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PRÉHISTOIRE ET RELIGION

 


Les hommes préhistoriques et la religion


et aussi - par André Leroi-Gourhan dans mensuel n°99 daté mai 2000 à la page 42 (5399 mots) | Gratuit
L'homme préhistorique était-il religieux? Il est difficile de répondre à cette question, en premier lieu parce que sous cette forme elle est mai définie. "L'homme préhistorique" est en effet une notion relativement floue ; et, pour, d'autres raisons, la notion de religion ne l'est pas moins. Art, symboles, rites, religion : il est délicat en ces matières d'avoir un langage et des critères parfaitement nets. Au début de ce siècle, une interprétation répandue voulait que l'art pariétal ait eu essentiellement une fonction magique ; cette façon de voir reposait sur des comparaisons et des extrapolations hâtives. Dans l'article qu'on lira ci-dessous, A. Leroi-Gourhan s'attache à montrer combien il est difficile de reconstituer la signification précise des représentations qui nous sont parvenues. Non seulement nous n'avons aucun témoignage "verbal", mais nous ne savons pratiquement rien des comportements, des actes dont ces représentations étaient le décor. Aux excès de la "légende dorée" du paléolithique, A. Leroi-Gourhan préfère substituer une vision plus prudente et plus critique.

Aborder le problème des origines du comportement religieux autrement que sur le plan philosophique ou théologique suppose que le lecteur a une vision claire de ce qu'est "l'homme préhistorique" : un ruban long de 2 millions d'années, dont l'un des bouts se perd en plein tertiaire dans un anthropien déjà bipède mais à petit cerveau, alors que l'autre aboutit entre -100 000 et -50 000 à des humanités proches de la nôtre, et en tout cas vers -30 000 à un Homo sapiens pratiquement identique à celui des races actuelles. Dans cette perspective vertigineuse sur l'évolution des anthropiens, il est évident que les informations s'amenuisant à mesure qu'on plonge vers le passé, que d'autre part l'émergence de l' Homo sapiens coïncide avec la croissance exponentielle des innovations dans tous les domaines, de sorte qu'à un liséré près, lorsqu'on parle de l'homme préhistorique, il s'agit de notre grand aïeul, qui vivait à la fin du paléolithique en un temps qui est à peine un avant-hier géologique, ancêtre à qui nous ne pouvons pas prêter une imagination inférieure à la nôtre et qui l'atteste d'ailleurs amplement.

L'homme préhistorique était-il religieux?

Il y a trois quarts de siècle que la question de la religiosité de l'homme préhistorique s'est posée, et tout de suite sur un mode "engagé". C'est sous la forme d'une polémique violente que cléricaux et anticléricaux ont développé leurs arguments sur l'existence de pratiques funéraires et sur le caractère magique des oeuvres d'art. Le débat a heureusement perdu peu à peu de sa passion, et depuis de nombreuses années, l'accord est pratiquement unanime pour prêter à l'"homme-préhistorique" une lueur plus ou moins vive sur les profondeurs de la métaphysique. Cette opinion est essentiellement fondée sur la comparaison avec ceux des groupes humains actuels qui sont considérés comme primitifs, comme les Australiens ou les Esquimaux, et sur ce qui est considéré comme archaïque dans le monde moderne, comme la magie et les superstitions. L'ethnographie a été par conséquent le moteur des théories sur la religion préhistorique, suivant une démarche d'assimilation logique mais tarée par la confusion entre la constatation des faits et leur interprétation : le fait préhistorique, coupé de tout contexte, y est expliqué à partir d'un fait ethnographique dont le contexte est utilisé sans appareil critique. Cette méthode, encore assez vivante, est aggravée par le fait que ni le préhistorien ni même souvent l'ethnologue invoqué n'ont pu échapper à leur propre ethnocentrisme, et que finalement l'infortuné homme préhistorique se trouve assimilé à un "sauvage" actuel, lui-même victime d'une vision orientée par 3 000 ans de civilisation méditerranéenne. Que rien d'humain ne soit étranger au philosophe représente peut-être le seul côté positif d'une telle opération qui aboutit, en fait, à faire que les hommes de la période la plus avancée du paléolithique ont eu quelque chose de commun avec l'humanité subséquente, mais si ce mode de démonstration est excusable chez les pionniers, il est moins justifié par la suite.

Une des victoires de l'ethnologie moderne a été de montrer à la fois la simplicité universelle de certains schémas de comportement et l'extrême diversité et complexité de leur actualisation ethnique. L'expérience des recherches préhistoriques conduit à penser que si l'on peut raisonnablement espérer mettre au jour des témoins de la structuration fondamentale du comportement, les difficultés d'accéder aux formes qui habillaient ce squelette sont très rapidement croissantes. En dehors du contenu oral des actes, contenu dont rien ne permet de penser qu'on puisse un jour le retrouver, de quelles preuves dispose le préhistorien pour restituer le dogme, le culte, le rituel, les techniques de la magie, les attitudes superstitieuses? Dans quelle mesure ces catégories, qui ne sont même pas applicables avec sécurité à toutes les "religions" vivantes et dont une part est par contre applicable à des comportements sociaux qui sont considérés comme étrangers à la religion, ont-elles une valeur pour éclairer les faits bruts que révèle l'analyse? La déperdition irrémédiable des témoins immatériels comme les paroles et les gestes, la conservation hautement sélective des vestiges matériels qui nous prive pratiquement de tout ce qui n'est pas pierre ou exceptionnellement matériel osseux, le caractère trop souvent déficient des observations de contexte, que ce soit au cours de fouilles ou au cours de la découverte de cavernes où nul n'avait pénétré depuis le passage des paléolithiques, suscitent plus encore à la préhistoire qu'à l'histoire des besoins impérieux de critique des sources.

Un problème préliminaire : comment définir le phénomène religieux ?

Au premier chef, il semble qu'il faille, au préhistorien tout au moins, adopter une définition élargie et en quelque sorte ouatée du phénomène religieux, qui n'est pas formellement séparable des phénomènes d'élaboration symbolique liés au langage et à l'activité gestuelle. En d'autres termes, le religieux, dans la mesure de l'information préhistorique, peut-il être distinct de l'esthétique et de toute forme de l'imaginaire ? Le fait que le plus clair des arguments invoqués tourne autour du cadavre et de l'oeuvre d'art apparaît alors moins comme une coïncidence que comme un truisme, la mise en évidence d'une réalité fondamentale, non spécifique sinon de l'homme universel et par conséquent non significative au plan où l'on souhaiterait se situer. Mais c'est une ouverture vers le rapport étroit de l'imaginaire et du langage, ce qui porte l'investigation sur un champ moins fermé qu'il n'apparaît de prime abord.

En effet, la paléontologie des anthropiens, depuis les formes qui remontent à plus d'un million d'années jusqu'au paléolithique supérieur de -35 000 à -9 000, rend compte de l'évolution volumétrique du cerveau et du développement progressif des territoires corticaux associés à une détermination de plus en plus fine de la motricité volontaire. Or les territoires dont l'expansion est privilégiée répondent à la face, à la langue, au larynx et à la main, matérialisant sur la face interne de la boîte crânienne des anthropiens fossiles le perfectionnement simultané du langage et de l'activité manuelle. A partir d'un seuil du développement des territoires fronto-pariétaux, seuil qui se situe dans la période immédiatement antérieure à l'expansion de l' Homo sapiens approximativement -50 000 -30 000 apparaissent les premières manifestations d'une activité esthétique sous forme de la recherche de l'ocre rouge, de minéraux de forme singulière coquillages fossiles ou pierres bizarres, griffonnages indistincts sur des blocs et sur des fragments d'os. C'est aussi de cette époque que datent les premières sépultures connues. Si le langage est perdu, les oeuvres de la main portent donc témoignage de l'entrée des anthropiens dans l'expression symbolique. Par le détour de l'anthropologie physique, les rapports virtuels entre langage et émergence dans l'abstrait, entre soins au mort et activité figurative se trouvent approfondis, et les limites du religieux possible situées quelque temps avant l' Homo sapiens . Ce "quelque temps" est d'ailleurs à considérer à l'échelle géologique, car le jour qui s'est levé sur l'art des cavernes a été précédé d'une aube et d'une aurore prolongées.

Il est donc difficile de séparer la religion et l'activité esthétique au sens le plus large : l'ensemble des manifestations répond à un processus d'exaltation sociale, de multiplication des symboles, qui est à prendre comme un tout. Ici, la comparaison ethnographique peut légitimement jouer, car elle porte sur le comportement fondamental de l'homme à partir d'un certain point de son évolution : tous les groupes humains et notamment ceux qui sont réputés archaïques offrent les mêmes recoupements entre la parure, les amulettes, les instruments de la magie, les insignes sociaux, le décor du palais et du temple, les mêmes symboles pouvant couvrir simultanément ou successivement les différentes zones de l'enveloppe intellectuelle de la société. Il convient donc de considérer d'abord les témoins par catégories concrètes sépulture, objets, plaquettes et blocs mobiles décorés, parois décorées, de rechercher ce qu'ils peuvent avoir de commun ou de particulier, c'est-à-dire s'efforcer de retrouver au moins une partie du réseau qui les liait des uns aux autres de manière significative, et non s'efforcer de faire entrer les faits dans des catégories abstraites comme rituel, magie, envoûtement, clans, totémisme.

Les pratiques funéraires ne sont pas la preuve absolue de croyances métaphysiques.

Il n'est pas établi que les anthropiens les plus anciens n'aient pas eu des pratiques funéraires, mais par contre on connaît des inhumations authentiques de longs millénaires avant qu'on soit en présence de d' Homo sapiens ; les néandertaliens d'Europe et du Moyen-Orient ont livré de substantielles observations sur l'enfouissement des corps dans une fosse ou sous un monticule de pierraille. Il existe même le cas, en Irak, d'un homme de Neandertal que l'analyse des pollens fossilisés dans la terre qui l'emprisonnait a révélé avoir été couché sur un véritable lit de fleurs au moment de son enfouissement. A partir de -30 000, les faits se multiplient, les modes d'inhumation sont variés, mais ils font intervenir de manière fréquente l'ocre rouge répandu en plus ou moins grande quantité dans la fosse, et dans plusieurs cas il existe un mobilier funéraire. L'exemple le plus impressionnant est celui des sépultures de Soungir, dans la région de Moscou, où un adulte et deux enfants ont été retrouvés revêtus d'une parure de centaines de perles d'os et de dents d'animaux percées et, pour les enfants, flanqués de poinçons d'os et de sagaies d'ivoire de mammouth. Il est donc certain que la mort a donné lieu, dans la dernière partie du paléolithique, à des réactions affectives qui se sont traduites par la mise à l'abri du corps des défunts, mais il faut se garder de considérer l'inhumation pure et simple comme la preuve d'une croyance dans la survie et dans l'existence d'un monde au-delà du monde des vivants : le mort, tant qu'il conserve parole et geste retranchés son aspect ordinaire, appartient encore au monde des vivants et sa mise en sommeil dans la terre n'implique pas directement son réveil ultérieur : les animaux supérieurs ont eux aussi des réactions affectives parfois prolongées à l'égard du cadavre de leurs semblables, réactions qui n'impliquent pas autre chose que ce qu'elles sont. Mais il est évident que certains documents du paléolithique supérieur dépassent ce niveau élémentaire du comportement funèbre. L'usage de l'ocre ne correspond probablement pas seulement à une ultime décoration ; plus encore, la présence d'épieux d'ivoire, armes d'adultes, aux côtés d'un corps d'enfant d'au plus une dizaine d'années, suggère le dépôt d'un armement en prévision d'un futur.

