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LES BASES GÉNÉTIQUES DE L'ÉVOLUTION HUMAINE

 

 

 

 

 

 

 

LES BASES GÉNÉTIQUES DE L'ÉVOLUTION HUMAINE


Aucun élément du patrimoine génétique humain n'est spécifiquement propre à notre espèce. Nos gènes, nos chromosomes, nos cellules et nos ADN sont les mêmes que ceux des autres êtres vivants, d'autant plus partagés que ces derniers sont nos plus proches parents. Ces comparaisons nous obligent à une grande modestie quant a la spécificité humaine, qui réside ailleurs. Si elles ont des conséquences en matière d'éthique, notre société ne semble pas en être consciente. A un autre niveau, la variation des gènes entre individus et leurs diverses fréquences entre populations nous permet de reconstituer, de plus en plus précisément, l'histoire de nos ancêtres et la façon dont ils ont réparti leurs gênes à la surface de la planète au cours des mille derniers siècles. Des résultats fondamentaux, tant pour notre curiosité que pour des problèmes touchant à la santé publique, en sont attendus.

Texte de la 10ème conférence de l'Université de tous les savoirs réalisée le 10 janvier 2000 par André Langaney

Les bases génétiques de l'évolution humaine

Pour parler de l'évolution humaine, il faut d'abord évoquer lévolution des ancêtres des humains actuels, c'est d'abord 3 milliards 800 millions d'années d'histoire de la vie, une histoire pré-humaine à 99'9%. Ceux qui ont constitué lessentiel de notre généalogie n'étaient pas des hommes. Cela a été l'objet d'un grand débat, de lourdes polémiques. En 1619, un prêtre italien, Jules César Vanini a eu la langue arrachée, a été strangulé et brûlé vif, si lon peut dire, sur la place publique à Toulouse, pour avoir proposé, entre autres choses, que les hommes descendaient de singes. Ceci deux siècles avant Darwin à qui lon attribue trop souvent cette idée, et un siècle et demi avant Lamarck, qui lavait écrite huit ans avant la naissance de Charles Darwin. Ces idées, depuis, ont été confirmées dans le cadre d'une théorie énoncée pour la première fois par le même Jean-Baptiste de Monet, chevalier de Lamarck : la théorie de l'évolution des espèces.

Il est possible d'établir une classification des espèces vivantes d'après la structure moléculaire dune enzyme présente dans toutes les cellules de toutes les espèces vivantes : le cytochrome C. Celui-ci a été étudié depuis plus de trente ans chez de très nombreuses espèces. La séquence de la partie active de cette protéine est, à peu de chose près, la même dans les différentes espèces, mais il y a des différences entre les parties non actives de ces séquences, différences d'autant plus grandes que les espèces sont moins parentes dans la classification des espèces. Si tous les cytochromes sont pareils, c'est parce que ce sont des variantes du même gène initial qui ont été héritées à travers la généalogie commune de toutes les espèces. Cela implique donc que toutes ces espèces aient une origine commune. Ce qui a été découvert sur le cytochrome est vrai pour toutes les autres grandes molécules qui assurent les fonctions principales de la vie : reproduction, synthèse des protéines, établissement des structures cellulaires et, pour la plupart des êtres vivants, sexualité.

Une séquence d'ADN a été trouvée chez la mouche du vinaigre, la célèbre drosophile des généticiens, qui code des gènes organisant le corps de cette mouche d'avant en arrière. Cette découverte du groupe de Walter Gehring, à Bâle, montre que, contrairement à ce que tous les biologistes moléculaires avaient cru jusque-là, il peut y avoir parfois, dans un organisme, dans son patrimoine génétique, sur un chromosome, sur une molécule d'ADN, une sorte de plan préétabli de cet organisme.

Dautres gènes organisateurs vont faire que l'animal a un ventre et un dos, quil est segmenté en anneaux, comme l'abdomen de cette mouche du vinaigre ou comme son thorax. Il y en a évidemment dans toutes les espèces qui ont des propriétés semblables. Un groupe américain a retrouvé presque exactement la même séquence de gènes organisateurs avant- arrière et de segmentation chez l'embryon de souris, même si l'avant et larrière y sont plus difficile à définir. Cela signifie qu'un ancêtre commun, déjà organisé d'avant en arrière et segmenté, existe entre la mouche du vinaigre et l'ensemble des vertébrés, jusqu'à l'homme. Nous, humains, avons un corps organisé d'avant en arrière, de haut en bas, et qui est segmenté comme celui de la mouche du vinaigre, sauf que nos segments sont à l'intérieur au lieu d'être extérieur : ce sont nos vertèbres. Les gènes organisateurs font que le plan fondamental des organismes est le même chez les vertébrés et chez les invertébrés. Cela signe donc une incroyable parenté de tous les êtres vivants.

Cette parenté se retrouve au niveau des chromosomes. La comparaison des chromosomes, les supports du matériel génétique, de l'homme et du chimpanzé montre qu'ils sont aussi nombreux et sont très semblables par leurs anneaux colorables, si ce n'est que le grand chromosome 2 humain n'a pas d'équivalent chez le chimpanzé. Le chimpanzé, lui possède deux petits chromosomes qui n'ont pas d'équivalents chez l'homme, à moins de les recoller, auquel cas ils forment un chromosome 2 humain parfait. Il est clair que, soit un ancêtre commun à l'homme et au chimpanzé avait la structure du chimpanzé et les deux chromosomes ont fusionné, soit, à l'inverse, il y avait un chromosome de type humain qui s'est partagé. La comparaison avec d'autres espèces prouve que l'ancêtre commun avait la même structure que le chimpanzé, et que, sur la seule lignée humaine, il y a eu une fusion pour donner ce nouveau chromosome n°2.

Il est vraisemblable qu'un événement comme celui-là ne s'est produit qu'une seule fois. Il a fallu partir d'un petit groupe dans lequel cette anomalie a eu l'occasion de se reproduire. Cela veut dire qu'à certains moments, à chaque fois qu'il s'est passé des choses comme cela, nos ancêtres sont repartis de populations de très petits effectifs, seules capables de "fixer" de telles mutations rares. L'origine des espèces n'est donc certainement pas toujours ce qu'imaginaient Charles Darwin ou Jean Lamarck : de grandes populations mères qui se séparent en deux ou trois grandes populations filles, lesquelles deviennent de plus en plus différentes. Ce dernier cas, cest celui des espèces dites "jumelles" ; cela existe de temps en temps, mais ce n'est pas le cas général. Le cas le plus fréquent, c'est sans doute le bourgeonnement, à partir d'une espèce- mère d'une petite population dans laquelle vont s'établir des différences de structures chromosomiques, lesquelles vont aboutir à l'inter- stérilité entre l'ancienne et la nouvelle espèce. Par exemple, on a pu montrer que, depuis un ancêtre commun qui vivait il y a quatre à sept millions d'années, jusqu'à l'homme d'un côté et jusqu'au chimpanzé de l'autre, il y a eu au moins neuf fois où lon est repartis à partir de peu dindividus porteurs dune nouvelle mutation chromosomique importante, qui se sont reproduits entre eux.

L'histoire des chromosomes de l'ensemble des primates a été décrite par Bernard Dutrillaux, du CNRS. Les cercopithèques de la forêt dAfrique équatoriale ne présentent pas toujours une séparation très claire de leurs espèces deux à deux, mais se croisent parfois entre espèces ou pré-espèces interfécondes, formant une sorte de "patate évolutive", aux limites internes floues et dont les racines correspondant aux espèces qui en sortent. En forêt dAfrique équatoriale, par exemple, il y a une vingtaine d'espèces de petits cercopithèques différentes, adaptées à des environnements légèrement différents, dont les individus, en principe, forment des populations qui se reproduisent entre elles. Mais il arrive des accidents de deux types : d'abord, que tous les membres d'une même espèce n'aient pas la même formule chromosomique; ensuite, que les membres de deux espèces différentes s'hybrident et produisent des hybrides féconds. Dans un cas comme celui-là, il est clair que ces espèces sont récentes et ne sont pas encore bien séparées. On est donc obligé d'admettre que les ancêtres des différentes espèces ont pu échanger de temps en temps un chromosome et quelques gènes pendant un certain temps après le début de leur séparation, ce qui veut dire que celle-ci ne sest pas faite par des "dichotomies", des séparations en deux des généalogies, semblables pour tous les chromosomes et tous les gènes. Avec de tels échanges génétiques après le début de la formation des espèces, deux chromosomes ou deux gènes peuvent avoir des histoires généalogiques différentes au sein dun même groupe despèces proches.

Et ceci s'est produit aussi sur la lignée humaine. Pour un certain nombre de chromosomes, l'homme, le chimpanzé et le gorille sont exactement semblables. Pour d'autres chromosomes, les plus nombreux, l'homme et le chimpanzé sont semblables, le gorille est différent. Pour d'autres, le chimpanzé et le gorille sont semblables, l'homme est différent. Enfin, il y a un tout petit chromosome, le n°15, pour lequel le gorille et l'homme sont semblables et le chimpanzé est différent. D'après le chromosome n°15, vous supposeriez un ancêtre commun à l'homme et au gorille, et puis, avant, un ancêtre qui aurait été commun avec le chimpanzé. Mais si vous prenez le chromosome n°2, par exemple, vous allez avoir l'homme et le chimpanzé d'abord, et puis le gorille qui se rattachera après. Ces deux histoires sont incompatibles, ce qui veut dire que la séparation des espèces ne s'est pas toujours faite deux à deux ou bien trois à trois, comme on le supposait autrefois. Pendant un certain temps et cela complique beaucoup certaines études de génétique entre les espèces -, les ancêtres de plusieurs espèces ont pu être interféconds, et la séparation de ces espèces n'a pas été aussi nette, deux à deux, quon le croit souvent encore.

Lucy, l'australopithèque de l'Afar, est reconstituée en jolie petite pygmée au Muséum dhistoire naturelle de Genève et cest par contre un chimpanzé qui marche debout au Musée de lHomme de San Diego, en Californie ! On na bien sûr aucune information sur sa pilosité, mais, poilue ou pas, elle marchait debout quand elle était à terre. Autrement, du point de vue anatomique, c'était plus un chimpanzé quun humain et elle vivait sans doute à moitié dans les arbres.

