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LE PESTICIDE CRUISER EN SURSIS |
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Le pesticide Cruiser en sursis
et aussi - 07/06/2012 par Fabien Goubet (786 mots)
Un abeille butinant du nectar de colza © laures73 / Flickr
Le ministère de l’Agriculture a l’intention d’interdire le Cruiser OSR, un pesticide utilisé sur les cultures de colza. Une étude publiée cette année démontre en effet sa nocivité chez les abeilles.
Le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll a indiqué début juin vouloir interdire le Cruiser OSR, un pesticide utilisé sur les cultures de colza. Ce dernier perturberait le sens de l’orientation des abeilles et, à terme, le développement des ruches d’après les conclusions d’une équipe d’agronomes de l’INRA, publiées en mars dernier.
Le Cruiser OSR est un pesticide largement répandu en France. L’an passé, il a été utilisé sur 790 000 hectares de colza, soit près d’un hectare sur deux. Participerait-il au déclin des abeilles, comme le suggère l’étude de l’INRA menée par Mickael Henry ? Pour le savoir, le ministère de l’Agriculture a réclamé une expertise scientifique à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses).
Cette dernière a ainsi examiné les travaux de Mickael Henry, qui a administré une dose de pesticide à 650 abeilles équipées de puces à radiofréquence. le chercheur et son équipe ont ainsi pu surveiller les trajetss entre les fleurs et la ruche.
L'Anses a voulu déterminer si les doses administrées de thiamétoxam, le néonicotinoïde à la base du Cruiser OSR, correspondent à celles présentes dans les champs de colza. L’agence a également cherché à déterminer si la perturbation de l’orientation des abeilles se traduit bien par une hausse de leur mortalité.
Dans son rapport, l’Anses conclut que « dans les conditions de pratique agricole actuelles, l’exposition des abeilles au thiamétoxam (…) est inférieure à la dose administrée dans les expériences. » Mickael Henry et son équipe ont en effet administré 1,34 nanogramme de thiamétoxam à chaque abeille, tandis que l’Anses estime que la dose d’exposition théorique se situe plutôt aux alentours de 0,59 nanogramme par abeille et par jour, voire moins selon la teneur en sucre du nectar.
Principe de précaution
Les experts reconnaissent ainsi que les travaux de l’INRA « mettent en évidence un effet d’une (faible) dose » de pesticide sur l'orientation des abeilles butineuses, sans pouvoir affirmer avec certitude que cela perurbe le développement de la colonie. En ce sens, les conclusions de l’Anses rejoignent celles de l’Agence européenne de sécurité alimentaire, qui vient également de se prononcer à ce propos.
Si les abeilles de l’expérience ont bien été surexposées au Cruiser, pourquoi l’interdire ? Au ministère de l’Agriculture, on rappelle qu’ « un doute subsiste toujours, car l’Anses n’exclut pas totalement la possibilité de retrouver de telles doses dans la nature ». L’article de Mickael Henry « repose sur une approche originale qui justifie que l’on s’interroge sur la pertinence du Cruiser, d’autant que des alternatives existent. »
Chez Syngenta, le groupe suisse qui commercialise le Cruiser OSR, on ne l'entend pas de cette oreille. Denis Tardit, son P.D.-G., rappelle que les méthodes exposées par Mickael Henry ne sont « pas officiellement reconnues dans le cadre d'une procédure d’évaluation des produits pour leur homologation au niveau européen. »
Il n'empêche : le Cruiser est bel et bien en sursis, un an à peine après sa mise sur le marché. Syngenta a disposé de deux semaines pour répondre à la notification. Ses arguments sont actuellement étudiés par le ministère. S'ils ne convainquent pas les autorités, alors le Cruiser OSR sera interdit dès cette année. Mais cela pourrait prendre plus de temps que prévu : en cas d'interdiction, Denis Tardit entend bien porter cette affaire devant les tribunaux.
Quelle que soit l'issue, on peut espérer que les débats conduiront à une amélioration des évaluations des pesticides avant leur mise sur le marché. Aujourd’hui, aucune ne prend en compte l’orientation des abeilles.
Par Fabien Goubet
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COMMENT NAISSENT LES ESPÈCES |
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COMMENT NAISSENT LES ESPÈCES
2 - Un seul lac pour des centaines d'espèces
Comment naissent les espèces - par Pascaline Minet dans mensuel n°480 daté septembre 2013 à la page 42 (2091 mots) | Gratuit
Il y en a des bleus, des rouges, des rayés ; certains sont carnassiers, d'autres brouteurs d'algues ou avides de plancton ; quelques-uns pondent des oeufs dans des nids aménagés sur les fonds lacustres, tandis que d'autres les incubent dans leur bouche... Les cichlidés sont des petits poissons extrêmement diversifiés qu'on trouve surtout dans les lacs d'Afrique équatoriale, de Madagascar et d'Amérique du Sud. Leur famille comprend 220 genres et au moins 2 000 espèces. On estime que les trois grands lacs est-africains (Victoria, Tanganyika et Malawi) en abritent, à eux seuls, plus de 1 500 !
Davantage encore que cette diversité, un fait surprend : la plupart des espèces rencontrées dans chacun de ces lacs sont endémiques, c'est-à-dire qu'on ne les trouve que dans le lac en question. Chacun a donc été le théâtre d'une diversification particulièrement rapide d'espèces très variées sur le plan écologique et morphologique, à partir d'un faible nombre d'espèces ancestrales [fig. 1]. Les cichlidés sont emblématiques de ce phénomène, appelé « radiation adaptative ». Mais il s'est produit pour d'autres poissons lacustres. Par exemple, les corégones qui vivent dans les lacs alpins et nord-américains, formés à l'issue du dernier épisode de glaciation de la Terre, il y a environ 12 000 ans.
Comment expliquer une telle diversification, dans un environnement a priori homogène ? Depuis les années 1940, cette question fascine les biologistes de l'évolution. Aujourd'hui, après des décennies d'observations et d'hypothèses, couplées depuis quelques années à des expériences, ils comprennent de mieux en mieux les moteurs d'une telle diversification.