L'ensemble des faits relatifs à la mort autorise à prêter à l'homme préhistorique une arrière-pensée métaphysique, mais sans perdre de vue d'abord que l'on ne dispose de faits probants que pour quelques-uns des hommes de la dernière période du paléolithique, et ensuite que les idéologies d'un siècle à l'autre et d'une région à la voisine ont pu considérablement varier en profondeur et en élaboration matérielle. Il est donc impossible, sans forcer les matériaux, de restituer le niveau d'après-mort, tel qu'il était perçu par les différents groupes humains : image inexplicite de la vie perdue, départ pour un au-delà à séjour perpétuel ou à extinction progressive, retour au monde des vivants sous une forme réglée par les coutumes sociales aïeul revenant dans le petit-fils par exemple, ou anarchique, ou sanctionnée par une justice, transcendante. La mort pouvait aussi être liée directement à la fécondité, en particulier la mort des animaux, gage possible de leur renouvellement. Mais tous les efforts dépensés n'aboutissent qu'à un catalogue d'hypothèses entre lesquelles il est le plus souvent arbitraire de choisir. On peut toutefois considérer que l'on est très loin d'avoir atteint les limites de ce qui pourrait, dans les documents funéraires, aboutir à un approfondissement des connaissances ; des observations multiples et précises devraient conduire à la mise en évidence des caractères régionaux et à leur évolution dans le temps, seules voies pour mesurer avec une certaine sécurité la complexité des pratiques, pour non plus avancer les explications à partir des hypothèses, mais pour expliquer les hypothèses à partir des faits.

Il n'est aucunement certain que l'ocre rouge ait été un symbole de vie.

La présence de l'ocre rouge est presque constante dans les sépultures et dans les habitations, et depuis très longtemps il est admis que ce colorant avait une valeur symbolique. Le fait, en particulier, de voir dans certaines sépultures, le sol de la fosse et les ossements teintés a fortement porté les préhistoriens à considérer l'ocre comme un équivalent du sang et par conséquent comme un symbole de la vie. De là à tenir comme établi qu'on redonnait la vie au mort en le couvrant d'ocre rouge, la distance est courte, mais une fois de plus l'explication dépasse l'analyse exhaustive des témoignages et par conséquent incite à s'en dispenser. Que l'ocre rouge soit un colorant chargé de symbolisme n'ôte rien à sa qualité de colorant et il serait pertinent de faire d'abord le tour de tous les cas où il en a été fait emploi. Ces cas se rangent en quatre grandes catégories au moins :

1° Comme colorant utilisé souvent conjointement avec le noir de manganèse pour l'exécution des peintures. Il n'est que probable dans certains cas qu'un symbolisme particulier ait joué.

2° Dans les régions où l'ocre n'est pas une matière rare, le sol des habitations paléolithiques est plus ou moins fortement teinté. L'explication peut faire jouer toute une série d'hypothèses : saupoudrage rituel de l'espace habité, sacralisation, rite de départ ou de retour de chasse, retombées d'ocre ayant servi à des peintures corporelles ou à teinter les armes, les peaux, la couverture des tentes dans un but simultané ou distinct de simple embellissement ou de prophylaxie religieuse.

3° On connaît plusieurs cas, dans les grottes, où des dépressions ovales ont été badigeonnées d'ocre rouge dans le but apparent de féminiser une forme naturelle qui s'y prêtait voir plus loin "la caverne-mère".

4° L'ocre funéraire qui, en considération des catégories précédentes, peut matérialiser des mobiles qui ne sont pas forcément tous liés au symbolisme vital. Celui-ci n'est d'ailleurs pas dénué de vraisemblance, mais, sans même faire jouer les différences probables dans le détail des coutumes régionales, tout un éventail d'explications est disponible, depuis l'hypothèse de la trace laissée par une peau teinte en rouge qui aurait enveloppé le mort sans qu'on y ait attribué d'arrière pensée religieuse, jusqu'aux reconstitutions les plus osées d'un rituel d'inhumation vitalisant.

Une fois encore, non seulement la séparation entre l'esthétique et le religieux s'avère peu scientifique, mais il apparaît que si les termes de comportement fondamental sont formellement définissables, on ne voit pas bien, pour le détail du vécu, sur quoi pourrait se fonder le choix d'une solution parmi les autres.

De même, il n'est pas certain que l'art paléolithique ait eu une fonction magique

Un peu avant 1870, les objets décorés par les chasseurs de mammouths du paléolithique supérieur ont commencé à retenir l'attention : par contre l'art des cavernes n'a percé que presque un demi-siècle plus tard. Attribuées initialement à des élans purement artistiques, les oeuvres sont entrées dans le dossier de la religion fossile au début du xxe siècle, sous l'inspiration des travaux ethnologiques qui révélaient les liens entre art et religion chez les derniers chasseurs des confins du monde habité. Les figures paléolithiques sont essentiellement des représentations d'animaux, d'êtres humains relativement rares, de symboles génitaux concrets ou abstraits qui n'existent pratiquement que dans les grottes. L'art mobilier, généralement découvert en fouillant les sites d'habitat, comporte de nombreux objets gravés ou sculptés, il s'étend depuis l'Atlantique jusqu'aux confins sibériens. Il est attesté à toutes les époques du paléolithique supérieur, de -30 000 vers -9 000. L'art pariétal propre aux abris et aux grottes est fait de gravures, de bas-reliefs et de peintures : sauf un site près de l'Oural, il intéresse essentiellement l'Espagne, l'Italie et la France. Ses limites chronologiques sont approximativement les mêmes que pour l'art mobilier, mais sa période d'apogée se déroule des environs de -15 000 jusque vers -10 000, avec, dans plusieurs cas, pénétration de plus en plus profonde dans les cavités.

Les pionniers de la recherche sur l'art des cavernes sont symbolisés par l'abbé Henri Breuil, qui marqua d'une empreinte prestigieuse les travaux de la première moitié de notre siècle. Pour lui, ou pour ses partisans,l'art paléolithique aurait été essentiellement magique : l'envoûtement, la capture des esprits, une sorte de chamanisme, des rites de fécondité auraient commandé l'exécution des objets mobiliers comme celle des décors pariétaux. Les figures sur parois répétées à la mesure des besoins de la tribu se seraient succédé au cours des millénaires, au point de constituer des nuages d'images aussi denses que ceux d'Altamira ou de Lascaux. Un peu à l'insu des inventeurs d'explications, assez souvent modérés dans leurs élans, toute une imagerie s'est ainsi créée autour de l'homme préhistorique, imagerie copieuse mais pauvre, où totémisme, initiation, chasse simulée. danses masquées, juments gravides ont alimenté pendant un demi-siècle une littérature qui a progressivement pénétré dans les masses.

En 1957, Mme Laming-Emperaire a émis, après l'étude de deux des principaux ensembles peints de France Lascaux et Pech-MerIe, une série de vues qui tranchaient nettement sur les positions traditionnelles. Dans leur contenu, ces vues conduisaient à considérer les figures des cavernes comme organisées en compositions significatives et non comme l'accumulation anarchique de figures d'époques successives. Le thème autour duquel les différentes figures gravitaient était constitué par l'association constante du bison ou de l'aurochs avec le cheval. Ce résultat très important convergeait avec les travaux que je poursuivais moi-même à cette époque, travaux qui ont eu pour base de départ l'art pariétal dans sa chronologie, puis qui se sont développés dans une analyse quantitative du groupement des figures dans les différentes régions des panneaux décorés ou de la caverne tout entière. Il en est ressorti un schéma complexe, comme il était naturel dans l'étude d'une centaine de sites distribués sur une large partie de l'Europe occidentale durant près de 20 000 ans. Dans l'art mobilier les animaux ou les figures humaines apparaissent tantôt isolés, tantôt groupés suivant les principes qui seront décrits ci-dessous. Dans l'art pariétal, du fait que les figures sont restées fixées sur les parois, là où l'homme paléolithique les a tracées, il est plus facile de constater la nature des associations entre les sujets.

Les représentations pariétales obéissent à une disposition essentiellement binaire dont la signification n'est pas évidente.

Il n'existe pas de caverne où une seule espèce soit représentée, sinon par un individu encore ce cas est-il statistiquement inexistant : en majorité écrasante, les espèces vont par deux suivant la formule cheval-boviné groupe A-B ; avec une fréquence moindre apparaît un troisième élément : cerf, mammouth, bouquetin ou renne groupe C qui est souvent limité à une seule espèce mais peut aller jusqu'à comporter les quatre. La formule la plus fréquente est par conséquent A-B-C. Avec une moindre fréquence encore, on peut voir s'ajouter l'ours, le grand félin, le rhinocéros groupe D, par une seule espèce ou dans les mêmes conditions que pour le groupe C. La formule complète A-B-C-D se rencontre par exemple à Lascaux suivant les régions de la caverne : cheval-aurochs-bouquetin, chevaI-bison-cerf, cheval-bison-rhinocéros, cheval-aurochs-ours, cheval-bison-bouquetin-félin ... . On verra plus loin que cette répartition est fonction d'une certaine disposition spatiale. A peu d'exceptions près, le schème fondamental de l'art pariétal et dans une mesure notable de l'art mobilier est donc, pour les animaux, une triade A-B-C ou A-B-D éventuellement A-B-C-D avec des proportions numériques qui sont de 27 % pour le groupe A, 28 % pour le groupe B, 32 % pour le groupe C mais avec des fréquences suivant les espèces, qui vont de 9% pour le mammouth à 0,3% pour le daim à bois géants, 3,5 % pour l'ensemble du groupe D. Les 10 % qui restent vont à des figures rares : poissons, serpents, oiseaux, carnassiers autres que le félin et l'ours.