Qui étaient les ancêtres communs à l'homme et au chimpanzé ? Ces ancêtres communs sont prouvés par la biologie moléculaire, par la biologie cellulaire, par la théorie de l'évolution, par l'anatomie comparée et datés entre quatre et sept millions d'années avant nous. Tout le monde voudrait que certains australopithèques, nos seuls cousins connus de lépoque, soient les ancêtres de l'homme, mais presque personne ne voudrait que ce soient aussi les ancêtres du chimpanzé. Résultat: en trente ans de paléontologie déconcertante, on a trouvé des quantités d'ancêtres possibles de l'homme et jamais un seul ancêtre du chimpanzé ! Pourtant, il avait bien des ancêtres, ce chimpanzé ! Comme les australopithèques, par la démarche debout, verticale, ressemblaient plus à l'homme, même si, par leur crâne et par le reste, ils ressemblaient plus au chimpanzé, le grand problème, ce n'est pas l'hominisation, qui est un chose simple : inventer l'homme à partir de Lucy, qui marche debout, tout le monde en est capable ! Mais inventer le chimpanzé à partir dun cousin de Lucy, semblait plus difficile. Alors, il faudra y penser car le chimpanzé avait des ancêtres et, en ces temps reculés, on ne connaît que des australopithèques.

Homo habilis, daté de trois à 1,8 millions d'années, est retrouvé associé à des outils depuis 2,5 millions, puis à des restes de dépeçage collectif et à des traces dhabitations probables. Ses outils en pierre taillée le font qualifier dhumain, parce que, si les chimpanzés utilisent des outils et en fabriquent aussi, ils fabriquent plutôt des outils en bois. Quelque temps plus tard, entre 1,8 et 1,6 million dannées, apparaît Homo dit erectus et quelques autres dotés de noms très arbitraires. Déjà, les Homo habilis avaient une station verticale parfaite et ne vivaient plus dans les arbres la moitié de leur vie, comme Lucy et ses semblables. Homo erectus est franchement humain et il est associé à des outils nettement plus sophistiqués. Et puis, particularité nouvelle, il est parfois très grand : le squelette trouvé au bord du lac Turkana était celui dun jeune très grand. S'il avait continué à grandir - il est mort avant d'avoir fini sa croissance -, il aurait atteint une taille de 1,85 ou 1,90 mètre, voire plus, ce qui coupe court à la légende selon laquelle les Homo erectus n'auraient jamais mesuré plus de 1,70 mètre. Ces Homo erectus vont conquérir le monde une première fois. Ils vont se retrouver en Asie du Sud-Est, en Chine, et leurs cousins en Europe. Certains sont restés en Afrique depuis 1,6 millions dannées, mais, jusque vers 500 000 ans avant nous, on en a un peu partout. Il y en a peut-être qui ont continué un peu plus longtemps, mais, à partir de 500 000, on voit un certain nombre de fossiles bizarres, plutôt intermédiaires entre eux et nous. Si lon ne peut pas tenir de grands discours sur ce qui s'est passé dans cette transition, c'est d'abord parce qu'on n'a pas presque pas d'informations, les fossiles de cette période étant rares et, de plus, mal datées pour des raisons techniques.

Depuis 100 000 ans, il y a des hommes modernes, ayant le même squelette que nous, en Palestine et peut-être en Éthiopie et en Afrique du Nord. Non seulement ils nous sont semblables sur le plan anatomique, mais ils enterrent leurs morts dans des tombes, les cadavres sont orientés, on retrouve, dans les sépultures, des pollens de fleurs et des offrandes aux défunts, donc des rites religieux. Mais ce qui est caractéristique, c'est, à nouveau, que lon en retrouve très peu jusqu'à 12 000 ans avant nous, jusqu'à l'invention de l'agriculture. Celle-ci apparaît à différents endroits des cinq continents entre quinze et six ou sept mille ans et les fossiles d'hommes modernes très rares jusque là, deviennent très fréquents dès que leur mode de vie change, grâce à la production de nourriture liée à lagriculture.

Il y a donc eu une grande révolution démographique dans la préhistoire parce que, pendant les neuf dixièmes des 100 000 ans, mille siècles, des humains modernes (une histoire très courte), ils ont été très peu nombreux. Cétait une espèce rare, comme tous les autres grands primates. Les chimpanzés, les gorilles, les orangs-outans, les bonobos, comptaient au plus quelques centaines de milliers d'individus pour tout le continent qui les hébergeait. Les humains, pendant très longtemps, ont sans doute été aussi quelques dizaines de milliers, quelques centaines de milliers au plus, dont la plupart n'ont pas laissé de descendants. Et puis, ils inventent l'agriculture, produisent de la nourriture par leurs jardins et leurs champs, ainsi que par l'élevage. Ils peuvent alors être vingt, trente ou quarante fois plus nombreux sur les mêmes territoires et cest le début d'un grand changement.

Des mesures de la diversité connue du système des groupes sanguins Rhésus ont été réalisées à travers le monde. Il y a, dans ce système génétique, quatre gènes principaux R0, R1, R2, qui donnent des Rhésus positifs et r qui, en double exemplaire, donne le caractère Rhésus négatif. Le classement informatique d'une vingtaine de populations à travers le monde, conduit aux résultats suivant : dabord, les répertoires de gènes sont les mêmes partout, mais les fréquences de ces gènes varient beaucoup dune population à lautre, surtout si elles ont vécu loin lune de lautre. Ensuite, les populations s'enchaînent l'une à l'autre depuis une extrémité où lon observe les populations du Sud et de l'Ouest de l'Afrique, puis de l'Est de l'Afrique, puis de l'Afrique du Nord, puis du monde indo-européen, jusquà lautre extrémité avec celles de l'Asie orientale, de l'Océanie, de l'Amérique et de la Polynésie, mélangées. L'ordinateur a ainsi retrouvé l'ordre géographique d'alignement des populations dans lancien monde et ses prolongements américain et océanien. Il y a donc une logique géographique dans les variations des fréquences génétiques du système Rhésus à travers le monde. Par ailleurs, lordre en question na pratiquement aucun rapport avec laspect physique des populations : des populations de proportions corporelles ou de couleurs de peau très différentes sont génétiquement très proches, et inversement.

Richard Lewontin, célèbre généticien nord-américain, a fait, il y a plus de trente ans, une étude qui portait sur les enzymes humaines, dont la molécule varie souvent dun sujet à un autre. Il s'est demandé quelles étaient les parts de la diversité de ces enzymes qui étaient dues aux variations entre les individus à l'intérieur d'une même population, celle qui était due aux variations entre populations d'un même continent et celle qui était due aux grandes différences intercontinentales, aux "races" géographiques. Le résultat obtenu fut que la variabilité à l'intérieur des populations représentait 86% de la variabilité totale et les autres 6 à 8 % seulement. Les différences interindividuelles étaient donc beaucoup plus importantes que les différences systématiques entre populations soit d'un même continent, soit de continents différents. Cela a été retrouvé depuis pour la plupart des autres caractères génétiques : il y a une énorme variation à l'intérieur des populations et quelques différences systématiques, mais bien peu, entre les populations d'origines différentes.

Pour faire des greffes d'organes, on a énormément de mal à trouver un donneur aléatoire compatible et on ne le trouve pas forcément dans la population du receveur sil ny en a pas parmi ses frères et sSurs. C'est pour cela que les organismes de transplantation internationaux vont parfois chercher un cSur ou un rein à l'autre bout du monde, dans une population qui n'a rien à voir ni physiquement, ni culturellement, ni du point de vue de son histoire. Le classement des populations d'après les variantes du système HLA qui conditionne les greffes dorganes est aussi lié à leur position géographique et même à la forme des continents, dans certains cas. Il ny a qu'un seul facteur qui puisse expliquer cette distribution: ce sont les migrations. Lorsque l'on fait le test statistique de la répartition des fréquences des gènes pour 80% des systèmes génétiques connus en fonction de la distance géographique entre les résidences d'origine des populations, on trouve que cette répartition géographique explique entre la moitié et 75% de la variation des fréquences des gènes.

Tout ceci confirme très clairement la similitude des répertoires de gènes à travers les populations et la variation de leurs fréquences en fonction de leurs possibilité déchanges directs ou indirects de migrants. Lorsque, après linvention de lagriculture au néolithique, les humains sont devenus très nombreux sur tous les continents, ils ont pu établir de grands réseaux de migration. Ils ont échangé assez de conjoints de proche en proche et de migrants de loin en loin pour que l'ensemble des gènes actuels soit réparti en nappes continues à la surface de la planète. Il n'y a donc pas de discontinuité génétique notoire, pas de frontières biologiques entre les populations ou des "races" humaines.

Un arbre du à Estella Poloni représente les différences génétiques observées entre des populations étudiées pour 80 systèmes génétiques répartis sur une vingtaine de chromosomes humains différents. Le résultat est une coïncidence à peu près totale entre les lieux de résidence des populations et cette carte des ressemblances génétiques, à une exception près, les Européens. Ces derniers sortent près du Proche Orient doù ils viennent, et non en Europe, où ils résident. Il faut donc penser la diversité génétique humaine, non pas en termes de populations séparées et de barrières entre ces populations, mais en termes de réseaux de migration. Il est parfaitement clair qu'à l'intérieur d'un réseau de migration, tout le monde n'est pas pareil. A l'intérieur d'une population déjà, tout le monde est différent, puisqu'on y est incompatible pour les greffes d'organes, puisqu'on y est très souvent incompatible pour la transfusion sanguine, alors que les groupes sanguins sont les mêmes partout à travers le monde et puisque quiconque peut être identifié par son physique et ses empreintes digitales ou génétiques.

Depuis 8 000 à 10 000 ans au moins, un réseau génétique s'est établi à travers le monde, de proche en proche. Certaines portions de ce réseau sont très serrées, comme la partie centrale autour de la méditerranée, de lAfrique de lEst et de la péninsule indienne. Dautres, en Amérique, Océanie, Asie du Nord, Afrique de lOuest et du Sud, semblent plus lâches, correspondant à des colonisations moins denses et/ou plus récentes. Presque toutes les variantes des gènes existent dans le monde indo-européen, Nord-Africain, en Afrique de l'Est et dans le monde Indien. Au contraire, à la périphérie, que ce soit en Afrique de l'Ouest ou du Sud, que ce soit en Asie orientale, en Amérique ou en Océanie, les populations ont les gènes les plus fréquents du noyau central, à des fréquences souvent différentes, mais ont perdu un certain nombre de variantes rares. Les variantes rares perdues ne sont pas les mêmes en Afrique, en Océanie, en Asie orientale et en Amérique. Enfin, quelques variantes très rares n'existent qu'en Afrique ou en Océanie ou en Asie ou en Amérique, correspondant à des mutations récentes.