Question d'origine
Lorsque les premières études sur les cichlidés africains ont commencé il y a plus d'un demi-siècle, il semblait difficile d'envisager un scénario de spéciation autre que le scénario « classique ». C'est-à-dire un scénario où une barrière géographique sépare une population en plusieurs sous-populations, ce qui empêche tout échange entre elles et favorise leur divergence (lire « Carole Smadja : "Des espèces apparaissent même sans isolement géographique" », p. 38). Mais les cichlidés vivaient dans un environnement où rien ne semblait s'opposer à la migration. Il fallait donc envisager l'hypothèse d'une spéciation s'étant déroulée, au moins en partie, sans barrière géographique.
Aujourd'hui, les modalités du début de la spéciation sont encore très discutées [1]. Chaque lac a été colonisé initialement par des poissons d'origine fluviale, et il est possible que, pour un lac donné, une seule espèce soit à l'origine de toutes les espèces actuelles. Mais cette hypothèse est difficile à valider, surtout dans les lacs abritant la plus grande diversité. En effet, les données génétiques sur lesquelles les scientifiques s'appuient demeurent partielles. De plus, l'histoire complexe incite à la prudence.
L'exemple du lac Victoria montre bien pourquoi. Ce lac, qui mesure aujourd'hui 240 kilomètres de large sur 340 de long, s'est formé il y a 400 000 ans. Depuis, il a connu plusieurs épisodes d'assèchement pendant lesquels il subsistait sous forme de petits lacs épars, avant de se remplir à nouveau. Le dernier remplissage, responsable de sa configuration actuelle, s'est produit il y a 15 000 ans.
Isolement reproducteur
L'une des hypothèses en vigueur est qu'il aurait été colonisé par une population de cichlidés à ce moment-là, et que la diversification aurait débuté à cette époque. Mais on ne peut exclure qu'il ait été colonisé avant. Auquel cas, « il est possible que des petits groupes de poissons se soient retrouvés isolés dans différents affluents et dans les plans d'eau épars lorsque le niveau de l'eau baissait, qu'ils aient alors commencé à diverger indépendamment les uns des autres, avant d'être réunis lorsque le niveau de l'eau est remonté », explique Pierre-Alexandre Gagnaire, spécialiste de génétique évolutive à l'université de Montpellier. Si les événements se sont déroulés ainsi, cela signifie que la variabilité génétique nécessaire pour alimenter la radiation existait avant le dernier remplissage du lac.
Que ce soit ou non le cas, une chose est sûre : lors de la radiation, des mécanismes empêchant les espèces de se croiser entre elles ont dû se mettre en place. Or, des expériences de laboratoires ont très tôt prouvé que deux espèces de cichlidés d'un même lac peuvent s'hybrider et engendrer une descendance fertile. Ce qui tend à homogénéiser les populations. Pourtant, dans les conditions naturelles, les différentes espèces de cichlidés ne s'hybrident pratiquement pas. Comment expliquer cet isolement reproductif, indispensable au processus de spéciation ?
Niches alimentaires
Dès les années 1970, l'observation des cichlidés du lac Malawi a suggéré qu'ils avaient divergé en s'adaptant à différentes niches alimentaires. En effet, dans ce lac, la forme de la mâchoire de chaque espèce varie en fonction de son régime : algues, mollusques, insectes, écailles de poissons, etc. Or, ces ressources alimentaires ne sont pas localisées au même endroit : les unes sont à proximité des rivages sablonneux, les autres dans les rochers, d'autres encore sur le fond du lac ou en pleine eau. S'adapter à un régime alimentaire donné signifiait donc s'adapter à une zone précise du lac. Les différents cichlidés n'auraient alors plus eu l'occasion de se rencontrer ni de se reproduire entre eux. « Comme ce sont des poissons très sédentaires, qui passent leur vie à proximité de l'endroit où ils sont nés, leur isolement en fonction de la niche alimentaire se serait renforcé au fil du temps », précise Ole Seehausen, de l'université de Berne, en Suisse.
L'hypothèse de l'adaptation à un régime alimentaire correspondant à des niches écologiques différentes ne concerne pas que les cichlidés. Elle vaut aussi, entre autres, pour les corégones des lacs alpins et nord-américains. On y distingue des corégones des profondeurs et des corégones de surface. « Ceux des profondeurs se nourrissent d'invertébrés benthiques, décrit Pierre-Alexandre Gagnaire, tandis que les corégones qui vivent en surface se nourrissent de zooplancton. » Chez eux aussi, on observe des particularités morphologiques associées au régime alimentaire : par rapport aux corégones des profondeurs, ceux de surface ont un système de filtration de la nourriture renforcé, qui retient le zooplancton.
En théorie, il est possible que ces adaptations à l'environnement aient été accentuées en certaines circonstances : lorsque les espèces en cours de divergence étaient en situation de compétition pour la ressource alimentaire. En 2013, les résultats d'une expérience au long cours menée par Christopher Martin et Peter Wainwright, de l'université de Californie, sont venus appuyer cette hypothèse [2].
Les biologistes américains ont travaillé avec des cyprinodons, poissons des lacs salés des Bahamas, archipel situé dans l'océan Atlantique, à l'est de la Floride. Des trois espèces répertoriées dans ces lacs, l'une se nourrit d'algues, la deuxième d'écailles de poissons et la troisième de gastéropodes. Chacune possède une mâchoire adaptée à son régime alimentaire. Toutes trois descendent d'une espèce ancestrale dont on pense qu'elle s'est diversifiée par radiation adaptative, il y a 10 000 ans.
Christopher Martin et Peter Wainwright ont d'abord reconstitué une population hétérogène de cyprinodons, en prélevant des représentants des trois espèces dans les lacs et en les faisant se reproduire en aquariums. Au bout de trois ans, ils ont obtenu une population de 3 000 cyprinodons hybrides présentant toute une gamme de caractères différents, notamment des mâchoires variées. Ils ont alors relâché ces poissons dans des enclos installés dans leurs lacs d'origine. Chaque site recevait plusieurs enclos, les uns abritant une forte densité de poissons, les autres, une faible densité. Par sa conception, l'expérience permettait d'étudier l'influence de la compétition pour la ressource alimentaire, forcément plus marquée dans les enclos où les poissons étaient nombreux.
