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« le réchauffement des régions polaires accélère »

 

 

 

 

 

 

 

« le réchauffement des régions polaires accélère »
Marie-Noëlle Houssais dans dlr 51
daté octobre 2012 -  Réservé aux abonnés du site


Beaucoup plus marqué au nord, le réchauffement des pôles s'accentue. Avec des conséquences peut-être irréversibles pour l'équilibre de la planète.
LA RECHERCHE. Comment l'Arctique réagit-il au changement climatique de ces dernières décennies ?

MARIE-NOËLLE HOUSSAIS. C'est là, dans le Grand Nord, que la hausse des températures de surface a été la plus forte au cours des dernières décennies. Depuis le début des mesures instrumentales, vers 1880, l'Arctique s'est réchauffé de presque 2 °C jusqu'en 1960 - avec des périodes de refroidissement -, contre seulement 0,8 °C pour la planète entière ! En outre, cette tendance s'accentue depuis les années 1960. Sur cette période, la température a crû de 2 °C, mais de manière continue. Toutefois, ces chiffres masquent de grandes disparités régionales. Globalement, les continents se réchauffent beaucoup plus vite que l'océan Arctique qu'ils entourent, l'inertie de celui-ci étant bien plus grande. On observe aussi de fortes variations saisonnières. Ainsi, la hausse des températures est particulièrement sensible en automne, quand l'étendue des glaces est à son minimum. Par exemple, de 2005 à 2007, les températures mesurées en septembre au coeur de l'océan Arctique ont été supérieures de plus de 6 °C à la « normale » (- 20 °C), c'est-à-dire à la moyenne des températures de septembre sur le XXe siècle. En hiver et au printemps, lorsque la circulation atmosphérique devient plus vigoureuse, le déplacement des masses d'air peut aussi induire localement des pics plus chauds. La distribution géographique des anomalies de température d'une saison donnée peut varier d'une année et d'une saison sur l'autre et être radicalement différente des tendances observées sur le long terme.

Qu'en est-il en Antarctique ?

M.-N.H. La zone australe s'est elle aussi globalement réchauffée, mais dans des proportions comparables à la Terre entière (de l'ordre de 0,8 °C sur le dernier siècle). Avec une exception notable : l'Antarctique de l'ouest et la péninsule Antarctique, qui font face au Pacifique, où les températures s'élèvent en moyenne de 0,3 °C par décennie depuis 1957, date des premières mesures systématiques.

Pourquoi les régions polaires se réchauffent-elles plus vite que le reste de la Terre ?

M.-N.H. Parce que le réchauffement global est amplifié par diverses réactions en chaîne, ce que nous appelons communément des « rétroactions positives », qui sont différentes au nord et au sud. En Arctique, l'amplification résulte d'abord de la modification de l'albédo, c'est-à-dire de la capacité des surfaces à réfléchir les rayonnements solaires vers l'espace. Ce paramètre varie de 0, quand la surface absorbe tous les rayonnements, à 1, lorsqu'elle les réfléchit en totalité. Une surface englacée, blanche, réfléchit plus de 90 % du rayonnement solaire. Son albédo est de 0,9. Mais ce chiffre tombe à 0,4, voire 0,3, dès qu'elle fond partiellement, car la glace résiduelle prend une teinte bleutée, moins réfléchissante. L'albédo atteint même 0,1 lorsque l'océan est libre de glace. Avec le réchauffement et la fonte des glaces qui s'ensuit, les surfaces arctiques deviennent de moins en moins réfléchissantes. Donc le rayonnement solaire est davantage absorbé, ce qui accélère toujours plus le processus de fonte et, in fine, le réchauffement. On sait par ailleurs que l'augmentation de la teneur en vapeur d'eau de l'atmosphère et de la nébulosité observée ces dernières années au-dessus de l'Arctique jouent un rôle important dans ce processus d'amplification. C'est surtout vrai en automne, quand l'air se refroidit plus vite que la surface océanique. Le rayonnement infrarouge émis par la surface terrestre vers l'atmosphère est alors plus facilement piégé à proximité de la surface, laquelle s'échauffe encore un peu plus. En fait, de nombreuses rétroactions agissent de concert et souvent de façon couplée, de sorte que leur contribution respective reste difficile à évaluer.

Les mêmes mécanismes sont-ils à l'oeuvre en Antarctique ?

M.-N.H. Non, d'abord parce que les glaces de mer n'ont pas la même importance qu'en Arctique. Et l'albédo de surface n'a pas varié dans les mêmes proportions. En Antarctique, l'eau de mer gèle en hiver, formant une banquise épaisse de 40 à 60 centimètres seulement (contre 1 à 2 mètres au minimum en Arctique) qui s'étend sur presque 20 millions de kilomètres carrés, mais chaque été, cette couche blanche disparaît totalement. Et dans les dernières décennies, cette banquise a peu évolué. Par ailleurs, la fonte de l'épaisse calotte glaciaire qui recouvre le continent antarctique diminue depuis quarante ans. Ce qui plaide en faveur d'un ralentissement du réchauffement. Dans la péninsule - seule région de l'Antarctique qui se réchauffe vite -, des changements de vents, et une diminution de la banquise limitrophe pourraient expliquer le phénomène.

L'Arctique a-t-il déjà connu par le passé des épisodes de fort réchauffement ?

M.-N.H. Oui, mais aucun n'est comparable à celui que nous connaissons depuis une cinquantaine d'années. Le climat de la région a fluctué au cours du passé récent. On sait qu'il y a environ 6 000 ans, la forêt boréale de l'Arctique canadien a progressé d'environ 200 kilomètres vers le nord à la faveur d'un épisode chaud. Trois millénaires plus tard, cette même forêt s'est repliée de 300 kilomètres vers le sud lors d'un coup de froid. Plus près de nous, les températures ont de nouveau gagné quelques dixièmes de degré durant le « petit optimum médiéval », centré autour de l'an mil, mais sans jamais atteindre celles d'aujourd'hui. La rapidité des changements actuels, intervenus en quelques décennies seulement, est sans précédent. Et si les fluctuations passées font partie de la variabilité naturelle du climat, le réchauffement actuel est dû aux teneurs élevées, et jamais égalées par le passé, des gaz à effet de serre de l'atmosphère engendrés par les activités humaines.

Quelles sont les conséquences de ce réchauffement en Arctique ?

M.-N.H. La plus médiatisée est le recul de la banquise qui recouvre l'océan Arctique et les mers adjacentes, surtout à la fin de l'été. Les mesures satellitaires montrent qu'en septembre la surface de la banquise est, depuis 2005, presque toujours inférieure à 5 millions de kilomètres carrés. Cette année, elle est même descendue bien au-dessous de 4 millions de kilomètres carrés. Cette surface excédait 7,5 millions de kilomètres carrés en 1979, lorsque les premiers satellites ont été lancés.En outre, le phénomène s'accélère : depuis le début du XXIe siècle, quelque 150 000 kilomètres carrés de banquise disparaissent définitivement chaque année. Entre 1979 et 1998, ces pertes n'atteignaient pas les 50 000 kilomètres carrés ! La banquise restante devient aussi plus mince et plus fragile, offrant moins de résistance aux vents. Autant d'éléments qui laissent présager de l'ouverture saisonnière de nouvelles routes maritimes (lire «Rivalités pour les frontières maritimes », p. 40). Laquelle favoriserait aussi l'accès aux ressources naturelles de l'Arctique (lire « Le sous-sol de l'Arctique attise les convoitises », p. 44). Avec le recul de la banquise, la lumière peut aussi pénétrer plus profondément dans l'eau et affecter les écosystèmes marins. Des efflorescences de plancton ont ainsi été récemment observées sous la banquise amincie et disloquée. Des régions de plus en plus vastes sont aussi exposées aux vents, ce qui favorise le mélange vertical des eaux océaniques, et donc la remontée de nutriments depuis les couches inférieures. Cet effet peut néanmoins être contrecarré par les rejets d'eau douce liés à la fonte des glaces continentales et qui tendent à s'opposer au mélange.

Justement, la fonte massive de la calotte de glace qui recouvre le Groenland n'est-elle pas aussi préoccupante ?

M.-N.H. Force est de constater que, depuis environ vingt ans, la calotte groenlandaise perd de la masse. Auparavant, les chutes de neige hivernales compensaient les pertes liées à la fonte de surface de la glace et des glaciers émissaires situés en périphérie de la calotte. Mais aujourd'hui, cette compensation n'existe plus, ce qui accentue toujours plus le déséquilibre. Les mesures de gravité, établies depuis 2002 dans le cadre du programme américain Grace, indiquent que la calotte perd actuellement de l'ordre de 200 à 250 gigatonnes de glace par an, soit près du dix millième de sa masse totale. Des volumes croissants d'eau douce se déversent donc dans l'océan, et la contribution du Groenland à l'élévation du niveau de la mer augmente : elle atteint 0,6 millimètre par an sur la période 2003-2010, sur un total de 3,5 millimètres. Au Sud, la tendance est beaucoup moins marquée, même si les dernières mesures montrent que certains glaciers côtiers, notamment ceux de l'Antarctique de l'Ouest, perdent plusieurs dizaines de mètres d'épaisseur par an depuis le début des années 2000.

Les changements sont-ils aussi perceptibles sur les continents ?

M.-N.H. Bien sûr. La forêt boréale progresse vers le nord et gagne des zones où, voilà encore quelques décennies, ne poussait que la toundra. De nombreuses espèces végétales et animales suivent le même mouvement (lire «Ces espèces qui colonisent le Grand Nord », p. 32). Le pergélisol, c'est-à-dire le sols perpétuellement gelé sur plusieurs dizaines, voire centaines de mètres d'épaisseur, fond graduellement. Des étendues marécageuses apparaissent un peu partout sur le pourtour de l'océan. Affaissements et glissements de terrain se multiplient, endommageant routes et bâtiments, compliquant encore un peu plus la vie des populations autochtones. En outre, ce dégel libère du dioxyde de carbone et du méthane, deux des principaux gaz à effet de serre (lire « Faut-il craindre les bouffées de méthane ? », p. 28). Ce qui pourrait faire grimper encore plus les températures.

L'évolution climatique observée en Arctique est-elle irréversible ? En d'autres termes, a-t-on atteint un point de non-retour ?