Les signes S se répartissent eux aussi en deux catégories fondamentales S1-S2 et une catégorie complémentaire S3 dans laquelle il n'est jusqu'à présent pas établi une différenciation comparable à celle qui existe entre C et D. La catégorie S1 est constituée par des symboles génitaux féminins qui vont de la représentation complète de la femme, au torse avec représentation du sexe, à la vulve réaliste, à des figures de plus en plus stylisées en ovale, en triangle, en cercle, en rectangle, avec ou sans indication d'une fente à la partie inférieure. Ces différents mondes de figuration marquent une évolution dans le temps et dans l'espace, et j'ai été conduit à les interpréter comme symboles féminins au cours d'un travail qui était orienté uniquement sur leur valeur comme jalons chronologiques et régionaux. Les signes des catégories S3 et S4 correspondent à des variantes sur le symbole génital masculin figuré par l'homme complet, par le phallus, par des représentations d'un schématisme croissant qui se résolvent en bâtonnets crochus ou barbelés, en traits simples, doubles ou multiples, en lignes ou en nappes de points, voire en un point unique. Comme les animaux, les signes répondent à un dispositif fondamental binaire S1-S2 qui assez souvent prend un caractère ternaire par le voisinage de deux formes différentes de symboles masculins; de sorte qu'à un signe S1 se trouvent associés par exemple un bâtonnet et une nappe de points S1-S2-S3.

Animaux et signes répondent par conséquent aux mêmes formules fondamentales, logiquement binaires et encore accusées par le fait que les animaux de même espèce apparaissent fréquemment par couples mâle-femelle. Mais le dispositif est moins simple que ne laisserait supposer une explication uniquement fondée sur la symbolique de fécondité : l'élément Initial est la présence de deux espèces A-B cheval-boviné confrontées à deux catégories de signes masculins et féminins. On serait donc tenté d'attribuer au cheval et au bison la même valeur symbolique ou tout au moins une bivalence d'un même ordre qu'aux symboles des deux catégories S1 et S2 voir encadré. Enfin, il faut souligner comme une notion indispensable pour mesurer le caractère abstrait du système figuratif paIéoIithique qu'il n'existe jusqu'à présent dans l'art pariétal comme dans l'art mobilier, aucune représentation réaliste d'accouplement animal ou humain. Mais avant de pousser plus avant dans le monde symbolique des cavernes, un court survol de l'art mobilier est nécessaire.

Décorations ou amulettes?

Les objets. La fonction des objets d'art paléolithique est le plus souvent conjecturale ; on ne sait pas à quel usage servait tel modèle de spatule, ni si telle forme de pendeloque était portée en collier ou cousue sur le vêtement, mais on peut, sans préjuger de leur fonction technique dans le détail, ni de leur signification ésotérique, classer les objets d'art mobilier en trois grands groupes : les "objets décorés", les "objets décoratifs" et les plaquettes ou les blocs. Ces différents témoins se partagent les mêmes catégories de figures animales et humaines que l'art pariétal, mais dans des modalités qui ont leur propre signification. En effet, si l'on retrouve sur certains d'entre eux plaquettes et blocs les mêmes combinaisons d'animaux associés que dans les représentations pariétales, beaucoup d'autres attestent l'indécision des limites entre la fonction décorative et la fonction religieuse.

Les objets décorés sont ceux dont la forme suppose une fonction technique, qu'elle ait été propre à des opérations de fabrication, d'acquisition, ou de consommation, ou qu'elle ait été dévolue à des opérations magiques par exemple ; tels sont les spatules, les propulseurs censés avoir servi à augmenter la portée des armes de jet, les "bâtons de commandement", les pointes de sagaies, toute une série d'objets dont on sait seulement qu'ils ont servi par manipulation et qu'ils sont en quelque sorte pris dans une enveloppe décorative. Parmi ces objets, certains, comme les propulseurs, présentent une imagerie très éclectique : leur extrémité active porte en général un seul animal, qui peut appartenir à n'importe lequel des groupes A, B, C, D. Il en est tout différemment pour les spatules, qui ne portent que des poissons, auxquels s'ajoutent parfois quelques figures du groupe A ou C. Il est bien entendu impossible de séparer l'esthétique de ce qui pouvait être magiquement efficace, mais il est à peu près certain que, sous une forme ou une autre, l'enveloppe décorative de ces objets avait un caractère symbolique. Le fait est encore plus net pour les "objets décoratifs" qui regroupent tout ce qui n'a pas eu de fonction technique apparente. Tels sont les objets aménagés pour la suspension, les "pendeloques", parmi lesquelles ressortent au moins trois catégories. La première est celle des dents de renard, de loup, d'ours et d'autres carnassiers ou d'herbivores, les nombreuses coquilles de mollusques percées, objets dont la fonction décorative est seule évidente, mais dont la valeur symbolique est, pour certains, très probable. Telles sont les coquilles de cyprées cauries, qui ont manifestement été recherchées, au paléolithique comme dans les temps postérieurs, pour leur forme qui évoque le sexe féminin.

Dans certains cas, la fonction symbolique est certaine.

Ce fait est confirmé par l'existence de pendeloques de matière osseuse dont la forme ou le décor sont également de caractère sexuel. Cette ambiance dans laquelle les vertus prophylactiques sont indiscernables des propriétés esthétiques de la parure est confirmée par des objets comme des fragments de pointes de sagaie, transformés en pendeloques, sans caractère décoratif et dont la fonction symbolique devait être dominante. Cette dernière catégorie d'objets rejoint celle des "objets de curiosité" : fossiles, fragments minéraux de forme bizarre dont le rôle symbolique est évident mais dont l'interprétation ne peut se faire sans recourir à des hypothèses difficilement contrôlables. L'art des objets décorés et des objets décoratifs montre par conséquent un dépassement de la fonction purement décorative, et quoiqu'il soit toujours dangereux de grever les documents d'un sens trop précis, le rôle d'"insignes" ou d'"amulettes" allait certainement de pair avec la recherche purement esthétique des formes.

La troisième catégorie d'oeuvres mobilières est constituée par les nombreuses figures, parfois sculptées ou peintes, généralement gravées, qui ont été exécutées sur des fragments d'os ou d'ivoire, sur des plaquettes de pierre tendre, sur des galets ou des blocs. Elle comporte aussi les figurines modelées en argile qui se rencontrent en Europe centrale. Les figures, sur les différents supports, se présentent tantôt isolément, tantôt par groupes. Dans ce dernier cas, on retrouve le plus fréquemment les assemblages A-B ou les formules ternaires qui font intervenir les groupes C et D. Certains supports portent même sur une face le sujet A, sur l'autre le sujet B. De ces constatations, il ressort assez clairement que les figures isolées plaquettes ou figurines devaient être assemblées dans l'habitat comme dans le laraire antique ou comme dans la crèche de Noël. Elles établissent, plus nettement encore, que la formule figurative des images domestiques est l'équivalent de la formule pariétale, ce qui entraîne de nouveau vers la caverne.

Un symbole génétique : la caverne-mère.

Les figures pariétales ont en effet une valeur incomparable comme témoins de la pensée paléolithique, la valeur d'un véritable texte puisque les images ont conservé les rapports spatiaux qui se sont imposés à l'esprit des exécutants. On a vu plus haut qu'une nette hiérarchie numérique existait dans les sujets et que les groupes A et B cheval et bovlné représentaient de très loin la majorité des figures 27-28 %, contre 9 % au plus favorisé des animaux du groupe C. Une hiérarchie topographique assez complexe corrobore l'existence du système binaire : les figures A et B occupent préférentiellement les grands panneaux ou la partie centrale du trajet décoré ; les figures C et D la périphérie des panneaux ou les régions marginales des trajets, le groupe D félin, rhinocéros se situant dans les parties les plus retirées. De sorte que si l'on prend le plafond d'Altamira, on a la formule C-A+B-D cervidé-cheval + bison- sanglier ou le grand panneau d'Ekain en Guipuzcoa C-A+ B-D, avec chevaux et bisons dans la surface centrale, et sur le pourtour poisson, bouquetin et cervidé. Les signes occupent en général un espace séparé de celui des animaux, soit la bordure des panneaux, soit plus souvent une niche, un diverticule, une fonte à proximité plus ou moins grande : mais il y a des cas où les signes sont superposés aux animaux eux-mêmes.

Le rapport métaphysique entre les signes et les figures d'animaux n'est pas élucidé, car il offre de nombreuses variantes de position suivant les régions et les époques, mais dans tous les cas où la décoration pariétale est raisonnablement bien conservée, on retrouve à la fois le groupement préférentiel A-B avec les animaux C ou C-D en situation topographique significative, et les signes S1+2 avec intervention locale de S3. A ces caractères s'ajoute le fait que la caverne elle-même semble bien avoir été valorisée comme symbole génétique, car dans de nombreux cas, les passages étroits, les niches, les entrées de petits couloirs, les draperies de stalactite de forme ogivale ont manifestement été considérés comme des symboles du groupe S1, soulignés d'ocre rouge et ou complétés par un signe des groupes S2S3.

Le contenu précis de la religion préhistorique nous échappe encore.

En conclusion, sur l'ensemble des témoignages en faveur de pratiques religieuses au paléolithique, les documents qui se réfèrent aux temps éloignés du paléolithique ancien sont très impropres à fournir une démonstration ; ce n'est guère qu'à l'apparition des néandertaliens que les pratiques d'inhumation peuvent fonder un préjugé favorable. Si par surcroît on recherche l'existence d'un cadre de symboles explicitement constitués comme preuves d'une curiosité métaphysique, surplombant les opérations de la vie matérielle, ce n'est pas avant -35 000, avec le début du paléolithique supérieur, que la démonstration peut être envisagée. L'analyse des objets d'art mobilier et surtout celle de l'art des parois de cavernes livrent sans ambiguïté les lignes générales d'un système figuratif analogue à ceux qui depuis ce temps ont accompagné les activités religieuses. Ce système fondamental répond d'ailleurs à une formule qui a été éprouvée par de nombreuses traditions religieuses ; il est fondé sur l'opposition ou la complémentarité de deux entités auxquelles s'ajoute un troisième élément qui transforme la formule binaire en formule ternaire. En ce sens, la caverne apparaît à la fois comme une entité maternelle et comme le support matériel d'une mythologie. Mais il ne faut pas se méprendre sur le caractère du témoignage : la décoration pariétale des grottes est comme la décoration murale des sanctuaires ultérieurs, elle livre un assemblage symbolique de figures qui ne matérialise pas des rites mais qui en était le décor. Les traces que peuvent avoir laissées les rites ne sont pas sur les parois décorées mais à leurs pieds et sur le sol généralement anéanties par les visiteurs.

En marge des grandes représentations, on rencontre effectivement, dans des cas privilégiés, des graffiti, des empreintes de pas humains, l'impression de pattes d'animaux coupées et appliquées sur l'argile, des signes tracés au doigt sur les parois molles, c'est-à-dire les très modestes témoins qui subsistent d'actes dont le déroulement s'est fait dans le cadre des grandes images.