Reconnaissance visuelle
Trois mois plus tard, les biologistes ont observé, sur chaque site, que les hybrides ayant le mieux survécu dans les enclos à forte densité étaient ceux qui ressemblaient le plus aux trois espèces naturellement présentes dans les lacs. Les résultats étaient moins marqués dans les enclos où la densité était faible. L'expérience a donc prouvé que les chances de survie des cyprinodons dans ces lacs étaient liées à leur mode d'alimentation, et que la compétition entre poissons aboutissait à sélectionner les caractéristiques morphologiques facilitant l'accès aux ressources alimentaires présentes.
Cela dit, la spécialisation et la compétition pour la ressource alimentaire ne sont pas les seuls moteurs de divergence possible. Chez beaucoup de cichlidés, en effet, des expériences de reproduction en laboratoire ont montré l'importance de la reconnaissance visuelle entre partenaires sexuels : les femelles choisissent les mâles avec lesquels elles vont se reproduire en fonction de la couleur de ces derniers. On parle de sélection sexuelle.
Sur le terrain, ce type de choix se retrouve par exemple chez deux espèces de cichlidés très proches, Pundamilia pundamilia et Pundamilia nyererei, qui vivent dans un même secteur du lac Victoria, les uns plutôt en surface, les autres plutôt en profondeur. En période nuptiale, les mâles de la première espèce sont bleu-gris, tandis que ceux de la seconde espèce arborent un dos orangé. Les femelles de chaque espèce, toutes plutôt jaunâtres, reconnaissent les mâles de la même espèce qu'elles. Ce choix du partenaire basé sur la couleur des mâles constitue une barrière reproductive qui empêche les croisements entre poissons de surface et de profondeurs.
Pigment et livrée nuptiale
Comment ce système de reconnaissance a-t-il évolué ? En 2008, une équipe internationale a montré que chaque espèce possède un variant particulier d'un gène codant un pigment visuel appelé « opsine » [3]. L'opsine produite est adaptée à la couleur de la livrée nuptiale du mâle, elle-même corrélée à la longueur d'onde de la lumière parvenant à la profondeur à laquelle vivent les poissons. Ainsi, chez les Pundamilia nyererei, l'opsine est particulièrement sensible à la lumière « rouge », qui pénètre bien dans les 4 à 8 mètres de profondeur où vivent ces poissons. Tandis que l'opsine des Pundamilia pundamilia est particulièrement sensible à la lumière « bleue » que l'on trouve en surface [fig. 2].
À l'avenir, l'un des principaux objectifs que se fixent les spécialistes des radiations sera de mieux comprendre l'évolution des gènes qui, comme celui codant l'opsine, sont décisifs pour la divergence adaptative. « On connaît maintenant la séquence génétique de cinq espèces de cichlidés, explique Walter Salzburger, de l'université de Bâle, en Suisse. Et certaines mutations liées à leur coloration ou à la forme de leur mâchoire ont été mises en évidence. » De plus, les progrès de la génomique devraient aussi permettre de savoir si les populations ayant subi la radiation appartenaient à une ou à plusieurs espèces.
En parallèle, un phénomène qui, lui, va à l'encontre de la diversité, sollicite l'attention des chercheurs. Ole Seehausen l'appelle « spéciation à l'envers ». À la fin des années 1990, le biologiste suisse s'était aperçu que, dans certaines zones du lac Victoria, l'isolement reproductif entre des espèces auparavant séparées avait été rompu, et que ces espèces avaient commencé à s'hybrider. Ce changement aurait été déclenché par l'augmentation, quelques dizaines d'années auparavant, de la turbidité des eaux du lac dans ces zones. Dû à un apport excessif d'éléments nutritifs stimulant la croissance d'algues, ce phénomène a probablement affecté la reconnaissance visuelle des partenaires sexuels. L'hybridation qui en a résulté a produit de nouvelles espèces dont certaines, mieux adaptées à ce nouveau milieu, ont supplanté les espèces d'origine - lesquelles ont disparu [4].
Perte de diversité
Il ne s'agit pas d'un phénomène isolé : en 2012, Ole Seehausen a montré qu'un processus analogue s'était déroulé dans les lacs suisses [5]. En recensant les différentes espèces de corégones dans 17 de ces lacs, il s'est aperçu qu'au moins huit d'entre elles avaient disparu au cours des soixante dernières années, sur la trentaine d'espèces présentes initialement. La perte de diversité était plus marquée dans les lacs ayant subi une forte eutrophisation. L'analyse génétique des espèces présentes a montré que certaines résultaient d'un croisement entre des espèces autrefois distinctes. L'hypothèse en vigueur est qu'en diminuant la concentration en oxygène dans les profondeurs des lacs, l'eutrophisation aurait forcé les espèces qui vivaient dans ces zones à remonter vers la surface. Elles s'y seraient alors reproduites avec celles vivant à cet endroit. De ces croisements, seraient issus des hybrides capables, eux, de survivre dans ces nouvelles conditions [fig. 3].
Le fait que la barrière reproductive n'ait pas été étanche s'est, en l'occurrence, révélé utile. Cela dit, on peut se demander si ces espèces hybrides vont perdurer. Car depuis les années 1980, le degré d'eutrophisation des lacs suisses et de certains lacs africains a diminué. Du coup, certaines espèces disparues ne pourraient-elles pas réapparaître ? Selon Ole Seehausen, « un phénomène de respéciation est en théorie possible, puisque les gènes nécessaires à la spécialisation sont toujours présents chez les hybrides. Mais selon toute probabilité, cela prendra du temps ». Pour savoir si des corégones s'aventurent à nouveau au fond du Léman, le biologiste suisse y effectue depuis deux ans des prélèvements. Sans succès pour l'instant.