M.-N.H. Il est difficile de répondre. L'épisode de réchauffement très rapide que connaît actuellement l'Arctique a démarré au début des années 1960. Ce qui nous laisse peu de recul. On voit que, sur ce laps de temps, de nombreux phénomènes se sont amplifiés : le recul de la banquise, la fonte des glaciers continentaux et de la calotte groenlandaise, etc. La température ne pourra se stabiliser tant que la hausse des teneurs en gaz à effet de serre de l'atmosphère ne sera pas elle-même stabilisée. À moins que des mécanismes stabilisateurs, des rétroactions négatives, se mettent en place et contrebalancent les effets des rétroactions positives. Certains de ces mécanismes sont connus. Par exemple, la chaleur est conduite d'autant plus facilement que les glaces de mer sont minces. En automne, cela permet d'accroître le taux de congélation, et donc la reconstruction partielle de la banquise en hiver, après la fonte estivale. Mais on ignore si ces facteurs stabilisants suffiront ou pas pour empêcher que le système climatique n'évolue irréversiblement.
L'EXPERT
Marie-Noëlle Houssais est directrice de recherche au CNRS et directrice adjointe du laboratoire d'océanographie et du climat à l'université Pierre-et-Marie-Curie, à Paris. Elle coordonne le programme Albion, sur la formation d'eau dense le long de la marge antarctique, et la partie française de deux programmes européens sur l'Arctique et son lien avec la circulation océanique globale.
UN PREMIER ÉPISODE CHAUD AU XXE SIÈCLE
La hausse des températures en Arctique n'a pas été continue. Le réchauffement rapide que connaît la région depuis le début des années 1960 a, en effet, été précédé d'un autre pic de chaleur, entre 1920 et 1940. Le maximum fut atteint à la fin des années 1930 et au début des années 1940. Les températures étaient alors supérieures d'environ 1 °C à la moyenne des températures calculées dans la région au cours du XXe siècle. En 1938, ces anomalies thermiques ont même atteint 1,34 °C. Toutefois, cet épisode était de nature différente de celui que nous vivons actuellement. D'abord, il n'a concerné que le Grand Nord. Ensuite, même si cela reste à confirmer, il ne serait pas la conséquence des activités humaines, mais la manifestation de la variabilité naturelle du système climatique impliquant un mécanisme de couplage entre le transport de chaleur, via les courants océaniques, et des anomalies dans la circulation atmosphérique. Cet épisode a été suivi d'un refroidissement sensible jusqu'aux années 1960.

 

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LE CLIMAT : MÉCANISMES ET VARIABILITÉ

 

 

 

 

 

 

 

LE CLIMAT : MÉCANISMES ET VARIABILITÉ


"Le climat peut se définir comme la distribution statistique des conditions météorologiques prévalant dans les basses couches de l'atmosphère où vivent les hommes. Celles-ci sont le résultat de mécanismes variés mettant en jeu l'énergie reçue du soleil, le rayonnement tellurique, la composition chimique de l'atmosphère, la rotation de la Terre, la topographie des continents, la dynamique des deux fluides que sont l'atmosphère et océan, le cycle de l'eau, la végétation et l'hydrologie des sols. La circulation de l'atmosphère et de l'océan détermine les climats régionaux et assure le transport de l'énergie des tropiques vers les pôles, et plus généralement, des régions excédentaires vers les régions déficitaires. Les grandes caractéristiques du climat sont associées dans les tropiques, à la circulation de Hadley-Walker qui module les saisons des pluies équatoriales et les déserts subtropicaux ; et dans les moyennes latitudes, aux contrastes thermiques qui induisent des régimes de temps dominés par d'incessantes perturbations. Enfin, le climat n'est jamais réellement en équilibre : il varie à toutes les échelles de temps sous l'effet des effets tectoniques, des fluctuations du mouvement orbital de la Terre, des variations de l'irradiation solaire, et aujourd'hui, des perturbations planétaires dues à l'activité des hommes.. "

Texte de la 207ème conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 25 juillet 2000.

Le climat

par Robert Sadourny

Qu'est-ce que le climat ?

Comme la météorologie est la science des météores, en particulier du temps qu'il fait ou qu'il va faire, la climatologie est la science du climat, c'est à dire la science des probabilités ou des statistiques sur le temps. On entend trop souvent dire qu'une fête a été gâchée (par exemple) « en raison des mauvaises conditions climatiques », alors qu'il s'agit là, bien sûr, de mauvaises conditions météorologiques : le climat ne change pas quand en quelques jours, on passe du beau temps au mauvais temps !

Quand nous parlons de climat, de quel système physique parlons-nous ? Le système climatique inclut naturellement les basses couches de l'atmosphère où nous vivons, et les couches plus élevées dont le comportement est étroitement lié à celles-ci : principalement la troposphère et dans une moindre mesure, la stratosphère. Ce système inclut aussi les océans et les couches superficielles des terres émergées, qui échangent de l'eau et de la chaleur avec l'atmosphère, et bien sûr, les glaces de terre et de mer. Mais l'étude du climat ne se réduit pas à celle d'un système physique. Le climat interagit très fortement avec la chimie de l'atmosphère et de l'océan, et aussi avec la biosphère, c'est à dire l'ensemble des êtres vivants.

Étudier le climat, c'est non seulement observer continûment, sur l'ensemble du globe et durant de longues périodes, le comportement de l'atmosphère, de l'océan, des glaces et des terres émergées, mais aussi modéliser l'ensemble des mécanismes du système pour simuler son évolution. C'est en comparant le climat simulé au climat observé que nous mesurons notre niveau de compréhension des mécanismes, et donc nos capacités à prédire les évolutions futures. La climatologie s'est développée très rapidement à l'ère des satellites et des calculateurs. Les sondeurs spatiaux placés à bord de satellites à défilement, à orbite quasi-polaire, comme la série météorologique opérationnelle américaine Nimbus, permettent de suivre l'évolution des profils verticaux de la température et de l'humidité sur l'ensemble du globe. Les radiomètres à bande large, comme ERBI, ScaRaB ou CERES nous permettent de suivre les variations spatio-temporelles du bilan d'énergie de la planète. Les satellites géostationnaires comme Météosat observent en permanence les tropiques et les latitudes moyennes de leur position équatoriale à 36 000 km d'altitude. L'altimètre de TOPEX-Poséidon mesure, avec une précision de quelques centimètres, l'altitude du niveau de la mer, qui nous renseigne sur la dynamique des courants.

Quant aux modèles de climat, ce sont bien sûr des modèles pronostiques, qui décrivent une évolution dans le temps à partir d'une situation initiale donnée, comme les modèles de prévision météorologique. Mais ils doivent inclure, en plus de l'atmosphère, des océans et des glaces de mer interactifs, ainsi que les couverts végétaux et l'hydrologie des terres émergées. Ces modèles simulent en particulier le cycle de l'eau dans son ensemble, la formation des divers types de nuages, la formation de glaces de mer ; ils commencent aujourd'hui à inclure une végétation interactive et certains cycles chimiques comme le cycle du carbone et celui de l'ozone stratosphérique. Le coût de calcul est tel que, dans la pratique, la durée d'une simulation dépasse rarement le siècle ; pour des simulations plus longues, il faut user de modèles simplifiés. Le résultat d'une simulation est une évolution, c'est à dire une succession d'états instantanés du système ; l'interprétation climatologique de cette simulation repose ensuite sur l'analyse statistique de cet succession d'états. C'est d'ailleurs bien parce que le climat est un problème statistique que nous pouvons prolonger nos simulations bien au delà de la limite de prévisibilité de l'atmosphère (une douzaine de jours au plus) : on ne s'intéresse plus, comme dans la prévision du temps, aux perturbations individuelles, mais à leurs probabilités d'occurrence. Ces statistiques sont basées, soit sur des moyennes temporelles, soit sur des ensembles de simulations indépendantes. Ces dernières sont relativement faciles à construire. Il suffit par exemple de perturber très légèrement les états initiaux : à cause des instabilités du système, deux solutions initialement très proches deviennent totalement décorrélées dès qu'on atteint la limite de prévisibilité.

Énergie et climat

Le climat est d'abord une affaire d'énergie. L'apport d'énergie vient presque exclusivement du soleil ; il se répartit dans l'espace et dans le temps en fonction du mouvement orbital de la Terre, de la rotation de celle-ci sur elle-même, et des variations dans le temps de la puissance solaire. La façon dont cette énergie solaire incidente traverse l'atmosphère, pénètre à la surface, se transforme en d'autres types d'énergie comme l'énergie latente ou l'énergie potentielle, puis est réémise vers l'espace à travers l'atmosphère sous forme d'énergie infrarouge, dépend de la composition physico-chimique de l'atmosphère, du cycle de l'eau, des propriétés optiques de l'océan, de l'état des surfaces émergées et de leur couvert végétal, et enfin du transport d'énergie d'un endroit à l'autre de la planète par les mouvements de l'atmosphère et de l'océan. L'ensemble du système peut s'interpréter comme une sorte d'énorme machine thermique.

Intéressons-nous d'abord aux valeurs moyennes qui déterminent le climat terrestre. La luminosité solaire actuelle correspond à un flux incident d'énergie solaire d'environ 1368 Wm-2 ; si nous répartissons ce flux sur l'ensemble de la surface terrestre (soit quatre fois la section du cylindre intercepté par la Terre), nous obtenons une valeur moyenne de 342 Wm-2. De ce flux incident, environ 30 %, soit 102 Wm-2, est réfléchi ou rétrodiffusé vers l'espace par les nuages, les aérosols, la neige et les parties les plus réfléchissantes de la surface, notamment les déserts. Restent donc 240 Wm-2 qui sont réellement absorbés par le système : environ 65 par l'atmosphère, le reste, environ 175, servant à chauffer la surface. Le fait que presque les trois quarts de l'énergie solaire absorbée le soit au niveau de la surface entraîne naturellement que la température de l'air décroît quand on s'élève ; mais l'effet de serre accentue très fortement cette décroissance. En effet, la surface chauffée par le rayonnement solaire restitue son énergie à l'espace principalement sous forme de rayonnement infrarouge, dont une partie est absorbée et réémise vers le bas par l'écran des gaz à effet de serre (vapeur d'eau, CO2, méthane, N2O, ozone, halocarbures) ainsi que par les nuages. Cet effet de serre piège ainsi une grande quantité de chaleur dans les basses couches, dont il contribue à élever encore la température. Le rayonnement intercepté par l'effet de serre est de l'ordre de 155 Wm-2 ; cette valeur est une mesure de l'effet de serre total. Une autre mesure possible de l'effet de serre est le réchauffement qu'il entraîne pour la surface : 33°C, calculé comme la différence entre la température moyenne de la surface (288 K), et la température de la Terre vue de l'espace à travers l'atmosphère (255 K).

Les radiomètres à bandes larges comme ScaRaB (CNRS-CNES), qui mesurent le bilan radiatif depuis l'espace, nous renseignent sur les flux nets de rayonnement solaire et infrarouge irradiés par la Terre vers l'espace. Combinées avec les mesures de surface, les données de ces instruments permettent par exemple d'étudier la modulation de l'effet de serre par la température de surface, par la vapeur d'eau (le plus abondant des gaz à effet de serre) et par les nuages. D'après ScaRaB, la contribution des nuages à l'effet de serre global est d'environ 30 Wm-2, alors qu'ils augmentent la réflectivité de la planète de 48 Wm-2 : l'effet radiatif net des nuages va donc dans le sens d'un refroidissement du climat par 18 Wm-2. Bien sûr, il s'agit là d'une valeur moyenne : l'effet radiatif varie selon les types de nuages, et se répartit diversement en fonction des lieux et des saisons.

En moyenne sur le globe et dans le temps, le bilan d'énergie de la planète Terre est à peu près équilibré : la Terre irradie vers l'espace dans l'infrarouge une énergie sensiblement égale à celle qu'elle reçoit du soleil. Mais il est bien évident que cet équilibre ne peut être qu'approché, à cause des oscillations permanentes - diurnes, saisonnière et autres - du système climatique, et aussi, aujourd'hui, de la perturbation faible mais significative due à l'activité planétaire des hommes.

