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ONDES

 


 

 

 

 

onde

Modification de l'état physique d'un milieu matériel ou immatériel, qui se propage à la suite d'une action locale avec une vitesse finie, déterminée par les caractéristiques des milieux traversés.

Les techniques de télécommunication – radio, télévision, téléphone – nous ont rendu familière la présence des ondes. Avant de donner lieu à des utilisations de cette importance, les phénomènes ondulatoires ont progressivement occupé une place de plus en plus grande en physique. Ils ont révélé leur présence dans les domaines les plus divers, au point d'apparaître comme intimement liés, d'une certaine façon, à la constitution de la nature en ses aspects fondamentaux. Si l'onde sonore s'explique en termes mécanistes par les mouvements des particules dont l'air est constitué, il n'y a rien de tel, par exemple, pour les ondes hertziennes. Leur analyse mathématique n'en revêt que plus d'importance. Avec la mécanique ondulatoire, on est même tenté de dire qu'il ne s'agit plus que de mathématiques.
1. Les différents types d’ondes

1.1. Les ondes mécaniques progressives

1.1.1. Les vagues

Un objet – une simple goutte – qui tombe sur la surface d'une eau calme y produit des ondulations. Ce train d'ondes est constitué de quelques cercles qui, issus de la source du phénomène, vont en s'agrandissant et qui finissent par s'affaiblir. Si un corps flotte immobile, les ondes, en l'atteignant, ne le déplacent pas à la surface de l'eau dans le sens de leur mouvement. Elles l'agitent verticalement, tout comme le feraient les vagues de la mer. « Onde » vient d'ailleurs de unda, qui désigne l'eau de la mer, avec les mouvements qui s'y peuvent voir. Les rides circulaires à la surface de l’eau se propageant dans deux directions sont qualifiées d’ondes mécaniques progressives à deux dimensions.
1.1.2. Les cordes
Une autre manière de produire un phénomène semblable consiste à déployer une corde, sans nécessairement attacher l'une de ses extrémités, et à secouer l'autre assez vigoureusement. Chaque secousse engendre une déformation que l'on voit se propager le long de la corde. En faisant se succéder les secousses, on obtient un train d'ondes. Ces ondes se propageant dans une seule direction sont qualifiées d’ondes mécaniques progressives à une dimension.
1.1.3. Les ondes sonores ou acoustiques


C'est un phénomène analogue qui a servi à expliquer la nature physique du son et à étudier en finesse ses propriétés. La corde de lyre que l'on pince vibre rapidement. Ses vibrations se transmettent à l'air, s'éloignant dans toutes les directions. Les ondes acoustiques se propageant dans trois directions sont qualifiées d’ondes mécaniques progressives à trois dimensions. Une oreille, placée n'importe où autour, reçoit des ondes (→ audition). Les vibrations sont communiquées par l'air au tympan. La source peut être n'importe quelle membrane susceptible de vibrer : la peau d'un tambour, mais aussi les cordes vocales.

En vibrant, la membrane pousse l'air tout proche ; les particules d'air déplacées poussent à leur tour leurs voisines et ainsi de suite. Si l'on pouvait voir un petit corps flotter dans cet air, on observerait toutefois que l'agitation très rapide qu'il subit sur place ne se fait pas comme celle d'un bouchon sur l'eau. Ce dernier oscille verticalement, tandis que les ondes s'éloignent horizontalement de leur source : de telles ondes sont dites transversales. Dans le cas de l'air, l'objet est agité dans la direction même du mouvement des ondes : celles-ci sont dites longitudinales.
1.2. Les ondes mécaniques stationnaires

Les ondes des trois genres mentionnés auparavant peuvent donner lieu à des phénomènes stationnaires. Si un caillou tombe dans l'eau d'un bassin, les ondes se réfléchissent sur le bord. De même, si l'on secoue sans cesse le bout d'une corde qui est fixée à l'autre extrémité et légèrement tendue, les ondes repartent de cette extrémité. Certains points de la corde peuvent ne pas bouger du tout, alors que tout s'agite autour d'eux, parce que le mouvement qui y est créé par les ondes allant dans un sens est constamment contrarié par celui qu'y induisent les ondes allant dans l'autre sens. Les points pour lesquels l'oscillation est maximale sont appelés les ventres ; ceux pour lesquels elle est nulle, les nœuds.
Semblablement, si deux pointes vibrent ensemble à la surface d'un liquide, les deux trains d'ondes ainsi entretenus laissent immobiles des points de cette surface formant des lignes entières, des hyperboles très précisément. C'est le phénomène des interférences, difficile à observer sans un éclairage adapté.
1.3. La lumière et les ondes électromagnétiques

1.3.1. La nature ondulatoire de la lumière

Thomas Young (1773-1829) montra que des interférences peuvent s'observer aussi en optique : une lumière monochromatique passant par deux fentes parallèles donne sur un écran une alternance de franges brillantes et de franges sombres. L'apparition de ces dernières ne s'expliquerait pas si la lumière était constituée de corpuscules en mouvement, comme Isaac Newton (1642-1727) en avait fait admettre l'idée.
Augustin Fresnel (1788-1827) montra que, au contraire, si la lumière est de nature ondulatoire, les interférences s'expliquent jusque dans leurs aspects quantitatifs. Ainsi s'installa l'idée que l'espace est rempli par un milieu imperceptible, l'éther, dont les vibrations constituent la lumière, tout comme les vibrations de l'air et d'autres milieux matériels constituent le son. La découverte du phénomène de polarisation par Étienne Malus (1775-1812) contraria rapidement l'idée qu'il s'agissait, comme dans le cas du son, d'ondes longitudinales.

Un autre phénomène bien connu, la diffraction, s'explique mieux dans une théorie ondulatoire que dans une théorie corpusculaire de la lumière. On l'obtient en faisant passer de la lumière par un trou que l'on rétrécit. Le pinceau de lumière commence par s'affiner mais, à partir d'une certaine petitesse du trou, au lieu de continuer de se rétrécir, le pinceau se disperse.
1.3.2. Les ondes électromagnétiques

Un demi-siècle plus tard, James Maxwell (1831-1879) ayant réduit l'électricité et le magnétisme à quelques formules, il apparut par le calcul que la propagation des actions électromagnétiques devait prendre la forme d'ondes. Heinrich Hertz (1857-1894) les produisit et les étudia expérimentalement. Transversales elles aussi, elles se déplacent à une vitesse qui se trouve être celle de la lumière. Ainsi s'achemina-t-on vers la conclusion que la lumière n'est elle-même qu'une onde électromagnétique, occupant une modeste place dans la gamme des cas possibles. Si l'on préfère, ces ondes constituent une lumière généralement invisible, c'est-à-dire insensible à l'œil, à l'exception d'une petite partie. L'éther que l'on cherchait à mieux connaître n'était plus le siège des seules ondes lumineuses, mais celui des ondes électromagnétiques en général. Les diverses propriétés qu'il se devait de posséder étaient si difficiles à accorder entre elles qu'il constituait une grande énigme. On a fini par renoncer à cette notion.
On accepte l'idée qu'il puisse y avoir de telles ondes sans qu'elles soient les ondulations d'un milieu. On sait seulement que ce sont des charges électriques en mouvement qui les produisent.
Pour en savoir plus, voir l'article ondes électromagnétiques [santé].
1.3.3. La dualité onde-corpuscule

Albert Einstein (1879-1955), l'année même où il proposa la théorie de la relativité restreinte (1905), donna une explication de l'effet photoélectrique. Elle consistait à revenir à la conception corpusculaire de la lumière, sans renoncer pour autant à son aspect ondulatoire. Plus généralement, l'onde électromagnétique s'est vu associer un flux de photons, association purement mathématique et qui rendait encore plus intenable l'hypothèse d'un éther. Louis de Broglie (1892-1987), en l'inversant, étendit l'idée à toutes les particules : à chacune on associe une onde. L'expérience a confirmé la justesse de cette hypothèse : il fut établi qu'un faisceau d'électrons est susceptible de donner lieu au phénomène de diffraction.

La mécanique quantique prend désormais pour objets des quantons, qui se comportent comme des corpuscules dans certains contextes expérimentaux et comme des ondes dans d'autres. La fonction d'onde de la particule, obtenue par la résolution de l'équation de Schrödinger, sert à calculer les caractéristiques de son mouvement, mais en termes de probabilité seulement. On ne peut pas annoncer qu'à tel instant la particule sera en tel point, comme on le fait en mécanique classique. On peut seulement calculer avec quelle probabilité elle se trouvera dans telle portion d'espace.
2. Caractéristiques physico-mathématiques des ondes

2.1. Généralités


Un mécanisme de production et de propagation des ondes peut être détaillé dans le cas de la surface d'un liquide ou dans celui du son, parce que l'on peut analyser le comportement d'un milieu – le liquide, l'air – en termes mécanistes. Il n'en va plus de même pour les ondes électromagnétiques, et encore moins pour celles de la mécanique ondulatoire, puisqu'il n'y a plus de milieu connu dans ces cas-ci. Une étude générale des ondes doit donc se rabattre sur la description mathématique de la propagation.
→ mécanique.
Il convient de remarquer que, lorsqu'une description mécaniste est possible, elle n'explique pas la toute première apparence. Une onde, qu'il s'agisse d'une vague ou de la déformation d'une corde, se présente spontanément comme quelque chose qui se déplace. C'est ce déplacement qui est désigné par le terme « propagation ». Il ne se présente pas comme le déplacement d'un objet (navire avançant sur l'eau ou anneau coulissant sur une corde). Le phénomène offre le spectacle de quelque chose qui se meut et ne se meut pas à la fois.
Le mécanisme de la production de la perturbation à la source, et de sa transmission par le milieu, explique qu'un corps flottant ainsi que l'eau qui l'entoure montent et descendent alternativement. Il n'explique pas complètement l'illusion que constitue le déplacement de la vague. On peut dire néanmoins que c'est le déplacement transversal de l'eau qui se décale dans la direction de propagation.
2.2. Grandeurs caractéristiques


Lorsqu'aucun milieu n'est le siège de la propagation, on peut néanmoins concevoir qu'il y ait, attachée à chaque point de l'espace, une certaine grandeur qui soit l'analogue de l'altitude de la surface de l'eau. En prenant pour niveau de référence celui de la surface liquide au repos par exemple, le phénomène de l'ondulation peut être décrit mathématiquement en donnant, pour chacun des points de la surface, son altitude en fonction du temps. Pour une onde d'une autre nature, le rôle joué précédemment par l'altitude peut l'être par la valeur d'un champ, électrique ou magnétique.
De façon plus générale, en se plaçant en un point P de l'espace, a (t) désignera la valeur, à l'instant t, de la grandeur qui varie.
2.2.1. Période et fréquence
On se place dans l'hypothèse d'une onde entretenue et périodique : en P, la grandeur oscille sans cesse et elle reprend toujours la même valeur au bout d'un même temps T, appelé la période de l'onde. Autrement dit, quel que soit l'instant t,
a (t + T) = a (t)

On appelle alors fréquence de l'onde le nombre d'oscillations complètes que P effectue pendant une unité de temps. La fréquence f (aussi notée N, ou encore ν) est reliée à la période par
f = 1 / T

Si l'on adopte la seconde comme unité de temps, la fréquence s'exprime en hertz, de symbole Hz (ou cycles par seconde).
2.2.2. Longueur d'onde
La longueur d'onde λ est la distance parcourue par l'onde pendant le temps T. Si V est la vitesse de propagation, supposée constante, on a
λ = VT

soit encore
λ = V / f

C'est ainsi que, dans un cas comme celui de la lumière, où la vitesse de propagation est connue (près de 300 000 km.s−1 dans le vide), la détermination expérimentale d'une longueur d'onde permet de trouver la fréquence correspondante.
2.3. Les ondes sinusoïdales


Une situation particulière de grande importance est celle des ondes sinusoïdales, pour lesquelles
a (t) = A (sin ω t + ϕ)

L'importance des ondes sinusoïdales tient à ce qu'elles fournissent un modèle mathématique satisfaisant pour nombre de phénomènes. C'est le cas pour les ondes électromagnétiques en particulier, où se rencontre une complication par rapport aux situations envisagées jusqu'à présent : il n'y a pas, en un point, une grandeur a qui varie sinusoïdalement, mais deux, le champ électrique et le champ magnétique, vecteurs orthogonaux entre eux ainsi qu'à la direction de propagation (le rayon lumineux).