Par Pascaline Minet
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NEURONES À VOLONTÉ |
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NEURONES À VOLONTÉ
Naissance des neurones et mort d'un dogme
neurones à volonté - par Heather Cameron dans mensuel n°329 daté mars 2000 à la page 29 (4155 mots) | Gratuit
En quelques années, plusieurs découvertes se sont succédé qui confirment ce qui était autrefois une hérésie : des neurones continuent à naître dans le cerveau adulte des mammifères, y compris l'homme, et ce tout au long de la vie. Des perspectives thérapeutiques révolutionnaires s'ouvrent à nous. Mais de nombreux points restent à éclaircir, et notamment la relation qu'entretient cette neurogenèse avec la mémoire.
On estime généralement que tous les neurones de notre cerveau sont présents dès la naissance. Ce fait est considéré comme une caractéristique essentielle du cerveau des mammifères, et il a plusieurs conséquences importantes ; ainsi, tous les processus d'apprentissage à l'âge adulte s'organisent dans le cadre d'un cerveau anatomiquement stable, et toute mort de neurones à la suite d'une lésion ou d'une maladie entraîne un déficit permanent. Mais nous savons maintenant que ce dogme n'est pas parfaitement exact. Certains types de neurones continuent à être produits tout au long de la vie chez toutes les espèces de mammifères étudiées, y compris l'homme. L'existence de cette neurogenèse la production de nouveaux neurones pourrait modifier les théories du fonctionnement cérébral. Sa compréhension et sa maîtrise permettraient le développement d'outils thérapeutiques exceptionnels pour le traitement des lésions cérébrales ou des maladies neurodégénératives, entre autres.
La vision du cerveau adulte comme un organe anatomiquement stable trouve probablement son origine dans la différence de plasticité entre les cerveaux d'enfant et d'adulte, c'est-à-dire leurs capacités différentes à se modifier en réponse à des perturbations de l'environnement. Cliniquement, on sait depuis longtemps que le cerveau humain en développement, pendant l'enfance, se révèle beaucoup plus capable que le cerveau adulte de récupérer après une lésion. Expérimentalement, on avait constaté que les hormones ont sur le cerveau et sur le comportement des effets anatomiques permanents - des effets dits d'organisation - lorsque l'exposition a lieu pendant le développement, alors qu'elles n'exercent à l'âge adulte qu'une action réversible. Un phénomène similaire avait été observé dans le système visuel : si les signaux visuels reçus pendant la période de développement sont anormaux, le système visuel cérébral est altéré de manière définitive, alors que ces anomalies des stimuli visuels n'ont pas d'effet durable à l'âge adulte. Cette phase du développement caractérisée par une grande plasticité anatomique et comportementale est appelée période critique. Les études sur la prolifération cellulaire confortèrent cette idée d'une différence radicale entre le cerveau en développement et le cerveau adulte : il était facile d'observer des neurones en division dans le cerveau embryonnaire ou à la période postnatale précoce, mais il était extrêmement difficile d'en trouver à l'âge adulte. De plus, on pensait, sur la base de critères morphologiques, que les cellules en division que l'on parvenait à découvrir étaient des précurseurs de cellules gliales* et non de neurones.
Cette différence - qualitative en apparence - de plasticité entre le cerveau en développement et le cerveau adulte a été introduite dans les théories sur le fonctionnement du cerveau. Alors que la capacité à réparer les lésions par la régénération des cellules perdues semble comporter d'énormes avantages et que le phénomène s'observe dans de nombreux tissus, il devait exister une raison extrêmement importante pour que les neurones cérébraux ne se renouvellent pas. Les théories sur la nécessité de la stabilité du cerveau pour que les pensées et les souvenirs puissent se conserver sur toute la durée de vie se fondent sur cette idée que les neurones du cerveau adulte ne se renouvellent pas ; à l'inverse, ces théories ont renforcé la conviction selon laquelle le cerveau adulte est structurellement stable1.
C'est dans les années 1960 que l'on s'aperçut pour la première fois que de nouveaux neurones apparaissent dans le cerveau des mammifères adultes. Cette découverte est due à Joseph Altman, qui s'intéressait alors à la prolifération cellulaire induite par des lésions, dans le cerveau du rat. A l'époque, on pensait que, dans le système nerveux, seules les cellules gliales pouvaient se régénérer. Ainsi, après une lésion du cerveau, on peut observer « une cicatrice gliale ». Comme une cicatrice sur la peau, elle est due à la régénération de cellules, en l'occurrence des astrocytes*. Cependant, outre ce renouvellement glial, Altman observa d'autres cellules nouvelles qui ressemblaient davantage à des neurones. Cette observation était très surprenante car elle contredisait la théorie en vigueur depuis des dizaines d'années et selon laquelle les neurones ne sont produits que pendant une période limitée du développement.
C'est par une caractérisation morphologique que les nouvelles cellules furent identifiées comme neurones. Ceux-ci sont en effet plutôt plus volumineux que les cellules gliales, et apparaissent plus clairs qu'elles avec les colorants classiques. Ce type d'argument, bien qu'évocateur, n'est pas considéré comme concluant, surtout lorsqu'il s'agit d'une question aussi controversée que la neurogenèse chez l'adulte. Pourtant, il y avait effectivement naissance de nouveaux neurones dans le cerveau des mammifères adultes. C'était seulement difficile à prouver. Vers la fin des années 1970 et dans les années 1980, les chercheurs purent montrer que des cellules nées dans le cerveau du rat adulte possédaient des synapses, ces connexions spécialisées qui n'existent qu'entre neurones. C'était la preuve de la naissance de nouveaux neurones, mais la technique de recherche des synapses sur les cellules nouvellement apparues prenait un temps considérable, et le nombre de nouveaux neurones identifiés était extrêmement faible, à peine deux ou trois cellules par cerveau. Du coup, il était facile de considérer la neurogenèse chez l'adulte comme un phénomène négligeable, peut-être un processus ancestral hérité du cerveau des lézards ou des oiseaux, chez lesquels la neurogenèse à l'âge adulte est relativement abondante. Ces dernières années, néanmoins, les techniques immunohistochimiques ont révolutionné de nombreux domaines de la biologie. Elles permettent l'identification de centaines de types cellulaires, y compris les neurones et les cellules gliales, en fonction des protéines particulières qu'ils expriment, au moyen d'anticorps auxquels sont fixés un marqueur visible, par exemple une molécule fluorescente. Avec des marqueurs spécifiques, on a pu observer au début des années 1990 de très nombreux neurones nouveau-nés dans le cerveau adulte. Cette technique a permis une analyse quantitative du nombre de ces nouveaux neurones, et on a ainsi pu étudier les modifications de la production neuronale en réponse à divers traitements expérimentaux.