Le rôle de l'atmosphère et de l'océan

Par contre, en un point donné de la Terre, le bilan des échanges d'énergie avec l'espace est loin d'être équilibré. Dans les tropiques, la Terre reçoit plus d'énergie solaire qu'elle n'émet de rayonnement infrarouge ; dans les régions polaires, c'est l'inverse. Les régions d'excédent ou de déficit énergétique sont modulées par les saisons : l'hémisphère d'hiver est partout déficitaire, c'est à dire qu'en tout point, il perd de l'énergie vers l'espace. Certaines régions du globe sont même déficitaires durant toute l'année. C'est le cas des déserts subtropicaux comme le Sahara : l'air au dessus du Sahara étant particulièrement sec et sans nuage, l'effet de serre est minimal, ce qui entraîne une forte perte d'énergie infrarouge (d'où des températures nocturnes très basses) ; en outre, l'absence de végétation se traduit par une forte réflectivité de la surface, qui renvoie vers l'espace 30 à 40 % de l'énergie solaire incidente. La conjugaison de ces deux mécanismes fait de la région saharienne un puits d'énergie qui persiste tout au long de l'année.

La distribution du bilan net, ou flux net d'énergie entre la Terre et l'espace, nous renseigne sur les mouvements de l'atmosphère et de l'océan. En effet, ce sera le rôle de ces deux fluides de transporter l'excès d'énergie reçue ici ou là, vers les régions où le déficit domine. En particulier, l'océan et l'atmosphère vont transporter l'énergie de la bande tropicale vers les moyennes et les hautes latitudes, plus particulièrement du côté de l'hémisphère d'hiver. Intégrés sur un parallèle et sur l'épaisseur de l'atmosphère et de l'océan, ces flux méridiens sont de l'ordre de 5x1015 Watts. L'océan et l'atmosphère prennent une part sensiblement égale à ces transferts.

Comment l'atmosphère et l'océan peuvent-ils transporter l'énergie d'un endroit à l'autre de la planète ?

Un premier mécanisme est le mélange horizontal des masses d'air. Il est surtout efficace dans l'atmosphère, aux latitudes moyennes et pendant l'hiver, là où la température varie très rapidement avec la latitude. L'instabilité de l'écoulement atmosphérique crée des perturbations (basses pressions autour desquelles l'air tourne à peu près horizontalement dans le sens inverse des aiguilles d'une montre) qui brassent l'air chaud et souvent humide venant des subtropiques, avec l'air froid et plutôt sec venant des hautes latitudes. Cet échange se traduit par un flux de chaleur et d'énergie latente (ou vapeur d'eau) allant des subtropiques vers les hautes latitudes. Le brassage par les perturbations n'est efficace pour transporter l'énergie que parce qu'il mélange des masses d'air subtropical très énergétique, avec des masses d'air subpolaire qui le sont beaucoup moins.

Dans la bande tropicale, ce type de transport devient totalement inefficace, car les températures sont horizontalement très uniformes, et il en est de même des niveaux d'énergie. L'énergie sera transportée par des mouvements tridimensionnels, organisés en rouleaux, avec des régions d'ascendance et des régions de subsidence, le fluide allant dans les hautes couches, des régions d'ascendance vers les régions de subsidence, et dans les basses couches, des régions de subsidence vers les régions d'ascendance. Pour comprendre comment des rouleaux verticaux peuvent transporter de l'énergie suivant l'horizontale, il nous faut dire quelques mots de deux propriétés très importantes de l'atmosphère et de l'océan : il s'agit de la stratification et de la stabilité.

L'atmosphère et l'océan sont des fluides presque partout stratifiés en densité, en pression et en température : la densité, la pression et la température varient beaucoup plus vite (par plusieurs ordres de grandeur) suivant la verticale que suivant l'horizontale. L'origine de la stratification en température de l'atmosphère est, on l'a vu, le chauffage par la surface et l'effet de serre ; quant à l'océan, il est aussi chauffé par la surface et la température décroît naturellement quand on s'enfonce. Il va de soi que, partout où ces stratifications sont établies, elle sont stables, c'est-à-dire que le fluide léger est situé au dessus du fluide plus lourd ; les mouvements sont quasi-hydrostatiques. On démontre qu'une stratification est stable si l'énergie croît quand on s'élève.

Puisqu'il en est ainsi, il est clair que dans une circulation en rouleaux, la branche supérieure transporte plus d'énergie des ascendances vers les subsidences, que la branche inférieure n'en transporte des subsidences vers les ascendances. Le bilan net sera donc un transport d'énergie des ascendances vers les subsidences : les régions excédentaires en énergie seront des régions d'ascendance, et les régions déficitaires, des régions de subsidence.

Dans l'atmosphère, les régions excédentaires se trouvent principalement dans les tropiques, là où l'atmosphère reçoit un fort apport d'énergie à la surface : sur les continents, là où le soleil est au zénith, et sur l'océan, là où la surface de l'eau est particulièrement chaude. Cet apport d'énergie à la base a un effet déstabilisateur : les ascendances s'accompagnent de puissants mouvements convectifs (cumulonimbus pouvant atteindre jusqu'à 20 km de hauteur) qui transportent l'énergie vers le haut et restabilisent la stratification. Les masses d'air léger, chaud et humide qui montent dans ces tours convectives se refroidissent, leur humidité se condense et retombe en pluie : le passage du soleil au zénith sur les continents tropicaux correspond ainsi à la saison des pluies ou mousson. C'est donc un air froid et sec qui atteint les hautes couches et se dirige vers les régions déficitaires en énergie comme les déserts, où il redescend vers la surface. Ainsi, la désertification favorise le développement d'une subsidence d'air sec, qui en retour, favorise la désertification. Le contraste entre les régions convectives et humides, et les régions de subsidence où l'air est sec sont particulièrement visibles sur les images du canal vapeur d'eau de Météosat.

Dans l'océan, c'est la déperdition d'énergie à la surface, aux hautes latitudes, qui tend à violer la condition de stabilité et déclenche la convection. Celle-ci se produit surtout dans les mers de Norvège et du Labrador, et, près de l'Antarctique, dans la mer de Weddell, où l'eau lourde, froide et salée plonge et alimente la circulation abyssale.

La vapeur d'eau dans l'atmosphère, le sel dans l'océan sont tous deux des facteurs déstabilisants pour la stratification. Les seules sources de la vapeur d'eau atmosphérique (ou énergie latente) se trouvent à la surface : c'est l'évaporation sur l'océan, les surfaces d'eau ou les sols humides, ou l'évapotranspiration des couverts végétaux. De plus, la pression de vapeur saturante décroît exponentiellement quand la température s'abaisse : un air très froid ne peut absorber que très peu de vapeur d'eau. L'énergie latente est donc confinée dans les tropiques et surtout dans les basses couches de l'atmosphère, ce qui va à l'encontre de la loi de stabilité. C'est la raison pour laquelle la convection tropicale est dominée par la convection humide. Dans l'océan, l'évaporation à la surface alourdit l'eau superficielle en la chargeant en sel. Aux hautes latitudes, la formation de glace de mer est une source additionnelle de sel : le sel expulsé par la glace vient alourdir l'eau de surface, favorisant l'apparition de cheminées convectives, où se forme l'eau profonde.

Dans l'atmosphère tropicale, la circulation en rouleaux peut se schématiser en moyenne zonale sous le nom de cellule de Hadley, qui transporte l'énergie de ce que l'on appelle l'équateur météorologique, vers les subtropiques de l'hémisphère d'hiver. Au delà des subtropiques, c'est le mélange horizontal qui prend le relais pour transporter l'énergie vers les pôles. Il est intéressant de noter que lorsqu'on s'élève, si l'énergie totale et bien sûr l'énergie potentielle croissent, la chaleur sensible et l'énergie latente décroissent. Si donc les rouleaux exportent de l'énergie totale des régions d'ascendance, ils y importent en même temps de l'énergie sensible et latente, favorisant ainsi la convection et le maintien des rouleaux.

L'analogue dans l'océan des circulations en rouleaux dans l'atmosphère est la circulation tridimensionnelle dite thermohaline, parce qu'elle est gouvernée par les variations de flottaison due à la dilatation thermique et à la salinité. L'eau froide et salée qui plonge dans les mers de Norvège et du Labrador s'écoule lentement vers le sud au fond de l'Atlantique, franchit l'équateur et contourne le cap de Bonne Espérance pour rejoindre l'Océan Indien où une partie remonte à la surface ; le reste poursuit sa route vers l'est et remonte à la surface à son tour dans le Pacifique équatorial. Sous l'effet des alizés, ces eaux de surface reprennent ensuite le chemin inverse, et remontent vers le nord de l'Atlantique où elles se refroidissent, se chargent en sel, et ainsi alourdies, plongent à nouveau. Cette circulation de « tapis roulant océanique » est extrêmement lente, puisque la durée du cycle est de l'ordre de 500 ans à 1 000 ans. C'est elle qui réchauffe aujourd'hui le climat européen et en fait, à latitude égale, le plus tempéré du globe.

L'atmosphère et l'océan nous apparaissent ainsi comme les deux acteurs principaux du grand jeu climatique. Le dialogue entre ces deux acteurs joue un rôle central : les vents entraînent les eaux superficielles de l'océan ; en retour le mouvement des masses d'eau transporte de grandes quantités de chaleur qui réchauffent à leur tour l'atmosphère, modifiant ainsi le régime des vents qui vont à leur tour entraîner l'océan. Les interactions de ce type, ou rétroactions, sont monnaie courante dans le système climatique ; elles engendrent les instabilités et les oscillations naturelles qui dominent le comportement du système.

Oscillations internes

Parmi les oscillations liées aux interactions océan-atmosphère, la plus connue est le phénomène portant les noms d'El Niño (pour sa partie océanique) et d'Oscillation Australe (pour sa partie atmosphérique). Pour aborder les mécanismes d'El Niño, il faut indiquer tout d'abord que la rotation terrestre impose une domination des vents alizés (c'est-à-dire des vents d'est) dans les tropiques : c'est l'existence des alizés qui assure que la Terre solide transmet par friction sa rotation à l'atmosphère. L'entraînement des eaux superficielles du Pacifique tropical vers l'ouest par les alizés conduit à une accumulation d'eaux chaudes (plus de 30°C) dans toute la partie ouest, et à des remontées d'eaux froides au voisinage des côtes du Pérou. L'énorme quantité d'énergie ainsi emmagasinée à l'ouest se transmet à l'atmosphère, et entretient au voisinage de l'Indonésie une activité convective intense. Il en résulte, comme nous l'avons vu plus haut, une circulation en rouleau dite circulation de Walker, avec des ascendances sur les eaux chaudes de l'ouest du Pacifique et des subsidences sur les eaux froides de l'est. L'établissement de cette circulation se traduit, dans sa branche basse, par un renforcement des alizés. Nous avons là un exemple de ces rétroactions qui conduisent à des oscillations propres du système. Dans les périodes d'intensification des alizés, le Pacifique oriental est très froid, la convection sur l'Indonésie très intense. Dans les périodes d'affaiblissement des alizés, la masse d'eau chaude superficielle reflue vers l'est, la convection quitte l'Indonésie pour le centre et l'est du Pacifique. Toute la circulation en rouleaux de la bande tropicale s'en trouve modifiée : on observe des sécheresses dramatiques dans certaines régions comme l'Indonésie ou l'Australie, et des pluies diluviennes sur d'autres comme le Pérou. Le schéma le plus simple de cette oscillation est un schéma unidimensionnel, dans lequel les constantes de temps de l'oscillation sont déterminées par la propagation longitudinale d'ondes équatoriales. La réalité est naturellement plus complexe, et met en jeu l'ensemble des interactions entre les circulations tridimensionnelles de l'atmosphère et de l'océan au voisinage du Pacifique équatorial. Ces phénomènes commencent d'ailleurs à être assez bien modélisés pour que l'on aborde le stade des prévisions expérimentales.