Une autre raison de l'intérêt porté aux ondes sinusoïdales est que l'on sait, depuis les travaux mathématiques de Joseph Fourier (1768-1830), que pour toute fonction périodique, on peut envisager une décomposition sous la forme d'une somme de fonctions sinusoïdales. La connaissance de ces dernières fournit donc la clef de l'analyse d'un phénomène périodique quelconque.
Lorsque t varie, a (t) varie perpétuellement entre − A et A.
• Amplitude. La constante positive A est l'amplitude de l'onde au point P.
• Phase. L'expression ω t + ϕ est appelée la phase ; ϕ est la phase à l'origine, c'est-à-dire la valeur de la phase à l'instant 0.
• Pulsation. Le coefficient ω est la pulsation ; il est lié à la période par T = 2 π / ω et à la fréquence par ω = 2πf ; il s'exprime en radians par seconde (rad / s ou rad.s−1).
La valeur de ϕ est propre au point P où l'on se place. Pour un point P′ autre, la phase à l'origine a une valeur ϕ′, alors que ω et A sont les mêmes partout. Mais si l'on prend pour P′ un point situé à une distance de P égale à la longueur d'onde λ, ϕ′ = ϕ + 2π, de sorte que la grandeur a prend à tout instant la même valeur en P et en P′. On dit que ces points vibrent en phase.
2.4. Aspects énergétiques


Le déplacement d'une onde est en un sens une illusion. Le point de vue énergétique permet au physicien de donner une certaine consistance à ce déplacement. À la source S, on fournit une énergie essentiellement cinétique aux parties de la corde qu'on y agite, celle du mouvement transversal. Cette énergie se transmet de proche en proche. Lorsque l'agitation atteint les parties les plus proches de l'extrémité S′, on peut l'utiliser pour mettre un objet en mouvement, ou pour obtenir d'autres sortes d'effets. Au total, il y a eu transfert progressif d'énergie de la source à l'extrémité. La quantité d'énergie qui se propage est, pourrait-on dire, un pseudo-objet qui s'éloigne de la source. Dans une perspective de communication, on préfère dire qu'un signal est émis en S et propagé jusqu'en S′.
Pour ce qui est de la mécanique quantique, la prise en compte de l'énergie est à la base même de l'association entre l'onde et la particule. Si ν et E sont respectivement la fréquence de la première et l'énergie dont la seconde est porteuse,
E = hν

(relation de Planck-Einstein, où h est la constante de Planck).
De manière analogue, si λ et p sont respectivement la longueur d'onde et la quantité de mouvement,
p = h / λ (relation de de Broglie)

3. Le spectre des ondes électromagnétiques


La première application pratique des ondes électromagnétiques a été la télégraphie sans fil, bientôt rebaptisée radiophonie (→ radiocommunication). La télévision devait suivre. Le radar, quant à lui, n'est rien d'autre que l'utilisation de la propriété qu'ont les ondes électromagnétiques, à l'instar de la lumière, de se réfléchir sur un obstacle. Le fonctionnement s'apparente étroitement à celui de l'écho sonore.


Chacune de ces applications fait appel à un certain domaine des ondes caractérisé par ses longueurs d'onde extrêmes (ou, ce qui revient au même, par ses fréquences-limites). Les cas évoqués ci-dessus sont des exemples d'ondes hertziennes. On désigne ainsi celles dont la longueur d'onde s'étend entre le centimètre et quelques kilomètres. La lumière visible correspond à la bande qui va de 0,4 à 0,8 micromètre. Entre celle-ci et les précédentes se situe le domaine de l'infrarouge. Au-delà, on passe dans l'ultraviolet, puis, entre 3 nanomètres et 0,01 nanomètre, aux rayons X. Enfin viennent les rayons gamma (γ) et le rayonnement cosmique. Les derniers cités, ayant la plus petite longueur d'onde, ont la fréquence la plus élevée. Conformément à la relation E = hν, ce sont leurs photons qui sont porteurs de l'énergie la plus grande. De fait, ultraviolet, rayons X et rayons γ sont connus pour le danger qu'ils représentent pour les organismes vivants, plus grand même pour les derniers que pour les premiers.
→ ondes électromagnétiques [santé].
Mais c'est aussi par l'analyse de la diffraction qu'un cristal impose aux rayons X que l'on a pu y étudier de manière précise, à partir de 1912, l'arrangement des atomes (→ cristallographie).
Pour en savoir plus, voir l'article spectre.

 

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LE MONDE QUANTIQUE AU TRAVAIL : L'OPTOÉLECTRONIQUE

 

 

 

 

 

 

 

Transcription* de la 590e conférence de l'Université de tous les savoirs prononcée le 12 juillet 2005

Le monde quantique au quotidien : l'optoélectronique


Par Emmanuel Rosencher

Cet exposé propose de vous montrer comment la mécanique quantique, domaine abstrait, sophistiqué, voire ésotérique pour certains, est à la base de révolutions technologiques qui ont transformé notre quotidien. Nous montrerons tout d'abord comment la physique quantique est née de l'étude d'un composant optoélectronique (définissons l'optoélectronique comme étant l'étude de l'interaction qui a lieu entre la lumière et les électrons dans les solides). Nous montrerons ensuite comment la mécanique quantique a rendu la monnaie de sa pièce à l'optoélectronique en lui fournissant des briques de bases conceptuelles extrêmement puissantes, à partir desquelles un certains nombres de composants comme les détecteurs quantiques ou les émetteurs de lumière ont été réalisés. Nous présenterons enfin les défis actuels que l'optoélectronique tente de relever.

Là où tout commence : l'effet photoélectrique

Tout commence en 1887. Rudolph Hertz, célèbre pour la découverte des ondes Hertziennes, va découvrir l'effet photoélectrique, aidé de son assistant Philipp von Lenard. Cet effet va révolutionner notre compréhension de la lumière comme de la matière, bref, notre vision du monde. L'expérience qu'ils ont réalisée était pourtant on ne peut plus simple : deux plaques métalliques sont placées dans le vide. On applique à ces plaques une différence de potentiel. Le courant qui circule dans le système est mesuré. Comme les plaques métalliques sont placées dans le vide, les électrons n'ont pas de support pour passer d'une électrode à l'autre, et donc aucun courant ne peut circuler dans le système. Hertz décide alors d'illuminer une des plaques avec de la lumière rouge, il s'aperçoit que rien ne change. Par le hasard de l'expérience, il éclaire alors la plaque avec de la lumière bleue, et s'aperçoit cette fois qu'un courant commence à circuler. Il est important de noter que, même avec une grande intensité de lumière rouge, aucun courant ne circule, alors qu'une faible lumière bleue fait circuler le courant. Les deux savants concluent leur expérience par la phrase suivante, qui deviendra une des pierres fondatrices de la physique quantique : « il semble y avoir un rapport entre l'énergie des électrons émis et la fréquence de la lumière excitatrice. »

A la même époque, un autre grand savant, Max Planck, travaille sur un sujet totalement différent, à savoir le « spectre du corps noir » ( voir Figure 1): en d'autres termes, il étudie la lumière émise par des corps chauffés. Le fer, par exemple, une fois chauffé devient rouge. A plus haute température, il vire au jaune, puis au blanc. Max Planck étudie donc le fait que tous les corps chauffés vont avoir un comportement commun : à une température donnée, ils rayonneront principalement une certaine longueur d'onde. Par exemple, notre corps à 37°C émet des ondes à 10 mm (lumière infrarouge non visible). En revanche, à 5000°C (température correspondant à la surface du soleil), le maximum se déplace, le corps émet autour de 500 nm (jaune). Cette correspondance entre la température du corps noir et la nature de la lumière émise par ce corps va littéralement rendre fou toute une génération de physiciens qui n'arrivent pas à expliquer ce phénomène. Max Planck, au début du XXème siècle, déclarera à la société allemande de physique qu'il peut rendre compte de ce comportement. Pour cela, il doit supposer que la lumière arrive en paquets d'énergie et que chaque paquet d'énergie est proportionnel à la fréquence de la lumière, c'est-à-dire que l'énergie de chaque grain de lumière est le produit de la fréquence de cette onde par une constante, ridiculement petite (environ 6.10-34 J.s). S'il est persuadé d'avoir fait une grande découverte, Max Planck n'a pour autant pas la moindre idée de ce que sont ces « quanta » d'énergie qu'il a introduits dans son calcul.

figure1

Spectre du corps noir (le fer chauffé de la photo émet des longueurs d'onde réparties sur la courbe bleue, la courbe rouge est émise par un humain qui n'a pas de fièvre)

Pendant ce temps, à la société Anglaise de physique, Lord Kelvin fait son discours inaugural, où il déclare que toute la physique est constituée, la récente théorie ondulatoire de Maxwell rendant très bien compte du comportement de la lumière. Il ne reste plus que quelques phénomènes incompris, d'un intérêt secondaire. Parmi ces phénomènes incompris figurent évidemment le spectre du corps noir, et l'effet se produisant dans la cellule photoélectrique.

Albert Einstein va réaliser le tour de force de montrer que ces deux phénomènes ont une même origine, origine qu'il baptisera la dualité onde-corpuscule. L'hypothèse révolutionnaire d'Einstein est de dire que la lumière, considérée jusqu'alors comme une onde, est également une particule. A la fois onde et particule, la lumière véhicule ainsi une quantité d'énergie bien précise.