Nier la neurogenèse devenait impossible. Depuis, elle a été décrite chez toutes les espèces de mammifères étudiées, et notamment chez le rat, la souris, la musaraigne, les primates du Nouveau Monde et ceux de l'Ancien Monde, dont l'homme2, 3. Il apparaît également que cette neurogenèse concerne des zones cérébrales plus étendues qu'on ne le pensait encore très récemment. En effet, on crut tout d'abord que les seuls neurones dotés de cette capacité de renouvellement étaient les cellules granulaires ou simplement « grains » du bulbe olfactif et de la région du g yrus dentatus ou corps godronné de l'hippocampe p. 33. Mais Elizabeth Gould, de l'université de Princeton, a mis en évidence dans un article publié en octobre dernier une production de nouveaux neurones dans certaines régions précises du cortex des primates4. Cette découverte est extrêmement intéressante, non seulement parce que le cortex intervient dans les processus cognitifs dits de haut niveau, bien développés chez l'homme et les autres primates, mais aussi parce qu'elle donne à penser que de nouveaux neurones pourraient apparaître dans d'autres régions du cerveau des mammifères qui n'ont pas encore été examinées d'assez près.
Malgré tout, le vieux dogme n'est pas entièrement faux. Il semble bien que, dans leur grande majorité, les neurones du cerveau adulte aient été produits aux alentours de la naissance. Et, s'il n'est pas actuellement possible d'exclure une poursuite de la neurogenèse dans d'autres régions cérébrales, il ne semble pas que ce renouvellement tout au long de la vie puisse concerner tous les types de neurones. Dans l'hippocampe, qui a été étudié de manière très approfondie, il paraît clair que si les cellules granulaires se reproduisent à l'âge adulte, ce n'est pas le cas des autres populations neuronales de la région. Il en va de même du bulbe olfactif. D'après les connaissances actuelles, il semble donc que seuls certains sous-types de neurones se régénèrent à l'âge adulte, même dans les régions dites neurogènes. Aujourd'hui encore, on ne sait pratiquement rien de l'identité des nouveaux neurones corticaux, on ignore notamment s'ils appartiennent ou non à un seul sous-type neuronal.
Il semble également probable qu'on ne découvrira pas de neurogenèse dans toutes les régions cérébrales. La récente étude sur le néocortex des primates a mis en évidence des neurones nouveaux dans trois régions du cortex associatif les zones préfrontale, temporale inférieure et pariétale postérieure ; en revanche, malgré un examen attentif, il n'a été observé aucun renouvellement dans le cortex strié. Ce résultat est particulièrement intéressant, car le cortex associatif joue un rôle important dans les fonctions cognitives de haut niveau, alors que le cortex strié intervient dans le traitement des informations d'origine visuelle. Cette différence donne à penser que la neurogenèse pourrait jouer un rôle clé dans des fonctions plastiques par essence, alors qu'elle serait sans objet pour des fonctions de bas niveau comme le traitement des données sensorielles, qui sont en général stables tout au long de la vie. Cette idée cadre bien avec ce que l'on sait de la neurogenèse dans le reste du cerveau. Ainsi, il a récemment été démontré que l'apprentissage olfactif a lieu au sein du bulbe olfactif et fait intervenir les neurones granulaires, et on sait par ailleurs depuis longtemps que l'hippocampe est une région importante pour l'apprentissage et la mémoire. On notera néanmoins que si leur localisation incite à penser que les neurones apparus à l'âge adulte peuvent jouer un rôle dans les processus d'apprentissage et de mémoire, rien n'indique qu'ils aient effectivement une fonction. Cela ne veut pas dire qu'ils ne soient pas fonctionnels ; cela traduit seulement les difficultés techniques qui empêchent de recueillir les informations nécessaires. En effet, il est difficile de caractériser les neurones nouveau-nés par l'électrophysiologie, car celle-ci ne permet absolument pas de déterminer l'âge d'une cellule vivante. Les études comportementales sur la neurogenèse à l'âge adulte sont également délicates parce que les manipulations utilisées pour inhiber la neurogenèse perturbent aussi le fonctionnement des autres neurones et des cellules gliales, et qu'il est donc impossible d'établir le lien direct qu'elle pourrait avoir avec une modification comportementale. Surmonter ces obstacles techniques est un enjeu essentiel, car la fonction de la neurogenèse à l'âge adulte est certainement la question qui suscite le plus d'intérêt.
Bien qu'on ne sache pas grand-chose de la fonction des neurones apparus à l'âge adulte, de nombreux travaux ont permis d'élucider plusieurs aspects de leur prolifération, de leur différenciation et de leur survie. C'est dans le gyrus dentatus que la neurogenèse à l'âge adulte est la mieux connue ; jusqu'à présent, cette région est aussi la seule où une neurogenèse ait été observée chez l'homme adulte. Le nombre des neurones qui y apparaissent est loin d'être négligeable, puisqu'il suffit à renouveler plusieurs fois toute la population des neurones granulaires au cours de la vie d'un rongeur. Cependant, cette production de nouveaux neurones ne paraît pas répondre à un modèle de simple renouvellement, dans lequel des cellules neuves viendraient remplacer les neurones qui meurent. Ainsi, certains neurones granulaires persistent pendant toute la vie de l'animal, alors que d'autres n'ont qu'une brève durée de vie. Les nouveaux neurones pourraient augmenter l'effectif de la population totale, ou bien remplacer les cellules qui meurent sans modifier l'effectif total, et la neurogenèse pourrait donc avoir pour objet de modifier soit l'effectif de cette population, soit l'âge moyen des neurones qui la constituent. Par ailleurs, le rythme de production des neurones n'est pas constant, mais modulé en permanence par des signaux provenant des milieux interne et externe. Peut-être sera-t-il possible de se faire une idée de la fonction des nouveaux neurones à partir de la compréhension des facteurs qui contrôlent la neurogenèse. En ce qui nous concerne, nous avons découvert que deux facteurs contrôlant la neurogenèse dans le gyrus dentatus chez l'adulte jouent tous deux un rôle important dans les processus hippocampiques d'apprentissage et de mémoire, une relation que nous allons détailler maintenant.