El Niño est une oscillation interannuelle, avec une pseudo-période de l'ordre de deux à quatre ans. Il existe aussi dans les tropiques des oscillations intrasaisonnières, dont les périodes sont de l'ordre de quelques décades ; elles sont caractérisées par la propagation d'amas convectifs vers l'est, de l'ouest de l'Océan Indien vers le Pacifique équatorial. Ces oscillations sont elles aussi liées aux interactions océan-atmosphère ; elles interagissent avec la mousson asiatique et avec El Niño, ce qui leur confère une importance particulière pour l'économie et pour la société, dans des régions où la population dépasse aujourd'hui les deux milliards d'individus.

Plus proches de nous, il faut citer l'Oscillation Nord-atlantique, qui se traduit par des modulations d'intensité du contraste entre les basses pressions d'Islande et les hautes pressions des Açores. Elle concerne plus particulièrement les conditions hivernales sur l'Europe, quand ces systèmes de hautes et basses pressions sont particulièrement actifs. Un anticyclone des Açores plus intense que la normale correspond à une ligne des tempêtes atteignant l'Europe du nord : le temps y est alors plus doux et humide, tandis qu'il fait anormalement sec et froid sur l'Europe du sud. C'est l'inverse quand l'anticyclone s'affaiblit : la ligne des tempêtes atteint plutôt l'Europe du sud, y apportant davantage de précipitations.

Une autre oscillation interne, à des échelles de temps beaucoup plus longues, est la possibilité de modulation de la circulation thermohaline, donc du flux de chaleur océanique et de la formation d'eau profonde dans l'Atlantique nord. La densification des eaux du surface dans la mer de Norvège et la mer du Labrador est sensible, par exemple, à l'apport d'eau douce par les précipitations et par les fleuves, ou encore, par la fonte partielle des glaciers ou des calottes glaciaires. Un réchauffement temporaire des moyennes et hautes latitudes boréales, en activant les précipitations et la fonte des glaces, tend normalement à faire baisser la salinité de l'Atlantique nord, donc à affaiblir la circulation thermohaline, ce qui entraîne un refroidissement de l'Atlantique nord et des régions continentales qui le bordent, plus particulièrement l'Europe. Nous avons encore ici la source d'oscillations possibles, qui pourraient intervenir dans un certains nombres de changements climatiques rapides du passé, comme le début de l'épisode du Dryas Récent, brusque récession vers le froid intervenue en quelques décennies au cours de la dernière déglaciation, il y a environ 13 000 ans, ou d'autres épisodes de la dernière glaciation connues sous le nom d'oscillations de Dansgaard-Oeschger. De tels épisodes pourraient se produire de la même manière lors d'un réchauffement climatique dû aux perturbations anthropiques actuelles. La vitesse de ces variations climatiques rapides semble avoir pu atteindre dans le passé des valeurs de l'ordre de 10°C en 50 ans ; c'est là un changement climatique intense à l'échelle d'une vie d'homme.

Oscillations forcées naturelles

Le système climatique nous apparaît donc comme un oscillateur assez complexe. Cet oscillateur a ses modes d'oscillation propres, dont nous venons de donner des exemples ; mais, bien sûr, il réagit aussi aux sollicitations externes.

Nous ne citerons que pour mémoire la dérive des continents qui, à l'échelle de quelques dizaines de millions d'années, change du tout au tout les climats régionaux et modifie même le climat global, par exemple en érigeant des montagnes, ou en limitant, voire en supprimant, la possibilités de formation de calottes glaciaires. Une Terre, par exemple, où les calottes arctiques et antarctiques seraient entièrement occupées par des océans ouverts ne connaîtrait sans doute pas de glaciations, les courants océaniques apportant suffisamment d'énergie jusqu'aux pôles.

À des échelles de temps moins longues, quelques dizaines de milliers d'années, la variabilité climatique a pour source principale les variations lentes de la distribution de l'insolation, due aux irrégularités du mouvement orbital de la Terre. Le mouvement de la Terre autour du soleil est en effet perturbé par l'attraction des autres planètes du système solaire. Il est possible, par des développements en série, de reconstituer ce mouvement de façon très précise sur des périodes de temps de quelques millions d'années. Les variations correspondantes de l'insolation sont entièrement définies par les variations dans le temps de trois paramètres : l' excentricité de l'ellipse, qui module le contraste entre une saison chaude globale où la Terre est proche du soleil, et une saison froide globale où elle est éloignée du soleil ; l' obliquité de l'équateur terrestre sur l'écliptique, qui module le contraste entre l'hémisphère d'été et l'hémisphère d'hiver ; et enfin, la précession, qui définit le déphasage entre la saison chaude globale et l'hiver ou l'été de l'un ou l'autre des deux hémisphères. L'excentricité varie entre 0 (cercle parfait) et 0,07, avec une période d'environ 100 000 ans. L'obliquité varie entre 22° et 25°, avec une période de 41 000 ans. La précession est un phénomène un peu plus compliqué : la précession astronomique est le mouvement de rotation de l'axe des pôles sur le cône de précession dont la période est 26 000 ans, auquel s'ajoute le mouvement de nutation ; mais pour arriver à ce que l'on appelle la précession climatique, c'est à dire à la phase des saisons le long de l'orbite, il faut aussi tenir compte de la rotation de l'orbite elle-même : d'où deux périodes principales de 19 000 ans et 23 000 ans.

Il est aujourd'hui universellement admis que les grandes variations du climat qui ont dominé les deux derniers millions d'années sont dues à ces variations orbitales et aux variations d'insolation qui en découlent. Les phénomènes les plus marquants sont les alternances d'époques glaciaires et interglaciaires, rythmés par la lente accumulation, puis la disparition relativement rapide d'énormes calottes de glace sur l'Amérique du Nord et le nord de l'Europe. Le dernier cycle glaciaire-interglaciaire a duré environ 120 000 ans. L'accumulation de glace sur les pôles est toujours lente, car il faut beaucoup de temps à l'atmosphère pour transporter de la vapeur d'eau en quantité suffisante aux hautes latitudes où l'air est froid et peu porteur d'humidité. Le retour à l'interglaciaire par fonte ou déstabilisation des calottes est beaucoup plus rapide. Nous nous situons aujourd'hui à la fin d'une période interglaciaire qui a débuté il y a environ 10 000 ans. Le dernier maximum glaciaire, c'est à dire l'époque où le climat a été le plus froid et où les calottes glaciaires ont atteint leur extension maximale, s'est produit il y a environ 20 000 ans. À cette époque, le Canada et le nord des États-Unis étaient recouverts par plus de trois kilomètres et demi de glace, et le nord de l'Europe et de la Russie, par plus de deux kilomètres de glace ! La température moyenne du globe était de cinq à six degrés plus basse qu'aujourd'hui, et les pôles étaient plus froids d'environ dix degrés. Juste après le retour à l'interglaciaire, il y a six à dix mille ans, le climat était légèrement plus chaud qu'aujourd'hui : la précession était telle que la Terre était proche du soleil durant l'été boréal (c'est le contraire actuellement) : les étés de l'hémisphère nord étaient donc plus chauds, les moussons africaines et asiatiques étaient plus intenses et pénétraient plus au nord dans les deux continents : le sud de ce qui est aujourd'hui le désert saharien était relativement verdoyant et peuplé d'animaux et de pasteurs, comme le rappellent les fresques du Tassili.

Nous disposons sur les quatre derniers cycles glaciaires-interglaciaires, c'est à dire sur les quatre cent ou cinq cent mille dernières années, de ces véritables archives de l'évolution du climat que sont les calottes glaciaires et les sédiments marins ou lacustres, que l'on explore par carottage, stratigraphie, analyse isotopique et analyse chimique. La teneur des glaces, par exemple, en isotopes lourds de l'oxygène et de l'hydrogène nous renseigne sur l'histoire du cycle de l'eau (marquée lors de l'évaporation par des fractionnements isotopiques), donc sur les températures, les précipitations et le niveau des mers, qui, il y a 20 000 ans, à l'époque des grandes calottes glaciaires, était 120 mètres en dessous du niveau actuel (on allait à pied sec de France en Angleterre, et de l'Asie continentale jusqu'à Java et Bornéo). Les fines bulles d'air prisonnières de la glace nous permettent de retrouver la composition chimique de l'air (en particulier sa teneur en gaz à effet de serre : dioxyde de carbone et méthane) au moment où la glace s'est formée, jusqu'à il y a plusieurs centaines de milliers d'années.

Ce que nous disent ces archives et les modélisations que l'on peut faire de l'évolution du climat sur ces périodes de temps, c'est que le système climatique se comporte comme un amplificateur des impulsions orbitales, grâce aux multiples rétroactions dues par exemple au cycle de l'eau : la formation de calottes glaciaires et l'accroissement du manteau neigeux, en renvoyant davantage d'énergie solaire vers l'espace, intensifient le refroidissement ; ou encore, dues au dioxyde de carbone et au méthane : la teneur de ces gaz dépend de l'activité biologique et diminue lors des baisses d'insolation, avec pour conséquence un affaiblissement de l'effet de serre et donc un refroidissement supplémentaire.

Une autre cause naturelle, externe, de variations climatiques, est l'activité même du soleil. La « dynamo » solaire est modulée par des cycles de 22 ans ; la luminosité varie, elle, suivant des cycles de 11 ans, car elle ne dépend pas du signe du champ magnétique. Les périodes d'activité maximale du soleil se manifestent par la multiplication de taches solaires (surcompensées par des facules ou plages extrêmement brillantes). Nous disposons d'observations quantitatives de l'évolution de l'activité solaire depuis la fondation de l'Observatoire de Paris dans la deuxième moitié du XVIIe siècle (apparition, disparition, nombre de taches, variations du diamètre du soleil qui varie en raison inverse de son activité). Nous savons ainsi que la deuxième moitié du XVIIe siècle a été une période d'activité solaire particulièrement faible, allant jusqu'à une disparition totale des taches durant des périodes de plusieurs années. Aujourd'hui, des radiomètres à cavité, embarqués sur des plate-formes spatiales, mesurent ces variations avec une grande précision en s'affranchissant des perturbations dues à l'absorption par l'atmosphère. Dans un cycle de 11 ans actuel, la luminosité solaire varie d'environ un Watt m-2 (sur une valeur moyenne d'environ 1368 Watts m-2) : ces modulations sont donc très faibles et ne peuvent donner lieu à des effets climatiques importants, d'autant plus que 11 ans est une durée trop brève pour perturber l'inertie thermique de l'océan.