En 100.000 ans, depuis les premiers humains modernes connus, les populations n'ont pas eu le temps d'accumuler de nouveaux gènes à de fortes fréquences. Par contre, à une époque où les humains étaient très peu nombreux, ils ont eu le temps de perdre ici ou là des variantes quand les premiers émigrants sont allés recoloniser l'Afrique, l'Asie orientale, l'Océanie ou l'Amérique, longtemps après les premiers séjours des Homo erectus. Il n'y a aucun doute sur le fait que l'ensemble des humains modernes actuels soient issus d'une seule même souche, peu nombreuse d'Homo erectus. Ensuite, ils ont du recoloniser toute la planète. Vers 64 000 ans, ils sont arrivés en Chine du Sud, vers 50 000 ans, en Australie et en Papouasie-Nouvelle-Guinée, vers 40 000 ans, en Dordogne. Ils ont ensuite recolonisé l'Afrique à partir du Nord-Est, puis, sans doute après un premier passage infructueux il y a plus de 40 000 ans, ils ont colonisé l'Amérique. La Polynésie a été occupée nettement plus tard. Cette histoire est relativement bien connue. Elle s'est faite du temps où nos ancêtres étaient chasseurs-cueilleurs, et peu nombreux. Ce sont sans doute ces chasseurs-cueilleurs peu nombreux qui ont perdu un certain nombre de variantes génétiques du noyau central en émigrant vers leurs nouveaux territoires, tandis que les populations de ce noyau central correspondent sans doute aux descendants les plus directs de la population d'origine.

Certains caractères physiques sont répartis en fonction de la géographie dorigine des peuplements. Les couleurs de la peau, les tailles, les dimensions du corps, le fait qu'on soit plutôt petit et volumineux sous les climats froids, au Groenland, dans l'Himalaya ou dans les Andes, et plutôt grand et mince dans les déserts chauds. Les statures intermédiaire se trouvent dans les plaines tempérées ou dans les savanes tropicales.

Les couleurs moyennes de la peau ont été étudiées chez des populations aborigènes autochtones, aussi bien en Europe qu'ailleurs. Les populations à peau foncée sont originaires de la zone intertropicale, sans la moindre ambiguïté, et, dans les zones tempérées froides Nord, mais aussi Sud, il y a des populations à peau nettement moins foncée. Des explications de l'ordre de la sélection naturelle ont été proposées. Il semble bien quavoir la peau claire dans la zone intertropicale expose à de fortes fréquences de mélanomes, des cancer de la peau mortels. Les populations à peau foncée seraient moins exposées parce que la mélanine protège les noyaux cellulaires de la peau des rayons ultraviolets intensifs. Cela a été constaté, par exemple, entre les Aborigènes australiens et les surfeurs dorigines européenne : ces derniers font beaucoup plus de mélanomes que les Aborigènes. De même, les Chinois de Californie sont quatre fois plus atteints que les Chinois de Chine qui vivent à la même latitude, mais ne se mettent pas au soleil. Et puis, pour les populations qui ont émigré dans les zones tempérées froides, il semble bien que ce soit une question de biosynthèse de la vitamine D qui ait déterminé leurs couleurs moyennes de la peau. Dans les zones peu ensoleillées, la biosynthèse de la vitamine D, dans les conditions de la préhistoire, se faisait essentiellement à travers la peau et sous l'influence du rayonnement ultraviolet. Là, cette fois-ci, il y a peu de ces rayons dans les zones froides et, si on les bloque, en ayant beaucoup de mélanine dans l'épiderme, on a sans doute un risque plus grand de rachitisme par défaut de vitamine D avec une peau foncée quavec une peau claire. C'est sans doute cela qui s'est passé dans la préhistoire et qui expliquerait la répartition des couleurs de peau des populations.

Des arguments concernant lAmérique indienne où, malgré une colonisation récente, on observe cette répartition des pigmentations de la peau selon la latitude font penser que ces changements de couleur peuvent être relativement rapides. De même, des populations qui ont pratiquement le même patrimoine génétique, signant une origine commune récente à 20 000 ou 30 000 ans au plus (par exemple, entre Mélanésiens, Polynésiens et certains habitants de l'Asie du Sud-Est), ont des couleurs de peau totalement différentes, des textures des cheveux totalement différentes, des tailles totalement différentes.

Les populations d'Afrique centrale ont des tailles moyennes ou petites, elles ont les cheveux crépus, elles ont la peau très foncée, comme certains Papous ou Mélanésiens. Mais, si vous regardez les patrimoines génétiques, ils sont très différents entre ces populations physiquement semblables. Les Papous ou les Mélanésiens ont des fréquences génétiques d'Orientaux et sont beaucoup plus proches des Chinois, des Vietnamiens ou des Polynésiens que des Africains. Donc, très clairement, la ressemblance est le fruit du milieu alors que la parenté génétique est le fruit de l'histoire et de la géographie. Les Mélanésiens, les Polynésiens, et les Vietnamiens, malgré leurs différences physiques, sont beaucoup plus proches parents que les Bantous et les Papous qui, pourtant, se ressemblent plus physiquement.

L'analyse de séquences d'ADN mitochondrial chez 119 habitants du Sénégal par Laurent Graven et Laurent Excoffier montre de nombreuses différences. Il y a quelques lettres du code génétique qui sont différentes entre pratiquement chaque paire dindividus étudiés. Pascal Gagneux, à San Diego, a fait des études de la diversité de l'ensemble de notre espèce en comparant une séquence d'ADN chez 811 humains modernes. Il a aussi étudié un certain nombre de chimpanzés, une vingtaine de gorilles, un certain nombre de bonobos. Dans un même élevage de chimpanzés, on retrouve des individus dont les gènes sont séparés depuis plusieurs centaines de milliers d'années. Même chose chez les gorilles ou les orangs-outans.

Chez les humains, par contre, on trouve des séquences toutes différentes mais qui diffèrent par très peu de variations, ce qui signe que l'ancêtre commun à toutes ces séquences est plus proche de nous dans le temps. Des calculs sur un grand nombre de séquences d'ADN, nucléaire cette fois, ont été faits par un Japonais, Takahata. Ils montrent que le type de diversité observée au niveau de l'ADN humain ne peut s'interpréter raisonnablement que si l'effectif minimal de nos ancêtres depuis qu'il existe des humains modernes, a été de lordre de 5 000 reproducteurs. Par des méthodes de simulation extrêmement compliquées, on trouve, dans la variation moléculaire humaine, des traces d'une expansion qui aurait eu lieu entre 60 000 et 80 000 ans avant nous, juste avant la recolonisation de la planète par les humains modernes.

Les humains modernes ont migré à partir d'une population fondatrice qui avait plein de gènes différents. Ensuite, en allant au bout du monde, d'un côté ou de l'autre, telle ou telle population- fille a perdu quelques variantes de ces gènes, généralement des variantes rares. Pourquoi n'a t'on jamais, avec ce mécanisme, deux populations qui ont des gènes complètement différents pour un même système génétique ? Il y a deux explications à cela la première, c'est que les séparations longues entre populations dhumains modernes ont sans doute été peu nombreuses ; la deuxième, c'est que, sil y en a eu au paléolithique, les migrations ultérieures, au moins depuis le néolithique, ont compensé tout cela en redistribuant tous les gènes entre les nouvelles populations, beaucoup plus nombreuses, et à travers les continents.

Ensuite, la préhistoire nous a valu des variations des climats. Il y a 18 000 ans, du fait des glaciations, le niveau des mers était cent vingt mètres plus bas et on passait à pied jusqu'à Bornéo ou jusqu'à Timor ; là, il restait 90 km de mer à traverser pour passer en Nouvelle-Guinée, alors rattachée à lAustralie. Des humains lont fait il y a 50 000 ans, et puis, bien entendu, dautres ont pu le refaire très facilement il y a 18 000 ans où lon savait probablement déjà naviguer. À la même époque, le Sahara était beaucoup plus grand que maintenant. Il allait jusqu'à la côte, en Côte d'Ivoire. Il y a des gens qui ont été coincés en Afrique centrale à cette période, dans des conditions climatiques très particulières, différentes du reste du monde et sans doute très isolés. Ils sont peut-être à l'origine des particularités physiques d'une bonne partie des Africains et de quelques bizarreries de fréquences des gènes au sud du Sahara. A lépoque, on ne pouvait pas habiter en Europe du Nord ou en Amérique du Nord à cause de lextension des calottes glaciaires et des climats trop rigoureux. Les gens ont donc forcément bougé. Les chasseurs préhistoriques de cette période se sont forcément déplacés, ne serait-ce que parce que les faunes et les flores dont ils se nourrissaient se sont déplacées, parfois, de 2 000, 3 000 ou 4 000 kilomètres en latitude. Nos ancêtres chasseurs-cueilleurs qui en dépendaient nont donc pas pu évoluer en restant sur place comme le supposent les tenants des hypothèses dites "multi- régionales" sur lhistoire des peuplements et les partisans dune divergence très ancienne de races humaines que la génétique rejette aujourdhui sans le moindre doute. Des études de génétique montrent des auréoles de fréquence des gènes autour des centres de diffusion de l'agriculture, et ceci sur tous les continents, confirmant les hypothèses de repeuplement, au moins partiel, depuis linvention de lagriculture et/ou de migrations continues à travers les continents depuis.

Les grandes familles de langues africaines ont été classées par Joseph Greenberg, il y a une trentaine d'années. Il y a quatre grandes familles de langues en Afrique: la famille dite afro-asiatique, qui comprend les langues d'Afrique du Nord, d'une partie du Sahara, de l'Afrique de l'Est et aussi les langues parlées dans la péninsule arabe et au Proche-Orient. Le groupe Niger- Congo comprend les langues des Ouest- Africains et des Bantous. La famille Khoisan comprend les langues à clicks parlées en Afrique du Sud et celles de deux populations de Tanzanie. Enfin, un groupe assez particulier est celui des Nilo- Sahariens. On pense qu'il correspond aux descendants directs des anciens occupants du Sahara, pendant la période fertile, il y a une dizaine de milliers d'années. Une étude génétique de ces populations sépare, de manière spectaculaire, ces groupes linguistiques: le groupe Niger- Congo, les Khoisan, les Est- Africains et les Afro-Asiatiques divergent en parallèle par les langues quils parlent et par leurs fréquences génétiques.