La décoration pariétale, elle-même, répond à une formule si générale que son contenu mythologique est pratiquement insaisissable. On perçoit très bien qu'une métaphysique de la mort et de la fécondité a pu sous-tendre les représentations, mais vingt contenus ont pu, au cours des millénaires et dans les différentes régions, entrer dans la formule binaire-ternaire d'association des animaux et des signes. La religion préhistorique est démontrée, mais dans une formule abstraite ; sa richesse et sa complexité sont perceptibles dans les variantes de la formule initiale, mais les explications des préhistoriens sur le chamanisme, les totems, la division des clans, l'envoûtement du gibier, la magie de fécondité, les rites d'initiation sont du domaine de l'hypothèse de cabinet, vraisemblable parce que tout est dans l'homme et que celui du paléolithique supérieur est un homme pleinement réalisé, mais gratuite parce que fondée directement sur des matériaux qui ne peuvent apporter que des preuves indirectes. Cette erreur de méthode a permis la naissance d'une légende dorée, mais elle a coûté pendant presque un siècle de nombreuses occasions d'observer les traces, encore visibles lors de la découverte, de ce qui pouvait apporter un témoignage direct sur les actes.

Par André Leroi-Gourhan

 

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MALADIES AUTO-IMMUNES

 

maladie auto-immune
système immunitaire
Cet article est extrait de l'ouvrage « Larousse Médical ».
Maladie caractérisée par une agression de l'organisme par son propre système immunitaire.

système immunitaire
Les maladies auto-immunes, fréquentes, concernent surtout la femme en période d'activité génitale (→ appareil génital féminin). Leurs causes précises sont mal connues. En effet, les facteurs favorisant l'apparition d'une auto-immunité sont nombreux, liés à l'hérédité ou à l'environnement ; ces maladies sont dites plurifactorielles.
1. Les différents types de maladie auto-immune

Les maladies auto-immunes sont classées en deux catégories :
1.1. Les maladies spécifiques d'organes

Glande thyroïde

Glande thyroïdeNeurones et transmission synaptique des influx nerveuxPancréas
Les maladies spécifiques d'organes sont diverses : thyroïdite d'Hashimoto, dans laquelle la glande thyroïde est infiltrée par des lymphocytes qui la détruisent ; myasthénie, où des anticorps dirigés contre le récepteur de l'acétylcholine empêchent ce médiateur de franchir l'espace entre la terminaison nerveuse et le muscle (la plaque motrice), et rendent donc impossible une contraction musculaire normale ; diabète juvénile insulinodépendant, au cours duquel les cellules bêta des îlots de Langerhans du pancréas ne peuvent plus produire d'insuline.
Réponse immunitaire
L'offensive du système immunitaire contre un organe peut être la conséquence d'une modification de l'un des antigènes des cellules de cet organe sous l'effet d'un virus ou d'un médicament, mais l'agression ne peut se produire que dans un contexte génétique précis.
1.2. Les maladies non spécifiques d'organes

Les maladies non spécifiques d'organes appartiennent au groupe des maladies systémiques (autrefois appelées connectivites ou collagénoses), et comprennent, notamment, le lupus érythémateux disséminé, la polyarthrite rhumatoïde, la sclérodermie, le syndrome primaire des anticorps antiphospholipides, le syndrome de Gougerot-Sjögren et la dermatopolymyosite.

Anticorps

Au cours de ces maladies, des autoanticorps, dirigés contre les constituants du noyau de n'importe quelle cellule, apparaissent. Ces anticorps antinucléaires sont particulièrement importants dans le lupus érythémateux disséminé. On peut également observer des anticorps dirigés contre des immunoglobulines de classe G. Ces derniers constituent les facteurs rhumatoïdes de la polyarthrite rhumatoïde. Existent également des autoanticorps dirigés contre les phospholipides et responsables de thromboses veineuses, ainsi que d'avortements répétés. En s'associant avec leurs cibles, les anticorps forment des complexes immuns circulants, qui peuvent se déposer dans les vaisseaux et y provoquer d'importantes lésions. Mais ce mécanisme, encore discuté, ne vaut que pour certaines maladies auto-immunes. L'artériosclérose pourrait ainsi présenter une composante auto-immune.
2. Le traitement des maladies auto-immunes

Le traitement de la plupart des maladies auto-immunes ne peut agir que sur les symptômes et fait actuellement appel, principalement, aux corticostéroïdes et aux immunosuppresseurs ainsi que, parfois, aux plasmaphérèses (échanges plasmatiques consistant à extraire les substances indésirables du sang).
Des recherches sont en cours dans le domaine de l'immunothérapie qui portent, en particulier, sur l'utilisation de cytokines (substances de régulation du système immunitaire) telles que les interférons ou, à l'inverse, d'anticorps monoclonaux, tels les anticorps contre le TNF (une cytokine produite en excès dans la polyarthrite rhumatoïde) ou les anticorps contre le CD 20 (une molécule portée par les lymphocytes B anormalement actifs dans le lupus érythémateux disséminé).

 

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AUGUSTE

 

Auguste
en latin Caius Julius Caesar Octavianus Augustus
Auguste
Cet article fait partie du dossier consacré à la Rome antique.
Empereur romain (Rome 23 septembre 63 avant J.-C.-Nola 19 août 14 après J.-C.).
1. La montée d'Octave vers le pouvoir

1.1. L'héritier de César

Auguste
Fils de Caius Octavius Thurinus et d'Atia, nièce de César, Auguste porte d'abord le nom d'Octave ; être le petit-neveu de Jules César est la chance du jeune Octave. Le dictateur, qui a tôt remarqué son intelligence, veille à son éducation intellectuelle et militaire et l’adopte (45 avant J.-C.). Lorsque son adoption est officiellement reconnue, un an après l’assassinat de César, il devient C. Julius Caesar Octavianus, Octavien. Mais il n'aimera jamais être appelé ainsi ; d'ailleurs, pour tous, n'est-il pas déjà César ? Il a alors tout juste 20 ans.
Au milieu des intrigues menées par les sénateurs d'un côté, par Antoine, ancien lieutenant de César, de l'autre, Octave se conduit avec habileté. Il s'appuie d'abord sur le sénat, qui lui accorde l'imperium (la puissance publique, donc le droit de gouverner), puis sur l'armée pour se faire nommer consul (août 43), sans avoir rempli aucune autre charge du cursus honorum, la suite des honneurs qui devaient jalonner dans un certain ordre une carrière publique.
Pour venger la mort de César, Octave s'entend avec Antoine, alors consul, et avec le grand pontife Lépide, et forme avec ces derniers, à Bologne, un triumvirat qui se partage le monde romain. Tous leurs adversaires sont poursuivis : 300 sénateurs et 2 000 chevaliers sont proscrits ; la terreur et le meurtre emplissent Rome ; Cicéron est assassiné. Tous les magistrats et les sénateurs doivent jurer de respecter les actes de César. Octave prend militairement le contrôle de l'Afrique du Nord, mais il laisse la Sicile occupée par les républicains de Sextus Pompée, le fils du grand Pompée. Puis Antoine et Octave regroupent leurs troupes, et, avec 19 légions, débarquent en Grèce, où se trouvent les assassins de César, Brutus et Cassius, qu’ils éliminent à la bataille de Philippes (42).
Peu à peu, Lépide est écarté des responsabilités et des provinces qu’il gouvernait, même s’il reçoit l’Afrique en compensation. Antoine se rend en Orient, source d'or et de richesses ; Octave revient en Italie, où il distribue des terres à ses vétérans en expropriant de nombreux petits paysans.
1.2. Octave face à Antoine

De fait, Octave, maître de l’Occident, et Antoine, maître de l'Orient, se retrouvent face à face ; en octobre 40, les vétérans des deux armées, qui ne veulent pas d’une guerre fratricide, les forcent à s'entendre. En réalité, leur opposition grandit, bien qu'Antoine ait épousé Octavie, sœur d'Octave.
S'assurer d'abord le contrôle total de l'Occident
Octave élimine alors ceux qui pourraient s'opposer à lui en Occident : Sextus Pompée, qui continue, malgré les accords, à contrôler les routes maritimes, et peut à tout instant affamer Rome, est battu en 36 ; Lépide perd son titre de triumvir et doit abandonner ses provinces. Le 13 novembre 36 avant J.-C., Octave fait une entrée triomphale dans Rome. Avec une habileté politique consommée, il réalise alors l'unité morale de cette moitié du monde romain autour de sa personne. Il se présente déjà en conciliateur et en homme respectueux de la tradition. Il fait brûler les actes concernant la guerre civile, il abolit le tribut et supprime le banditisme en Italie par des mesures rigoureuses, il distribue des terres vacantes en Campanie à ses vétérans, il fait reprendre les grands travaux à Rome. Il entreprend enfin quelques expéditions destinées à stabiliser la situation dans certaines provinces frontières comme l'Illyrie et la Dalmatie, où il fonde des colonies. Très rapidement, l'opinion lui fournit l'appui dont il a besoin ; les assemblées populaires et le sénat sont sous son contrôle : il reçoit la puissance tribunitienne (les pouvoirs de contrôle des anciens tribuns de la plèbe) et le droit, comme César, de porter la couronne de laurier des triomphateurs.
La bataille décisive d'Actium
La rupture avec Antoine peut s'engager. Dès 35 avant J.-C., Octave réclame le renvoi de la reine d’Égypte, Cléopâtre, qui, auprès d'Antoine, a supplanté Octavie ; Antoine refuse. En 32 avant J.-C., Octave brusque les choses ; sous la menace de ses soldats, il oblige les consuls et les sénateurs partisans d'Antoine à s'enfuir. Il ordonne au sénat de sommer Antoine de rentrer à Rome et d'y déposer son imperium. Et il fait ouvrir le testament d'Antoine – conservé à Rome. Sa lecture prouve qu'Antoine fait de Césarion – le fils que César a eu de Cléopâtre – le véritable héritier de César, confirme les concessions territoriales faites à Cléopâtre aux dépens du peuple romain et demande à être enterré à Alexandrie, en Égypte. Le testament provoque la colère à Rome. Octave apparaît désormais comme le garant des traditions et des vertus du passé face au représentant dépravé de l'Orient.
Au cours de l'été 31, Octave, grâce à Agrippa, remporte la bataille navale d'Actium, au sortir du golfe d’Arta, en Grèce, contre la flotte d’Antoine et Cléopâtre. Un an plus tard, il se trouve devant Alexandrie, où Antoine et Cléopâtre préfèrent la mort à l'humiliation. L'ensemble du monde romain lui appartient, au nom de Rome, et l'Égypte devient province romaine. De retour à Rome, l’été 29, Octave peut célébrer trois triomphes éclatants. Puis, en 28 et 27, il reçoit du sénat, avec les titres d'auguste et de princeps, les pouvoirs répartis jusqu'alors entre différentes magistratures.
2. Le maître absolu de Rome