On sait toutefois que l'activité solaire est modulée par des cycles plus longs que le cycle de 11 ans ; le plus court est le cycle de Gleisberg (environ 80 ans). Ces cycles peuvent avoir des influences climatiques plus fortes. Néanmoins, nous ne disposons pas encore de véritables modèles tridimensionnels de la dynamo solaire et nous ne savons pas reconstruire très précisément les variations de la luminosité au cours des derniers siècles. Des modèles simplifiés ont permis d'estimer la baisse de puissance du soleil au XVIIesiècle, époque dite du minimum de Maunder, à environ 0,4 %, ce qui donne une diminution du flux solaire absorbé d'environ un Watt par mètre carré pendant au moins un demi-siècle. Cette époque semble avoir été particulièrement froide, comme en témoignent les canaux gelés des peintures hollandaises, et diverses archives climatiques (notamment la dendroclimatologie qui étudie les variations de la croissance passée des arbres et les relie aux variations de température et de pluviosité). Néanmoins, nous ne sommes pas sûrs que le refroidissement observé, qu'on a appelé assez suggestivement « petit âge glaciaire », ait été un phénomène réellement global ; il pourrait bien s'être en fait limité à l'Europe.

Perturbations anthropiques

Nous nous étendrons peu ici sur les conséquences climatiques de l'effet de serre anthropique, dû à l'injection dans l'atmosphère de produits de la combustion et d'autres activités humaines : celles-ci font l'objet d'un autre exposé dans cette même série. On notera seulement qu'il faut toujours replacer ces effets, avec leurs propres constantes de temps (de quelques décennies à plusieurs siècles) dans le cadre des variations naturelles du climat, auxquelles elles se superposent et avec lesquelles elles peuvent interagir. Par exemple, nous nous dirigeons aujourd'hui naturellement vers une nouvelle glaciation qui devrait se développer progressivement dans les 100 000 ans qui viennent. Certaines études montrent que la modification de cette évolution naturelle par le réchauffement climatique dû aux hommes pourrait perdurer sur plusieurs milliers d'années.

Revenons au présent ou à un avenir plus proche. L'effet de serre n'est pas, et de loin, la seule perturbation d'origine anthropique. Les divers types de combustion, dont les sociétés modernes font un si grand usage, injectent aussi dans l'atmosphère, à doses plus ou moins grandes, des pollutions visibles sous forme d'aérosols, petites particules en suspension dans l'air, à base de carbone suie, de carbone organique, de dioxyde de soufre, etc. Beaucoup de ces particules ont des tailles de l'ordre des longueurs d'onde du rayonnement solaire : elles interceptent une partie de ce rayonnement et l'empêchent d'atteindre la surface, soit en le renvoyant vers l'espace, soit en l'absorbant : dans une atmosphère très polluée, la couche d'aérosols peut être assez dense pour masquer complètement le soleil un jour de beau temps. À l'opposite de l'effet de serre, les aérosols tendent ainsi à refroidir la surface, et donc le climat. Le fait que certains aérosols, les aérosols soufrés, sont hygroscopiques les rend aptes à jouer en plus le rôle de noyaux de condensation : à quantité donnée de vapeur d'eau, la présence d'une grande quantité d'aérosols soufrés multiplie donc le nombre de gouttelettes ; les gouttelettes qui se forment sont plus petites, elles se forment donc en plus grandes quantités et restent en suspension plus longtemps : un même volume de gouttes d'eau offre ainsi une surface réfléchissante plus grande et plus persistante. Cet effet refroidisseur supplémentaire est ce que l'on appelle l'effet indirect des aérosols soufrés.

Contrairement aux gaz à effet de serre, les aérosols ont une durée de vie courte. Ceux dont la durée de vie est la plus longue sont les aérosols stratosphériques naturels, injectés dans la stratosphère par les grandes éruptions volcaniques tropicales comme récemment, El Chichon ou le Pinatubo : ils sédimentent lentement et leur rôle de refroidisseur n'excède pas deux ou trois ans. Les aérosols soulevés par le vent dans les déserts, et les aérosols anthropiques restent pour l'essentiel dans les basses couches et la plus grande partie (notamment les aérosols soufrés) sont lessivés rapidement par les pluies. Leur durée de vie est de l'ordre d'une semaine, leurs panaches ont une extension limitée, contrairement au CO2, par exemple, qui est très bien mélangé dans l'ensemble de l'atmosphère. Néanmoins, ces panaches peuvent affecter notablement les climats régionaux. Pendant l'hiver 1999, la campagne INDOEX a étudié le panache issu de l'Inde et de l'Asie du Sud, qui, poussé par les vents de nord-est, s'étale de décembre à mars sur tout le nord de l'Océan Indien, jusqu'à la ligne des grands systèmes convectifs située vers 5 à 10°S, où la plupart sont lessivés. Le contraste est impressionnant, entre l'atmosphère lourdement polluée au nord de cette ligne convective, et l'atmosphère très pure située au sud. INDOEX a montré que ces pollutions régionales modifiaient fortement le bilan radiatif à la surface, créant des déficits d'énergie à la surface de la mer de l'ordre d'une vingtaine de Watts par mètre carré ; ceci doit entraîner des perturbations notables de l'interaction océan-atmosphère, en particulier des déficits d'évaporation pouvant influencer les précipitations dans des endroits très éloignés. Certaines études ont montré que de même, pendant l'été, la pollution émise sur le sous-continent indien influençait négativement les précipitations de mousson, parce qu'elle limite l'excédent énergétique à la surface qui est le véritable moteur de la saison des pluies. Le problème est évidemment que la pollution, comme l'effet de serre, est directement liée au développement et à l'explosion démographique. Les effets climatiques étudiés par INDOEX ne pourront que croître très fortement dans les décennies à venir, même si des mesures anti-pollution commencent à être mises en Suvre.

Enfin, on ne peut pas parler des perturbations climatiques liées à l'activité humaine sans évoquer, au moins brièvement, l'évolution du climat du Sahel. Les années soixante-dix ont été marquées par une baisse catastrophique des précipitations dans la bande sahélienne. Cette évolution fut vraisemblablement due, en partie à des causes naturelles, en partie à des causes anthropiques.

Les causes naturelles peuvent être rapportées aux interactions océan-atmosphère. On a vu que les précipitations tropicales (la saison des pluies) étaient liées aux branches ascendantes des circulations en rouleaux. Celles-ci se développent au dessus des continents, là où l'énergie solaire reçue est maximale, et, au dessus des océans, là où la température de la mer est particulièrement élevée. On conçoit que ces deux mécanismes puissent interférer, et qu'une anomalie d'eau chaude sur l'océan, en créant de nouvelles ascendances et de nouvelles subsidences, puisse accentuer ou limiter les ascendances continentales. C'est ce qui se produit avec El Niño, qui entraîne des sécheresses sur l'Indonésie, l'Australie, le Mozambique et le Nordeste brésilien, ainsi que des moussons généralement médiocres sur l'Inde. De même, il existe de fortes corrélations entre certaines anomalies de température océanique, et les sécheresses sahéliennes. Ceci dit, la région continentale où les pluies sont les mieux corrélées aux températures de l'océan semble bien être le Nordeste brésilien, qui réagit à la fois, aux oscillations El Niño-La Niña à l'ouest, et aux oscillations nord-sud des températures de l'Atlantique tropical, à l'est. Les modèles de circulation générale de l'atmosphère simulent très bien ce genre de relations.

Mais pour en revenir au Sahel, le comportement des hommes semble aussi avoir joué son rôle. La destruction de la végétation par le surpâturage conduit à une augmentation de la réflectivité de la surface, et donc à une moindre absorption de l'énergie solaire. De là, comme nous l'avons déjà expliqué, un affaiblissement de la saison des pluies, qui renforce la tendance à la désertification : on retrouve ici encore, une de ces rétroactions qui rendent le système climatique si sensible aux perturbations externes. D'une façon beaucoup plus générale, il est clair que le développement de nos civilisations s'est toujours accompagné de déforestation intensive liée aux pratiques agricoles, à la navigation ou à la construction : dans l'antiquité, tout le pourtour de la Méditerranée ; au Moyen Âge, l'Europe ; au siècle dernier, l'Amérique du Nord ; l'Inde aussi au cours des siècles passés ; et aujourd'hui, l'ensemble des forêts équatoriales, de l'Indonésie à l'Amazonie en passant par l'Afrique. L'évolution des climats n'a certes pas été insensible à toutes ces perturbations.

 

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DES ARBORESCENCES MAGNÉTIQUES

 

 

 

 

 

 

 

Des arborescences magnétiques
Cécile Michaut dans mensuel 374
daté avril 2004 -  Réservé aux abonnés du site


Les supraconducteurs n'aiment pas les champs magnétiques. C'est même l'un des principaux obstacles à l'utilisation pratique de ces matériaux d'où la résistance électrique est absente. Ainsi, dans le diborure de magnésium, un supraconducteur découvert récemment, le magné-tisme provoque la formation d'étranges arbres.
Le flux magnétique pénètre la surface, s'infiltre, puis s'enfonce soudainement comme dans un craquement, éclatant en multiples embranchements. En quelques fractions de seconde, il envahit une grande partie du film.

Les supraconducteurs conduisent le courant électrique sans dissipation au-dessous d'une température critique, mais ils ont un talon d'Achille : si l'on tente de faire circuler un courant électrique très intense dans un supraconducteur, comme l'absence de résistance semble pouvoir le permettre, on crée du même coup un champ magnétique si intense qu'il détruit la supraconductivité. C'est ce phénomène qui empêcha Heike Kamerlingh Onnes, découvreur de la supraconductivité en 1911 dans son laboratoire de Leyde, aux Pays-Bas, d'en tirer la moindre application pratique, malgré tous ses efforts.

Tant que le courant électrique est faible, le champ magnétique induit en vertu des lois de l'électromagnétisme reste peu intense, et il est littéralement « expulsé » hors du matériau. Mais lorsque l'intensité du champ magnétique augmente, il finit inéluctablement par pénétrer dans le matériau.

Certains supraconducteurs, dits de type II, résistent mieux que les autres à cette pénétration : le champ magnétique les traverse, certes, mais seulement dans des zones bien délimitées, des tubes circulaires microscopiques à travers lesquels le flux magnétique est quantifié. Autour de chacun de ces tubes circule un courant électrique qui se comporte comme l'eau dans un tourbillon, d'où le nom de vortex tourbillon en anglais donné à ces structures. L'existence de ces vortex a été proposée en 1957 par le Russe Alexei Abrikosov, qui vient d'être récompensé pour cette théorie en 2003, par le prix Nobel de physique [1].

Dans la plupart des matériaux, en présence d'un champ magnétique, des vortex se forment à des intervalles réguliers. S'ils restent immobiles lorsque l'on fait circuler un courant électrique, leur rôle est bénéfique : ils canalisent le champ magnétique, l'empêchant d'envahir tout l'échantillon et de détruire la supraconductivité. En revanche, s'ils se déplacent avec le courant, ils dissipent de l'énergie : le matériau devient résistant. Pour résoudre cette difficulté, ainsi que préserver la supraconductivité, les physiciens ont imaginé de fixer ces vortex dans le matériau, généralement en incorporant des défauts, qui jouent le rôle d'ancrage pour ces minuscules tourbillons. Cependant, certains supraconducteurs de type II présentent un comportement original, et problématique. C'est le cas par exemple du diborure de magnésium, dont les propriétés supraconductrices au-dessous de 39 kelvins ont été découvertes en 2001 [2]. Dans un film de quelques dixièmes de micromètre d'épaisseur de ce matériau, le flux magnétique forme des motifs arborescents qui sont baptisés dendrites, étrangement semblables aux fissures d'une vitre brisée. Lorsque des dendrites se forments, cela perturbe le passage du courant électrique supraconducteur.