La génétique et les langues donnent les mêmes classification de ces populations. Or, la langue que lon parle ne dépend évidemment pas de l'ADN, et l'ADN que l'on porte ne dépend pas de la langue qu'on parle ! Sil y a, comme on lobserve, une forte corrélation entre ces deux phénomènes qui ne sont pas la cause lun de lautre, cest quils ont un "synchroniseur" commun : lhistoire de la dernière recolonisation de l'Afrique. Ce repeuplement de l'Afrique est parti de l'Afrique de l'Est ou de l'Est du Sahara durant une période fertile ancienne, de là où lon avait toute la diversité génétique initiale. Puis, une première émigration, on ne sait pas quand, a emmené les ancêtres des Khoisan, à travers la Tanzanie vers l'Afrique du Sud. D'autres migrations, après, ont sans doute réparti le groupe Nilo-Saharien pendant la dernière phase fertile du Sahara. Enfin le groupe Niger- Congo a été issu du repli vers la forêt guinéenne ou vers le Nigeria et le Cameroun, des populations qui ont fui la zone saharienne, laquelle était en train de se désertifier à nouveau. La suite de l'histoire est très bien connue, avec les corrélations entre l'apparition de la métallurgie et les migrations des Bantous en particulier. On peut donc ainsi unir les informations de la génétique, de la linguistique et de l'archéologie pour mieux comprendre notre histoire ancienne.

 

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NEANDERTAL DANS NOTRE A D N ...

 

 

 

 

 

 

 

Un peu de Neandertal dans notre ADN
Nicolas Constans dans mensuel 443
daté juillet-août 2010 -  Réservé aux abonnés du site


Les néandertaliens n'étaient pas si différents de nous qu'on le pensait. La reconstitution d'une bonne partie de leur génome révèle que les Européens et les Asiatiques lui doivent quelques pour-cent de leurs gènes.
L es néandertaliens ? « Une population d' Homo sapiens comme les autres, désormais, assène Francesco d'Errico de l'institut de Préhistoire et de géologie du Quaternaire, à l'université Bordeaux-I. Ils n'étaient pas différents de nous, ils ne nous étaient pas inférieurs. S'ils ont disparu il y a 30 000 ans, c'est pour des raisons culturelles ou technologiques comme cela a été le cas de nombreuses civilisations par le passé. » La publication du génome presque complet de l'homme de Neandertal, sous la direction de Svante Pääbo, de l'institut Max Planck de Leipzig, nous met en effet sur un pied d'égalité : nos ancêtres les hommes modernes ont non seulement rencontré les néandertaliens, mais ils se sont parfois mélangés avec eux, et leurs unions ont été fertiles [1] .

C'est un revirement complet : jusqu'ici, toutes les études génétiques indiquaient au contraire que les néandertaliens et les hommes modernes étaient deux lignées séparées, qui ne s'étaient jamais mélangées bien qu'elles se soient côtoyées pendant dix à quinze mille ans en Europe. « Pour une majorité de paléoanthropologues, explique Bruno Maureille, du laboratoire d'anthropologie des populations du passé, à l'université Bordeaux-I, le résultat de ces études avait peu à peu accrédité la thèse que les hommes modernes disposaient d'un avantage biologique par rapport aux néandertaliens : par exemple de meilleures capacités cognitives, ou l'aptitude au langage. » Cela expliquait pourquoi les néandertaliens avaient disparu, supplantés par les hommes modernes qui allaient bientôt coloniser l'ensemble de la planète. D'autant que les débuts de ces derniers en Europe coïncidaient avec l'apparition de manifestations artistiques inconnues jusqu'alors : figurines sculptées, peintures sur les parois des grottes, instruments de musique, etc.

Mais ces études étaient limitées à de courtes séquences génétiques : portions du chromosome Y ou ADN contenu dans les mitochondries, des organites des cellules. Cet ADN mitochondrial ne représente qu'environ 16 000 bases, les briques élémentaires de l'ADN. Ici, c'est véritablement l'ADN nucléaire, celui qui se trouve sous la forme de chromosomes dans le noyau des cellules et compte 3 milliards de bases, qui a été séquencé.

« Il faut bien se rendre compte de l'extrême difficulté qu'il y a à séquencer correctement une telle quantité d'ADN ancien, explique Eva-Maria Geigl, de l'institut Jacques-Monod à Paris. L'ADN de néandertaliens morts il y a plusieurs dizaines de milliers d'années est très dégradé, et mélangé à d'énormes quantités d'ADN des microbes qui ont colonisé les fossiles. Arriver à le séquencer entièrement semblait complètement impensable il y a dix ans. C'est une percée sans précédent. »

À cause de ces difficultés, la séquence obtenue pour Neandertal est loin des normes de qualité requises pour les génomes humains modernes. Les généticiens n'ont reconstitué que les deux tiers du génome environ. Ils n'ont pas non plus répété l'opération une trentaine de fois, comme cela se fait habituellement pour obtenir une séquence génétique suffisamment fiable. En outre, cet ADN n'appartient pas à un seul individu : c'est un composite de ceux de trois néandertaliennes vivant il y a à peu près 40 000 ans, dont les ossements ont été retrouvés dans la grotte de Vindija, en Croatie.

Ressemblance
Comment le métissage a-t-il été mis en évidence ? « L'équipe a dû beaucoup innover, explique Paul Verdu, de l'université du Michigan, car personne n'avait encore essayé de mettre en évidence un métissage sur un génome ancien de cette taille. » L'une des méthodes développées par l'équipe teste la ressemblance d'ADN de néandertaliens avec ceux d'hommes actuels, classés en fonction de leur origine géographique. Elle a mis en évidence que les néandertaliens ont systématiquement plus de mutations en commun avec les Européens et les Asiatiques qu'avec les Africains. Or si les néandertaliens sont une lignée bien séparée des hommes modernes, ils n'ont aucune raison d'être plus proches génétiquement d'une population en particulier. Conclusion : il y a probablement un peu de génome néandertalien chez les Européens et les Asiatiques d'aujourd'hui.

Mais si nous avons des gènes néandertaliens, comment les identifier ? Ce sont probablement des gènes assez anciens. En effet, les deux lignées apparaissent à des époques différentes : les premiers fossiles d'hommes de Neandertal datent de 400 000 ans, bien avant ceux d' Homo sapiens, dont on ne connaît pas de restes antérieurs à 200 000 ans.

Un gène qui provient d'un lointain ancêtre a subi beaucoup de mutations avant de parvenir jusqu'à nous. Par conséquent, les copies de ce gène présentes dans la population actuelle sont très diversifiées. Partant de ce principe, il est possible, pour chaque gène, d'estimer quelle est la forme ancestrale à toutes celles présentes dans une population donnée, et d'estimer aussi l'ancienneté de cette forme ancestrale. C'est ce qu'ont fait les chercheurs pour un certain nombre de gènes chez 24 Asiatiques, 24 Américains d'origine européenne, et 24 d'origine africaine. Ils ont ainsi établi une liste de douze gènes pour lesquels l'ancêtre des séquences était ancien chez les Asiatiques et les Européens, mais pas chez les Africains. Dans dix gènes sur douze, cette séquence ancestrale était très proche de celle observée chez Neandertal. Ces gènes proviennent donc probablement de ce dernier.

Les chercheurs de Leipzig estiment entre 1 % et 4 % la part de gènes néandertaliens dans notre ADN. Étrangement, les Asiatiques où les traces de ce génome ont été identifiées viennent de régions situées bien au-delà de la région la plus à l'est où a été retrouvé Neandertal, l'Altaï, en Asie centrale. Les généticiens en concluent que le métissage a dû se faire avant la colonisation de l'Asie par les hommes modernes.

Réduire la contamination
Ils proposent qu'il ait eu lieu au Proche-Orient. En effet, c'est là qu'ont été mis au jour les plus anciens fossiles d'hommes modernes connus hors d'Afrique, datés d'un peu moins de 100 000 ans. Certains d'entre eux ont justement des traits anatomiques proches des néandertaliens. Des hommes de Neandertal ont fréquenté la région par la suite, utilisant le même type d'objets et d'outils. « Pour moi, explique Bruno Maureille, c'est une vision un peu simpliste des migrations humaines. D'autres traces de métissages pourraient être recherchées en Europe, où les néandertaliens ont côtoyé les hommes modernes. Il y a notamment quelques fossiles, au Portugal, en Roumanie et en France par exemple, qui n'ont pu être attribués ni aux hommes modernes ni aux néandertaliens, faute de consensus parmi les paléoanthropologues. »

Les généticiens restent en tout cas prudents. En 2006, la même équipe avait publié un million de bases du génome nucléaire de l'homme de Neandertal, avancée sans précédent à l'époque. Mais des analyses avaient montré par la suite que cet ADN était en grande partie contaminé par celui d'hommes actuels qui s'étaient trouvés en contact avec lui. Depuis cette date, les chercheurs ont consacré une grande partie de leur temps à développer des procédures pour réduire cette contamination. Ils l'estiment cette fois-ci inférieure à 1 %. « Mais les fouilleurs et les techniciens qui fabriquent les réactifs utilisés pour traiter les échantillons ne sont généralement pas d'origine africaine, explique Eva-Maria Geigl. Leur ADN a pu contaminer celui des néandertaliens, faisant croire à un métissage chez les non-Africains. »

Une fois que l'ADN de néandertaliens sera complètement séquencé, les chercheurs se tourneront probablement vers celui des fossiles d'hommes modernes vivant il y a quelques dizaines de milliers d'années. Cela devrait permettre de confirmer si les traces du métissage étaient bien présentes à l'époque. « Il y a de grandes chances que nous ayons à réviser fortement l'histoire des peuplements au cours de la Préhistoire, indique Éric Crubézy de l'université Paul-Sabatier à Toulouse. Incontestablement, nous entrons dans une nouvelle ère. »
[1] R.E Green et al., Science, 328, 710, 2010.
L'ESSENTIEL
- L'ADN DE NEANDERTAL a été séquencé aux deux tiers.

- IL MONTRE que les néandertaliens et nos ancêtres se sont partiellement métissés.

- NEANDERTAL n'était donc pas en capacité biologique moindre que les hommes modernes qui l'ont remplacé.
DES GÈNES TRÈS HUMAINS
Quels gènes nous ont donné notre apparence et notre biologie actuelle ? Jusqu'ici, le point de comparaison le plus proche était le chimpanzé, dont la lignée et la nôtre ont divergé il y a au moins 6 millions d'années. Avec Neandertal, les généticiens disposent de l'ADN issu d'une population qui s'est séparée de nos ancêtres il y a seulement 400 000 ans. Pour l'instant, l'équipe de Leipzig a identifié notamment vingt régions du génome où la sélection naturelle semble avoir été intense depuis notre séparation avec les néandertaliens. Trois comportent des gènes liés au développement cognitif. Sur une autre se trouve un gène lié à une maladie provoquant des difformités, comme un front proéminent et une cage thoracique en forme de tonneau. Or ce sont précisément des traits observés chez l'homme de Neandertal. « En l'absence d'autres génomes néandertaliens, il est trop tôt pour savoir si ces régions ont réellement évolué depuis la divergence des lignées, tempère Paul Verdu, de l'université du Michigan. Et la plupart du temps, nous ne savons pas vraiment quel impact peut avoir une mutation sur ces gènes. »
SAVOIR
- Neandertal, « Enquête sur une disparition », Les Dossiers de La Recherche, juillet 2006.