Le raisonnement d'Einstein se comprend bien sur un diagramme d'énergie, où est représentée l'énergie des électrons en fonction de leur position ( voir Figure 2). Pour être arraché du métal, un électron doit recevoir l'énergie qui lui permet d'échapper à l'attraction du métal. Cette énergie est appelée potentiel d'ionisation. Les électrons sont donc piégés dans le métal, et il leur faut franchir ce potentiel d'ionisation pour le quitter. L'hypothèse d'Einstein consiste à dire que la lumière est constituée de particules et que chaque particule a une énergie valant h.f, où h est la constante établie par Max Planck, et f la fréquence de la lumière. Si cette énergie h.f est inférieure au potentiel d'ionisation (comme c'est le cas pour la lumière rouge), aussi puissant que soit le faisceau de lumière, nous n'arracherons pas le moindre électron au métal. En revanche, si la lumière est bleue, la longueur d'onde est plus courte, ce qui correspond à une fréquence f plus grande, donc une énergie plus grande, les électrons vont alors acquérir l'énergie suffisante pour quitter le métal et aller dans le vide. Cette théorie permet donc d'expliquer le phénomène jusqu'alors incompris observé par Hertz et Leenard.

figure2

Diagramme d'énergie d'Einstein

Einstein ne se contente pas de cette explication, il propose une expérience permettant de vérifier son hypothèse. Si on mesure l'excès d'énergie des photons (représenté DE sur la Figure 2), c'est-à-dire si on mesure l'énergie des électrons une fois qu'ils ont été arrachés par la lumière, on doit pouvoir en déduire la valeur de la constante de Planck h.

La théorie d'Einstein est accueillie à l'époque avec fort peu d'enthousiasme. La physique semblait jusqu'alors bien comprise, la lumière était une onde, et on rendait compte de l'écrasante majorité des phénomènes observés. Et Einstein vient tout bouleverser ! De nombreux scientifiques vont donc tenter de montrer que sa théorie est fausse. Notamment Millikan, qui va passer 12 années de sa vie à tester la prédiction d'Einstein. Millikan reconnaîtra finalement son erreur : son expérience montrera bien que l'énergie en excès dans les électrons est proportionnelle à la fréquence de la lumière excitatrice, et le coefficient de proportionnalité est bien la constante de Planck h.

Einstein venait d'unifier deux phénomènes qu'a priori rien n'apparentait : la lumière émise par un corps chauffé, et l'excès d'énergie d'un électron émis dans le vide. Ce lien existe, et c'est la physique quantique.

On peut donc relier la longueur d'onde de la lumière à son énergie ( voir Figure 3). Ainsi, le soleil qui rayonne principalement dans le jaune, c'est-à-dire à des longueurs d'onde d'environ 500 nm émet des photons de 2 eV (électron-volt). Le corps humain à 37°C rayonne une onde à 10 mm, ce qui correspond à des photons d'énergie 0,1eV. Rappelons qu'un électron-volt correspond à l'énergie d'un électron dans un potentiel électrique de 1V.

figure3

Correspondance entre longueur d'onde de la lumière et énergie du photon

Les briques de base

Comme nous l'avons mentionné en introduction, la physique entre alors dans un cercle vertueux : la technologie (par la cellule photoélectrique) fournit à la physique un nouveau concept fondamental, la physique quantique va en retour développer des outils conceptuels extrêmement puissants qui vont permettre le développement des composants optoélectroniques que nous allons étudier.

Les Semi-conducteurs

Avant d'entrer dans ce cercle vertueux, un concept manque encore à la physique quantique. Il va être proposé par le français Louis de Broglie en 1925. Ce dernier fait le raisonnement suivant : Einstein vient de montrer que la lumière, qui est une onde, se comporte comme une particule. Que donnerait le raisonnement inverse? Autrement dit, pourquoi la matière (les atomes, les électrons, tout objet ayant une masse) ne se comporterait-elle pas également comme une onde ? De Broglie va montrer qu'on peut associer à l'énergie d'une particule matérielle une longueur d'onde. Il montre notamment que, plus la particule a une énergie élevée, plus sa longueur d'onde est faible. La correspondance entre énergie et longueur d'onde pour la matière différera cependant de celle pour les photons, car les photons n'ont pas de masse.

Partant de cette hypothèse, Wigner, Seitz et Bloch se demandent ce que devient cette longueur d'onde lorsque l'électron est dans la matière, où il est soumis à un potentiel d'environ 5V. Leur calcul leur montre que sa longueur d'onde est alors d'environ 5 angströms (1 angström valant 10-10 mètres)... ce qui correspond à peu près à la distance entre atomes dans la matière.

figure4

Comportement d'une onde électronique dans la matière et naissance de la structure de bandes

La physique quantique va alors donner une compréhension nouvelle et profonde du comportement des électrons dans la matière. Rappelons que la matière peut souvent être représentée par un cristal, c'est-à-dire un arrangement périodique d'atomes, distant de quelques angströms. Imaginons qu'une onde électronique (c'est-à-dire un électron) essaie de traverser le cristal. Si la longueur d'onde vaut 20 angströms, elle est très grande par rapport au maillage du cristal, et elle ne va donc pas interagir avec le cristal. Cette longueur d'onde va donc pouvoir circuler, on dira qu'elle est permise, et par conséquent l'énergie qui lui correspond est elle aussi permise (onde rouge sur la Figure 4). Il y aura un très grand nombre de longueur d'ondes permises, auxquelles correspondront des bandes d'énergies permises. En revanche, si la longueur d'onde de l'électron est de l'ordre de 5 angströms (onde bleue sur la Figure 4), c'est-à-dire de la distance être atomes, l'électron va alors résonner avec la structure du cristal, et l'onde ne va pas pouvoir pénétrer dans la matière. L'onde électronique est alors interdite dans la matière, et l'énergie qui lui correspond est également interdite dans la matière. Ainsi on voit apparaître, pour décrire les électrons dans la matière, une description en termes de bandes permises et de bandes interdites. Nous appellerons la bande permise de plus basse énergie (sur la figure 5) la bande de valence, et la bande permise au-dessus d'elle la bande de conduction.

A partir de cette structure de bandes, Pauli va montrer que les atomes peuplent d'abord les états de plus basse énergie. Ils vont ainsi remplir complètement la bande de valence, et laisser la bande de conduction vide. Il montre alors que dans une telle configuration les électrons ne peuvent pas conduire l'électricité.

figure5

Les électrons de la bande de valence, comme les pièces d'un jeu de taquin

Pour illustrer ses propos, comparons la matière à un jeu de taquin ( Figure 5). Rappelons que le taquin est un puzzle fait de pièces carrées et où ne manque qu'une pièce. C'est l'absence d'une pièce qui permet de déplacer les pièces présentes. Pour Pauli, une bande de valence pleine d'électrons, est comme un taquin qui n'aurait pas de trous : aucun élément ne peut bouger, car toutes les cases sont occupées. C'est pourquoi beaucoup de matériaux, notamment les semi-conducteurs (qui, comme leur nom l'indique sont de mauvais conducteurs), ne peuvent pas conduire le courant, leur bande de valence étant trop pleine. Pour conduire l'électricité, il va être nécessaire de prendre des électrons de la bande de valence, et de les envoyer dans la bande de conduction. Alors les rares électrons dans la bande de conduction auront tout l'espace nécessaire pour bouger, ils conduiront aisément le courant. De plus, ces électrons auront laissé de la place dans la bande de valence, ce qui revient, dans notre image, à enlever une pièce au taquin. Les électrons pourront alors bouger, mal, mais ils pourront bouger. Ce déplacement des électrons dans la bande de valence peut être réinterprété : on peut considérer qu'un électron se déplace pour occuper une place vacante, puis qu'un autre électron va occuper la nouvelle place vacante, et ainsi de suite... ou on peut considérer que nous sommes en présence d'un trou (une absence d'électron) qui se déplace dans le sens opposé au mouvement des électrons ! Cette interprétation nous indique alors que, dans la bande de valence, ce ne sont pas les électrons qui vont bouger, ce sont les « absences d'électrons », c'est-à-dire des trous, qui sont, de fait, de charge positive.

Wigner, Pauli et Seitz venaient de résoudre une énigme qui datait du temps de Faraday (1791-1867), où l'on avait observé des charges positives se déplaçant dans la matière sans avoir idée de ce que c'était. Il s'agit en fait des trous se déplaçant dans la bande de valence. Pour la suite, nous nous intéresserons donc aux électrons se trouvant dans la bande de conduction, et aux trous de la bande de valence.

Comment envoyer ces électrons de la bande de valence vers la bande de conduction ? En utilisant le photon ! Le photon va percuter un électron de la bande de valence et créer une paire électron-trou, c'est-à-dire qu'il va laisser un trou dans la bande de valence et placer un électron dans la bande de conduction. Il s'agit d'un phénomène d'absorption car au cours de ce processus, le photon disparaît. Il a été transformé en paire électron-trou.

Evidemment le mécanisme inverse est possible : si on arrive à créer par un autre moyen une paire électron-trou, l'électron va quitter la bande de conduction pour se recombiner avec le trou dans la bande de valence, et émettre un photon. La longueur d'onde du photon émis correspondra à l'énergie de la bande interdite ( energy gap en anglais). Il y a donc une correspondance fondamentale entre la couleur du photon émis et l'énergie de la bande interdite.

figure6

Gap d'énergie et distance inter-atomiques des principaux semi-conducteurs

La Figure 6 montre l'énergie de la bande interdite pour différents matériaux. On constate que certains matériaux se retrouvent sur la même colonne, c'est-à-dire qu'ils ont la même distance inter-atomique. C'est le cas par exemple de l'Arséniure de Gallium (GaAs) et de l'Aluminure d'Arsenic (AlAs). Etant des « jumeaux cristallographiques », il sera aisé de les mélanger, les faire croître l'un sur l'autre. En revanche, ils ont des bandes d'énergie interdite très différente. A partir de ce graphique, on peut donc conclure quel semi-conducteur conviendra à la lumière que l'on veut produire. Ainsi, la lumière rouge sera émise par le Phosphure de Gallium (GaP). Pour aller dans l'infrarouge lointain, un mélange entre CdTe et HgTe est cette fois préconisé.

Le dopage et la jonction P-N

Nous venons de présenter la première brique de l'optoélectronique, à savoir l'énergie de la bande interdite. La deuxième brique qui va nous permettre de réaliser des composants optoélectroniques va être le dopage. Comme nous l'avons dit précédemment, un semi-conducteur, si on n'y ajoute pas des électrons, conduit aussi bien qu'un bout de bois (c'est-à-dire plutôt mal !). Pour peupler la bande de valence, nous allons utiliser le dopage.

Nous nous intéresserons aux éléments des colonnes III, IV et V de la classification périodique des éléments de Mendeleïev (une partie en est représentée Figure 7). Le numéro de la colonne correspond au nombre d'électrons se trouvant sur la dernière couche électronique. Ainsi les éléments de la colonne IV, dits tétravalents, comme le Carbone et le Silicium, possèdent IV électrons sur leur dernière couche. Dans la colonne III (éléments trivalents), nous trouverons le Bore, et dans la colonne V (éléments pentavalents) se trouve le Phosphore.

figure7

Dopage de type P et dopage de type N

Regardons ce qui se passe si on introduit un élément pentavalent dans un cristal de Silicium. On peut dire que le Phosphore, tel l'adolescent dans une cour d'école, veut à tout prix ressembler aux copains. Ainsi, le Phosphore va imiter le Silicium et construire des liaisons électroniques avec 4 voisins. Il va donc laisser un électron tout seul. Cet électron va aller peupler la bande de conduction. C'est ce qu'on appelle le dopage de type N. Le Phosphore joue le rôle de Donneur d'électrons.