Un phénomène très stable

Pour lutter contre ce phénomène et améliorer les propriétés de ces films supraconducteurs, il faut d'abord comprendre comment et pourquoi ces dendrites se forment. C'est la tâche à laquelle s'est attelé Tom H. Johansen, de l'université d'Oslo, en Norvège, à l'aide d'une technique de mesure magnéto-optique, dans laquelle la lumière transmise dépend du champ magnétique local. Pour simplifier la situation, il a placé ses films de diborure de magnésium dans un champ magnétique créé de l'extérieur, orienté perpendiculairement à leur surface. Et, faute de pouvoir observer la formation même des dendrites lors de l'apparition du champ magnétique, dans la mesure où elle est trop rapide, il a examiné leur forme finale.

Premier résultat : plus le champ magnétique est intense, plus le flux magnétique pénètre vers l'intérieur du film, formant de plus en plus de dendrites. Elles sont très stables. Une fois formées, elles ne bougent plus. Si l'on augmente l'intensité du champ, de nouvelles dendrites se développent, celles existantes restant inchangées. De plus, lorsque le champ magnétique externe est coupé, elles subsistent très longtemps, piégeant une aimantation rémanente. Il faut réchauffer l'échantillon au-dessus de sa température critique pour pouvoir éliminer ces dendrites.

Tom H. Johansen et son équipe ont aussi remarqué que la forme des dendrites dépend de la température. Vers 3 ou 4 kelvins, les dendrites sont fines et linéaires. Plus l'échantillon est chaud, plus les dendrites sont nombreuses et ramifiées. Enfin, au-dessus de 10 kelvins, elles disparaissent : on retrouve alors des vortex bien espacés.

Dans certains supraconducteurs de type II, par exemple ceux de la famille des cuprates, qui sont supraconducteurs jusqu'à des températures de plus de 100 kelvins, les vortex se forment préférentiellement à la périphérie du film. Il en apparaît au milieu du film seulement quand le champ magnétique devient très intense, et il faut appliquer des champs magnétiques colossaux pour détruire toute trace de supraconductivité. Dans le diborure de magnésium, au contraire, des milliers de vortex interagissent les uns avec les autres et s'assemblent pour former les dendrites qui pénètrent vers le centre de l'échantillon. « La croissance des dendrites ressemble à la percolation de l'eau à travers un système poreux, observe Alexandre Bouzdine, professeur de physique de l'université Bordeaux-1. Le motif formé est difficile à décrire : les milliers de vortex qui composent les dendrites interagissent entre eux, avec les défauts du matériau et avec le champ magnétique. »

Le rôle clé de la chaleur

« Il n'existe aucun modèle quantitatif permettant d'expliquer comment les dendrites se forment dans le matériau et pourquoi elles existent dans certains supraconducteurs et non dans d'autres », note Tom H. Johansen. Quelques observations permettent cependant d'y voir plus clair. « La croissance des dendrites n'est pas exclusivement liée aux défauts des matériaux, explique le physicien. En effet, lorsque l'on effectue deux fois la même expérience sur le même échantillon, les dendrites ne sont pas identiques. » Il n'y a donc pas un chemin préférentiel pour les vortex dans le matériau. En revanche, le point de départ des dendrites sur le bord de l'échantillon est souvent identique. Il s'agit probablement de défauts du supraconducteur, qui servent d'initiateurs pour leur croissance.

L'équipe de Tom H. Johansen a effectué des simulations afin de mieux comprendre l'instant fugace pendant lequel les dendrites se forment dans le film supraconducteur. Les vortex se forment d'abord à la périphérie du film mince, et ne s'immobilisent pas immédiatement. « L'idée centrale est que lorsqu'un vortex se déplace dans le supraconducteur, il dissipe de la chaleur. Celle-ci tend à décoincer les vortex placés près de sa trajectoire, entraînant un déplacement en chaîne d'un grand nombre d'entre eux. De fait, nos simulations montrent un tel comportement. Elles reproduisent également l'aspect linéaire des dendrites à basse température et leur tendance à multiplier les branches lorsque la température augmente. »

Puisque l'échauffement semble jouer un rôle clé dans la croissance des dendrites, Tom H. Johansen et ses collègues ont eu l'idée de jouer sur ce paramètre pour modifier le comportement du supraconducteur. Ils ont tout simplement disposé sur ce dernier une feuille d'aluminium, qui conduit bien la chaleur. Les résultats sont immédiats : sur la moitié du supraconducteur recouvert par l'aluminium, les dendrites ne se forment que sous un champ magnétique bien plus élevé que dans l'autre moitié test sans aluminium, et elles sont beaucoup plus petites. Pouvait-on imaginer plus simple méthode pour améliorer l'imperméabilité magnétique des films supraconducteurs ?

Un modèle quantitatif à inventer

D'autres physiciens doutent cependant que l'effet de la feuille d'aluminium soit d'évacuer la chaleur. En effet, des recherches récentes ont montré que, durant les quelques millisecondes pendant lesquelles les dendrites se forment, leur vitesse de croissance était proche de 100 kilomètres par seconde. Or, on ne connaît pas le mécanisme de transfert de chaleur à une telle vitesse. Selon une autre hypothèse, on envisage qu'au sein de l'aluminium, qui est un bon conducteur électrique, le déplacement rapide des vortex créerait des courants électriques qui modifieraient localement le champ magnétique et s'opposeraient à ces mouvements.

Les recherches n'en sont qu'à leurs débuts. « Notre modèle de la formation des dendrites reste très qualitatif, cons-tate Tom H. Johansen. Un bon modèle devrait être capable de déterminer les différents paramètres permettant l'existence des dendrites, ainsi que leur vitesse, leur taille, etc. On en est loin ! »

La découverte fortuite de la supraconductivité du diborure de magnésium, en 2001, avait échauffé les esprits des physiciens : peu coûteux et facile à fabriquer, ce supraconducteur à la température critique relativement élevée semblait promis rapidement à des applications pratiques. Ils ont déchanté rapidement de ce point de vue, notamment à cause des faibles densités de courant que peut supporter le matériau sans que sa supraconductivité disparaisse : ses applications resteront probablement limitées à quelques niches. Toutefois, et l'exemple des dendrites magnétiques le montre, les études du diborure de magnésium ont permis de découvrir des phénomènes nouveaux d'un point de vue fondamental. Après les avoir observées sur le diborure de magnésium, Tom H. Johansen et son équipe ont recherché des dendrites dans des films d'autres supraconducteurs. Or, ils en ont trouvé. Par exemple dans le nitrure de niobium, ou dans un alliage niobium-étain, dans lequel elles ressemblent à de superbes cristaux de glace.

C. M.
[1] Alexandre Bouzdine, « L'héritage de Lev Landau », La Recherche, janvier 2004, p. 63.

[2] D. Roditchev, J. Klein et W. Sacks, « Le premier supraconducteur double », La Recherche, novembre 2003, p. 40.

 

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L'UNIVERS ÉTRANGE DU FROID : À LA LIMITE DU ZÉRO ABSOLU

 

 

 

 

 

 

 

Texte de la 228e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 15 août 2000.

L'Univers étrange du froid : à la limite du zéro absolu


par Henri Godfrin

Température et intuition...

Qu'est-ce que le froid ? Nous avons tous une réponse à cette question, car nos sens nous permettent de déceler avec une précision remarquable de très faibles différences de température. Nous avons pris l'habitude d'utiliser des thermomètres, soigneusement gradués en degrés Celsius aussi bien vers les températures positives que vers les négatives. Bien que ceux-ci ne couvrent qu'une petite gamme, par exemple de -20 à +40°C, tout nous pousse à croire que l'on peut prolonger indéfiniment les graduations vers des températures infinies dans les deux sens. Pourtant, s'il est vrai que l'on peut chauffer un corps sans limitation en lui apportant une énergie aussi importante qu'il sera nécessaire, la Physique nous montre que la descente vers les basses températures bute contre un obstacle infranchissable : le Zéro Absolu.

Le premier qui semble avoir posé clairement la question de l'existence d'une limite inférieure à l'échelle de températures est un physicien français, Guillaume Amontons (1663-1705). Expérimentateur de génie, il arrive à une conclusion stupéfiante : la pression des gaz devient nulle à une température qu'il estime à une valeur correspondant à -240 de nos degrés Celsius. Une précision remarquable pour l'époque !

Ce n'est qu'au XIXe siècle que se dégagent les grandes lignes de la science de la chaleur, la Thermodynamique. Ses lois, appelés « principes », sont déduites de l'expérience. La Thermodynamique apporte aussi sa contribution au problème des très basses températures : Carnot, dans son ouvrage Réflexions sur la puissance motrice du feu et des machines propres à développer cette puissance publié en 1824, introduit la notion de température absolue T. Le zéro de cette échelle de température, le Zéro Absolu, est associé à l'efficacité maximale des machines thermiques : 100 % si la source froide est à T=0.

Température absolue et entropie

Les physiciens utilisent aujourd'hui l'échelle de températures absolues proposée en 1848 par William Thomson (Lord Kelvin). Celle-ci est définie par le Zéro Absolu (T=0) et la valeur 273,16 degrés attribuée au point triple de l'eau, la température unique où coexistent la glace, l'eau et sa vapeur, qui correspond à t=0,01 °C. Un degré de la nouvelle échelle (degré Kelvin) est identique à un degré Celsius, mais l'origine des deux échelles est décalée de 273,15 degrés : la température en Kelvins (T) s'exprime donc simplement en fonction de la température en degrés Celsius (t) par la formule T(K)=t(°C)+273,15.

Par ailleurs, la description des échanges de chaleur fait intervenir une nouvelle grandeur physique, introduite par Clausius en 1850 : l'entropie. Elle caractérise l'état de la matière ; fournir de la chaleur à un corps revient à augmenter son entropie. La Thermodynamique nous propose aussi le principe de l'entropie maximum : l'entropie d'un système isolé ne peut que croître ou rester constante, ce qui définit l'évolution d'un système physique hors équilibre ; on introduit ainsi une distinction entre les deux sens du temps : contrairement aux Lois de la Mécanique, passé et futur ne sont plus symétriques !

Cependant, la Physique Thermique ne fournit qu'une description macroscopique : nous sommes bien loin des « atomes » imaginés Démocrite...

Température et jeux de hasard : l'apport de la Statistique

Pourtant, grâce aux travaux de R. Clausius, J. Maxwell et L. Boltzmann, la Théorie Cinétique des gaz se met progressivement en place. Elle explique les propriétés des gaz par le mouvement désordonné de « molécules » : la pression exercée par un gaz sur un récipient est due aux très nombreuses collisions de ces molécules avec les parois. La température devient une mesure de l'énergie moyenne des molécules.

Le sort d'une molécule individuelle ne présente pas d'intérêt, lorsque l'on cherche à décrire les propriétés macroscopiques d'un corps. La Physique Statistique, développée dans l'incrédulité générale par L. Boltzmann, réussira l'exploit d'associer le comportement macroscopique d'un corps aux propriétés microscopiques sous-jacentes. Un exemple éclatant est l'obtention de l'équation d'état du gaz parfait, PV=NRT.