Le premier de ces facteurs est le stress, qui réduit la production de nouveaux neurones granulaires5. Le fait a été démontré par deux tests classiques, chez des primates installés dans la cage d'un mâle qui ne leur était pas familier et chez des rats exposés à l'odeur d'un prédateur. Ces effets du stress sur la prolifération cellulaire sont dus à la modification de la concentration d'hormones : les corticoïdes6. Cette observation a été confirmée par l'ablation des glandes surrénales situées au-dessus des reins, comme leur nom l'indique, elles produisent la principale de ces hormones. Elle entraîne une augmentation de la production de nouveaux neurones. Comme les concentrations d'hormones corticoïdes évoluent selon un cycle diurne, la production de nouveaux neurones varie sans doute au cours de la journée, passant par un minimum au réveil et par un maximum douze heures plus tard. Il est probable que des facteurs de stress mineurs et de courte durée ralentissent la neurogenèse pendant plusieurs heures, alors que le stress chronique pourrait la bloquer pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois. Quel sens donner à ces résultats ? On considère souvent le stress comme quelque chose de négatif. Cependant, toute expérience nouvelle s'accompagne d'une élévation des concentrations d'hormones corticoïdes et d'autres signes de stress léger, phénomènes qui sont en fait importants pour l'apprentissage qu'impliquent ces situations nouvelles. Pourquoi ralentir la production de nouveaux neurones dans l'hippocampe pendant ce genre de situations ? Il semble que la survie des nouveaux neurones soit meilleure pendant les phases d'apprentissage. Il est donc possible qu'un ralentissement de leur production soit nécessaire pour éviter toute surpopulation.
Dans les processus hippocampiques d'apprentissage, un autre signal important est la liaison d'un neurotransmetteur, le glutamate, à un récepteur appelé NMDA7. Si les récepteurs NMDA sont bloqués, les rats sont incapables d'améliorer leurs performances aux tests de mémoire spatiale faisant intervenir l'hippocampe, comme la classique localisation d'une plate-forme immergée dans une piscine. Le blocage des récepteurs NMDA accroît la production de neurones granulaires et, à l'inverse, une activation de ces récepteurs réduit la production de ces neurones. Paradoxalement, les cellules en cours de division ne portent pas de récepteurs NMDA. Comment le glutamate exerce-t-il son action ? Il pourrait contrôler indirectement la prolifération par l'intermédiaire de signaux provenant des neurones granulaires matures. Ceux-ci émettraient en fait des signaux différents commandant aux cellules précurseurs de se diviser, lorsque leurs récepteurs NMDA sont inactifs. Par ailleurs, de nouvelles données montrent que d'autres neurotransmetteurs, comme la sérotonine et les opiacés, contrôlent eux aussi la prolifération des précurseurs des neurones granulaires ; on est donc conduit à penser que le niveau global d'activité des neurones granulaires matures pourrait contrôler la production des nouvelles cellules. Il existe un autre argument allant dans ce sens : la destruction d'un petit nombre de neurones granulaires matures active aussi la prolifération de leurs précurseurs8. Or les neurones granulaires morts sont inactifs, extrêmement, ce qui cadre avec l'idée selon laquelle une baisse d'activité de ces neurones serait le signal d'une augmentation de la production de nouveaux neurones. On aboutit à un modèle dans lequel les neurones granulaires actifs, dont on peut supposer qu'ils fonctionnent correctement, s'opposent à la production de nouveaux neurones, alors que les neurones silencieux parce qu'ils sont malades ou parce qu'ils ne participent pas à des circuits utiles ou importants déclenchent la production de nouveaux neurones destinés à prendre leur place.
La mise en évidence de la neurogenèse chez l'être humain adulte a suscité des espoirs considérables. La perspective de réparer le cerveau, ou de lui offrir des cures de rajeunissement a été évoquée à de multiples reprises. Qu'en est-il aujourd'hui ?
On a trouvé des neurones nouveau-nés dans l'hippocampe chez les plus âgés des rats et des singes étudiés, et chez des êtres humains jusqu'à l'âge de 72 ans. Mais le nombre de ces nouveaux neurones chute jusqu'à 10 % à peine de la production qu'on observe chez l'adulte jeune. Cette baisse liée à l'âge pourrait s'expliquer par le fait que les précurseurs immatures dotés de la capacité de division et de production de nouveaux neurones persisteraient plus longtemps dans cette région que dans la plupart des autres, mais finiraient malgré tout par mourir. Toutefois, nous avons récemment découvert que, si l'on supprime les corticoïdes surrénaliens chez des rats âgés, la prolifération retrouve le même niveau que chez les adultes jeunes9. Or, les concentrations de corticoïdes sont élevées chez les rats âgés. Ces hormones paraissent donc être responsables de la baisse de la neurogenèse avec l'âge. Fait intéressant, on observe chez certains êtres humains âgés un niveau élevé ou croissant d'hormones corticoïdes, et ce groupe de personnes est beaucoup plus affecté par ce qu'on appelle les pertes de mémoire bénignes de la sénescence liées au vieillissement normal qui diffèrent de celles liées, par exemple, à la maladie d'Alzheimer10. On pense que les pertes de mémoire en question sont liées à la formation hippocampique, où justement la production de neurones granulaires diminue11. Il est donc possible qu'elles soient liées à la diminution de la neurogenèse. A l'heure actuelle, cette relation n'est qu'une corrélation, mais la possibilité - fascinante - existe qu'un abaissement des taux de corticoïdes chez les personnes âgées puisse relancer la neurogenèse et corriger leurs troubles de la mémoire.