Un nouveau régime est fondé, qui fonctionne comme une monarchie derrière une façade républicaine. Le pouvoir d’Auguste n'est pas une entité institutionnelle, mais le regroupement complexe de diverses prérogatives, morales, juridiques, militaires, politiques, religieuses.
2.1. Les pouvoirs d’Auguste

Le surnom d'Augustus, qui entoure celui qui le porte de ferveur religieuse, fait d’Octave un nouveau fondateur de Rome à l'exemple de Romulus, et cet aspect lui confère une autorité (auctoritas) morale supérieure à celle de tous les autres Romains. Autorité morale mais qui peut en outre avoir des effets juridiques et permet d’exercer un contrôle sur les affaires publiques.
Autorité morale, prestige populaire et influence réelle sur le sénat
Princeps n'est pas à proprement parler un titre, mais un qualificatif pour désigner les personnages politiquement importants ; de plus, le mot a été mis à l'honneur par Cicéron. La notion est floue, mais elle jouit d'un grand prestige populaire (le peuple a appelé Octave princeps dès son retour d'Actium). Par la magie de ce nom, Octave est moralement au-dessus des autres Romains et est le garant du respect des droits de chacun de ses concitoyens ; le princeps peut légalement convoquer et présider le sénat et les comices (les assemblées du peuple), et leur soumettre des projets de loi. Par cet intermédiaire, Auguste peut accomplir son œuvre législatrice et réformatrice.
Auguste reste consul de 31 à 23 avant J.-C. ; il reçoit aussi du sénat un imperium proconsulaire sur les provinces frontières, ou qui ne sont pas encore pacifiées ; il possède ainsi la haute main sur les armées stationnées dans ces provinces, appelées maintenant « impériales », et qui sont gouvernées par des sénateurs dépendant directement de lui, les légats. Les autres provinces (les plus anciennes) sont dites « sénatoriales », et leurs gouverneurs ne dépendent, théoriquement, que du sénat.
→ consulat.
Le renforcement des pouvoirs du « prince »
En 23 avant J.-C. Auguste rend sa charge de consul mais aussitôt le sénat lui accorde un imperium proconsulaire supérieur à celui de tous les autres magistrats, à vie et en dehors de toute magistrature ; il a désormais le droit de lever des troupes et d'intervenir partout dans l'empire. Et il se fait de nouveau attribuer la puissance tribunicienne, qui lui sera désormais renouvelée tous les ans. Cumulant sur sa personne les pouvoirs exécutifs et le droit de contrôle que possèdent les tribuns, il détient désormais les rouages vitaux de l'État. Après cette date, Auguste refusera toutes les charges républicaines que le sénat ou le peuple veulent lui donner : il n'en a plus besoin.
2.2. La réorganisation de la cité

Auguste a ainsi créé un régime nouveau, mais un régime qui ne s'est pas immédiatement affirmé. Le princeps n'a pas voulu exécuter ses réformes avec brutalité ; il s’est servi des plus vieilles fonctions de la res publica, la république, en leur donnant un aspect nouveau non choquant pour ses contemporains.
Des classes sociales nettement définies
Auguste s'entoure d'un conseil impérial et le sénat, réformé, est dépouillé de la majeure partie de ses pouvoirs politiques. La société est administrée par un corps de fonctionnaires recrutés dans les classes supérieures : ordre sénatorial et ordre équestre. Ces deux ordres n'étaient ouverts qu'aux citoyens romains. Pour Auguste, le droit de cité est une dignité qui ne peut être accordée que comme récompense (ce fut le moyen de rallier à Rome les notables locaux des provinces désireux de montrer leur loyauté). Il rend plus strictes les conditions d'accès à la citoyenneté et limite dans sa portée réelle le très ancien principe selon lequel, sous la République, tout esclave affranchi par un citoyen devenait citoyen.
Cette société est donc hiérarchisée, mais elle est aussi très souple, car n'importe quel citoyen peut, s'il a une certaine fortune personnelle et l'aval du prince, entrer dans l'ordre équestre, y faire une partie de sa carrière, puis accéder aux fonctions de rang sénatorial.
Le retour aux vertus et aux traditions
Dans les tourmentes qui avaient agité Rome, les mœurs avaient connu un relâchement considérable, et l’opinion était lasse des turpitudes d'une société perpétuellement en quête de plaisirs et de richesses. L'équilibre de la cité souhaité par Auguste ne pouvait être fondé que sur une réforme des mœurs, qui repose en fait sur deux points : la restauration des traditions antiques et celle du groupe familial.
Le retour sur le passé est marqué par la critique du luxe, que l'on trouve chez un poète comme Horace. Il conduit aussi à retrouver une juste appréciation des valeurs de la terre, qui avaient fait la puissance de Rome ; le travail de la terre était le réceptacle des anciennes vertus de Rome. Virgile sut utiliser et répandre ce thème. De plus, c’est un moyen pour Auguste de faire admettre les dons de terre, en Italie, à ses vétérans.
Quant à la restauration de la cellule familiale, plusieurs lois initiées par Auguste limitent les héritages des célibataires (les femmes sont même soumises à un impôt spécial) ; les citoyens ont le devoir non seulement de se marier, mais aussi d'avoir des enfants. Auguste combat aussi l'adultère, qui se pratiquait sans gêne dans l'aristocratie (lui-même s’y était livré dans sa jeunesse) ; désormais, les coupables risquent la relégation dans les îles et la confiscation de leurs biens.
2.3. La restauration religieuse

La divinisation post mortem de son père adoptif par l'élan populaire avait fait comprendre à Octave combien le sentiment religieux pouvait servir sa politique. D'ailleurs, sa carrière est jalonnée par son accession aux sacerdoces les plus importants, jusqu’à être élu grand pontife à la mort de Lépide, en 12 avant J.-C.
Auguste, garant des anciens cultes de la cité
Le retour à la religion traditionnelle se traduit par le rétablissement des collèges les plus vénérables et des rites anciens (lupercales), par la construction ou la restauration d'édifices religieux. Auguste a pu se vanter d'avoir restauré quatre-vingts temples dans la ville ; c'était, pour lui, la preuve matérielle éclatante de la place prééminente qu'il donnait aux dieux. Ce côté « traditionaliste » a sa contrepartie dans une tendance antiorientale prononcée, contre les divinités grecques (Cybèle) et égyptiennes notamment (Isis, Sérapis) ; elle est due, en très grande partie, à la lutte contre Antoine, qui avait voulu symboliser le triomphe de l'Orient.
Valorisation sacrée de la personne de l’empereur
L'empereur met en valeur, pour des raisons avant tout dynastiques, les cultes de Mars et de Vénus, invoqués sous les noms de Venus Genitrix (la Mère) et de Mars Ultor (le Vengeur). Un dieu prend la première place ; c'est le protecteur personnel d'Auguste, Apollon, sans doute parce que, du haut du promontoire d'Actium, Apollon avait présidé à la victoire décisive d'Auguste sur Antoine. Le princeps lui fit construire le plus grand temple de Rome, sur le mont Palatin, près de sa demeure. En outre, il rendit publique une partie de sa demeure et y édifia un autel de Vesta. C'est désormais dans son domaine que se trouvait le centre de la religion officielle romaine.
Comme tout homme, Auguste possédait un genius, cette puissance indiscernable qui assurait à chaque être son rayonnement vital. Très vite, les Romains prirent l'habitude de l'invoquer et de prêter serment sur lui. Ce genius fut aussi associé au culte des lares de carrefour qui étaient vénérés par la plèbe. C'était, mystiquement, donner plus de force au génie de l'empereur.
3. Auguste, à la tête d’un vaste empire

3.1. Une administration contrôlée par l’empereur

L'empereur prend seul les décisions, mais il sait s'entourer des hommes les plus compétents dans leur domaine ; c'est ainsi que se forme peu à peu un véritable conseil impérial, mais sans existence légale, ni composition fixe. En outre, le pouvoir de l'empereur est à peu près absolu, puisque celui-ci contrôle l'essentiel des finances et l'ensemble des armées.
Le contrôle des hommes
Auguste réorganise les provinces, qu'il partage en provinces sénatoriales (celles qui sont déjà pacifiées et n'ont donc pas besoin d'armée), gouvernées par des proconsuls, et provinces impériales (celles qui nécessitent la présence de troupes, comme la Syrie, la Gaule, l’Espagne), dont il choisit lui-même les gouverneurs (légats sénateurs ou procurateurs équestres).
Certes, les proconsuls sont désignés par le sénat, mais, en réalité, ils n'échappent pas au contrôle impérial. Quant aux légats et aux procurateurs, ce sont des fonctionnaires que le prince déplace comme il l'entend ; ils reçoivent un traitement fixe et ne peuvent agir qu'avec l'accord de l'empereur. C'est une garantie pour le pouvoir central, mais c'est aussi une assurance pour les provinciaux, qui, en cas de conflit avec leur gouverneur, peuvent toujours faire appel au princeps.
Le contrôle des finances
L'administration financière rend encore plus évident le caractère absolu du pouvoir d'Auguste. Il fait remettre à jour le cadastre général de l'Empire, ce qui permet de faire une grande carte du monde, mais aussi de remanier les impôts ; le contrôle effectué par les fonctionnaires impériaux est de plus en plus strict.
De plus, dans toutes les provinces sénatoriales, l'empereur est présent dans le domaine financier par l'intermédiaire d'un procurateur. La subordination du sénat est presque totale ; d'ailleurs, en 15 avant J.-C., Auguste se réserve la frappe de l'or et de l'argent, et ne laisse au sénat que la frappe des monnaies de bronze.
Le contrôle des armées
Cette puissance de l'empereur est accentuée par le fait qu'il est le maître des armées. À partir d'Auguste, l'armée est permanente, et le service est de longue durée (vingt ans), si bien que, si les citoyens forment toujours les légions, ce sont pour la plupart des volontaires. Les chevaliers fournissent les officiers supérieurs, mais le commandement est donné dans chaque légion à un légat de légion, délégué de l'empereur, et que ce dernier peut nommer ou destituer selon sa volonté. Cette armée, complétée par deux flottes, l'une à Misène, l'autre à Ravenne, est puissante, mais peu nombreuse relativement à l'immensité de l'Empire.
3.2. Une politique fondamentalement pacifique