- Ludovic Orlando, L'anti-Jurassic Park - faire parler l'ADN fossile, Belin, 2005.


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VOYAGE AU CENTRE DES PROTÉINES

 

 

 

 

 

 

 

Texte de la 598 e conférence de l'Université de tous les savoirs prononcée le 20 juillet 2005

Par Eva Pébay-Péroula: « Voyage au centre des protéines »


Introduction 2
1. Importance des protéines dans la composition des cellules 2
La composition chimique des protéines 2
Le repliement des protéines 3
Intérêt des études structurales 4
2. Comment déterminer la structure d'une protéine 4
Principe de base de la cristallographie 4
L'utilisation du rayonnement synchrotron 6
La procédure expérimentale 6
Les approches complémentaires 7
3. Les protéines membranaires 7
La bactériorhodopsine 8
Le transporteur ADP/ATP 10
4. La biologie structurale de demain 13

Introduction
Les protéines sont les principaux acteurs du vivant, non seulement par leur quantité (environ 70 % en masse des molécules constituant une cellule), mais surtout par la diversité des fonctions qu'elles exercent, allant de la catalyse de réactions chimiques jusqu'à la structuration de la matière vivante, en passant par des rôles de moteurs moléculaires ou encore de communication entre cellules. Elles sont formées de longues chaînes d'acides aminés, qui se replient dans l'espace ; cette structure tri-dimensionnelle est à la base de la fonction assurée par la protéine. Connaître la structure aux détails atomiques près, comprendre ses propriétés dynamiques, suivre les changements de conformation d'une protéine en action, intégrer ces connaissances aux données biochimiques et fonctionnelles constituent le coeur de la biologie structurale et permet d'avancer considérablement dans la compréhension de la fonction des protéines. Au cours de cet exposé, après avoir introduit quelques notions de base sur la composition des protéines, nous aborderons les méthodes expérimentales permettant de sonder la structure des protéines et illustreront ensuite l'intérêt de ces études sur quelques exemples.

1. Importance des protéines dans la composition des cellules
La composition chimique des protéines
Les protéines sont des macromolécules faites par un enchaînement d'acides aminés (plusieurs centaines). Ces acides aminés sont choisis parmi 20, et diffèrent l'un de l'autre par un groupement chimique (chaîne latérale). Ces chaînes latérales ont des propriétés chimiques différentes, certaines sont chargées (positivement ou négativement) ou polaires, d'autres encore sont hydrophobes, certaines contiennent un cycle aromatique. Les séquences de protéines décrivent l'enchaînement des acides aminés et sont inscrites dans les chromosomes. Les suites d'acides nucléiques dans les gènes correspondent à une suite d'acides aminés, selon un code dans lequel trois acides nucléiques représentent un acide aminé. Pour décrire une protéine d'un point de vue chimique, il suffit de connaître la suite d'acides aminés. Si chaque acide aminé est représenté par une lettre, alors une protéine s'écrit de la façon suivante :

De façon plus explicite, la formule chimique plane d'un extrait de la séquence, par exemple celui correspondant à « WVDFSSR » s'écrit (les flèches indiquent la fin d'un acide aminé et le début du suivant):
Cette information est-elle suffisante pour connaître et comprendre la fonction d'une protéine ? La séquence en acides aminés, par comparaison à d'autres protéines, peut éventuellement donner des indications sur la fonction ou au moins une partie de la fonction. Mais ces informations sont insuffisantes et ne permettent pas de comprendre les mécanismes d'action dans lesquels la protéine est impliquée.

Le repliement des protéines
Les protéines in vivo se replient pour former une architecture tri-dimensionnelle. Leur fonction est corrélée à ce repliement. Les interactions mises en jeu sont toutes des interactions non-covalentes de faible énergie : liaisons Hydrogène, interactions électrostatiques, contacts de type van der Waals et effets hydrophobes. L'énergie impliquée dans ces types d'interaction est environ dix fois plus faible que l'énergie présente dans une liaison covalente. Ces interactions sont nombreuses, elles font aussi intervenir le solvant (les molécules d'eau, les ions présents dans le solvant). Actuellement, on ne sait pas prévoir par des calculs de dynamique moléculaire ou de minimisation d'énergie le repliement d'une protéine. En général, le calcul d'énergie montre un ensemble de minima proches, une petite imprécision sur un des paramètres de calcul peut entraîner des différences finales importantes. La structure d'une protéine correspond donc à une conformation stable mais modifiable en fonction de l'environnement puisqu'elle repose sur des interactions faibles. Cette propriété est à la base de nombreuses propriétés fonctionnelles. Les modifications de conformations peuvent résulter par exemple, d'un changement de pH, d'une interaction avec une petite molécule ou encore d'une interaction avec d'autres macromolécules (protéines, membranes, ADN,...). Les variations de conformations par rapport à la structure des protéines « au repos » sont donc importantes à connaître pour comprendre la fonction.

Intérêt des études structurales
Le but de la biologie structurale est donc de déterminer les structures de macromolécules (protéines, acides nucléiques, complexes protéines-protéines, protéines-acides nucléiques, protéines-lipides), de comprendre les propriétés dynamiques de ces assemblages, de suivre les changements de conformations en cours d'action et de mettre ces informations en lien avec les données fonctionnelles afin de comprendre les mécanismes moléculaires. L'intérêt de comprendre les mécanismes moléculaires est tout d'abord fondamental. Comprendre le bon fonctionnement d'une cellule eucaryote ou procaryote permet aussi de comprendre le dysfonctionnement, du par exemple à des protéines modifiées dans le cas de maladie génétique, à l'entrée et la propagation d'organismes pathogènes dans les cellules, ou encore à l'apparition de souches bactériennes résistantes aux antibiotiques. Connaître l'architecture précise des protéines cibles de médicaments permet de concevoir de façon rationnelle des nouvelles molécules, médicaments potentiels, ayant une spécificité très grande pour la cible et pouvant donc être utilisées à faible dose avec peu d'effets secondaires. La biologie structurale se situe donc à l'interface de la biologie, de la chimie et de la physique. Le problème à résoudre est biologique, les mécanismes réactionnels de catalyse enzymatique sont des processus chimiques. La physique contribue de façon importante aux méthodes expérimentales (cristallographie, diffusion du rayonnement, microscopie électronique,..), aux approches de modélisation (dynamique moléculaire), et aussi à la compréhension de certains processus (par exemple la contraction musculaire ou le fonctionnement de moteurs moléculaires).

2. Comment déterminer la structure d'une protéine

Dans la « Protein Data Bank » (PDB) sont présentes plus de 30 000 structures de protéines. Une majorité de ces structures ont été résolues par diffraction des rayons X, certaines par RMN, enfin un très petit nombre par diffraction des électrons. La méthode la plus courante est donc la cristallographie des rayons X.

Principe de base de la cristallographie
Le principe de base de la cristallographie repose sur l'interaction entre particule et rayonnement. En effet, un rayonnement envoyé sur une molécule va être diffusé par celle-ci et les caractéristiques de l'onde diffusée dépendent de la structure (et de la nature) des atomes rencontrés par l'onde incidente. Les principes physiques impliquent que d'une part, une interaction est nécessaire entre l'onde et la molécule et que d'autre part, la longueur d'onde de l'onde incidente doit être de l'ordre de grandeur des distances que l'on cherche à sonder. Par exemple, les rayons X ayant une longueur d'onde de l'Ångström sont intéressants car ce sont des ondes électromagnétiques qui interagissent avec les électrons (donc avec les atomes d'une molécule) et la longueur d'onde correspond aux distances interatomiques. La diffusion d'un tel rayonnement par une protéine contient toute l information sur les atomes de la protéine (nombre d'électrons donc nature des atomes et distances interatomiques donc structure de la protéine). Néanmoins, cette diffusion est tellement faible qu'elle ne peut être mesurée et pour l'augmenter il convient de prendre un grand nombre de molécules. Si ces molécules sont en solution, leur orientation relative sera aléatoire et la diffusion totale contiendra l'information d'une molécule mais moyennée suivant les orientations des molécules par rapport au faisceau incident. À l'autre extrême si on sait empiler de façon ordonnée un grand nombre de molécules, on forme alors un cristal à trois dimensions, le signal résultant est amplifié suivant des directions de diffusion privilégiées et nulle en dehors de ces directions (c'est le phénomène de diffraction ou d'amplification de Bragg).

En haut, exemples de cristaux. En bas, images de diffraction recueillies sur le détecteur.

Entre les deux situations extrêmes, molécules en solution ou molécules dans un cristal tri-dimensionnel, il existe des arrangements intermédiaires comme, par exemple, les fibres, arrangement à une dimension, utilisées pour résoudre la structure de l'ADN en 1953. La méthode la plus attractive est la cristallographie par rayons X utilisant des cristaux à trois dimensions, car si la qualité des cristaux est suffisante, on peut remonter à des structures avec une précision de positionnement des atomes meilleures que l'Å (10-10 m). Néanmoins, l'obtention de ces cristaux n'est pas toujours possible (les protéines peuvent être flexibles), et les autres approches sont alors complémentaires. En particulier, la diffusion des rayons par X par des protéines en solution a fait des progrès spectaculaires ces 4 dernières années grâce à l'amélioration des données expérimentales, et surtout aux développements des méthodes mathématiques permettant d'exploiter les données expérimentales.