Le raisonnement est le même pour des éléments trivalents comme le Bore. Ce dernier va mimer le comportement du Silicium en créant 4 liaisons électroniques. Pour cela, il va emprunter un électron à la structure de Silicium, consommant ainsi un électron dans la bande de valence. Il crée donc un trou dans la bande de valence. Le dopage est dit de type P. Le Bore joue le rôle d'Accepteur d'électrons.

Le dopage n'est pas un processus aisé à réaliser. A l'heure actuelle, nous n'avons toujours pas trouvé le moyen de doper efficacement certains semi-conducteurs (c'est le cas du diamant par exemple). Pour le Silicium (Si) et l'Arséniure de Gallium (GaAs), le dopage est en revanche bien maîtrisé.

On va alors pouvoir réaliser des jonctions P-N ( Figure 8). Il s'agit en fait de juxtaposer un matériau dopé P avec un matériau dopé N. Dans la zone dopée N, le Phosphore a placé de nombreux électrons dans la bande de conduction. La zone dopée P quant à elle possède de nombreux trous dans la bande de valence. Nous sommes ainsi en présence délectrons et de trous qui se « regardent en chiens de faïence ». Ils vont donc se recombiner. Ainsi, à l'interface, les paires électrons trous vont disparaître, et laisser seules des charges négatives dans la zone dopée P, et des charges positives dans la zone dopée N. Ces charges fixes (qui correspondant en fait aux atomes dopants ionisés) vont créer un champ électrique. Cette jonction P-N sera au cSur de très nombreux composants optoélectroniques.

figure8

Jonction P-N: les électrons de la zone N se recombinent avec les trous de la zone P, laissant des charges nues dans une zone baptisée zone de charge d'espace. Les charges fixes induisent un champ électrique.

Le Puits Quantique

Dernière brique de l'optoélectronique que nous présenterons : le puits quantique. Ce dernier peut être considéré comme le fruit du progrès technologique. Dans les années 70-80, les ingénieurs étudient l'Ultra-Vide, c'est-à-dire les gaz à très basse pression (10-13 atmosphère). Comme il s'agit d'un milieu extrêmement pur, bien vite on se rend compte, que cela reproduit les conditions primordiales dans lesquelles les matériaux ont été créés. Dans un tel milieu, on va alors pouvoir « jouer au bon dieu » et empiler des couches d'atomes, créer des structures artificielles qui n'existent pas dans la nature.

Typiquement, il va être possible de réaliser des sandwichs de matériaux, où par exemple de l'Arséniure de Gallium (GaAs) serait pris entre deux tranches d'un matériau qui lui ressemble, AlGaAs (nous avons vu précédemment que AlAs et GaAs sont miscibles). Sur la photo ( Figure 9), issue d'un microscope électronique nous permettant d'observer les atomes, on voit que ces matériaux n'ont aucun problème à croître l'un sur l'autre. La couche de GaAs ne mesure que 20 angströms.

figure9

Puits quantique. En haut, sa composition. Au milieu une photo au microscope électronique d'une telle structure. En bas, diagramme d'énergie du puits quantique, la forme des oscillations de l'électron a également été représentée

Examinons le comportement de l'électron dans un tel milieu. Le GaAs a plus tendance à attirer les électrons que AlGaAs. L'électron se trouve piégé dans un puits de potentiel. C'est alors qu'intervient la mécanique quantique, réinterprétant le puits de potentiel en « puits quantique ». L'électron est une onde, une onde prisonnière entre deux murs (les barrières de potentiel formées par l' AlGaAs). L'électron ne va avoir que certains modes d'oscillation autorisés, comme l'air dans un tuyau d'orgue qui ne va émettre que des sons de hauteur bien définie.

Techniquement, il nous est possible de créer à peu près n'importe quel type de potentiel, puisqu'on est capable de contrôler l'empilement des atomes. Par exemple, plus on élargit le puits quantique, plus il y a de modes d'oscillation possibles pour l'électron, et plus il y a de niveaux d'énergies accessibles à l'électron. On peut ainsi synthétiser la répartition de niveau d'énergies que l'on souhaite.

Nous avons à présent un bon nombre d'outils de base que nous a fournis la mécanique quantique : la structure de bandes, le dopage et la jonction P-N qui en découle, et pour finir, le puits quantique. Nous allons à présent voir comment ces concepts entrent en jeu dans les composants optoélectroniques.

La détection quantique

Le principe de la photo-détection quantique (utilisé dans tous les appareils photo numérique) est extrêmement simple : il s'agit, à l'aide d'un photon, de faire transiter l'électron entre un niveau de base, où il ne conduit pas l'électricité, et un niveau excité où il va la conduire. Le semi-conducteur pur peut par exemple faire office de photo-détecteur quantique ( Figure 10): à l'état de base, il ne conduit pas le courant, mais un photon peut créer, par effet photoélectrique, une paire électron-trou et placer un électron dans la bande de conduction, permettant le transport du courant.

figure10

Deux mécanismes de détection quantique. A gauche, on utilise la structure de bande d'un semi-conducteur. A droite, un puits quantique.

Un puits quantique peut également réaliser cette fonction ( Figure 10): les électrons se trouvent piégés dans le puits quantiques, car la barrière d'AlGaAs les empêche de sortir, mais par absorption d'un photon, les électrons vont avoir l'énergie leur permettant de sortir du piège et donc de conduire le courant.

L'effet Photovoltaïque

Le détecteur quantique le plus répandu est la cellule photovoltaïque. Elle est constituée d'une jonction P-N. Imaginons que des photons éclairent la structure. Dans la zone ionisée (appelée zone de charge d'espace), ils vont alors créer des paires électron-trou. Mais cette région possédant un champ électrique du fait des charges fixes, les électrons vont être attirés par le Phosphore, les trous par le Bore, ce qui va générer un courant électrique.

figure11

Cellule photovoltaïque. En haut, la jonction P-N reçoit des photons qui créent des paires électron-trou. En bas, diagramme d'énergie montrant les électrons de la bande de conduction tombant dans la zone N, et les trous de la bande de valence remontant dans la zone P.

On peut représenter ce mécanisme sur un diagramme d'énergie ( Figure 11). Le champ électrique présent au niveau de la jonction P-N provoque une courbure de la bande de valence et de la bande de conduction. Le photon va créer une paire électron-trou. L'électron va glisser le long de la pente de la bande de conduction, et se retrouver dans la zone dopée N, tandis que le trou, tel une bulle dans un verre de champagne, va remonter la bande de valence et se retrouver dans la zone dopée P.

Les caméras CCD

Techniquement, il existe des technologies pour synthétiser ces minuscules détecteurs par millions en une seule fois. Ces détecteurs ont changé notre vie quotidienne. En effet, au cSur de tous les appareils photo et caméscopes numériques se trouve une matrice CCD ( charge coupled devices). Il ne s'agit pas exactement de jonctions P-N, mais d'une myriade de transistors MOS. Néanmoins les concepts physiques mis en jeu sont tout à fait analogues. Il s'agit d'une couche semi-conductrice de Silicium séparée d'une couche métallique par une couche isolante d'oxyde. Lorsqu'un photon arrive dans la zone courbée du diagramme de bande (c'est là encore, la zone de charge d'espace), une paire électron-trou est créée, les électrons vont s'accumuler à l'interface entre le semi-conducteur et l'isolant, il vont alors pouvoir être « évacués » par les transistors qui vont récupérer les « tas d'électrons » et se les donner, comme des pompiers se passant des bacs d'eau (d'où leur nom). Les matrices CCD actuelles ont des caractéristiques vertigineuses, contenant aisément 10 millions de pixels mesurant chacun 6 mm x 6 mm.

figure12

Matrice CCD. A gauche, diagramme d'énergie d'un transistor MOS (Métal Oxide Silicium). A droite, photo d'une matrice CCD

Les détecteurs infrarouges

Un deuxième type de détecteurs très importants sont les détecteurs infrarouge, notamment ceux détectant les longueurs d'onde comprises entre 3 et 5 mm, et entre 8 et 12 mm. Comme nous l'avons mentionné au début, le corps humain à 37°C rayonne énormément de lumière, sur toute une gamme de longueurs d'onde (représentée en bleu sur la Figure 13), centrée autour de 10 mm. Mais l'atmosphère ne laisse pas passer toutes les longueurs d'onde (la courbe rouge représente la transmission de l'atmosphère). Et justement entre 3 et 5 mm, et entre 8 et 12 mm, elle a une « fenêtre de transparence ». En particulier, à plus haute altitude, un avion peut voir à plusieurs centaines de kilomètres dans la bande 8-12 mm. Un autre intérêt de détecter cette gamme de longueur d'onde est qu'elle correspond à l'absorption de certains explosifs qui seraient alors détectables.

figure13

Spectre de transmission de l'atmosphère (courbe rouge), et spectre d'émission du corps humain, c'est-à-dire d'un corps noir à 37°C (courbe bleue)

Comment réaliser ces détecteurs autour de 5 et de 10 mm (c'est-à-dire ayant un gap d'énergie de 0,1 à 0,2 eV)? La Figure 6 nous indique que le couple CdTe (Tellure de Mercure) - HgTe (Tellure de Cadmium) est un bon candidat. Notons au passage que la France, grâce notamment aux laboratoires du CEA et de l'ONERA) est leader mondial dans ce domaine. Avec de tels détecteurs, il devient possible de voir des avions furtifs, indétectables par radar. Des applications existent aussi dans le domaine médical, où ces capteurs permettent de déceler certaines variations locales de température sur une simple image. Il est également possible de détecter le niveau de pétrole à l'intérieur d'un conteneur, l'inertie thermique du pétrole différant de celle de l'air.

figure14

Exemples d'images prises par des détecteurs infrarouges (source : www.x20.org)

Les cellules solaires

Dernier type de détecteur que nous examinerons : les cellules solaires, qui transforment la lumière en électricité. Le matériau roi (parce que le moins cher) dans ce domaine est le Silicium. Malheureusement son rendement quantique n'est pas bon (15%), c'est-à-dire que le Silicium absorbe très bien le rayonnement à 1 eV, tandis que le soleil émet essentiellement entre 2 à 3 eV. Des recherches sont actuellement menées afin de développer des matériaux absorbant plus efficacement dans ces gammes d'énergie. Ces recherches sont extrêmement importantes pour les nouvelles sources d'énergie.