Des modifications de la neurogenèse interviennent peut-être aussi dans d'autres troubles hippocampiques comme la maladie d'Alzheimer, les pertes de mémoire consécutives aux accidents vasculaires cérébraux, ou l'épilepsie12 . Si ces hypothèses se vérifiaient, une normalisation de la prolifération des neurones granulaires pourrait contribuer à guérir ces différentes maladies cérébrales. Mais il y a plus encore : on saura peut-être un jour provoquer une régénération dans des populations neuronales qui ne se renouvellent pas normalement, ce qui permettrait de remplacer dans l'ensemble du cerveau les cellules perdues à la suite de lésions ou de maladies. Cependant, rien n'indique encore qu'il soit possible de forcer à se renouveler des neurones qui ne le font pas normalement chez l'adulte. A cette fin, il faudrait tout d'abord comprendre pourquoi la plupart des neurones ne se reproduisent pas à l'âge adulte. On pourrait ainsi se demander quelles sont les caractéristiques communes à ceux qui conservent au contraire cette capacité. A plusieurs égards, ces sous-types de neurones sont très différents les uns des autres. Les neurones granulaires du bulbe olfactif sont inhibiteurs, alors que ceux de l'hippocampe sont excitateurs. Dans le bulbe olfactif, ce sont des interneurones, renvoyant des signaux aux cellules qui leur ont adressé des messages, alors que les grains du gyrus dentatus sont des neurones projectifs, qui envoient des axones véhiculant le principal signal d'entrée des neurones pyramidaux de l'hippocampe. Les neurones corticaux nouveau-nés ont un axone, mais on ne sait pas encore s'ils sont excitateurs ou inhibiteurs, ou s'il en existe des deux types. Néanmoins, ces deux populations possèdent des points communs, le plus manifeste étant bien entendu leur dénomination : cellules granulaires, ou grains. Dans les deux cas, ils furent baptisés par les anciens anatomistes en raison de leur corps cellulaire arrondi et très petit. En outre, ces deux types cellulaires ont tous les deux un arbre dendritique relativement simple, peu ramifié, c'est-à-dire une structure probablement plus facile à produire dans le cerveau mature où l'espace libre est bien moins abondant que dans le cerveau en développement.
Il est possible que les précurseurs neuronaux persistant dans le cerveau adulte n'aient que des possibilités limitées et ne puissent se différencier que pour donner des neurones dotés seulement de ces structures élémentaires. Pourtant, même des cellules immatures transplantées à partir d'un cerveau embryonnaire se révèlent incapables de produire des neurones dans des régions du cerveau adulte où il n'y a pas normalement de neurogenèse. Il existerait donc, dans ces régions particulières, des signaux contrôlant quels types de neurones pourront, ou non, se régénérer à l'âge adulte. De tels signaux existent pendant le développement. Produits au moment voulu et provenant de diverses localisations, ils sont essentiels au développement morphologique des neurones et à l'établissement de leurs connexions, mais ils sont presque certainement absents dans la plus grande part du cerveau adulte. En effet, avec la maturation du système nerveux, les neurotransmetteurs de l'embryogenèse et de l'enfance sont remplacés par ceux de l'âge adulte. Point intéressant, le développement des deux populations de neurones qui se régénèrent à l'âge adulte commence très tard ; les premiers neurones granulaires des deux types apparaissent deux jours avant la naissance chez le rat, à un moment où cesse la production de la plupart des autres neurones. Ce détail est peut-être important, parce que cela signifie que les signaux nécessaires au développement de ces cellules proviennent probablement de neurones relativement matures, qui pourraient persister à l'âge adulte.
Malheureusement, on sait actuellement très peu de chose sur les signaux qui commandent normalement la différenciation et l'intégration en réseaux de la plupart des neurones. Dans le gyrus dentatus adulte, les nouveaux neurones granulaires envoient leur axone en direction des bonnes cellules cibles les cellules pyramidales CA3, et les connexions s'établissent assez rapidement - dans les quatre à dix jours après la fin de la division cellulaire13. Il ressort par ailleurs que cette intégration en circuits est essentielle à la survie des nouveaux neurones ; chez le rat de laboratoire normal, la moitié environ des neurones granulaires nouveau-nés meurent entre une et deux semaines après leur apparition, mais le taux de survie est beaucoup plus élevé si on soumet les rats à des tâches d'apprentissage. Cet effet ne s'observe que si les tâches en question font intervenir l'hippocampe, et s'il y a apprentissage véritable, et non pas seulement activation hippocampique. Peu après la connexion des nouvelles cellules à d'autres neurones, une activation spécifique des circuits ainsi établis est donc probablement nécessaire pour que les nouveaux neurones survivent. Comme l'activation des récepteurs NMDA est un élément essentiel de l'apprentissage hippocampique, il est probable que ces récepteurs sont importants pour la survie et pour la production de nouveaux neurones granulaires dans le gyrus dentatus . Serait-ce l'un des signaux recherchés ? Quoi qu'il en soit, pour remplacer les neurones disparus partout dans le cerveau, il faudra résoudre le problème complexe consistant à fournir tous les signaux nécessaires à leur bonne maturation morphologique et à leur intégration spatiale et temporelle.
Outre le fait qu'elle ouvre des perspectives en matière de réparation du cerveau, la neurogenèse à l'âge adulte modifie la manière dont il faut envisager le fonctionnement normal du cerveau. Depuis quelques années, on observe de plus en plus de signes de plasticité anatomique du cerveau adulte, à plusieurs niveaux, et notamment en ce qui concerne la forme et le nombre des synapses. Cependant, certains scientifiques tiennent encore pour une forme très rigoureuse d'hypothèse du cerveau stable, selon laquelle il n'y aurait aucune plasticité anatomique du cerveau adulte, et notamment du cortex ; ils estiment que la plasticité fonctionnelle qui sous-tend les mécanismes d'apprentissage suppose des modifications de la force des synapses, produites par une modification des récepteurs ou de l'environnement intracellulaire des neurones, au niveau moléculaire. Mais on sait désormais que certains neurones de régions importantes dans les processus d'apprentissage se renouvellent continuellement - ce qui constitue une modification anatomique relativement importante. Les populations de neurones où persiste une neurogenèse échangent toutes des informations avec d'autres populations considérées comme stables pendant toute la vie. Le remplacement de ces sous-populations disséminées signifie que des populations neuronales stables interagissent continuellement avec des populations qui ne cessent de changer, et que les neurones à longue durée de vie doivent établir de nouvelles synapses, ce qui modifie probablement la forme de leur arborescence dendritique. On a observé une formation et une disparition rapide des synapses au niveau des cellules pyramidales de l'hippocampe, mais il est probable que le même phénomène se produise aussi dans d'autres régions cérébrales. Même les populations non neurogènes pourraient donc être moins fixes morphologiquement qu'on ne le pensait auparavant. On est donc conduit à imaginer un modèle complexe de la plasticité cérébrale, dans lequel différentes sous-populations neuronales interagissent et font intervenir des types de plasticité différents, concernant l'expression des protéines, la morphologie cellulaire ou le renouvellement des neurones.