L'utilisation du rayonnement synchrotron
Le rayonnement synchrotron est émis par des particules chargées relativistes lors d'une trajectoire courbe. Typiquement, on accélère des électrons à une vitesse proche de celle de la lumière et on les injecte dans un anneau, dit anneau de stockage, dans lequel on leur impose une trajectoire circulaire. Ils tournent alors dans l'anneau en émettant un rayonnement synchrotron tangentiellement à leur trajectoire. Ce rayonnement est constitué principalement de rayons X et a des caractéristiques exceptionnelles par rapport aux rayons X produits par les appareils conventionnels de laboratoire (similaires aux appareils utilisés pour les radiographies médicales). Parmi ces caractéristiques, on peut mentionner l'intensité du rayonnement, la possibilité de choisir la longueur d'onde (le rayonnement synchrotron est « blanc » et contient toute une fenêtre de longueur d'ondes) ainsi que la faible divergence du faisceau. De façon très résumée, on pourra travailler avec des cristaux beaucoup plus petits (de la taille de quelques microns) ayant des mailles très grandes (de l'ordre de 1000 Å ou 100 nm).
La procédure expérimentale
De façon résumée, les étapes clés sont les suivantes : préparation de la protéine à cristalliser (en quantité et en qualité suffisante), obtention des cristaux tri-dimensionnels, caractérisation du cristal et enregistrement de l'intensité et de la direction des ondes diffractées par le cristal, détermination des phases associées aux ondes diffractées (cette étape bien que parfois délicate, ne sera pas détaillée ici), calcul de la densité électronique du cristal (par transformée de Fourier à partir des intensités et des phases des ondes diffractées dans toutes les directions), construction d'un modèle moléculaire cohérent avec la densité électronique, affinement de ce modèle soit par minimisation d'énergie soit par des procédés de dynamique moléculaire (la minimisation est basée sur l'énergie de la molécule mais tient compte aussi de l'accord du modèle et des données expérimentales), et analyse de la structure en lien avec les données biochimiques et fonctionnelles connues par ailleurs afin de dégager les implications sur la fonction des protéines. Les mécanismes fonctionnels proposés pourront alors servir de base à d'autres expériences afin d'être validés. Par exemple, le rôle de certains acides aminés mis en évidence par cette analyse pourra être testé en les changeant et en étudiant les propriétés fonctionnelles de la protéine mutante.

Les approches complémentaires
La cristallographie n'est pas la seule méthode pour accéder aux structures, la RMN est une méthode alternative intéressante pour les protéines de plus petites tailles. Alors que la microscopie électronique permet d'approcher des architectures macromoléculaires de grandes tailles. Les approches multiples permettent aussi de répondre à différentes questions : architecture globale, détails atomiques, réarrangements structuraux, interactions avec des partenaires, mécanismes enzymatiques. La cristallographie par RX, la RMN, la diffusion de neutrons ou de RX, les calculs de dynamique moléculaire, la microscopie électronique, font partie de ces méthodes. Les protéines modulaires illustrent bien la nécessité d'utiliser des approches complémentaires. Ces protéines sont flexibles car elles sont faites de plusieurs modules ayant chacun une structure et une fonction bien définies. Ces modules sont reliés par des liaisons flexibles et se structurent dans l'espace. Les protéines modulaires ressemblent à des « lego » moléculaires qui sont très dynamiques et peuvent se restructurer en cours de réaction.

3. Les protéines membranaires
Parmi toutes les protéines, les protéines membranaires sont particulièrement intéressantes et peu de résultats sont encore connus. Comme leur nom l'indique, elles sont intégrées dans les membranes, membranes qui délimitent les cellules ou les compartiments cellulaires, et qui sont constituées principalement de lipides et de protéines. De façon simplifiée, on considère que les lipides assurent la compartimentation et l'étanchéité, alors que les protéines assurent les fonctions de communication (signalisation, transport et diffusion d'ions ou de petites molécules). L'intérêt des protéines membranaires sera illustré à travers deux exemples liés à la production d'énergie nécessaire à la cellule. L'étape principale en est la synthèse de l'ATP, adénosine triphosphate, petite molécule qui sert de carburant à la cellule car son hydrolyse en ADP libère de l'énergie. La synthèse de l'ATP nécessite un gradient de protons de part et d'autre d'une membrane. Le premier exemple concerne une protéine membranaire bactérienne responsable du gradient de protons, la bactériorhodopsine. Le deuxième exemple est celui d'un transporteur présent dans les mitochondries.

Molécule d'Adénosine Diphosphate (ADP)

La bactériorhodopsine
Vue schématique de la conversion de l'énergie lumineuse dans la bactérie H. salinarum en énergie chimique sous forme d'ATP

Certaines bactéries peuvent utiliser directement la lumière pour générer le gradient de protons. Ceci est fait grâce à une protéine membranaire, la bactériorhodopsine, qui après avoir absorbé la lumière visible expulse un proton. Le gradient électrostatique ainsi généré, est ensuite utilisé pour faire fonctionner l'ATP-synthase. La bactériorhodopsine est largement étudiée par la communauté scientifique depuis 25 ans car c'est un système modèle à de nombreux titres. En particulier, sa fonction est intéressante car on peut la considérer comme un système de photosynthèse simplifié, son étude permet de progresser dans la compréhension de la conversion d'énergie et du transfert de protons. De plus, cette protéine membranaire peut être obtenue en quantité suffisante et pure, elle est donc aussi intéressante pour développer des méthodologies de cristallisation.
Vue générale du squelette de la bactériorhodopsine

Les études structurales de la protéine au repos et juste après illumination montrent qu'il existe une molécule d'eau piégée au centre de la protéine et que l'absorption de la lumière déstabilise cette molécule d'eau ce qui entraîne un réarrangement structural permettant le passage d'un proton. Cette molécule d'eau est donc un élément clé, et seule une étude structurale fine peut accéder à ces informations. Ces études permettent de mettre en évidence des modifications structurales de l'ordre de l'Å se produisant dans la première moitié de l'action et sont ainsi très complémentaires aux travaux faits en microscopie électronique à plus basse résolution permettant de visualiser les grands mouvements présents dans la deuxième moitié de l'action.

La bactériorhodopsine appartient à une famille de protéines, les archaerhodopsines. Toutes sont présentes dans les membranes des archaebactéries halophiles et ont la capacité d'absorber un photon visible. Malgré une similitude en séquence d'acides aminés très importante, ces protéines utilisent l'énergie des photons pour assurer des fonctions très diverses : pompe à proton (bactériorhopsine), pompe à chlore (halorhodopsine) ou phototactisme (rhodopsines sensorielles). Comparer structure et fonction devient alors très intéressant et permet de mettre en évidence des différences structurales faibles en lien avec des différences de fonctions importantes.

Détail structural au centre de la protéine montrant un réseau de liaisons Hydrogène ainsi que des molécules d'eau dont une (W402) est essentielle pour le transfert de protons.

Le transporteur ADP/ATP
Dans les cellules eucaryotes, le processus est plus complexe et la synthèse de l'ATP se fait dans un compartiment spécialisé, la mitochondrie. La création d'un gradient de protons de part et d'autre de la membrane interne des mitochondries implique un ensemble de protéines membranaires (chaîne respiratoire). Le flux de retour des protons fournit l'énergie nécessaire à la régénération de l'ATP à partir d'ADP au niveau de l'ATP-synthase. À cause du caractère fondamental de ces processus, mais aussi par la possibilité de purifier ces protéines en quantité suffisante, de nombreuses études structurales ont été entreprises sur toutes les protéines de la chaîne respiratoire et ont permis d'obtenir les structures de la cytochrome C oxydase, de la fumarate réductase, du complexe bc1 et de la partie extramembranaire de l'ATP-synthase de plusieurs organismes.

Vue schématique de la chaîne de production d'ATP

Afin de satisfaire ses besoins énergétiques, la consommation d'ATP chez l'humain représente sa propre masse en 24h. L'échange entre l'ADP hydrolysé dans le cytosol et l'ATP régénéré dans les mitochondries est donc important et nécessite un système d'import-export mitochondrial très performant pour les nucléotides. Cet échange est assuré par une seule protéine membranaire : le transporteur de nucléotides présent dans les membranes internes des mitochondries, la membrane externe pouvant être traversée plus facilement (et moins spécifiquement) à l'aide de porines. Comprendre le mécanisme de transport nécessite de comprendre la reconnaissance sur un coté de la membrane de la petite molécule à transporter, et ensuite les changements de conformations permettant de la relâcher de l'autre coté. L'amplitude des changements de conformation a besoin d'être contrôlée, ce contrôle est en partie assuré par l'environnement des lipides de la membrane.
Le transporteur de nucléotides appartient à une famille de transporteurs mitochondriaux tous impliqués dans des processus métaboliques importants. Environ 60 transporteurs ont été identifiés chez l'humain. Le dysfonctionnement de ces transporteurs entraîne des maladies graves. Le transporteur ADP/ATP est le mieux caractérisé de tous à cause de son abondance naturelle et sert donc de modèle. Il a été caractérisé grâce à l'existence de deux inhibiteurs naturels : le carboxylatractyloside (CATR, poison naturel présent dans des chardons méditerranéens) et l'acide bongkrékique (BA). Ces inhibiteurs bloquent l'entrée de l'ADP dans les mitochondries et la sortie de l'ATP, respectivement. Ils sont donc supposés bloquer deux états conformationnels extrêmes du transport. La structure du transporteur en présence de CATR à 2.2 Å de résolution montre qu'il est constitué de six hélices transmembranaires inclinées formant une ouverture conique profonde du coté externe et fermé du coté de la matrice mitochondriale. L'analyse fine de la cavité permet de mettre en évidence des acides aminés importants dans la reconnaissance des nucléotides. Ces résultats donnent une première vue moléculaire du processus de transport et permettent d'émettre des hypothèses qui devront ensuite être validées par d'autres expériences.

Structure du transporteur ADP/ATP : le repliement en six hélices coudées et inclinées donne une forme ouverte vers l'espace intermembranaire de la mitochondrie (haut) et fermée vers l'intérieure de la mitochondrie (bas).

Coupe au travers du transporteur montrant la cavité par laquelle l'ADP peut entrer pour accéder à l'intérieur de la mitochondrie où il sera régénéré en ATP.