En politique extérieure, Auguste préfère aux conquêtes la sécurité des frontières, recourant autant à la diplomatie qu'à l'action militaire. Mais l'Empire est loin d'être achevé quand il en devient le seul maître, après sa victoire sur Antoine.
Prudence aux frontières
De nombreuses régions sont encore mal contrôlées par les Romains ; sur les frontières existent un grand nombre de royaumes, ou principautés « protégées ». Auguste les laisse subsister, ne les transformant en provinces romaines que dans les cas de disparition du roi ou de force majeure. C’est le cas de la Judée en 6 après J.-C. En revanche, Auguste refait de la Mauritanie un royaume, qu'il confie à Juba II, homme profondément pénétré de culture gréco-latine.
La fin de la conquête de l’Espagne
L'empereur doit pourtant se résoudre parfois à intervenir pour rétablir le calme à l'intérieur de certains territoires qui, par leur instabilité, risquent de menacer l'équilibre de l'Empire tout entier. C'est le cas de 27 à 25 avant J.-C., où il dirige lui-même les opérations en Espagne ; les combats contre les Astures et les Cantabres durent cependant jusqu'en 19 avant J.-C.
Il en est de même pour la conquête des hautes vallées des Alpes, en 26 avant J.-C., et pour la formation de la province des Alpes-Maritimes, en 14 avant J.-C.
Tentatives et échec en Germanie
Le cas de la Germanie est plus complexe. À cause du danger présenté par des populations belliqueuses, à cause du désir de succès militaires de Drusus et Tibère, parce qu'on croit la Germanie riche pays agricole et qu'Auguste voit dans l'Elbe une meilleure frontière que le Rhin, une expédition offensive est préparée. Tibère parvient à l'Elbe en 5 après J.-C. Mais l'administration maladroite et présomptueuse de P. Quintilius Varus exaspère les Germains. En septembre 9 après J.-C., trois légions sont anéanties dans la forêt de Teutoburg ; Varus y périt. Auguste décide d'abandonner la Germanie ; la frontière est de nouveau fixée au Rhin, bien fortifié. C'est le seul véritable insuccès de l'empereur.
4. Le siècle d’Auguste

4.1. Rome remodelée par Auguste

Auguste avait compris qu'un empire aussi puissant que le sien devait avoir une capitale qui fût la plus belle cité du monde. Tel n'était pas le cas ; la population était trop nombreuse et mal répartie ; elle vivait agglomérée au centre dans un désordre grandissant ; il y avait peu de place pour construire, car beaucoup de terrains étaient occupés par des jardins, par les maisons des grandes familles, par les constructions publiques. La plèbe s'entassait dans des immeubles de plusieurs étages, dans la plus totale anarchie. Rome ne ressemblait pas à ces villes ordonnées que l'Orient offrait aux regards éblouis des Romains, Alexandrie et Pergame.
Une gestion plus efficace
Auguste divise Rome en 14 régions pour en faciliter l'administration et la police. Sous la République, l'administration de la ville dépendait des magistrats traditionnels (édiles, tribuns de la plèbe, consuls), qui n'avaient que des fonctions provisoires. Auguste se garde bien de toucher à leurs prérogatives ; mais, parallèlement et progressivement, il institue de nouveaux fonctionnaires. Un corps de vigiles, avec un préfet à sa tête, est chargé de combattre les incendies et de faire la police. Des curateurs, puis un préfet de l'annone reçoivent le contrôle des opérations de ravitaillement en blé – l'annone (produit de la récolte annuelle) assure à la population de Rome, en fait aux seuls citoyens, des distributions gratuites de produits alimentaires, que l'État se charge de réquisitionner dans les provinces, transporter et répartir entre les allocataires (dont Auguste ramène le nombre à 150 000).
Constructions et monuments
Auguste entreprend aussi de remodeler Rome. Dans cette tâche, son gendre Agrippa joue un rôle fondamental. La construction de deux nouveaux aqueducs, de citernes et de fontaines permet une meilleure alimentation en eau. La transformation monumentale de la ville est importante, avec notamment le forum et le mausolée d'Auguste, le théâtre de Marcellus et les premiers thermes publics (thermes d'Agrippa).
Pour en savoir plus, voir l'article Rome.
4.2. Le développement d’une civilisation commune

Le règne d'Auguste est une étape décisive dans l'histoire de Rome. Décisive parce que l'empereur a su établir la paix à l'intérieur : infléchir insensiblement, mais sans retour possible en arrière, les vieilles institutions de la république ; rendre leur stabilité à la société et à la religion après les abus des décennies précédentes – il a su créer sans supprimer : un peuple dont le respect pour le passé ne s'était jamais démenti ne pouvait qu'apprécier. Décisive parce que la ville s'est transformée et que l'élan a été donné pour de nouveaux aménagements. Décisive enfin parce que l'Empire a trouvé ses limites naturelles.
Paix, commerce et romanisation
La politique de la diplomatie et de la prudence, qui donne à l'Empire des frontières solides, instaure la paix aussi bien en Occident qu'en Orient, où la guerre régnait depuis des décennies. Cette paix permet aux courants commerciaux de se rétablir, surtout vers Rome, le principal client. Dorénavant, l'unité du monde romain est profondément ressentie par tous les habitants de l'Empire ; elle assure le développement d'une civilisation commune qui s'impose à tous ; la romanisation est rapide. C'est le début d'un âge nouveau.
Renouveau intellectuel
Le principat d'Auguste est fondé sur une idéologie de grandeur. La vie littéraire y contribue : Virgile et Horace, entre autres, s'associent au mouvement de renouveau intellectuel voulu par l'empereur, et Tite-Live écrit sa monumentale Histoire de Rome. En réalité, si Virgile et Tite-Live remettent en honneur la tradition, donnent en exemple les vertus des ancêtres, exaltent Rome et ses fondateurs, si Horace et Ovide participent par leurs œuvres au renouveau religieux, c'est par pure conviction et sans que Mécène, l’ami d’Auguste qui aimait à s'en entourer, ait eu à les pousser dans cette voie. Le prince a su comprendre et saisir les forces complexes et spontanées qui animaient son époque, et dont la réunion fit le « siècle d'Auguste ».
5. Les difficultés de la succession d’Auguste

L'Empire d'Auguste à TrajanL'Empire d'Auguste à Trajan
Seul maître du pouvoir après sa victoire sur son rival Antoine et le suicide de ce dernier (30 avant J.-C.), Auguste a connu un long règne de plus de quarante ans. Pourtant, il ne fut pas un homme heureux. Il avait souffert de n'être qu'un médiocre soldat et de ne devoir ses victoires qu'à ses loyaux compagnons. Il souffrit toute sa vie de graves maux physiques qui le conduisirent parfois au seuil de la mort. Ses dernières années furent empreintes de tristesse, car il vit disparaître pratiquement tous ceux qu'il aimait. Et il eut tout le temps la hantise de ne pouvoir accomplir une œuvre, qu'il ne jugea jamais suffisamment affirmée.
5.1. Un pouvoir difficile à transmettre

Dans un régime qui était censé utiliser les institutions de la république en ce qu'elles avaient de meilleur, il ne pouvait être question pour Auguste de désigner ouvertement un successeur comme dans une simple monarchie. Cependant, le princeps ne voulait pas que sa mort fût la fin de ce qu'il avait réussi à créer, d'une certaine forme efficace du pouvoir.
Auguste ne put aborder franchement le problème ; aussi posa-t-il en principe de désigner, de son vivant, à l'attention du sénat et du peuple, celui qu'il désirait avoir comme successeur. Cette désignation n'était pas directe et, en droit, elle n'engageait personne. Il est vrai que les choses auraient pu être plus simples si l'empereur avait eu un fils.
5.2. La mort d'Auguste

N'ayant pas de fils, Auguste adopte d’abord son neveu (le fils de sa sœur Octavie), qu’il marie à sa fille Julie, mais qui meurt peu après ; puis les petits-fils que Julie lui donne avec Agrippa qu’il lui fait épouser ensuite, mais qui meurent aussi avant lui. Finalement, Auguste choisit son beau-fils Tibère, que sa femme Livie avait eu d’un premier mariage et qui, après avoir dû répudier sa femme, à son tour épouse Julie en prélude à son adoption.
Lors d'un voyage en Campanie durant l'été 14 après J.-C., Auguste ressent de violents maux de ventre et doit s'arrêter à Nola. Il fait alors venir Tibère et s'entretient dans l'intimité avec lui. Il meurt le 19 août, à 77 ans. Sa dépouille mortelle est ramenée à Rome, portée durant la nuit par les notables des cités que le cortège traverse, et exposée pendant le jour dans les temples les plus importants.
À Rome, Tibère et son fils Drusus prononcent l'éloge funèbre de l'empereur, dont le corps est ensuite consumé sur un bûcher. Ses cendres seront déposées dans le mausolée qu'Auguste s'était fait construire sur le champ de Mars. Le sénat se réunit ensuite pour entendre lire son testament, qui désigne Tibère comme son successeur. Auguste peut dès lors être honoré comme un dieu.

 

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CARTHAGE

 

Carthage
Cet article fait partie du dossier consacré à la Rome antique.

Localité de Tunisie, sur la côte est du golfe de Tunis, faubourg résidentiel de Tunis.
Population : 15 922 hab. (recensement de 2004)
CarthageCarthage
Archevêché. Centre touristique. — C'est le site de la ville antique du même nom. Vestiges phéniciens. Ruines romaines (pour la plupart du iie s. : aqueduc, thermes d'Antonin, théâtre, port militaire, maisons ou sièges de sociétés). Basiliques chrétiennes. Important musée archéologique.
La Carthage punique

Histoire

Une cité conquérante
La Carthage punique
Carthage (en latin Carthago) est un des nombreux comptoirs fondés par les Phéniciens venus de Tyr en longeant les côtes de l'Afrique. La ville fut fondée vers 820 avant J.-C. selon la tradition, qui l'attribuait à la Phénicienne Élissa, ou Didon, sous le nom de Qart Hadasht (« Ville neuve »). Modeste bourgade à ses débuts, Carthage doit, en signe d'allégeance, verser une dîme à Tyr et, pendant un siècle et demi, payer un tribut aux Libyens. Mais, au cours de la seconde moitié du viie s., la ville, profitant du déclin de Tyr, incapable de contenir la progression des Grecs en Méditerranée occidentale, va progressivement mettre fin à cette dépendance. En 654, la fondation d'Ibiza (Baléares) marque une étape importante dans l'ascension de Carthage. Elle traduit sa volonté de s'implanter sur les routes commerciales établies par les Phéniciens, et tout particulièrement celles des matières premières – plomb, cuivre, fer, étain – et métaux précieux – or, argent surtout –, dont regorge l'Espagne.
Progressivement, Carthage impose donc sa domination aux comptoirs phéniciens de la Méditerranée occidentale et fonde un empire maritime sous la conduite de la famille des Magonides, en installant ses comptoirs sur les côtes d'Espagne, aux Baléares, en Sardaigne et dans l'ouest de la Sicile. Pendant près de huit siècles, Carthage va en effet disputer la Méditerranée aux Grecs puis aux Romains, attirés eux aussi par les mines d'Espagne, les greniers de Sardaigne, la Sicile et les relais maritimes indispensables à l'hégémonie commerciale.
Entre 750 et 600, les Grecs, tributaires d'un territoire exigu et pauvre, se lancent à la conquête de la Méditerranée – tels « des grenouilles autour d'une mare », selon Aristophane. Ils fondent des colonies en Italie méridionale (Tarente, Crotone, Naples), en Sicile (Agrigente, Syracuse), à Nice, Marseille, Agde et en Corse. Ils ambitionnent aussi de s'installer en Sardaigne et d'accéder au commerce ibérique. Ces projets sont incompatibles avec la politique marchande et, au moins depuis le vie s., l'expansionnisme territorial de Carthage. En 580, Carthage défend les Phéniciens de Motyé et de Palerme contre les Grecs, dont elle défait les armées à Sélinonte, sur la côte sud-ouest de la Sicile. Un demi-siècle plus tard, elle s'allie aux Étrusques d'Italie occidentale et expulse de Corse les Phocéens de Marseille. En 510, elle empêche, aux côtés des Libyens, les Spartiates de fonder une colonie en Tripolitaine.