Les émetteurs de lumière

Diodes électroluminescentes

On se rappelle qu'en se recombinant, les paires électron-trous créent un photon. Réaliser un émetteur de lumière est donc possible à partir d'un puits quantique ( Figure 15). Ce dernier confine les électrons. Prenons, comme précédemment, le cas d'un puits quantique de GaAs « sandwiché » entre deux domaines d'AlGaAs. Cette fois, nous dopons N l'AlGaAs se trouvant d'un côté du puits, et P l'AlGaAs se trouvant de l'autre côté. Si on fait passer du courant dans cette structure, les électrons de la zone dopée N vont tomber dans le puits quantique, les trous de la zone dopée P vont monter dans le puits de la zone de valence. Une fois dans le puits quantique, électrons et trous vont se recombiner et émettre un photon. Ce composant est appelé Diode Electroluminescente (LED). Ce n'est ni plus ni moins qu'un photo-détecteur dans lequel on a forcé le courant à passer.

figure15

Diagramme d'énergie d'une diode électroluminescente. Trous de la zone P et électrons de la zone N vont être piégés dans le puits quantique et se recombiner en émettant de la lumière

Les LED remplissent, elles aussi notre quotidien. Elles ont un énorme avantage sur d'autres type d'éclairage : le processus de création de photon d'une LED est extrêmement efficace. En effet, dans une LED chaque électron donne un photon. Ainsi avec un courant d'un ampère, on obtient une puissance lumineuse d'environ un Watt, alors qu'une ampoule ne donnera que 0,1W pour le même courant. L'utilisation plus répandue des LED pour l'éclairage aura un impact extrêmement important pour les économies d'énergie et l'environnement. A l'heure actuelle, elles sont utilisées dans nos télécommandes, les panneaux d'affichages, les feux de signalisation.

Depuis quelques temps les diodes rouges, orange et vertes existent. La diode bleue, plus récemment apparue a connue une histoire insolite. En 1974, des ingénieurs se penchent sur le problème de la réalisation d'une telle diode, et trouvent qu'un matériau possède le gap d'énergie adéquat (3-4 eV) : le Nitrure de Gallium (GaN). Ils vont alors chercher à le doper... pendant 10 ans... sans succès. En 1984, un grand théoricien soutient, démonstration à l'appui, qu'il n'est théoriquement pas possible de doper un tel semi-conducteur. Toutes les équipes arrêtent alors progressivement leurs recherches sur le sujet... toutes, sauf une. Celle du Dr. Nakamura (qui sans doute n'avait pas lu l'article de l'éminent théoricien) de la société Japonaise Nichia. En 1993, il trouve que le Magnésium (Mg) dope le Nitrure de Gallium ! Dix ans après, sa découverte a révolutionné le marché de l'optoélectronique. En effet, avec les autres couleurs de LED, il est à présent possible de réaliser d'immenses écrans publicitaires...

Diodes lasers

Etudions à présent l'émission stimulée. Nous avons vu que le semi-conducteur pouvait absorber un photon, qu'il pouvait également en émettre s'il possède un électron dans sa bande de conduction. En 1917, Albert Einstein s'aperçoit qu'il manque un mécanisme dans cette description de l'interaction entre la lumière et la matière. Par une démarche purement théorique, il va découvrir un nouveau phénomène : l'émission stimulée ( Figure 16).

Dans l'émission stimulée, l'électron est dans l'état excité. Arrive alors un photon, qui va stimuler la désexcitation de l'électron. Cette désexcitation va naturellement s'accompagner de l'émission d'un autre photon, dit photon stimulé. Si on se trouve dans un matériau où beaucoup d'électrons sont excités, un photon va alors pouvoir donner 2, puis 4, puis 8 ... photons ! Ce phénomène est appelé l'amplification optique.

figure16

Diagramme des mécanismes d'absorption, d'émission spontanée, et d'émission stimulée

Il est alors possible de réaliser un LASER. Pour cela, il suffit de placer deux miroirs aux extrémités de l'amplificateur optique. La lumière va être amplifiée lors d'un premier passage, une partie va être émise en dehors de la cavité, l'autre partie va être réfléchie et refaire un passage dans le milieu amplificateur. La même chose se produit sur le deuxième miroir. Si après un tour on a plus d'énergie qu'au départ, nous sommes face à un phénomène d'avalanche où le nombre de photons créés va croître très rapidement. Le système se met à osciller, c'est l'oscillation LASER.

John von Neumann, l'inventeur de l'ordinateur, prévoit que les semi-conducteurs devraient permettre de réaliser des lasers. En effet en partant d'un puits quantique et en y plaçant beaucoup d'électrons et de trous, nous allons obtenir notre milieu amplificateur. En plaçant des miroirs aux extrémités du puits quantique, on obtient alors un laser ( Figure 17). Le laser à semi-conducteur sera découvert 50 ans après, et par 3 laboratoires différents (General Electric, IBM et Bell Labs) en l'espace de 10 heures !

figure17

Schéma d'une diode laser. Le milieu à gain est constitué par la jonction P-N. A ses extrémités des miroirs forment la cavité, et laissent sortir un faisceau laser unidirectionnel

L'intérêt du laser à semi-conducteur est qu'on peut concentrer toute la puissance lumineuse sur un fin pinceau lumineux. Là encore, les applications sont nombreuses : pointeurs, lecteur de CD, télécommunications... Revenons un instant sur l'importance des matériaux émettant dans le bleu (le Nitrure de Gallium). Le laser bleu va en effet avoir des retombées importantes dans le domaine des disques lasers. Le principe du lecteur de disque est d'envoyer un laser sur la surface du disque qui réfléchit (ou non) la lumière, lumière qui est alors lue par un détecteur quantique. La surface du disque est criblée de trous stockant les bits d'information. Il se trouve que la dimension minimale d'un faisceau laser correspond à la longueur d'onde qu'il émet. Ainsi la tâche d'un laser rouge est de 0,8 mm, tandis que celle d'un faisceau bleu est de 0,4 mm. On pourra donc lire 4 fois plus d'information avec un laser bleu Les diodes bleues vont donc progressivement (et rapidement) remplacer les diodes rouges des lecteurs de disques.

La lumière d'un laser va également pouvoir être envoyée à l'intérieur d'une fibre optique, qui est une structure guidant la lumière au cSur d'un guide en verre (silice) de 4 mm de diamètre. La fibre optique permet alors de transporter énormément d'information extrêmement rapidement. A l'heure actuelle, les fibres optiques permettent d'envoyer en un dixième de seconde tout le contenu de l'Encyclopedia Universalis à 3000 km ! Cette révolution technologique, fruit de l'optoélectronique, est à la base du succès d'Internet.

Les nouvelles frontières

L'optoélectronique est un des domaines scientifiques les plus effervescents à l'heure actuelle, et de nombreuses technologies encore balbutiantes semblent très prometteuses dans un proche future : il s'agit par exemple des cristaux photoniques, des oscillateurs paramétriques optiques, de la nano-optique,... Nous nous intéresserons ici aux nouvelles longueurs d'ondes ainsi qu'au domaine des attosecondes.

Les ondes Térahertz

L'optoélectronique investit aujourd'hui de nouvelles longueurs d'onde, et ne se cantonne plus au domaine du visible et de l'infrarouge. Ces ondes appartiennent à la famille des ondes électromagnétiques ( Figure 18), qui renferme également, les ondes radio, les ondes radars et micro-ondes,... Entre les ondes radio et les ondes optiques, se trouve le domaine des ondes dites Térahertz (THz), qui jusqu'à peu ne disposaient pas de sources efficaces. L'optoélectronique développe actuellement de nouvelles sources lasers dans ce domaine, resté pendant longtemps une terra incognita.

figure18

Le spectre des ondes électromagnétiques

De telles sources permettront de développer de nouveaux systèmes de sécurité, car ils permettront notamment de voir à travers les vêtements. En effet, même au travers de matériaux opaques, les photons pénètrent, sur une longueur de quelques longueurs d'onde. Dans le cas des ondes Térahertz, la longueur d'onde est de 300 mm, le photon va pénétrer un matériau opaque sur plusieurs millimètres ! L'onde Térahertz pourra ainsi traverser les vêtements. La Figure 19 montre comment un couteau caché par un journal a pu être détecté par de l'imagerie Térahertz.

figure19

Image d'une scène dans le visible (à gauche) et dans les Térahertz (à droite). La grande longueur d'onde des ondes Térahertz permet de traverser les vêtements et les journaux.

(Jefferson Lab : www.jlab.org)


Les attosecondes

Une autre percée réalisée par l'optoélectronique concerne l'étude des temps très courts. Le domaine des attosecondes est désormais accessible à l'expérience. Une attoseconde ne représente que 0,000 000 000 000 000 001 seconde (10-18 seconde)! Il y a autant d'attosecondes dans une seconde que de secondes écoulées depuis la création de l'univers.

Pour créer des impulsions aussi courtes, il faut des ondes ayant des fréquences très élevées. L'impulsion la plus courte qu'on puisse faire avec une onde consistera à ne prendre qu'une seule oscillation de l'onde. L'optoélectronique nous propose des techniques qui permettent de ne découper qu'une seule oscillation du champ électromagnétique. Si on prend de la lumière visible (de fréquence 1015 Hz), on est capable de découper une tranche de 10-15 seconde (une femtoseconde). On peut aujourd'hui aller encore plus loin, et atteindre le domaine des attosecondes.

La Figure 20 montre en fonction du temps les plus petites durées atteignables par l'électronique et par l'optoélectronique. L'électronique, ayant des fréquences limitées à quelques gigahertz (GHz) est actuellement limitée, tandis que l'optique, avec des photons aux fréquences bien plus élevées permet de sonder des durées bien plus faibles.

figure20

Evolution des plus petites durées mesurables par l'électronique et l'optoélectronique dans les 40 dernières années

L'électron met environ 150 attosecondes pour « faire le tour » de l'atome d'Hydrogène. Nous devrions donc avoir d'ici peu les techniques permettant d'observer ce mouvement ! On retrouve le cercle vertueux que nous avions évoqué au début : la science fondamentale a fourni des technologies, et ces technologies, en retour, fournissent aux sciences fondamentales des possibilités d'observer de nouveaux domaines du savoir et de la connaissance de l'univers.

 

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INTELLIGENCE ARTIFICIELLE 6

 

Mieux comprendre les hommes...
Luc Steels dans mensuel 350
daté février 2002 -


Construirons-nous un jour des robots humanoïdes autonomes et aussi performants que nous-mêmes dans les domaines moteur, sensoriel et cognitif ? C'est peu probable. En revanche, la mise au point de machines de plus en plus perfectionnées permet de mieux comprendre les capacités humaines, telles que la marche ou l'apprentissage du langage.
IA, le récent film de Steven Spielberg, où un robot ressemble à s'y méprendre à un humain, est une histoire étonnante, dont chaque spectateur appréciera ou non l'intérêt dramatique. Toutefois, en ce qui concerne sa vraisemblance, les spécialistes de l'intelligence artificielle savent à quoi s'en tenir : non seulement aucun d'entre nous ne sait aujourd'hui fabriquer des machines aussi perfectionnées, mais cela ne fait même pas partie de notre programme de recherche.