4. La biologie structurale de demain
Après avoir connu une période descriptive, les sciences du vivant ces dernières décennies ont abordé une phase plus quantitative qui a nécessité des nouveaux outils. La biologie structurale a émergé au cours de cette période et a surtout progressé dans les vingt dernières années du 20ème siècle grâce à la biologie moléculaire qui a permis la production de protéines recombinantes et à l'utilisation du rayonnement synchrotron. Elle a été initiée par des physiciens ou des chimistes reconvertis à la biologie. La biologie structurale est au départ une approche réductionniste dans laquelle une fonction biologique est disséquée au niveau moléculaire et la structure de chaque macromolécule ainsi identifiée est analysée et reliée à sa fonction. L'enjeu est maintenant d'aller plus loin et de remonter aux architectures supramoléculaires présentes dans le contexte cellulaire, et de comprendre les propriétés structurales et dynamiques liées à leur assemblage, afin de relier ces propriétés aux fonctions biologiques des assemblages. Cela implique de pouvoir aborder des structures de complexes de plus en plus larges et souvent transitoires dans le temps. En plus de la structure, les propriétés dynamiques permettant les réarrangements structuraux nécessaires aux fonctions devront aussi être comprises. Les échelles sont nanométriques (et sub-nanométriques), les temps caractéristiques peuvent varier de la picoseconde (10-12 s, par exemple l'absorption de lumière) à la milliseconde (comme certains réarrangement structuraux). Certaines approches existent déjà et demandent à être améliorées (cristallographie RX, diffusion de neutrons, microscopie électronique, RMN,...), d'autres approches sont à inventer. Le contexte favorable nécessite une interdisciplinarité réelle, des domaines disciplinaires forts (en biologie, en chimie et en physique) ainsi qu'un terrain propice aux développements technologiques.
Comprendre les relations structures-fonctions de toutes les protéines importantes dans un contexte cellulaire aura des répercussions dans les domaines pharmaceutiques et biotechnologiques, mais contribuera surtout à comprendre les mécanismes fondamentaux en biologie.


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CHROMOSOME

 


 

 

 

 

chromosome

Structure en forme de bâtonnet du noyau cellulaire, constituant le support physique de l'hérédité.
Les chromosomes, qui apparaissent dans le noyau de la cellule au moment de la division (mitose ou méiose), résultent de la condensation de la chromatine (réseau diffus d’ADN et de protéines). La structure de ces bâtonnets, qui constituent le support des caractères héréditaires, est aujourd'hui l'objet de recherches considérables à l'échelle mondiale.


1. La découverte des chromosomes
Entre les années 1870 et 1880, les cytologistes donnent le nom de chromatine au réseau filamenteux colorable qu'ils observent dans le noyau, puis celui de mitose au mécanisme de division cellulaire, car il est caractérisé par l'apparition de filaments (en grec, mitos). En 1888, ces filaments reçoivent le nom de chromosomes, en raison de leur aptitude à se colorer fortement en présence de colorants basiques (du grec khrôma, couleur, et sôma, corps). Chromatine et chromosomes ne sont que deux aspects différents d'une même entité.
Au début du xxe s., le parallélisme est fait entre le comportement des chromosomes au cours des divisions menant à la formation des gamètes (méiose) et les règles de transmission des caractères héréditaires, définies par Gregor Mendel quarante ans plus tôt (les travaux de ce moine scientifique avaient été publiés en 1866, puis oubliés).
De cette constatation naît la théorie chromosomique de l'hérédité (les chromosomes sont les supports physiques de l’information héréditaire). C’est l'Américain Thomas Hunt Morgan qui, en 1920, consacre l'union entre génétique et cytologie : ses travaux sur les chromosomes et le patrimoine génétique de la drosophile (mouche du vinaigre) ont permis l'établissement des représentations de l’ensemble des chromosomes d’une cellule, ou caryotypes, sur lesquelles les chromosomes sont rangés par paires. Les gènes, terme introduit par Wilhelm Johannsen en 1909 pour qualifier les éléments transmetteurs de l'hérédité, occupent une position fixe sur les chromosomes. Depuis, la composition chimique des chromosomes et la structure en double hélice de l'ADN ont été définies, mais ce n'est qu'à partir de 1974 que l'agencement des différentes molécules les unes par rapport aux autres a été établi.


2. La morphologie des chromosomes
L'examen des cellules animales et végétales en division montre que chaque chromosome a une taille et une forme propres ; à de rares exceptions près, leur nombre est pair. L'observation est effectuée sur des cellules dont la division a été bloquée, à l'aide de colchicine (alcaloïde extrait du colchique), au stade de la métaphase (deuxième des quatre stades que comporte le processus de division cellulaire). À ce moment, les chromosomes sont séparés dans le sens longitudinal en deux chromatides, ou chromosomes fils, réunis par un centromère (constriction primaire).
Dans toutes les cellules somatiques, ou non reproductrices, chaque type de chromosome existe en deux exemplaires : ils sont dits homologues. En définissant par n le nombre de chromosomes différents, les généticiens ont qualifié de diploïdes ces cellules qui possèdent 2n chromosomes. En revanche, les cellules reproductrices, ou gamètes, qui ne contiennent que n chromosomes sont haploïdes.


3. Le nombre de chromosomes
Au moment de la fécondation, la fusion des deux gamètes (spermatozoïde et ovule) rétablit le nombre de chromosomes (n + n = 2n) dans la cellule œuf ou zygote. Le nombre de paires de chromosomes dans les cellules humaines, 23 au total (2n = 46), a été établi en 1956 par Joe Hin Tijo et Albert Levan. Il est important de remarquer que le nombre chromosomique d'une espèce n'a aucun rapport avec son degré d'évolution, ni même avec sa taille, puisque l'amibe possède plusieurs centaines de chromosomes.
L'utilisation expérimentale de substances comme la colchicine permet de provoquer des anomalies numéraires en déréglant le processus de la mitose. Les espèces créées possèdent un caryotype dont les chromosomes sont en quadruple exemplaire (cellules tétraploïdes, à 4n), voire plus. De nombreuses plantes cultivées (blé, rose, tabac, dahlia, etc.), qui ont fait l'objet de telles manipulations génétiques, sont caractérisées par des fleurs, des graines et une taille générale supérieures à la normale.


3.1. Les chromosomes sexuels

Chez l’espèce humaine, ce sont ceux de la vingt-troisième paire sur un caryotype. Chez la femme, cette paire est composée de deux chromosomes identiques, nommés X. Chez l'homme, elle est composée de deux chromosomes de taille différente : l'un, ressemblant à ceux de la femme, est un chromosome X ; l'autre, plus court, est le chromosome Y. Appelés aussi hétérochromosomes, les chromosomes sexuels déterminent le sexe de l'individu, par opposition aux 22 autres paires, les autosomes, qui définissent les caractères physiques et psychologiques de l'individu. Chez d'autres espèces, telle la mouche, la femelle est XY, alors que le mâle est XX.
D'autre part, les cellules d'une femme sont caractérisées, entre deux divisions, par la présence dans le noyau d'un grain de chromatine, correspondant à l'un de ses chromosomes sexuels. Ce grain, aussi appelé chromatine sexuelle ou corpuscule de Barr, sert à diagnostiquer le sexe vrai ou des anomalies sexuelles.


4. Des chromosomes particuliers
4.1. Le « chromosome » bactérien
Globalement, le matériel génétique d'une bactérie est comparable à celui des eucaryotes. Il est également constitué d'ADN et de protéines qui, sans être rigoureusement identiques, conservent les mêmes fonctions. Le génome principal d’une bactérie est représenté par une molécule d’ADN de forme circulaire qui, par analogie avec la structure du génome des eucaryotes, est souvent appelée « chromosome bactérien », bien qu’il ne s’agisse pas d’un chromosome à proprement parler.
Nombre de bactéries ne possèdent qu'un seul « chromosome », mais il n'est pas rare d'en observer plusieurs, surtout avant la période de division. La souche de laboratoire d’Escherichia coli, un bacille particulièrement étudié dans les domaines de la génétique et de la biologie moléculaire, possède un chromosome de 1,3 mm de circonférence, contenant environ 4,7 millions de paires de bases. Son génome a été entièrement séquencé (1997). En 1997, une équipe internationale de plusieurs dizaines de chercheurs a publié la séquence complète des 4 214 810 paires de bases constituant le génome de la bactérie Bacillus subtilis, et déterminé ses 4 100 gènes codant pour des protéines. Depuis, de nombreuses autres bactéries (Helicobacter pylori, Haemophilus influenzae, Saccharomyces cerevisiae, Mycoplasma pneumoniae, etc.) et archaebactéries (Archaeoglobus fulgidus, Methanococcus thermoautotrophicum, Aquifex aeolicus, etc.) ont déjà vu ainsi leur génome entièrement séquencé (il est d'ailleurs remarquable que ces données soient librement accessibles sur Internet).
Les bactéries possèdent également, en nombre variable, d'autres fragments de génome de taille beaucoup plus réduite, représentant un centième du chromosome principal. Ces fragments, circulaires eux aussi, sont appelés plasmides et se répliquent de façon indépendante. L'un d'entre eux, le facteur F, confère le caractère mâle à la bactérie porteuse. Il permet la conjugaison et le transfert de matériel génétique d'une bactérie à l'autre, tout particulièrement lorsqu'il s'intègre au chromosome principal. En général, les plasmides ne portent pas d'information génétique essentielle au métabolisme de la bactérie. C'est toutefois dans ces fragments d'ADN que sont contenus les gènes conférant la résistance aux antibiotiques.


4.2. Les chromosomes géants
Chez certaines espèces, on peut observer des chromosomes de très grande taille, environ près de cent fois celle d'un chromosome de dimension moyenne. Ces chromosomes géants, ou polyténiques, ont été trouvés chez des protozoaires ciliés et dans les cellules du tube digestif ou de glandes annexes de diptères (mouches), comme la drosophile. Ils sont constitués par l'association des deux chromosomes homologues, eux-mêmes formés d'un millier de nucléofilaments, accolés les uns aux autres après la réplication. Une alternance de bandes sombres et claires est particulièrement visible sur cette structure ; elle correspond aux différences de condensation du nucléofilament. Toutes ces spécificités ont fait des chromosomes géants un objet privilégié pour les études génétiques, et notamment pour la cartographie des gènes chez la drosophile.


5. Le caryotype

Le caryotype est l’ensemble des chromosomes d’une cellule ou d’un individu, et spécifique de l’espèce à laquelle il appartient (le nombre de chromosomes d’une espèce est constant).
5.1. Établissement du caryotype
Chez l'homme, le caryotype est réalisé à partir de cellules sanguines, les globules blancs, qui se divisent assez facilement en culture. Après un prélèvement de sang par ponction veineuse, les cellules sont déposées sur un milieu de culture contenant des éléments nutritifs, des antibiotiques (pour éviter leur contamination et leur destruction par des bactéries) et des substances activant la mitose.
Trois jours plus tard, les mitoses sont bloquées à l'aide de colchicine, qui empêche la mise en place du fuseau. Les cellules, soumises à un choc hypotonique qui les fait éclater, sont ensuite fixées par des mélanges à base d'alcool, de chloroforme et d'acide acétique. Enfin, les chromosomes sont colorés, photographiés, identifiés grâce aux clichés, puis classés.