Phéniciens et Carthaginois
Désormais, Carthage domine toute la Méditerranée occidentale et les grandes îles, laissant à ses alliés étrusques le contrôle de l'Italie continentale, comme en témoigne une feuille d'or trouvée à Pyrgi (au nord de Rome), sur laquelle est portée une dédicace du roi étrusque à Astarté, après la victoire d'Alalia (535) sur les Grecs. Cependant, Gélon, tyran de Gela et de Syracuse – devenue la ville la plus prospère du monde hellénique – et allié du puissant Théron d'Agrigente, ne tarde pas à reprendre l'offensive. Battue à Himère en 480, Carthage réussit cependant à sauvegarder les territoires convoités, dont le golfe de Gabès, mais doit payer une lourde indemnité de 2 000 talents. Après leur victoire d'Himère, les Grecs poursuivent leur progression en Méditerranée et remportent des victoires durant les guerres médiques contre les Perses et leurs alliés phéniciens et contre les Étrusques d'Italie. Dès lors, l'arrière-plan africain prend de l'importance dans la politique de relance économique engagée par Carthage.
La cité prend conscience de la précarité d'une économie entièrement subordonnée au commerce méditerranéen et engage une politique agricole. À défaut d'informations directes, l'étude de l'iconographie des stèles, des épigraphes, et la lecture du Traité d'agriculture, en vingt-huit volumes, rédigé au ive s. par Magon, peut éclairer cet aspect de la civilisation carthaginoise. La chora, c'est-à-dire la cité proprement dite, assure son autosuffisance alimentaire, notamment en produits d'arboriculture (olives, raisins, figues, amandes) et en viande. La Megara, quartier périphérique au nord de Carthage, abrite une agriculture intensive avec des potagers et des jardins séparés par des clôtures en pierres sèches, des haies vives d'arbustes épineux, de canaux, nombreux et profonds. Au-delà de la chora, les plaines du bassin de la Medjerda et de l'oued Miliane sont consacrées au blé. Le palmier-dattier, souvent représenté sur les stèles votives et les monnaies, a peut-être eu une fonction religieuse, alors que la grenade carthaginoise est si réputée que les Romains la dénomment mela punica. Entre autres instruments agricoles, on utilise pour le dépiquage le plostellum punicum, sorte de traîneau en bois pourvu de roulettes dentées, des araires munis d'un long mancheron recourbé accroché à un manche, avec, à l'extrémité, une poignée à angle droit et un soc dans la partie inférieure, comme on en trouve encore en Afrique. Le fourrage est transporté dans des chars à roues pleines, équipés de montants ouverts. Les rendements céréaliers sont modestes, les meilleures terres étant consacrées à la vigne et à l'olivette. Le territoire agricole ne se limite plus à une étroite bande côtière, de surcroît menacée par les Libyens, qui exigent un tribut, mais couvre la majeure partie de la Tunisie.
L'intérêt que porte Carthage à l'Afrique occidentale, dans la seconde moitié du ve s., est attesté par le développement de Sabratha et de Leptis Magna, débouchés de pistes transsahariennes. Les Garamantes et les Nasamons installés au sud du golfe de Syrte, à trente jours de marche de la côte, sont les intermédiaires entre le « Pays des Noirs » et Carthage. Ils connaissent aux ve et ive s. un accroissement démographique et un essor agricole qui ne sont pas sans relation avec l'influence des établissements carthaginois du littoral. Carthage reçoit des escarboucles et probablement de l'ivoire, des peaux, et des esclaves capturés par les Garamantes. Le transport de l'or est moins probable. Le redressement de Carthage est tel que, à la fin du siècle, elle reprend les hostilités, profitant des dissensions grecques. Elle met à sac Sélinonte, Himère, Gela, et occupe les territoires à l'ouest du fleuve Halycus. Jamais l'Empire punique n'a été aussi étendu. Cependant, en 310, Agathocle, tyran de Syracuse, réussit à débarquer au sud du cap Bon, dans le nord-est de la Tunisie actuelle, avec 14 000 hommes, et, durant trois années, dévaste un grand nombre de cités puniques, avant de regagner Syracuse. Carthage reste sauve, mais la preuve est désormais faite que son territoire est loin d'être inaccessible.
Pendant qu'elle combat les Grecs, Carthage s'allie avec Rome, comme en témoignent les accords d'échanges de 508, de 348 et de 306, ainsi que le traité de défense mutuelle signé en 279. Les intérêts des deux États semblent convergents. Mais une fois les Grecs évincés de la Méditerranée occidentale, au milieu du iiie s., les impérialismes romain et punique se retrouvent face à face. « Les Romains, selon l'historien grec Polybe, constatant que les Carthaginois avaient étendu leur domination non seulement sur les rivages de l'Afrique, mais encore sur une bonne partie de l'Espagne et qu'ils étaient en outre maîtres de toutes les îles de la mer Tyrrhénienne, songeaient avec inquiétude que, si la Sicile tombait également entre leurs mains, ils auraient là des voisins excessivement encombrants et dangereux, par lesquels ils se trouveraient encerclés, et qui pourraient menacer directement toutes les parties de l'Italie. »
Les guerres puniques
La première guerre punique (264-241) se solde par la victoire de Rome. Après vingt-deux années de guerre, Carthage est définitivement vaincue à la bataille navale des îles Égates. Elle doit évacuer la Sicile et la Sardaigne, payer un lourd tribut de 4 400 talents, restituer les prisonniers de guerre, renoncer à toute hostilité contre Rome et ses alliés, s'abstenir de conduire des navires dans les eaux italiennes et d'engager des mercenaires dans la péninsule.

Carthage et Rome
L'équilibre de la Méditerranée s'en trouve profondément modifié. Pour la première fois au cours de son histoire, Carthage perd la suprématie navale. Les Romains s'inspirent de la technologie punique et l'enrichissent par la création d'une passerelle qui s'accroche au navire ennemi et sur laquelle on combat comme sur la terre ferme. Carthage doit faire face à d'énormes problèmes de trésorerie alors que ses ports sont pillés et ses campagnes dévastées. En 240, plusieurs dizaines de milliers de Libyens, accablés par l'effort de guerre, mais aussi les mercenaires d'Afrique et de Sardaigne, restés plusieurs mois sans salaire, se soulèvent, occupent l'isthme de Carthage, assiègent Utique et Bizerte. Il faut quatre ans et des méthodes sanguinaires au général Hamilcar Barca pour remporter cette « guerre inexpiable » décrite par Flaubert dans Salammbô.
Hannibal
Carthage, meurtrie, prépare sa revanche ; cette fois à partir de l'Espagne, où, en 237, Hamilcar Barca fonde un État prospère, bien administré et doté d'une armée de plus de 50 000 hommes. En 221, son fils Hannibal accède au pouvoir. Élevé dans les campements de l'armée carthaginoise d'Espagne, nourri de culture grecque, doté d'un grand courage physique, il se révèle un génie militaire hors pair. Par ses conquêtes, il élargit les limites de l'Empire punique et réorganise l'armée de manière à tirer le meilleur parti des particularismes culturels et militaires de chaque peuple : Numides, Ibères, Gaulois ; les Libyens cessent de combattre comme les hoplites grecs et remplacent la pique par l'épée, plus adaptée aux combats rapprochés. En 219, Hannibal prend Sagonte, alliée de Rome, qui, alors, rompt la trêve et déclenche la deuxième guerre punique en 218. Hannibal traverse l'Èbre, franchit les Alpes avec des éléphants et pénètre en Italie, où il écrase plusieurs armées romaines ; on retient les victoires du lac Trasimène (217) et de Cannes (216). Rome évite le combat frontal. Hannibal, coupé de ses arrières – Rome conquiert les possessions espagnoles de Carthage en 209 –, mal soutenu par le sénat carthaginois et en butte à l'hostilité des populations demeurées fidèles à Rome, doit abandonner le siège de Capoue et regagner Carthage. En 201, Cornelius Scipion, dit l'Africain, s'allie à Masinissa, chef des Numides de l'Est, et défait l'armée punique à Zama, en terre africaine. Encore une fois, les conditions de la paix (201) sont draconiennes pour les Puniques. De retour à Carthage, Hannibal entreprend le redressement économique, notamment par l'exploitation des ressources agricoles, en dépit des agressions de son vieil ennemi numide, Masinissa. Mais l'hostilité de l'aristocratie le conduit à l'exil en 195, et au suicide en 183.
Cependant, Carthage est redevenue si prospère que Rome, dirigée par les courants politiques les plus extrémistes, décide de l'anéantir : delenda est Carthago (« Carthage doit être détruite »). C’est sous l'impulsion de Caton, auteur de la formule, qu’une troisième guerre punique (149-146 avant J.-C.) vient à bout de Carthage, qui est anéantie après un siège de trois ans.
Civilisation