Cette affirmation peut sembler paradoxale au vu des efforts intenses que poursuivent aujourd'hui quelques entreprises pour mettre au point des robots humanoïdes. De tels robots, qui marchent sur deux jambes, saisissent des objets avec leurs mains et interagissent avec leur environnement grâce à des capteurs visuels, auditifs ou tactiles, auront vraisemblablement des applications pratiques dans notre vie quotidienne, ne serait-ce que comme jouets.

Mais aux yeux des chercheurs en intelligence artificielle, ce n'est pas leur principal intérêt. Notre préoccupation est plutôt de mieux comprendre comment les hommes pensent, se comportent ou se développent. De ce point de vue, les robots permettent de tester des hypothèses en réalisant des expériences. Nous pouvons par exemple déterminer la validité d'un modèle théorique associé à une fonction telle que la marche ou le langage : sa mise en oeuvre révèle sans équivoque s'il permet à un robot de marcher ou de parler. En cas d'échec, le modèle est éliminé. En cas de réussite, nous n'avons bien sûr pas la certitude que les humains fonctionnent de la même façon, mais le modèle testé entre dans la catégorie des mécanismes plausibles, que les psychologues et les biologistes peuvent à leur tour soumettre à d'autres tests.

Avancées techniques. L'intelligence artificielle a émergé vers 1960, à une époque où les capacités des ordinateurs étaient bien trop faibles pour que quiconque puisse prétendre recréer une quelconque forme d'intelligence. Elle n'a en fait vraiment pris son essor que depuis une dizaine d'années, grâce à trois avancées importantes. D'abord, toutes les technologies nécessaires au fonctionnement de robots autonomes assez performants pour tester des modèles d'apprentissage ou de comportement ont énormément progressé : capacités des batteries, des moteurs, des microprocesseurs ou des capteurs.

Ensuite, dans la même période, les différents sous-domaines de l'intelligence artificielle ont aussi beaucoup progressé. Nous disposons désormais d'algorithmes performants pour l'apprentissage de connaissances, pour la vision par ordinateur voir l'article de Thierry Viéville p. 42, pour la planification de l'action ou pour le traitement de la parole. Le principal défi à relever aujourd'hui est l'intégration de toutes ces fonctionnalités au sein d'un système unique, dont les performances seraient supérieures à la somme des performances des systèmes spécialisés : ces derniers compenseraient mutuellement leurs éventuelles imperfections en interagissant. Par exemple, le système de vision et de reconnaissance d'objets d'un robot aiderait son système de traitement de la parole à comprendre des informations orales concernant les objets présents dans l'environnement.

La troisième grande avancée de l'intelligence artificielle, la plus importante, concerne l'architecture des robots. Contrairement aux deux autres, il ne s'agit pas seulement d'une amélioration de dispositifs existants, mais d'une totale remise en question des approches antérieures. Jusqu'au début des années 1990, en intelligence artificielle, on construisait un module de contrôle central, qui prenait toutes les décisions et qui ne déclenchait l'action qu'après une réflexion attentive. Avec Rodney Brooks, du Massachusetts Institute of Technology, j'ai alors proposé de développer une « robotique comportementale », où l'intelligence est distribuée dans plusieurs modules qui coopèrent de manière dynamique. Chaque module est entièrement responsable de l'accomplissement d'un certain nombre d'actions, telles que marcher, saisir des objets ou se lever. Il recueille des informations provenant de son environnement et de ses propres états, il décide de l'action à mener, et influence le comportement global du robot. Le fonctionnement résultant est complexe, mais le robot adapte mieux et plus vite ses actions aux variations de son environnement.

Modèles partiels. Ainsi, le robot n'a plus besoin d'un modèle du monde centralisé comme en intelligence artificielle classique, mais chaque module développe ses propres représentations, qui peuvent être partielles et spécialisées. Par exemple, afin d'éviter un objet, il n'est pas nécessaire de l'identifier, ce qui prend beaucoup de temps et qui n'est pas vraiment fiable : il suffit d'en détecter les contours pour réagir immédiatement. Cela donne un comportement moins sujet aux erreurs et des réponses plus rapides au monde extérieur, comme nous l'avons vérifié lors d'essais comparatifs entre les deux types d'approche1.

Décisions émotionnelles. Enfin, au lieu d'utiliser des procédures de décision rationnelle fondées sur le raisonnement logique, les architectures comportementales se fondent sur des modèles éthologiques du comportement animal : des états de motivation qui varient dans un espace continu et sont directement connectés à la perception et aux actions dans le monde, influencent mais ne contrôlent pas totalement l'activation des différents comportements et leurs interactions. Cela permet au robot de prendre des décisions dans des circonstances que les raisonnements rationnels de l'intelligence artificielle classique ne peuvent pas traiter, par exemple de décider ce qu'il doit regarder dans une scène où plusieurs objets bougent, accompagnés par des sons. De la même façon, un robot alimenté par une batterie tiendra compte de la charge de celle-ci avant de s'engager dans la réalisation d'une tâche.

La pertinence de cette approche comportementale a été validée dans le domaine sensori-moteur. C'est en effet en l'utilisant que Sony a mis au point Aibo , le robot chien de compagnie voir l'article de F. Kaplan, M. Fujita et T. Doi, p. 84 et le DreamRobot qui peut se lever, vous serrer la main ou danser la Macarena.

En revanche, dans le domaine cognitif, les résultats de la robotique comportementale ne sont pas encore très impressionnants. En particulier, les capacités de communication des robots restent limitées. C'est sur ce point que porte l'essentiel des travaux que nous menons aujourd'hui à Bruxelles et à Paris. Chez l'homme, le langage est le mode de communication le plus naturel et le plus efficace. Vers l'âge de deux ans, on assiste chez les enfants à une explosion de son utilisation et à un développement rapide de la conceptualisation. Pourrait-on atteindre au moins cette étape avec des robots ?

Au XXe siècle, la psychologie cognitive s'est focalisée sur l'individu, et la recherche en intelligence artificielle s'est engagée sur la même voie. Les behavioristes*, en particulier, ont défendu l'hypothèse que les enfants apprennent par induction à partir d'un ensemble de situations modèles. D'après eux, par exemple, l'enfant créerait des catégories naturelles telles que les couleurs, les formes ou les textures en catégorisant spontanément les caractéristiques des objets qu'il voit, et qui changent en permanence. Ensuite seulement, il nommerait ces catégories avec précision. Aujourd'hui, beaucoup d'algorithmes d'apprentissage fonctionnent de cette façon. Mais cela n'aboutit souvent qu'à des concepts très éloignés de ceux rencontrés dans les langues humaines, sauf si l'expérimentateur choisit très soigneusement les exemples proposés au robot comme support de l'apprentissage2.

Ce n'est en fait pas comme cela que nous apprenons à parler. Au milieu des années 1990, des psychologues tels que Michael Tomasello, aujourd'hui à l'Institut Max Planck d'anthropologie évolutionniste de Leipzig, et Jérôme Bruner, aujourd'hui à l'université de New York, ont proposé une théorie alternative : l'apprentissage social. Selon eux, la plupart des apprentissages ne sont pas le fait d'un individu isolé : il nécessite l'interaction d'au moins deux personnes. Appelons-les l'apprenant et le médiateur. Le plus souvent, le médiateur est un parent et l'apprenant un enfant, bien que les enfants ou les adultes puissent aussi apprendre les uns des autres. Le médiateur impose des contraintes à la situation afin d'encadrer l'apprentissage : il encourage verbalement, donne des appréciations et agit sur les conséquences des actions de l'apprenant. Les appréciations ne sont ni très précises ni très régulières, mais le plus souvent pragmatiques, selon que l'objectif fixé a été atteint ou non. Le médiateur est absolument nécessaire, sans quoi le champ des possibilités qui s'offrent à l'apprenant serait vraiment trop vaste pour qu'il puisse deviner ce qu'on attend de lui.

Les jeux de langage sont un bon exemple de ce mode d'apprentissage3. Un jeu de langage est une suite répétitive d'interactions entre deux personnes. Tous les parents jouent à des milliers de jeux de ce type avec leurs enfants. Et, tout aussi important, les enfants jouent à ce type de jeux entre eux à partir d'un certain âge. En voici un exemple type, entre un père et son enfant devant des images d'animaux. L'enfant apprend à reconnaître et à reproduire les sons émis par les différents animaux, à associer son, image et mot.

Le père : « Comment fait la vache ? [il montre la vache] Meuh ».

L'enfant : [il se borne à observer]

Le père : « Comment fait le chien ? » [il montre le chien] « Ouah. »

L'enfant : [il observe]

Le père : « Comment fait la vache ? »

[il montre à nouveau la vache puis attend...]

L'enfant : « Meuh »

Le père : « Oui ! »

Cet apprentissage nécessite plusieurs modalités et capacités sensorielles son, image, parole et il contient un ensemble d'interactions répétitives qui est bien implanté au bout d'un moment, de sorte que ce qui est attendu est clair. Le sens d'un mot nouveau, par exemple, ici, du nom d'un nouvel animal, peut être deviné grâce à sa position dans la phrase prononcée par le médiateur.

Pour les théoriciens de l'apprentissage social, l'apprenant ne reçoit pas passivement les données qui lui sont transmises mais teste ses connaissances en interagissant avec son environnement et avec les personnes qui s'y trouvent. Toute interaction est une occasion d'apprendre ou de mettre à l'épreuve des connaissances existantes. Il n'y a pas de dichotomie marquée entre une phase d'apprentissage et une phase d'utilisation.

Jouer aux devinettes. Enfin, l'une des caractéristiques de l'apprentissage social - probablement la plus importante illustrée par ce jeu - est que l'apprenant essaie de deviner les intentions du médiateur. Ces intentions sont de deux ordres. D'abord, l'apprenant doit deviner l'objectif que le médiateur cherche à lui faire accomplir. Ensuite, il doit deviner la manière de penser du médiateur : l'apprenant doit, dans une certaine mesure, développer une idée de ce que pense son interlocuteur, ce qui lui permet de comprendre ses ellipses de langage.

Un robot humanoïde apprendra-t-il un jour de cette façon à parler comme nous ? J'en doute fort, mais, au moins dans un premier temps, les expériences menées avec les robots nous aideront à tester des modèles scientifiques de l'apprentissage social et de le comparer systématiquement à l'apprentissage solitaire de type behavioriste. Pour cela, le robot doit d'abord remplir certaines conditions préliminaires. En particulier, il doit pouvoir interagir avec des interlocuteurs. Divers chercheurs en intelligence artificielle explorent actuellement ce sujet.