L'un des acquis fondamentaux de la Physique Statistique est la compréhension de l'origine de l'entropie. Du fait de la présence d'un grand nombre de molécules pouvant occuper un grand nombre d'états, il existe un très grand nombre de configurations possibles pour le système dans son ensemble, d'autant plus important que l'énergie totale à distribuer entre les molécules est élevée. Ce nombre de configurations est calculable par l'analyse combinatoire ; il est tellement grand que l'on est forcé de considérer son logarithme ! L'entropie est donc une mesure de la quantité d'états microscopiques accessibles au système : plus familièrement nous dirons qu'elle mesure le désordre !

La révolution de la Mécanique Quantique

L'avènement de la Mécanique Quantique, développée par M. Planck, N. Bohr, W. Heisenberg, P.A.M. Dirac et bien d'autres, allait permettre un nouveau progrès de la Physique Thermique, tout en s'appuyant fortement sur celle-ci. La Matière n'existe que dans des états « quantifiés », caractérisés par un nombre entier appelé nombre quantique, et par conséquent séparés en énergie. Ces états quantiques, similaires à ceux de l'électron autour d'un atome, fournissent l'outil idéal pour effectuer des calculs statistiques. En fait, ce que nous observons résulte d'une moyenne sur un nombre inimaginable de configurations (« états » ) microscopiques. La température est une grandeur associée au « peuplement » de ces états quantiques par les molécules. La probabilité de trouver une molécule dans un état d'énergie E est donnée par le facteur de Boltzmann exp[-E/kBT] : plus la température T est élevée, plus on aura des chances de trouver une molécule dans un état d'énergie E élevée. La constante de Boltzmann kB permet de comparer une température T à une énergie caractéristique du problème. Par exemple, la fusion d'un corps a lieu lorsque kBT est de l'ordre de E0, énergie de liaison des atomes de ce corps. À chaque domaine d'énergie est associé un domaine de température.

La Mécanique Quantique apporte un nouvel éclairage au problème du Zéro Absolu. En effet, parmi tous les états quantiques, il en existe un qui nous intéresse au plus haut degré : c'est l'état de plus basse énergie, appelé « état fondamental ». À ce stade, la matière ne peut plus céder d'énergie : il n'existe aucun état d'énergie inférieure ! Ce qui ne signifie aucunement que son énergie soit nulle. Les molécules continuent d'être animées de mouvement : il subsiste une énergie dite « de point zéro », que l'on peut associer au principe d'incertitude de Heisenberg de la Mécanique Quantique.

Zéro Absolu et excitations élémentaires

Le Zéro Absolu de température correspond donc à la situation où la Matière est dans l'état fondamental. Mais il n'y a plus aucun désordre quand il ne reste qu'un choix possible. Contrairement à ce que l'on pensait encore au début du siècle, ce n'est pas l'énergie qui devient nulle au Zéro Absolu, mais l'entropie.

La Physique des basses températures est ainsi, d'une certaine manière, la Physique de l'ordre. Elle permet également de comprendre toute la riche panoplie des effets thermiques. En effet, si l'on laisse de côté le cas un peu scolaire du gaz parfait, nous sommes immédiatement confrontés au problème complexe des atomes en interaction. Considérons par exemple le cas d'un corps solide simple. Le mouvement des atomes consiste en de petites oscillations autour de leur position d'équilibre. Mathématiquement, le problème est équivalent à celui d'une collection de pendules, ou « oscillateurs harmoniques ». Mais l'énergie de ces pendules est quantifiée ! A température nulle, ils seront soumis à une vibration de point zéro d'origine quantique. Quand on chauffe le système, on augmente le degré de vibration des atomes. En proposant un modèle des solides décrivant leurs propriétés thermiques au moyen d'une collection d'oscillateurs harmoniques quantifiés indépendants, Einstein faisait faire à la Physique un énorme progrès : pour la première fois on comprenait l'origine quantique de la décroissance de la capacité calorifique des corps à basse température. Cette grandeur, qui correspond à la quantité de chaleur que l'on doit fournir à un corps pour élever sa température d'un degré, nous renseigne sur l'énergie des états quantiques de la Matière. Elle doit tendre vers zéro à basse température, tout comme l'entropie, et c'est bien ce que l'on observe expérimentalement.

La Matière à basse température

Le modèle d'Einstein s'applique à des oscillateurs indépendants, alors que dans un très grand nombre de corps solides les vibrations des atomes sont fortement couplées. Tout se passe comme si les atomes étaient des petites masses reliées les unes aux autres par des « ressorts », ceux-ci symbolisant les forces atomiques. Debye a pu monter que des ondes sonores quantifiées, les « phonons », constituent les « excitations élémentaires » d'un solide.

Les propriétés électroniques de la matière sont également un domaine de recherches très fructueuses. L'un des effets les plus spectaculaires est l'apparition de la supraconductivité dans certains métaux[1]. À basse température, en effet, les électrons peuvent former des paires (paires de Cooper) et « condenser dans un état macroscopique cohérent » : tous les électrons de conduction du métal se comportent « en bloc », comme une molécule géante. Les impuretés et les défauts du métal qui donnaient lieu à une résistance électrique dans l'état « normal » ne peuvent plus arrêter cet « objet quantique » géant que sont devenus les électrons supraconducteurs : le courant circule sans dissipation. On a pu montrer que le courant piégé dans un anneau supraconducteur continuait de tourner sans faiblir pendant des années !

Les électrons d'un métal ou d'un semi-conducteur peuvent présenter bien d'autres propriétés très surprenantes à basse température comme, par exemple, l' Effet Hall Quantique Entier et l' Effet Hall Quantique Fractionnaire, la Transition Métal-Isolant, ou le Blocage de Coulomb.

Le froid est également intéressant pour étudier les phénomènes magnétiques. Ceux-ci sont dus à l'existence d'un « spin » associé à l'électron, c'est-à-dire une rotation de l'électron sur lui-même. De ce fait, l'électron se comporte comme un petit aimant élémentaire, qui aura tendance à s'aligner comme une boussole suivant un champ magnétique. Le désordre imposé par la température s'oppose à cet alignement. On voit alors évoluer les propriétés magnétiques des corps en fonction de la température et du champ magnétique. Au Zéro Absolu, les « spins » s'organisent pour former différentes structures magnétiques ordonnées : ferromagnétique, anti-ferromagnétique, hélicoïdale, etc.

Le domaine de prédilection des basses températures est l'étude des deux isotopes de l'hélium : 4He et 3He. L'4He est dépourvu de spin, et rentre de ce fait dans la catégorie des « bosons », regroupant toutes les particules de la Nature ayant un spin entier (0,1,2, etc.). L'3He, par contre, a un spin 1/2, et fait partie des « fermions ». La Mécanique Quantique est à nouveau mise à contribution lorsque l'on tente de décrire les propriétés d'une collection de ces atomes, réalisée en pratique par l'hélium liquide. En effet, l'état fondamental des bosons est obtenu en plaçant tous les atomes dans le même état quantique ; pour l'4He, on obtient un état macroscopique cohérent similaire à la supraconductivité des paires de Cooper électroniques. On observe la superfluidité de l'4He liquide en dessous de T=2.17 Kelvins : il s écoule alors sans aucun signe de frottement ou de viscosité, remontant même le long des parois du récipient qui le contient !

L'3He se comporte de manière très différente. Les fermions, en effet, ne peuvent se retrouver dans le même état (cette interdiction quantique reçoit le nom de « principe d'exclusion de Pauli »). Les nombreux atomes que comporte un volume donné d'3He liquide sont donc nécessairement dans des états quantiques différents ; si des atomes réussissent à se caser dans des états de basse énergie, les autres sont réduits à occuper des niveaux de plus en plus énergétiques : les états sont ainsi occupés jusqu'au « niveau de Fermi ». Cette physique se retrouve dans les métaux, car les électrons sont également des fermions. C'est pour cela que les études effectuées sur l'3He liquide ont permis de mieux comprendre la physique des métaux.

Il serait injuste de ne pas citer ici l'un des plus beaux effets de la physique des basses températures : la superfluidité de l'3He, observée par D.D. Osheroff, R.C. Richardson et D. Lee, Prix Nobel de Physique. Tout comme les électrons, les atomes d'3He forment des paires de Cooper qui condensent pour donner lieu à l'état superfluide. Les études conduites sur ce système ont permis de comprendre les propriétés observées 20 ans plus tard dans les « supraconducteurs à haute température critique ». D'autres analogies ont été développées, peut-être plus surprenantes comme, par exemple la description de la formation de cordes cosmiques dans l'Univers primordial à partir d'expériences réalisées dans l'3He superfluide à ultra-basse température. En fait, l'ordre de la matière de l'Univers après le big-bang est décrit par des symétries similaires à celles de l'3He superfluide !

Les fluides cryogéniques

Si l'hélium joue un rôle important pour la physique des basses températures, il en est de même en ce qui concerne la technologie qui lui est associée : la Cryogénie. Des réservoirs contenant de l'4He liquide sont présents dans tous les laboratoires de basses températures. Pourtant, la liquéfaction de l'hélium est relativement récente. Auparavant, des pionniers avaient ouvert la voie : Cailletet et Pictet, en liquéfiant l'oxygène (1877), Cailletet en obtenant de l'azote liquide la même année ; puis James Dewar, en 1898, en réussissant la liquéfaction de l'hydrogène. Finalement, en 1906 Heike Kammerlingh Onnes réussit à obtenir de l'hélium (4He) liquide, dont il observera la superfluidité.

Actuellement, l'azote liquide et l'hélium liquide constituent la source de froid préférée des cryogénistes. L'azote liquide, sous la pression atmosphérique, est en équilibre avec sa vapeur à une température de 77 Kelvins. Le liquide se manipule facilement, même si des précautions doivent être prises pour éviter les « brûlures cryogéniques ». Afin de limiter son évaporation, on le stocke dans des conteneurs isolés thermiquement à partir desquels il est transféré dans les dispositifs que l'on souhaite refroidir : vases d'azote liquide destinés à des expériences, pièges cryogéniques, etc. Parfois, le stockage cryogénique n'est motivé que par le gain de place, le liquide étant plus dense que le gaz.

Le stockage et la manipulation de l'hélium posent des problèmes plus sévères. En effet, l'hélium liquide n'est qu'à 4.2 Kelvins (en équilibre avec sa vapeur, sous la pression atmosphérique). De plus, sa chaleur latente d'évaporation est très faible, ce qui conduit à l'utilisation de vases très bien isolés thermiquement. Les vases de Dewar, du nom de leur inventeur, sont constitués d'une double enceinte sous vide. Les parois du vase sont réalisées avec des matériaux conduisant très mal la chaleur. Grâce aux progrès de la Cryogénie, on réussit actuellement à limiter l'évaporation des conteneurs d'hélium à quelques litres par mois.