L’économie de Carthage
Les conceptions de l'économie sont très simples. L'État prélève des taxes sur les importations et les exportations, mais ne pratique pas de politique commerciale spécifique.
La monnaie, dont l'étalon est phénicien, est apparue tardivement, au ive s. Dans la première phase de son développement, Carthage importe des denrées alimentaires de ses colonies. Mais ce sont les métaux précieux de la péninsule Ibérique, particulièrement l'argent, qui constituent l'essentiel de ses importations. Ils sont destinés à l'artisanat et à la fabrication des monnaies. De la Berbérie, la cité carthaginoise obtient des produits agricoles et des animaux – autruches, éléphants de Numidie, singes, perroquets, fauves – qu'elle revend en Méditerranée, notamment pour les jeux d'amphithéâtre. De nombreuses mosaïques, comme celles d'Hippone au ive s., représentent des scènes de capture de fauves. Elle exporte des produits d'artisanat – tapis, parfums, étoffes de couleurs, cuillères, tuyaux en terre cuite, etc. – et de pacotille, dont de petits masques en pâte de verre.
Organisation politique et sociale
Sur le plan politique, les suffètes exercent la magistrature suprême. Au nombre de deux, ils sont élus pour un an et veillent à la bonne marche des affaires politiques et administratives, à l'exécution des décisions du conseil des anciens (sénat), de 300 membres, ou de celles de l'assemblée du peuple. Ils remplissent aussi une fonction législative et judiciaire importante. La cour des Cent, composée de nobles, contrôle le gouvernement. La vie politique reste dominée par les riches, et tout particulièrement les Magonides (535-450) et les Barcides, même si les citoyens participent à l'élection des suffètes et sont consultés en cas de désaccord entre ces derniers et le conseil.
Au sommet de l'échelle sociale trône une aristocratie de riches armateurs, négociants et propriétaires fonciers. Elle tire son prestige et sa légitimité de son origine phénicienne, rappelée avec ostentation dans les épigraphes, ainsi que de sa fortune, acquise par le commerce, l'exercice de charges publiques et, à partir du ve s., par l'exploitation des riches domaines agricoles. Cette aristocratie réussit à sauvegarder ses privilèges en dépit des réformes entreprises par les Barcas. Par exemple, elle écarte Hannibal lorsque celui-ci, devenu suffète après la bataille de Zama, fait voter par le peuple des lois visant à limiter le pouvoir des nobles en matière de justice et à réprimer les abus financiers.
Dans les rues de Carthage, sur les ports, grouille une foule de citoyens modestes – artisans, marins, dockers, ouvriers agricoles, mineurs – à laquelle se joignent de nombreux étrangers originaires, pour la plupart, des colonies grecques et étrusques, et qui jouent un rôle important dans l'économie.Au bas de l'échelle sociale, on retrouve une importante main-d'œuvre servile, employée dans les champs, les carrières, les mines, les ateliers, ou vouée aux tâches domestiques.
Bien que vivant dans des conditions misérables, les esclaves jouissent de la liberté de culte et ont la possibilité d'acheter leur liberté. Est-ce la raison pour laquelle ils ne sont jamais source d'agitation, du moins dans les villes ? Les Libyens, c'est-à-dire les Africains autochtones vivant en dehors de Carthage, connaissent les pires conditions. Certes ils sont libres, mais n'ont aucun droit civique et doivent payer de lourdes charges. En cas de guerre, par exemple, ils versent à l'État une redevance pouvant représenter jusqu'à la moitié de leur récolte. Ils sont, avec les esclaves ruraux, à l'origine des révoltes survenues en 396 et 379.
La vie religieuse
La civilisation et les mœurs ont gardé une forte empreinte orientale dont témoigne particulièrement la vie religieuse. Le panthéon est dominé par Baal Hammon, le dieu mâle suprême, très souvent associé à Tanit, la divinité féminine surnommée « face de Baal ». L'épithète Hammon (« ardent ») pourrait évoquer le soleil ou le brasier sur lequel s'accomplissent les sacrifices. Contrairement à celui de Baal et de Melqart, le culte de Tanit n'est pas d'origine phénicienne mais africaine. Divinité de la Fécondité, elle semble surtout liée à un rite agraire. Elle porte aussi le nom africain d'Ashtart et prend le pas sur Baal au ve s., au moment où Carthage se tourne vers l'agriculture et semble renouer avec son contexte africain. Les Carthaginois croient en l'existence de forces maléfiques contre lesquelles l'homme mène un combat inégal, et en la possibilité d'agir à distance sur les choses. La maladie est considérée comme le résultat d'une absence de protection divine et appelle l'intervention d'un guérisseur. Eshmoun, le dieu guérisseur, réside dans le temple le plus riche, au sommet de la colline de Byrsa. Ils croient aussi à la divination : il semble qu'Hamilcar ait attaqué Syracuse parce qu'un devin lui avait prédit qu'il dînerait le soir même dans la ville. La vie se poursuit dans l'au-delà ; le mort, pour éviter qu'il devienne un esprit malfaisant, est l'objet de certains soins : lavé, épilé, maquillé, habillé et paré, il est incinéré et enterré, avec mobilier et provisions, dans une fosse pour les pauvres et dans un caveau pour les riches. Le sacrifice, humain ou animal, est l'acte essentiel du culte punique. Le sacrifice d'enfants effectué dans des sanctuaires spéciaux, les tophets, choque beaucoup, mais était une pratique courante dans les sociétés antiques, où il accompagnait souvent l'accomplissement d'un vœu.
Comme en Phénicie, la prostitution sacrée est aussi pratiquée. Sous l'influence des résidents grecs (ive s. avant J.-C.), Carthage a adopté le rite de l'incinération des morts ; de même, le culte de Déméter et de Coré a été institué avec succès jusqu'à la fin de l'Antiquité.
Littérature punique
Divers témoignages, surtout extérieurs, confirment que les Puniques avaient élaboré une riche littérature : annales, chroniques, ouvrages de droit, d'histoire, de géographie, d'agronomie, textes religieux, poèmes mythologiques, etc. On sait, en effet, par les écrivains grecs et latins, que Carthage avait constitué d'immenses bibliothèques, dont la plupart ont disparu lors de la destruction de la cité. De toute cette littérature, les quelque 7 000 inscriptions puniques connues ne nous ont conservé que d'infimes vestiges : il s'agit avant tout d'inscriptions votives et, à un moindre degré, funéraires, mais on possède aussi de longs tarifs sacrificiels, des textes commémoratifs, etc. Cependant, des spécimens de textes proprement littéraires sont connus en transcription latine (ainsi dans le Poenulus de Plaute) et en traduction, ou adaptation, grecque et latine, comme c'est le cas du Serment d'Hannibal, transmis par Polybe, du célèbre Périple d'Hannon ou du Traité d'agriculture de Magon, non dépourvu de qualités littéraires.
Topographie de la Carthage punique

Carthage était située sur une presqu'île comprise entre le golfe et le lac de Tunis. La triple enceinte barrait l'isthme, à 4 km environ du front de mer. Le port, creusé dans les terres, comprenait un bassin de commerce rectangulaire et un bassin de guerre circulaire. L'un et l'autre subsistent encore. Tout près de là s'étend le tophet, où des milliers de stèles et d'urnes contenant les ossements calcinés de milliers d'enfants ont été découvertes, ainsi qu'une chapelle du viiie s. avant J.-C. Sur les collines (notamment Byrsa, lieu du premier habitat), les vestiges de quelques maisons ont été retrouvés. Recouvertes par les cendres de l'incendie de 146 avant J.-C., elles ne diffèrent guère des maisons hellénistiques. L'eau était emmagasinée dans de nombreuses citernes. Entre les nécropoles qui bordaient la ville et l'enceinte, la vaste banlieue de Megara était occupée par des maisons de campagne, des champs et des jardins.
La Carthage romaine, chrétienne et byzantine

La Carthage romaine
En 122 avant J.-C., C. Gracchus tente de fonder une colonie Colonia Junonia sur le site de Carthage. Après son échec, la colonisation est reprise en 44 avant J.-C. par César et complétée par Auguste. La nouvelle Carthage (Colonia Julia), port du blé d'Afrique exporté vers Rome, siège du proconsul d'Afrique, a été une des plus grandes villes du monde romain. Les communautés chrétiennes y ont été précoces et très vigoureuses : les noms de Tertullien (iie-iiie s. après J.-C.) et de saint Cyprien (iiie s.) témoignent de leur éclat, en attendant saint Augustin (ve s.). Geiséric prend Carthage en 439, et en fait la capitale des Vandales. Bélisaire la reconquiert au profit de l'Empire byzantin, en 534. Justinien en fait le siège de son diocèse d'Afrique, reconstruit sa muraille et restaure ses monuments. Mais les séditions, la peste décimèrent la population, divisée par les querelles religieuses. Après la conquête arabe (698), la ville est abandonnée au profit de Tunis, bâtie avec les pierres de la cité disparue.
L’art carthaginois

Pendentifs carthaginoisPendentifs carthaginois
Dans le monde punique, la limite est difficile à fixer entre art et artisanat ; aussi considère-t-on comme œuvres d'art tous les objets, sacrés ou profanes, magiques ou apotropaïques, en métal, pierres précieuses, terre cuite, ivoire ou os, que sont bijoux, amulettes, figurines et scarabées, auxquels il faut ajouter les masques et les stèles.
Les masques semblent ne rien devoir à la tradition syro-palestinienne. Ce sont des têtes avec ou sans amorce de buste, présentant parfois un aspect négroïde, et dont le visage, plus ou moins grotesque, contraste avec l'impassibilité ou la jovialité des protomés. Accrochés dans les demeures et dans les tombeaux, ils remplissent une fonction apotropaïque, mais peuvent aussi, reproduits en miniature, servir de parures ou d'amulettes. Les bijoux constituent la production la plus abondante, la plus représentative et, sûrement, la plus attrayante de l'art punique.
Les traditions syro-palestinienne, phénicienne et grecque se combinent au génie punique en une profusion de genres : pendants d'oreilles, bracelets, bagues, pendentifs, colliers, pendeloques et amulettes réalisés au repoussage ou au grènetis. Les plus anciens remontent à la seconde moitié du viie s. De très bonne facture, ils se caractérisent par un décor granulé, le filigrane étant utilisé en bordure. Les productions postérieures sont pauvres, tant au niveau de la facture que des matériaux.
Quant aux stèles, en pierre ou en grès, de dimensions variables (entre 0,20 et 1 m), elles portent, gravé, un décor géométrique, anthropomorphe ou animal. Elles sont particulièrement riches entre les iiie et iie s. et se trouvent en grand nombre dans les tophets, où elles signifient l'accomplissement d'un vœu.
Archéologie

L'exploration de Carthage (quartiers d'habitations sur la colline de Byrsa et dans la ville basse, ports et tophet), menée sous l'égide de l'Unesco, a enrichi l'archéologie punique ; quant à Kerkouane (à la pointe du cap Bon), qui a été détruite en 256 avant J.-C. par Regulus, elle a livré ses temples, ses habitations et quantité d'objets. La civilisation punique, tout en gardant de fortes traditions phéniciennes, s'en distingue nettement. Motyé en Sicile et les colonies puniques de Sardaigne reflètent fidèlement la culture punique.


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