Ainsi, en 1998, au Massachusetts Institute of Technology, Cynthia Breazeal a mis au point Kismet , une tête animée dont les yeux sont des caméras et les oreilles, des micros4. Il est équipé d'un synthétiseur pour produire des sons. Ses traits sont stylisés, mais ils traduisent bien l'animation du visage. Il a déjà prouvé qu'il pouvait établir un espace d'attention partagée avec un expérimentateur. Ainsi, lorsque ce dernier saisit un objet et le déplace, Kismet le suit des yeux. Il peut aussi identifier et suivre des visages, reconnaître quand les gens montrent un objet du doigt, prendre la parole à son tour même si les sons qu'il produit n'ont aucun sens, identifier et exprimer des états émotionnels comme la peur, l'intérêt ou la joie ce qui n'est évidemment pas la même chose que d'éprouver vraiment ces émotions. Toutes ces fonctions sont essentielles pour l'apprentissage social. Elles ont été obtenues par la combinaison d'algorithmes de reconnaissance des formes et d'analyse de scènes avec des programmes perfectionnés d'intelligence artificielle qui construisent les modèles du monde et des individus qui participent à l'interaction.

Nous avons franchi une étape supplémentaire en explorant l'apprentissage social par les jeux de langage avec différents robots possédant les mêmes capacités que Kismet , notamment des dérivés d' Aïbo voir aussi l'encadré : « Les têtes parlantes ». Dans une première série d'expériences, un expérimentateur a proposé à Aïbo de jouer à la balle. Le chien robot percevait des images de la balle dans son environnement. Contrairement à ce qu'on pourrait naïvement croire, il est extrêmement difficile de déterminer que différentes images correspondent à un même objet, en l'occurrence à une balle. On ne voit en effet jamais celle-ci en entier. En outre, sa couleur change selon sa position et l'éclairage de la pièce. Parfois, l'algorithme de reconnaissance d'objets détecte la présence de plusieurs objets au lieu d'un seul, simplement à cause d'une tache de lumière sur la balle. Avec des objets plus complexes, l'aspect peut même être complètement différent selon l'angle sous lequel on regarde. Au lieu de se fier à une reconnaissance d'objet rigoureuse selon, les critères de l'intelligence artificielle classique, le robot utilise donc une approche fondée sur la mémoire sensitive du contexte. Il mémorise toutes les caractéristiques des situations d'apprentissage, aussi bien sa propre position ou les actions qu'il est en train d'effectuer que la distribution des couleurs dans la scène visuelle, et la reconnaissance d'objet se fait avec un algorithme de recherche de la situation la plus proche. L'avantage de cette technique est que le robot peut mémoriser à tout moment de nouvelles situations décrivant l'objet. Ainsi la caractérisation d'un objet est affinée en permanence.

Chien parlant. Ici, le rôle du langage est fondamental pour déterminer ce qui est une balle. Le médiateur choisit les situations qui servent d'exemples et donne son appréciation sur les performances du robot. En utilisant ces mécanismes, nous avons programmé une version améliorée d' Aïbo pour qu'elle utilise un vocabulaire restreint de mots ancrés dans son expérience sensori-motrice.

Ces premiers résultats sont encourageants. Nous sommes bien sûr encore très éloignés d'humanoïdes entièrement autonomes dont les capacités cogni-tives s'approcheraient, même de loin, de celles de l'homme. Mais la fabrication de machines est bien un moyen puissant pour mieux comprendre ce qui nous rend uniques en tant qu'humains, ne serait-ce que parce que ces machines constituent des points de comparaison. Nos travaux montrent qu'un ancrage dans le monde par l'intermédiaire d'un corps physique et l'appartenance sociale à une communauté sont d'une grande importance pour apprendre les concepts et le langage utilisés dans les communautés humaines. Si nous sommes intelligents, c'est en partie parce que nous vivons en société. Si nous voulons des robots intelligents, nous devrons beaucoup interagir avec eux.
1 L. Steels et R.A. Brooks, The Artificial life Route to Artificial Intelligence : Building Embodied Situated Agents , Lawrence Erlbaum Associates, 1995.

2 L. Steels et F. Kaplan, AIBO's F irst W ords. The S ocial L earning of L anguage and M eaning. Evolution of Communication , 41, 2001.

3 L. Steels, IEEE Intelligent S ystems , September/October 2001, p. 16.

4 C. Breazeal et B. Scassellati, Infant-like Social Interactions Between a Robot and a Human Caretaker, in Special Issue of Journal of Adaptive Behavior, Simulation Models of Social Agents , guest editor Kerstin Dautenhahn, 1999.

5 L. Steels et al. , in The Transition to Language , édité par A. Wray et al. , Oxford University Press, 2002.

 

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LA DANSE DES ABEILLES ...

 


Danse  chez les abeilles


autre - dans mensuel n°310 daté juin 1998 à la page 52 (2967 mots)
En 1945, le prix Nobel Karl von Frisch découvrait que les abeilles butineuses indiquaient à leurs congénères restées à la ruche la localisation des meilleures fleurs en « dansant ». Depuis, de nombreuses recherches ont permis de comprendre la signification de ce « rock and swing », et même de le reproduire à l'aide d'un robot danseur. Mais si on en connaît de mieux en mieux les pas, de nombreuses interrogations persistent quant à leur enchaînement.

Lorsque les abeilles butineuses reviennent à la ruche au terme de leur exploration en quête de nourriture, elles exécutent des mouvements caractéristiques auxquels on a donné le nom de danse. Cette danse permet d'indiquer précisément aux autres butineuses l'emplacement des fleurs particulièrement intéressantes. Les abeilles ainsi recrutées s'y rendront à leur tour, connaissant la distance et la direction à suivre par rapport à la ruche et au soleil. Les recrues observent quelques danses, quittent la ruche et s'envolent. C'est ce qu'a découvert en 1945 le zoologiste autrichien Karl von Frisch1. Cette découverte et bien d'autres sur la vie des abeilles lui valurent le prix Nobel de physiologie et de médecine en 1973.

Un tel langage est exceptionnel dans le monde animal. Généralement, les systèmes de communication des animaux ne s'intéressent qu'aux événements immédiats, les concernant directement ou ayant trait à leur environnement possibilité d'accouplement, approche d'un prédateur.... Les abeilles, elles, utilisent un langage abstrait pour transmettre une quantité considérable d'informations sur des événements lointains.

Mais comment se déroule cette danse ? Quels mouvements effectue la danseuse pour indiquer le chemin à suivre ? Apprenons ensemble les pas de cette danse très expressive.

La danse se déroule normalement dans la ruche, sur les gâteaux verticaux de cire dont les alvéoles sont remplies de miel, les rayons. Dans un premier temps, la danseuse avance en ligne droite en s'agitant frénétiquement : c'est la course frétillante. Ensuite, elle effectue un mouvement circulaire, une fois par la droite et une fois par la gauche, en décrivant un 8. Quelques abeilles les réceptrices restent en contact étroit avec la danseuse pendant la majeure partie de la danse, avant de partir butiner à l'endroit indiqué fig. 1. Au cours de la course frétillante, la danseuse agite latéralement son corps quinze fois par seconde et émet avec ses ailes des vibrations sonores d'une fréquence de 280 Hz. Des analyses récentes de films vidéo à défilement rapide montrent que le mot « course » est trompeur2. En effet, si le corps se porte continuellement en avant, la plupart du temps les pattes restent fermement en contact avec le support. Cela permet à la danseuse de frétiller très rapidement, à la manière d'un pendule. Pendant une danse rapide, le corps tourne aussi autour de son axe longitudinal. On serait tenté de rebaptiser cette course frétillante « rock et swing », mais cette expression n'est guère appropriée dans un contexte scientifique.

Deux types d'expériences ont permis d'étudier les informations transmises au cours de la danse. On entraîne des butineuses à visiter un distributeur de nourriture offrant une solution sucrée. Lors de leur visite, elles sont marquées avec de la peinture. On étudie ensuite la danse de ces insectes marqués, en faisant varier l'emplacement du distributeur. Pour étudier le recrutement des réceptrices, on parfume légèrement l'eau sucrée du distributeur. On place ensuite des appâts parfumés à différentes distances de la ruche et dans différentes directions. Des observateurs placés près des distributeurs et des appâts comptent les visiteuses. Ces expériences montrent que les abeilles recrutées cherchent la cible approximativement à la distance et dans la direction indiquée par la danse. Il faut une odeur si l'on veut que les abeilles trouvent les appâts, car la danse ne renferme aucune information sur la forme ou la couleur des sources de nourriture les fleurs.

Au cours de la danse, l'angle formé par la direction de la course frétillante et la verticale indique l'angle que les recrues devront ultérieurement respecter entre leur ligne de vol et l'azimut solaire fig. 2. La vitesse des mouvements de la danseuse est inversement proportionnelle à la distance de la nourriture. Ainsi, plus la source est proche, plus l'abeille décrit un nombre élevé de 8 par unité de temps. L'indication de la direction sem-ble très stéréotypée chez toutes les abeilles mellifères. Il existe cependant des dialectes pour signifier la distance de la cible. Ainsi, une course frétillante toutes les trois secondes indique une distance de 500 m chez les abeilles italiennes, mais de 800 m chez les abeilles Carniola .

Les abeilles utilisent également le langage de la danse pour indiquer les emplacements d'eau, de résine utilisée pour boucher les fentes de la ruche et fixer les gâteaux de cire, et les emplacements favorables pour un nouveau nid pendant l'essaimage. Dans ces derniers cas, les butineuses peuvent marquer la destination avec une substance odorante sécrétée par une de leurs glandes.

Ce codage de l'information soulève plusieurs questions. Par exemple, comment la danseuse et les réceptrices compensent-elles les changements rapides de l'azimut solaire au fur et à mesure du déplacement du soleil dans le ciel ? Et comment déterminent-elles la position du soleil, si le ciel est couvert ?

Des danseuses très motivées peuvent danser pendant une heure, voire plus. Les réceptrices attendent souvent longtemps avant de quitter la ruche. En Europe centrale, en milieu de journée en été, l'azimut solaire change de plus de 20 degrés par heure. Les réceptrices feraient d'importantes erreurs de direction, si elles ne corrigaient pas le mouvement apparent du soleil.

De nombreuses expériences ont démontré que les abeilles, comme la plupart des animaux, ont une horloge biologique. Les danseuses peuvent ainsi ajuster la direction de leur danse en fonction du temps qui passe. De même, les réceptrices ajusteront progressivement les angles mémorisés pendant la danse. Karl von Frisch a montré que les yeux des abeilles, comme ceux des fourmis, étaient sensibles au plan de polarisation de la lumière. La polarisation du ciel est fonction de l'heure et de la position du soleil. Les abeilles peuvent donc profiter de cet atout sensoriel pour déterminer la position du soleil lorsque le ciel est couvert, à condition qu'un petit bout de ciel bleu soit visible. Plus tard, on a découvert que l'abeille était capable de reconstituer une carte de la polarisation moyenne du ciel à partir d'un échantillonnage de la lumière polarisée perçue par environ 150 facettes de son oeil composé3.

Au début des années 1970, Adrian M. Wenner et ses collègues de l'université de Santa Barbara en Californie ont publié une série de travaux remettant en cause ceux de Karl von Frisch. Ils affirmaient que la danse des abeilles n'était pas un vrai langage4. Certes, la danse renfermerait des indications sur la distance et la direction, mais les réceptrices se présentant au distributeur de nourriture ou à proximité auraient été guidées par des indices olfactifs. Les butineuses auraient établi une piste d'odeurs depuis la cible jusqu'à la ruche.