5.2. La formule chromosomique
Le chromosome Y est certainement le chromosome humain le plus variable du patrimoine génétique de l'homme. Sa longueur varie selon les populations : par exemple, il est souvent plus grand chez les Asiatiques que chez les Européens. Certains chromosomes possèdent des constrictions secondaires, sortes d'allongements supplémentaires ; le chromosome 9, à l'état normal, en possède une sur son bras long, mais, chez certains individus, elle se situe sur le bras court de ce chromosome. La constriction des chromosomes 1 et 16 peut être de longueur variable.
De telles variations sont également visibles chez les animaux, comme les rongeurs, qui montrent de nombreux exemples de variations intraspécifiques de la formule chromosomique. Certains individus possèdent même un nombre de chromosomes inférieur ou supérieur à la normale. Des différences existent chez des espèces extrêmement proches les unes des autres, tant sur le plan de la physiologie que sur celui de l'anatomie, et pour lesquelles aucune différence chromosomique majeure ne pourrait être attendue. La stabilité du caryotype n'est donc que relative, et cela quelle que soit la position de l'être vivant dans la classification zoologique. Toutefois ces altérations sont peu fréquentes dans une population donnée.
Pour de nombreux auteurs, ces variations de la formule chromosomique peuvent être dans certains cas, au même titre que les mutations ponctuelles des gènes, un élément d'évolution d'une espèce – tout au moins lorsque ce changement est susceptible d'induire des changements de phénotype et lorsque ceux-ci restent compatibles avec la survie de l'individu.


5.3. Les aberrations chromosomiques

Il arrive que les altérations du stock chromosomique soient profondes et entraînent de graves problèmes de santé pour l'individu qui les porte. Ces anomalies chromosomiques sont soit de type numérique, soit de type structural, et peuvent affecter tous les chromosomes.
Les anomalies de type numérique sont principalement dues à une mauvaise séparation des chromosomes appariés au cours de la mitose ou de la méiose. Lorsque le caryotype comprend un multiple exact du nombre haploïde (3n ou 4n, par exemple), la cellule ou l'organisme sont dits polyploïdes. Si le nombre n'est pas un multiple exact, on parle d'aneuploïdie. La trisomie 21 (ou syndrome de Down) est un exemple d'aberration de ce type : elle est caractérisée par la présence d'un chromosome surnuméraire dans la paire 21. La principale cause de l'aneuploïdie est une distribution inégale du stock chromosomique lors de la formation des cellules sexuelles.
Les aberrations de la structure chromosomique résultent d'une cassure d'un chromosome suivie d'une reconstruction anormale. Elles peuvent apparaître à la suite de divers mécanismes. La délétion (perte pure et simple d'un fragment du chromosome) peut concerner sa partie terminale ou une portion comprise entre deux points de rupture. La duplication aboutit à l'intégration d'un fragment supplémentaire de chromosome tout en créant une délétion dans un autre chromosome. Dans d'autres cas, si la cassure d'un chromosome est mal réparée, le fragment peut être « ressoudé » à l'envers (inversion) ou intégré en un tout autre site (translocation).
Voir aussi les articles : aberration chromosomique, délétion.


6. La structure des chromosomes
Les chromosomes et la chromatine sont constitués de protéines et d'acides nucléiques (ADN). L'ARN n'intervient pas dans la structure même, car l'information portée par la molécule d'ADN est transcrite sous forme d'ARN qui, après être passé du noyau vers le cytoplasme, est traduit en protéine.
6.1. L'ADN chromosomique

La quantité d'ADN contenue dans une cellule est constante pour une espèce vivante donnée, exception faite des cellules reproductrices dont le stock est divisé par 2. Cette quantité a été estimée à 0,4 pg chez la mouche et à 5,86 pg chez le chien, par exemple. Pour l'homme, les estimations ont donné 7,3 pg pour une longueur totale de 2,36 m. Si l'on veut avoir une idée plus réelle des proportions de la molécule d'ADN, il suffit de multiplier ses dimensions un million de fois. Dans ce cas, les 46 brins d'ADN complètement déroulés des chromosomes humains mis bout à bout formeraient un fil de 2 mm de diamètre pour une longueur de plus de 2 000 km !
La molécule d'ADN est formée d'un double enchaînement ordonné de nucléotides complémentaires (fibre bicaténaire, ou duplex) de 2 nm de diamètre. Cet arrangement définit sa structure primaire globalement linéaire; mais par les propriétés physicochimiques de ses composants, l'ADN adopte une configuration en double hélice qui correspond à sa structure secondaire. Selon les cas, on compte entre 9 et 11 bases par tour d'hélice. Cette molécule bicaténaire est relativement rigide le long de son axe et subit, par conséquent, de nombreuses contraintes dans l'architecture des chromosomes. Chez l'homme, un chromosome peut mesurer une dizaine de micromètres de long pour 0,5 mm de diamètre : l'ADN est donc fortement compacté au sein d'une structure qui inclut aussi de nombreuses protéines.
6.2. Les protéines chromosomiques

Elles appartiennent à deux groupes, celui des histones, très homogène, et celui des non-histones, qui comportent plusieurs centaines de types différents.
Par leur richesse en acides aminés, telles la lysine et l'arginine, qui à eux seuls peuvent constituer près de 25 % de la chaîne polypeptidique, les histones sont des protéines basiques. Elles ont une forte affinité entre elles, mais aussi avec les acides nucléiques comme l'ADN et avec les protéines non histones. Si l'on considère leur structure primaire, ou séquence d'acides aminés, on constate une remarquable constance, même pour des espèces d'eucaryotes fort éloignées. Ce qui laisse à penser que le rôle de ces protéines est identique pour toutes les espèces et que la moindre anomalie de séquence doit être mortelle pour l'organisme. Les protéines histones sont réparties en cinq types majeurs : H1, H2A, H2B, H3 et H4.
Les protéines non histones forment un groupe très hétérogène du fait de la diversité des rôles qu'elles assurent. Certaines d'entre elles interviennent, tout comme les histones, dans l'architecture du chromosome. La myosine et l'actine, par exemple, qui sont également les protéines contractiles fondamentales du muscle, pourraient entrer en action lors de la condensation et la décondensation des chromosomes. On trouve par ailleurs des protéines, dont le rôle est d'assurer la réplication et la réparation des brins d'ADN, et toutes les enzymes, substances protéiniques, nécessaires à la transcription des gènes en ARN.
6.3. La structure de base des chromosomes

Quel que soit l'aspect qu'il présente, la structure de base du chromosome est la fibre nucléosomique. Révélée à la fin des années 1950 par des diagrammes de diffraction des rayons X, cette structure ressemble à un chapelet de perles dont le fil connecteur serait l'ADN et les perles des groupements d'histones. C'est Arthur Kornberg qui en 1974, sur la base de clichés réalisés en microscopie électronique, proposa un modèle pour décrire cet arrangement. Le nucléosome, unité de base, serait constitué par un assemblage protéique contenant 8 histones, identiques deux à deux (2 × H2A, 2 × H2B, 2 × H3, 2 × H4). Le filament d'ADN s'enroulerait autour de cette structure en faisant deux tours de spire à la manière d'un fil s'enroulant sur un court cylindre (110 Å de diamètre sur 57 Å de hauteur) ; la continuité du filament d'ADN assure également le lien entre les différents nucléosomes.
L'organisation du nucléofilament dans la chromatine est encore plus complexe. Des filaments environ trois fois plus épais que la fibre nucléosomique (soit d'un diamètre de près de 30 nm) seraient le résultat de la condensation de la fibre nucléosomique. Deux modèles ont été proposés pour en décrire l'organisation : en solénoïde et en superboules. Dans le premier, la fibre nucléosomique s'enroulerait en une spirale dont chaque tour serait formé de 6 nucléosomes. Dans le second, la fibre chromosomique serait formée par la juxtaposition de boules contenant 12 nucléosomes. La stabilité de ces deux structures serait assurée par les protéines histones de type H1.
Un des stades privilégiés de la division cellulaire pour étudier les chromosomes est la métaphase. En effet, à ce moment, ils sont complètement individualisés en chromatides, et la condensation, amorcée au début de la phase de division, est maintenant terminée. Les chromatides formées correspondent à un degré d'organisation supplémentaire de la fibre chromosomique décrite précédemment.
Dans cette organisation, les protéines non histones jouent un rôle très important. On a pu isoler et purifier une trentaine d'entre elles, ce qui ne représente qu'un millième de la quantité d'histones constituant le chromosome. Ces protéines forment le squelette longiligne qui donne sa forme générale à la chromatide ; la fibre chromosomique, qui s'enroulerait autour de cet axe, formerait au préalable des sortes de petites pelotes, les microconvules, de 52 nm de diamètre, contenant l'ADN. Ce nouveau chapelet se disposerait alors autour de l'axe de protéines non histones. Une estimation avance que le chromosome humain le plus grand pourrait être composé de plus de 4 000 de ces microconvules.


7. La duplication des chromosomes
Toute division cellulaire (mitose, première division de la méiose) est précédée d'une duplication de l'information génétique, afin que celle-ci puisse être transmise dans son intégralité aux cellules filles. Cette duplication est assurée par la réplication de l'ADN, qui aboutit à la formation de deux longues molécules linéaires en tous points semblables. Elle s'effectue selon un modèle semi-conservatif, dans lequel chaque brin de la double hélice engendre un brin complémentaire puis s'y associe. La réplication est un phénomène biochimique très complexe nécessitant la participation de nombreuses enzymes dont le rôle est de dérouler le filament d'ADN, de séparer les deux brins, de synthétiser les brins complémentaires et, enfin, de reconstituer la structure native des brins fils.
→ ADN.


8. La parenté chromosomique de l'homme
Les scientifiques ont généralement recours à la morphologie, à l'anatomie et à la physiologie pour déterminer les liens évolutifs entre différentes espèces. Mais ces liens peuvent être établis par l'analyse de la formule chromosomique. Depuis Darwin, les biologistes ont admis que l'homme et les grands singes (chimpanzé, gorille, orang-outan…) ont une parenté commune ; elle a été confirmée par l'étude de leur formule chromosomique.
L'homme a 23 paires de chromosomes, contre 24 chez les grands singes. Une analyse plus fine a montré que 13 des paires humaines sont rigoureusement identiques à celles du chimpanzé et que les paires restantes ne se distinguent que par de subtils remaniements. Quant au chromosome 2 de l'homme, il correspond tout simplement à la fusion de deux chromosomes du chimpanzé.
Les scientifiques se demandent à présent pourquoi des différences aussi minimes peuvent se traduire par des divergences morphologiques et comportementales aussi importantes.

 

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