moment dans la carrière de ce maître, dont l'art relève du rococo tout en le transcendant par la virtuosité, par la splendeur du coloris, par la luminosité de l'espace. Si son œuvre immense déborde largement le cadre de Venise, des villas vénitiennes et même de l'Italie, sa ville natale montre cependant quelques-uns de ses plus beaux ouvrages : religieux, à Santo Stae, Santa Maria della Fava, Sant'Alvise, la Scuola del Carmine, Santa Maria della Pietà et aux Gesuati ; profanes, à la Ca'Rezzonico et surtout au palais Labia. Le grand Tiepolo a trouvé un collaborateur et un continuateur en son fils Giandomenico, plus doué cependant pour les sujets de genre. Il a inspiré des décorateurs habiles comme Francesco Fontebasso (1709-1769) ou Giambattista Crosato (1685-1758), auteur de fresques au palais Pesaro et de l'allégorie des Parties du monde, œuvre peinte à la voûte du grand salon de la Ca'Rezzonico.

À côté de la peinture d'histoire, l'école vénitienne du settecento a fait une place importante aux autres genres, souvent pratiqués par des spécialistes. Parmi les maîtres du portrait, Sebastiano Bombelli (1635-1716) et Alessandro Longhi (1733-1813) ont su donner du brio à la représentation officielle des personnages en pied, alors que Rosalba Carriera (1675-1757) a dû son immense succès international au charme de ses pastels. Le « genre » a trouvé son spécialiste en Pietro Longhi (1702-1785), célèbre par ses petits tableaux gauchement inspirés des maîtres hollandais, mais charmants par leurs couleurs et précieux pour l'image qu'ils donnent de la vie vénitienne. Les paysagistes ont suivi deux voies distinctes. Il y a celle du paysage composé : romantique chez Marco Ricci, décoratif et bucolique chez Francesco Zuccarelli (1702-1785), qui a beaucoup travaillé en Angleterre, et chez Giuseppe Zais (1709-1784). Genre plus humble, mais d'intérêt « touristique » et comme tel apprécié particulièrement des Anglais du temps, la veduta, ou représentation des sites réels, a été pratiquée par Luca Carlevaris (1665-1731), encore sec, et Michele Marieschi (1710-1744), plus vivant, mais ses maîtres sont Canaletto, exact et limpide, Francesco Guardi, plus frémissant.
De même que la peinture religieuse, aujourd'hui trop souvent dispersée, était conçue pour s'intégrer à la fastueuse décoration des églises, de même la peinture profane avait sa place dans les palais de la société patricienne, sur des étoffes murales, souvent au milieu de stucs d'abord exubérants comme ceux du palais Albrizzi, puis délicatement modelés et colorés comme ceux du ridotto Venier. Le goût du rococo marque tous les arts dits « mineurs ». Une place importante revient au mobilier. Après avoir connu le style sculptural d'Andrea Brustolon (1662-1732), Venise a trouvé sa spécialité dans les meubles, sièges, cadres de miroirs peints et vernis à l'imitation des laques d'Extrême-Orient, avec des motifs souvent inspirés de la Chine. La porcelaine, d'abord analogue à la pâte tendre de France, puis à base de kaolin, atteste aussi le goût de la chinoiserie. Une célébrité internationale est acquise au verre de Murano, soufflé ou effilé, souvent traité en floraisons polychromes dont l'éclat triomphe dans le décor des lustres.
Du néoclassicisme à nos jours
Dès le milieu du xviiie s., on voit Giorgio Massari (vers 1686-1766) revenir à un classicisme assez strict, d'ascendance palladienne ; on lui doit ainsi l'église des Gesuati (ou Santa Maria del Rosario), celle de Santa Maria della Pietà (ou della Visitazione) et le froid palais Grassi. Une tendance plus rigoureuse et plus archéologique apparaît à la fin du xviiie s., rompant pour la première fois l'harmonieuse continuité du tissu urbain. Elle est représentée par Giannantonio Selva (1753-1819), auteur du théâtre de La Fenice (1792). Sous l'Empire, les bâtiments du fond de la place Saint-Marc sont malencontreusement remplacés par l'aile napoléonienne, lourde imitation des Procuratie Nuove, qui abrite le musée civique Correr. Ce qui sera construit désormais ne fera guère que déparer Venise, à l'exception d'un pastiche réussi, la Pescheria (1907) de Cesare Laurenti (1854-1936). Il faut se rendre à l'évidence : Venise est l'éblouissante image d'un passé dont la gloire avait déjà pris fin avant l'abolition de la république.
LA VERRERIE DE VENISE
L'origine de la verrerie vénitienne serait liée à l'essor de la mosaïque en pâte de verre, à Ravenne et en Vénétie. Au ixe s., les artisans seraient passés de la simple fusion des « smalts » pour mosaïque au soufflage du verre. D'usage monastique au début, le verre creux devient au xie s. objet d'usage courant réclamé par la bonne société de Venise. Destinées au service de la table, ces verreries sont d'une grande finesse et leurs formes, souvent d'origine islamique, influencent toute la verrerie gothique occidentale. À la fin du xiiie s., la quasi-totalité des verreries sont concentrées, pour des raisons d'hygiène, dans l'île de Murano. Le xve s. voit la mise au point du « cristallin », excellente imitation du cristal de roche, à base de soude. Du xve au xviiie s., la verrerie vénitienne utilise toutes les ressources de la couleur : émail, effets de jaspe et d'agate, aventurine, millefiori, filigranes torsadés blancs ou de couleur, enfin pierres et perles fausses. L'influence de Venise se répand en Europe grâce aux verriers d'Altare, près de Gênes, qui, au contraire des verriers vénitiens, ont le droit de s'expatrier.
En déclin à partir du milieu du xviiie s., les ateliers de Murano connaissent un renouveau au xxe s., principalement grâce à la créativité de Paolo Venini, qui fait travailler les meilleurs artistes verriers de son temps, tel le Finlandais Tapio Wirkkala. Son action est poursuivie aujourd'hui par son gendre, Ludovico de Santillana.
LES PRINCIPAUX MUSÉES DE VENISE
Parmi les nombreux musées de Venise, on notera :
– les Galeries de l'Accademia (panorama complet de l'école vénitienne, du xive au xviiie s.) ;
– le musée Correr (musée historique et pinacothèque) ;
– le musée du Settecento veneziano, dans la Ca'Rezzonico ;
– la Galerie Franchetti, dans la Ca'd'Oro (Mantegna, Carpaccio, Titien, Guardi, etc.) ;
– la Pinacothèque du palais Querini-Stampalia ;
– le musée d'Art moderne, dans la Ca'Pesaro ;
– la Collection Peggy Guggenheim, dans le palais Venier dei Leoni (peintures et sculptures du xxe s.).

 

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