Cette controverse a suscité un vif intérêt non seulement dans le monde scientifique mais aussi dans le grand public. Cela s'explique sans doute par la réputation de Karl von Frisch, par son prix Nobel. Mais aussi certainement par le fait que de nombreuses personnes ont été étonnées de découvrir qu'un animal si éloi- gné des mammifères et des oiseaux, l'insignifiante abeille, était doté d'un système de communication aussi complexe et sophistiqué.

Pour vérifier l'hypothèse de Wenner, on a cherché à faire en sorte qu'une danseuse indique un autre emplacement que celui du distributeur, afin de voir si les réceptrices trouvaient l'emplacement indiqué par la danse. Deux sortes d'expériences ont été mises au point à cet effet. James Gould, professeur à l'université américaine de Princeton, a changé la direction indiquée par la danse grâce à une source lumineuse placée près de la danseuse5. Pour notre part, nous avons construit une danseuse robot capable d'envoyer les réceptrices à des endroits que le robot n'avait jamais visités6. Dans les deux types d'expériences, les recrues ont suivi les instructions de la danseuse, ignorant tout autre indice.

Déjà en 1927, le professeur anglais John Haldane prédisait : « Il semblerait que l'on puisse demain épier les conversations des abeilles et y participer après-demain. Pour cela il faudrait sans doute une abeille mécanique capable de faire les bons mouvements et peut-être d'émettre l'odeur et le son adéquats. Ce ne serait peut-être pas très rentable mais rien ne dit que c'est impossible 7 . »

C'est seulement quelques dizaines d'années plus tard qu'une telle « abeille mécanique » a été conçue. La mise au point d'une danseuse robot a été un pas important pour étudier les divers paramètres de la danse. Sans cet outil expérimental, on ne peut pas savoir avec certitude quel moment de la danse est déterminant pour l'orientation des réceptrices. En ce qui concerne la direction, par exemple, elles pourraient percevoir l'orientation de toute la figure ou seulement d'une de ses phases. Elles pourraient aussi observer la vitesse de la danse tout entière ou d'un seul frétillement pour déterminer à quelle distance se trouve la nourriture.

Depuis 1957, plusieurs tentatives infructueuses ont été faites pour orienter des abeilles grâce à des modèles mécaniques de danseuse. Dans tous les cas, les abeilles ont montré un grand intérêt pour les modèles mais sans pour autant suivre les indications transmises. Notre robot diffère des modèles antérieurs : il produit des courants d'air semblables à ceux que l'on observe à proximité des danseuses, et des abeilles vont effectivement butiner aux endroits indiqués par sa danse6.

Notre modèle est en cuivre recouvert d'une pellicule de cire d'abeille. De même longueur qu'une ouvrière, il est un peu plus large. Les ailes sont simulées avec un morceau de lame de rasoir qu'un électro-aimant fait vibrer. Un moteur à plusieurs vitesses fait tourner le modèle et le fait frétiller pendant la course frétillante. D'autres moteurs lui font décrire un 8. Durant de brefs arrêts, des « échantillons de nourriture » de l'eau sucrée aromatisée sont émis par un mince tube de plastique situé près de la « tête ».

Tous les moteurs sont pilotés par ordinateur. On peut donc contrôler tous les paramètres de la danse grâce à un logiciel. Cela permet de modifier isolément chaque mouvement et de créer des danses atypiques. A intervalles de trois minutes, l'ordinateur calcule l'azimut solaire et ajuste la direction de la course frétillante pour prendre en compte le mouvement apparent du soleil. Le modèle est installé sur le rayon inférieur, près de l'entrée d'une ruche d'observation à deux rayons. On ajoute à l'eau sucrée et à la pellicule de cire du modèle un léger parfum non familier aux abeilles. Des appâts avec le même parfum sont placés à différents endroits du champ et des observateurs comptent les abeilles qui s'en approchent. Pour étudier le transfert de l'information sur la distance, sept appâts sont placés à différentes distances dans la direction indiquée par le modèle. Dans les expériences sur la direction, huit appâts sont placés à intervalles égaux à 370 m de la ruche.

Nous avons commencé par déterminer l'efficacité du robot dans le transfert d'information avec des danses normales fig. 3. Nous avons ensuite utilisé l'ordinateur pour opérer des danses donnant aux abeilles des informations contradictoires sur la distance ou la direction. Le robot peut ainsi bouger rapidement pendant la course frétillante indiquant une distance courte et lentement durant le mouvement de retour indiquant une longue distance, et inversement. Les abeilles suivent les instructions données par la course frétillante et ignorent la durée du retour. De la même manière, on peut changer la place de la course frétillante dans le 8 pour que cette course et le 8 indiquent des directions opposées. Encore une fois, les abeilles obéissent aux instructions de la course frétillante. Celle-ci apparaît donc comme le « paramètre principal » dans le transfert de l'information concernant à la fois la distance et la direction. Au cours de la course frétillante normale, la danseuse frétille et émet des vibrations avec ses ailes. Nous nous attendions à ce que chacun de ces deux éléments joue un rôle particulier dans le transfert de l'information. Le premier pouvait indiquer la distance, le second attirer ou motiver les abeilles. Cette hypothèse n'a pas été confirmée par des expériences où frétillement et vibration des ailes étaient totalement ou partiellement dissociés. Il semble donc que ces éléments de la danse soient relativement redondants. La redondance du signal, on le sait, confère aux systèmes de communication une plus grande tolérance aux erreurs de transmission8.

Notre robot recrute généralement moins d'abeilles que les danseuses vivantes. Ce n'est sans doute guère surprenant, compte tenu de son caractère rudimentaire. On sait par ailleurs que les danseuses vivantes ont une température thoracique supérieure à 40 °C, soit 5 à 6 °C de plus que chez la plupart des autres abeilles de la ruche9. Nous avons testé un modèle doté d'un dispositif chauffant. Il a malheureusement suscité un comportement agressif chez les abeilles chaque fois que la température dépassait 34 °C. On ignore pourquoi.

Comme on l'a vu, les réceptrices semblent obtenir l'information sur la localisation de la nourriture principalement en « observant » la course frétillante de la danseuse. Etant donné qu'elles peuvent recueillir l'information dans l'obscurité totale, la vision ne doit pas forcément entrer en ligne de compte. Von Frisch a émis deux hypothèses. D'une part, les sons produits par la danseuse pourraient se transmettre aux réceptrices sous forme de vibrations qui se propageraient à travers le rayon de la ruche. D'autre part, les réceptrices pourraient être en contact avec la danseuse. Nous avons, pour notre part, découvert un champ tridimensionnel de courants d'air intenses autour de la danseuse, ce qui suggère une troisième hypothèse10. Les réceptrices se tiendraient à courte distance de la danseuse et percevraient la danse au moyen d'organes récepteurs sensibles au déplacement de l'air. Examinons brièvement ce qui peut étayer les trois hypothèses.

La reine émet des vibrations que l'oreille humaine perçoit comme des « tuts » et des « couacs », lorsque la colonie se prépare à essaimer. Les abeilles qui assistent aux danses peuvent aussi émettre des signaux signaux d'arrêt. Les abeilles ne sont pas sensibles au bruit produit, mais aux vibrations transmises au support. Ces vibrations se propagent dans le rayon de la ruche, sous forme d'ondes, perpendiculaires à la surface. Elles ont des variations d'amplitude assez importantes de 0,1 à 1 mm11. Des mesures des vibrations, utilisant un laser, réalisées à proximité de la danseuse, ont montré que les sons émis vibrations des ailes à une fréquence de 280 Hz ne sont pas transmis de cette manière par le support. Mais les rayons ont des structures complexes. Ainsi ce résultat n'exclut pas d'autres modes de transmission des vibrations produites au cours de la course frétillante. On a suggéré récemment que le frétillement latéral de la danseuse pourrait engendrer des vibrations parallèlement au plan du rayon12. Les tentatives de mesure de ces vibrations ont échoué.

Même si les danseuses produisent des vibrations, on voit mal comment elles véhiculeraient des informations spécifiques sur la distance et la direction de la source de nourriture. En outre, comme la communication par la danse a aussi lieu dans des essaims en l'absence de rayons, les vibrations du support ne sauraient jouer un rôle essentiel.

L'hypothèse selon laquelle les réceptrices recevraient des informations en touchant la danseuse a suscité de nombreux débats. L'analyse d'enregistrements cinématographiques classiques montre qu'à chaque instant moins de 25 % des abeilles présentes sont suffisamment proches de la danseuse pour la toucher10. Mais grâce à la résolution supérieure des bandes vidéo à défilement rapide, on s'est rendu compte que les réceptrices les plus actives peuvent toucher la danseuse avec une ou deux antennes. Ce contact ne peut pas fournir d'informations précises sur la position de la danseuse. En revanche, ces collisions renseignent manifestement la réceptrice sur sa position par rapport à la danseuse : sur le côté ou dans l'axe de l'abdomen. Dans le premier cas, les deux antennes touchent la danseuse en même temps, dans le second en alternance.

Les mesures du champ d'induction acoustique de la danseuse ont suggéré une autre hypothèse10. Le champ d'induction est la zone proche d'un émetteur sonore où l'oscillation des particules d'air est la plus rapide.

La danseuse bat des ailes, et l'air en mouvement peut atteindre une vitesse d'1 m/s très près des extrémités alaires. D'autres études ont révélé l'existence d'un champ tridimensionnel de courants d'air oscillant près de l'abdomen de la danseuse. Ces observations nous portent à croire que les réceptrices pourraient être informées de la position et de la vitesse de la danseuse par le déplacement d'air qu'elle provoque en dansant y compris lors du frétillement. Les abeilles pourraient détecter ces déplacements d'air avec leurs antennes. Comme des brins d'herbe agités par la brise, les antennes sont sensibles aux mouvements d'air engendrés par les sons. Ces vibrations sont perçues par un organe sensoriel situé à la base de chacune des antennes. Il est intéressant de noter que la plupart des réceptrices placent la tête dans la zone de mouvement d'air intense, très près de la danseuse. Comme la vitesse du courant d'air diminue en fonction du cube de la distance à la source, son rayon d'action est sans doute inférieur à la longueur d'une abeille. Ainsi, les réceptrices sont bien placées pour percevoir les courants d'air produits.

Pour lors, il ne s'agit encore que d'une hypothèse de travail. L'efficacité de la danseuse robot qui imite les courants d'air tend à prouver le rôle crucial des mouvements de l'air dans la transmission de l'information entre la danseuse et les réceptrices. Expérimentalement, d'autres biologistes ont pu entraîner des abeilles à répondre à des courants d'air oscillants semblables à ceux produits par la danseuse13. Mais les résultats de ces travaux ne semblent pas totalement concluants. Il n'est pas encore possible de décider avec certitude si l'hypothèse des courants d'air est valide ou non. D'autres études sont nécessaires pour trancher.

 

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