Réfrigération au-dessous de 1 K

Kammerlingh Onnes ne s'était pas contenté des 4.2 Kelvins correspondant à la température de l'hélium liquide sous la pression atmosphérique. En utilisant des pompes très puissantes, il avait rapidement obtenu des températures de l'ordre de 0.8 Kelvins. À basse pression, en effet, l'équilibre liquide-gaz se trouve décalé vers les basses températures. Malheureusement, la pression décroît exponentiellement à basse température, et à ce stade même les pompes les plus puissantes ne réussiront à arracher au liquide que très peu d'atomes. Le processus de réfrigération par pompage de l'4He s'essouffle au voisinage de 1 Kelvin !

Les appareils de réfrigération (cryostats) utilisés dans les laboratoires comportent un vase de Dewar extérieur contenant de l'azote liquide (77 K) servant de première garde thermique et, à l'intérieur, un deuxième vase de Dewar contenant de l'hélium liquide (4,2 K). Au sein de l'hélium liquide se trouve un récipient étanche, sous vide, appelé « calorimètre ». C'est dans ce dernier, grâce à l'isolation thermique procurée par le vide et des écrans contre le rayonnement thermique, que l'on va pouvoir atteindre des températures encore plus basses. Pour refroidir un échantillon placé dans le calorimètre, on utilise une petite boîte « à 1 K », dans laquelle on laisse entrer par un tube capillaire un petit filet d'hélium liquide à partir du « bain » (c'est-à-dire du vase de Dewar contenant l'hélium). Un tuyau de grand diamètre permet de pomper efficacement cette boîte pour atteindre environ 1,4 K.

L'3He, particulièrement cher, peut être mis en Suvre grâce à une technique similaire. Le cryostat décrit ci-dessus permet en effet d'atteindre une température suffisamment basse pour condenser, sous une faible pression, de l'3He gazeux. Celui-ci est apporté dans le cryostat (circuit d'injection) par un tube capillaire passant dans l'hélium du « bain », puis rentrant dans le calorimètre où il est mis en contact thermique avec la boîte à 1 K afin de le condenser. L'3He devenu liquide est introduit dans un petit récipient où il est pompé. Ces « cryostats à 3He » opèrent « en mode continu » : en effet, le gaz pompé est réintroduit par le circuit d'injection, complétant le cycle. On atteint avec ces machines une température de l'ordre de 0,3 Kelvins !

La course vers le zéro absolu devait-elle s'arrêter là ? Il ne restait plus de candidats : l'hélium avait eu l'honneur d'être le dernier élément à subir la liquéfaction !

H. London proposa alors une idée séduisante : la dilution de 3He dans 4He liquide. Les premiers prototypes de réfrigérateurs à dilution atteignirent une température de 0,22 K, apportant la preuve que le principe fonctionnait. Plusieurs laboratoires, notamment à La Jolla et à Grenoble, ont développé des méthodes permettant de d'obtenir en mode continu des températures de l'ordre de 2 milliKelvins.

Si l'on ne connaît pas aujourd'hui d'autre méthode permettant de refroidir en continu, il existe un moyen d'atteindre de manière transitoire des températures encore plus basses. Le principe, énoncé par W.F. Giauque en 1926, est fondé sur les propriétés des substances paramagnétiques. En appliquant un champ élevé on peut aimanter les corps en question, ce qui produit un dégagement de chaleur, associé à la réduction de l'entropie : le système est « ordonné » par le champ. On isole ensuite le système en le découplant de son environnement au moyen d'un « interrupteur thermique ». L'entropie du système isolé reste constante si l'on procède à une réduction très lente du champ magnétique : il n'y a pas d'apport de chaleur, mais uniquement un « travail magnétique ». Cette « désaimantation adiabatique » permet de préserver le degré d'ordre des spins ; en réduisant progressivement le champ magnétique, l'agent extérieur qui avait induit cet ordre, on obtient donc une diminution de la température.

On peut atteindre des températures très inférieures à 1 milliKelvin en utilisant les spins nucléaires de certains atomes. Des fils de cuivre constituant l'étage à désaimantation nucléaire sont d'abord refroidis à moins de 10 milliKelvins au moyen d'un réfrigérateur à dilution sous un champ magnétique élevé (8 Teslas). On isole le système puis on le désaimante lentement. Cette méthode (« désaimantation adiabatique nucléaire ») permet d'atteindre des températures extrêmement basses : les spins nucléaires peuvent être refroidis à des nanoKelvins !

Les vibrations atomiques (« phonons ») et les électrons, par contre, resteront plus chauds, car le couplage thermique devient très faible à basse température et les entrées de chaleur parasites sont inévitables. Les difficultés deviennent rapidement très importantes lorsque l'on souhaite refroidir un échantillon à ultra-basse température ; par exemple, l'3He superfluide a été étudié à une centaine de microKelvins à Lancaster et à Grenoble en utilisant les dispositifs les plus performants.

Des méthodes très différentes, issues de l'optique et mettant en Suvre des lasers, ont permis récemment de refroidir à des températures de l'ordre des nanoKelvins des gaz très dilués d'atomes de Césium ou de Rubidium. Ce tour de force a montré de nombreux phénomènes analogues à ceux que nous avons évoqués pour l'hélium, comme la condensation de Bose, la cohérence quantique, la formation de tourbillons quantifiés, etc. Ce nouveau domaine de recherches est très riche et en fort développement[2].

Thermométrie à basse température

La mesure de la température est une entreprise délicate, car il n'existe aucun thermomètre susceptible de fournir la température absolue T dans toute la gamme de températures ! On a donc mis au point une série de dispositifs thermométriques. Ceux-ci sont appelés « primaires » lorsqu'ils fournissent la température à partir de grandeurs mesurées indépendamment. C'est le cas du thermomètre à gaz, malheureusement limité à des températures supérieures à 10 K, de certains thermomètres magnétiques permettant d'effectuer des cycles thermodynamiques entre deux températures, et des thermomètres à bruit Johnson, où la température est déduite du bruit électrique sur une résistance. Les thermomètres secondaires, par contre, doivent être étalonnés par rapport à des thermomètres primaires. Dans certains cas, il est possible d'établir des « tables » de propriétés mesurées permettant de reproduire facilement l'échelle thermométrique officielle. C'est le cas de la tension de vapeur de l'3He et l'4He : la mesure de la pression d'équilibre liquide-vapeur permet de déterminer la température aux alentours de 1 Kelvin à partir des valeurs tabulées. L'Echelle Internationale de Températures reconnue actuellement, ITS90, ne défint la température que jusqu'à 0,65 K. En octobre 2000 le Comité International des Poids et Mesures a adopté une échelle provisoire pour les bases températures, définie par la courbe de fusion de l'3He (PLTS2000). Elle couvre la gamme de températures allant de 0,9 milliKelvins à 1 Kelvin.

Applications des basses températures

Les techniques cryogéniques permettent d'obtenir des gaz très purs. De ce fait, l'activité industrielle dans le domaine des gaz liquéfiés est très importante, notamment en France. Elle concerne le gaz naturel, l'azote, l'oxygène, l'hydrogène, l'hélium, etc. Les fluides cryogéniques sont utilisés dans de nombreux secteurs : électronique, métallurgie, chimie, espace, etc. Par exemple, le combustible des fusées Ariane 5 est constitué d'oxygène et d'hydrogène liquides, et la fabrication de composants semi-conducteurs, comme les microprocesseurs de nos ordinateurs, exige l'utilisation d'azote très pur obtenu par évaporation du liquide.

Des applications médicales de pointe ont vu le jour récemment. Les scanners RMN utilisent le champ magnétique produit par des bobines supraconductrices placées dans un vase de Dewar contenant de l'hélium liquide. La cryopréservation d'organes ou de cellules (sang, sperme, etc...) fait intervenir de l'azote liquide et des réservoirs de stockage cryogénique. On utilise également l'azote liquide dans le domaine de la cryochirurgie.

Les grands instruments scientifiques comptent parmi les utilisateurs du froid. Le futur accélérateur de particules du CERN, le LHC, sera équipé d'aimants supraconducteurs situés dans de l'4He superfluide, sur un périmètre de 27 kilomètres. De nombreux laboratoires ont installé des aimants supraconducteurs destinés à fournir des champs très intenses. On les retrouve dans les installations d'expérimentation sur les plasmas (Tore Supra, par exemple), dont on espère obtenir une source d'énergie pour l'avenir.

A basse température, un très faible apport de chaleur provoque une augmentation de température perceptible, d'où l'idée d'utiliser les techniques cryogéniques pour détecter des particules cosmiques. Plusieurs instruments dits « bolométriques » existent actuellement dans les laboratoires d'Astrophysique.

Les propriétés quantiques de la matière permettent de concevoir de nouveaux étalons de grandeurs fondamentales ou appliquées : c'est le cas du Volt ou de l'Ohm, définis par l'effet Josephson et l'effet Hall Quantique et réalisés par des dispositifs à très basse température.

Les dispositifs électrotechniques supraconducteurs sont susceptibles d'autoriser un gain d'énergie important par rapport aux systèmes classiques. Dans le domaine de la forte puissance, transformateurs, alternateurs et limiteurs de courant sont progressivement installés sur les réseaux électriques. D'autre part, les applications dans le domaine des télécommunications se sont rapidement développées depuis quelques années, en particulier au niveau des filtres très sélectifs pour les téléphones mobiles, réalisés au moyen de supraconducteurs à « haute température critique » maintenus à la température de l'azote liquide.

D autres applications ont pour motivation la très grande sensibilité et le faible bruit électrique de certains dispositifs fonctionnant à basse température, comme les amplificateurs cryogéniques. Les SQUIDs, instruments révolutionnaires, constituent les magnétomètres les plus sensibles existant actuellement ; ils sont capables de mesurer des tensions de l'ordre du picoVolt !

Les circuits électroniques atteignent des tailles nanométriques, et de ce fait ils sont particulièrement sensibles aux perturbations thermiques. Les nano-objets actuellement étudiés dans les laboratoires au voisinage du Zéro Absolu de température sont la source de nombreuses découvertes fondamentales sur lesquelles se bâtit la technologie de demain.


Bibliographie

Livres

- Mendelssohn (K.), La recherche du Zéro Absolu, Hachette, 1966.

- Conte (R. R.), Éléments de Cryogénie, Masson, 1970.

- Pobell (F.), Matter and Methods at Low Temperatures, Springer,1996.

- Tilley (D. R.) and Tilley (J.), Superfluidity and Superconductivity, Institute of Physics Publishing, IOP London, 1996.

- La Science au Présent (recueil), Ed. Encyclopaedia Universalis, Godfrin (H.), « Vers le Zéro Absolu ».


Articles de revues

- Balibar (S.), « L'Hélium, un liquide exemplaire », La Recherche 256, Juillet-Août 1993.

- Pobell (F.), « La quête du Zéro Absolu », La Recherche 200, Juin 1988.

- Lounasmaa (O.), « Towards the Absolute Zero », Physics Today, p. 32, Déc. 1979.

- Balibar (S.), « Aux frontières du Zéro Absolu », La Recherche 157, Juillet-Août 1984.

- Bäuerle (C.), Bunkov (Y.), Fisher (S. N.), Godfrin (H.) et Pickett (G. R.), « L'Univers dans une éprouvette », La Recherche 291, 1996.

[1] Voir à ce sujet les 220e et 223e conférences de l'Université de tous les savoirs données respectivement par E. Brézin et S. Balibar.

[2] Voir à ce sujet la 217e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée par Claude Cohen-Tannoudji.

 

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