Ce modèle s'oppose à l'hypothèse d'un cerveau anatomiquement stable, mais il n'entre pas forcément en contradiction avec l'idée selon laquelle une population stable de neurones serait nécessaire à la conservation des souvenirs à long terme. Après tout, l'expérience nous apprend que le cerveau est performant pour garder des souvenirs sur des dizaines d'années, mais qu'il sait aussi bien oublier. Notre cerveau reçoit chaque jour tant d'informations nouvelles qu'il est absolument essentiel de les trier et d'éliminer des données sans importance ou dont nous n'avons plus besoin. On ne sait pratiquement rien de la manière dont s'effectuent ces processus, mais il est intéressant de rappeler que l'une des fonctions attribuées à l'hippocampe serait celle de transformer les souvenirs à court terme en souvenirs durables. Il est possible que les neurones à longue durée de vie, peu plastiques, soient essentiels pour la mémoire à long terme, ainsi que pour des fonctions sensitives et motrices qui n'ont pas besoin de changer beaucoup à l'âge adulte, alors que les neurones qui régénèrent interviendraient dans les processus rapides d'apprentissage et de mémoire à court terme.
Par Heather Cameron
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MODÉLISATION DES SYSTÈMES BIOLOGIQUES |
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Marie Odin - 6/07/2011
Estimation de paramètres : comment utiliser des données biologiques incomplètes ?
Bactérie E. Coli
© Institut Pasteur
Modéliser des systèmes biologiques, notamment au niveau des dynamiques de processus cellulaires : voici l’objectif de l’équipe IBIS. Les données biologiques sont de plus en plus nombreuses mais leur exploitation pour estimer les paramètres mathématiques du modèle reste un problème particulièrement difficile. Sara Berthoumieux, doctorante de l’équipe IBIS, nous présente ses travaux sur le sujet, réalisés dans le cadre de sa thèse.
Quels sont vos axes de recherche ?
Sara Berthoumieux : Nous travaillons sur la modélisation de systèmes biologiques, et particulièrement des réseaux de gènes et réseaux métaboliques. Nous utilisons des modèles dynamiques qui expliquent l’évolution dans le temps de ces systèmes. Pour ma thèse, nous nous sommes particulièrement intéressés aux réseaux métaboliques. Le métabolisme correspond à l’ensemble des réactions chimiques permettant de produire de l’énergie à partir des nutriments du milieu, ainsi que toutes les protéines indispensables au développement et à la croissance des cellules. Nous nous sommes intéressés au métabolisme de la bactérie Escherichia coli . Cette bactérie est très étudiée en biologie car elle est facile à cultiver. Elle est donc bien connue ce qui facilite la modélisation. L’intérêt de ces recherches est d’étudier le métabolisme pour une meilleure compréhension des processus avec des perspectives notamment d'applications biotechnologiques chez E. coli .
Exemple de réseau métabolique - © LGCB, université Clermont Ferrand
Quelles sont les difficultés rencontrées ?
Sara Berthoumieux : La difficulté principale est d'obtenir des valeurs pour les paramètres mathématiques du modèle. Ceux-ci correspondent à des coefficients permettant de quantifier les réactions. Ils sont indispensables pour la construction du modèle. Or, ces paramètres ne sont pas directement mesurables car la plupart du temps ils ne sont pas liés à une entité biologique. Nous devons donc les estimer à partir de données biologiques sur les sorties du modèle, notamment ici les concentrations des métabolites, composants des réactions chimiques et les flux de ces réactions. Il faut mentionner qu'il est très difficile de mesurer précisément ces valeurs car les réactions métaboliques sont très rapides et les métabolites des composés instables. Cela nécessite des techniques de mesure sophistiquées, assez récentes, avec des appareils de mesure très puissants. Ces nouvelles techniques produisent de nombreuses informations mais elles contiennent beaucoup de bruit à cause des incertitudes expérimentales importantes. En outre, elles contiennent de nombreuses données manquantes ce qui est fortement problématique pour l’estimation des paramètres du modèle. Nos travaux ont donc consisté à proposer une méthode d’estimation des paramètres, adaptée au modèle que nous étudions, pour faciliter l’exploitation des grands jeux de données biologiques, même si ces données sont incomplètes et imprécises.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette méthode d’estimation des paramètres ?
Sara Berthoumieux : Nous avons recherché dans la littérature des données biologiques sur les métabolites et nous avons sélectionné le plus gros jeu de données existant, paru dans un article de la revue Science en 2007. Pour l’estimation de paramètres, nous considérons les données manquantes comme des variables aléatoires dont la distribution est définie à partir des données observées. Pour estimer les valeurs de paramètres à partir de ces données , nous avons adapté une méthode standard dans la littérature. Nous calculons en plus une marge d'erreur pour chaque paramètre, appelée intervalle de confiance. Cependant nous avons pu nous rendre compte que même en utilisant le plus grand jeu de données existant et une méthode validée, les intervalles de confiances obtenus ne permettent pas toujours d'obtenir des estimations précises des valeurs de paramètres. A l'heure actuelle, il est encore très difficile d'obtenir des données expérimentales suffisamment précises et nombreuses pour calibrer les modèles quantitatifs de grands réseaux métaboliques!
Ces travaux ont été réalisés conjointement avec le Laboratoire de Biométrie et de Biologie Evolutive (LBBE). Le modèle étudié a été conçu spécialement pour l’article par Matteo Brilli, actuellement post-doctorant au sein de l'équipe-projet Bamboo d'Inria.
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