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paris, 4 juin 2008
L'intuition du nombre et de l'espace chez les indiens d'Amazonie
Est-il possible de calculer sans disposer de système de comptage pour désigner les nombres ? Pour répondre à cette question, une équipe de chercheurs du CEA, du CNRS et de l'Inserm, coordonnée par Stanislas Dehaene, Directeur de l'Unité mixte Inserm-CEA Neuroimagerie cognitive, s'intéresse, depuis 2002, aux Mundurucus, des indiens d'Amazonie vivant dans des villages isolés de la civilisation occidentale et possédant un lexique numérique restreint. Utilisant des méthodes de psychologie cognitive, les chercheurs viennent de mettre en évidence que ce peuple possède un sens intuitif des relations nombre-espace. En revanche, le sens de la mesure(1) est acquis par l'apprentissage. Publiés dans la revue Science, le 30 mai dernier, ces résultats déterminent ce qui relève de l'apprentissage ou de l'intuitif en mathématiques. Surtout, ils soulèvent l'importance d'adapter les méthodes d'apprentissage dans ce domaine.
Ces résultats font suite à des premières conclusions obtenues en 2004 : bien que les Mundurucus ne possèdent pas ou peu de mots pour exprimer les nombres, et pas de système de comptage, ils sont capables d’additionner, de soustraire et d’approximer les nombres. Aujourd’hui, les chercheurs mettent en évidence que ce sens du nombre s’accompagne d’une intuition de leur organisation dans l’espace.
De nombreux travaux réalisés chez des adultes occidentaux, montraient déjà que le simple fait de penser à un nombre ou d’effectuer un calcul évoque automatiquement un biais spatial(2). Ce phénomène trouve son origine dans les liens qu’entretiennent les représentations numériques et spatiales au niveau du lobe pariétal situé dans la partie supérieure du cerveau, ce que l’on observe par imagerie.
Ces nouveaux résultats soulignent que ces associations nombre-espace préexistent à toute éducation en mathématiques. Si on présente aux Mundurucus (graphique 1) une droite étiquetée à gauche par une représentation du nombre 1 et à droite par une représentation du nombre 10 (des points dans des cercles en l’occurrence) et qu’on leur demande de positionner sur cette droite, à l’aide d’un curseur, le nombre 2, ils le situeront du côté du 1 ; un nombre supérieur à 5 sera situé du côté du 10.
Par ailleurs, les Mundurucus organisent les nombres dans l’espace suivant une échelle logarithmique. Lorsqu’on leur demande de situer le nombre 5, ils le placent à proximité de 10. C’est plutôt 3 ou 4 qui, selon leur intuition, se situerait au milieu de 1 et de 10. En revanche, les adultes occidentaux ont une représentation linéaire des nombres dans l’espace. Ces résultats signifient que le sens de la mesure s’apprend. D’ailleurs, les chercheurs ont précédemment observé que l’enfant occidental passe d’une représentation logarithmique à une représentation linéaire du nombre entre 6 et 10 ans. Cette recherche met en valeur le rôle essentiel de l’éducation dans le développement mathématique : en son absence, nous ignorerions même qu’il existe un espacement constant entre les nombres 1, 2, 3, 4…
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