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STALINE
Cet article fait partie du dossier consacré à la Seconde Guerre mondiale et du dossier consacré au totalitarisme.
Homme d'État soviétique (Gori, gouvernement de Tiflis, 1878 [officiellement 1879]-Moscou 1953).
Staline
Maître incontesté de l'Union soviétique, de 1929 à sa mort, Staline est l'un des personnages marquants de l'histoire du xxe siècle. Il symbolise la lutte du peuple soviétique contre le nazisme et apparaît en même temps comme le créateur d'un régime totalitaire. Qu'on le considère comme l'héritier de la révolution russe ou, au contraire, comme son fossoyeur, Staline fut à la fois l'un des hommes les plus adulés et les plus honnis de son époque.
Le révolutionnaire professionnel (1879-1917)
Né en Géorgie, dans l’Empire russe, où il s’initie au militantisme, d’abord nationaliste, puis socialiste, Iossif Vissarionovitch Djougatchivili (qui prendra en 1912 le pseudonyme de Staline [du russe stal, acier]) alterne à partir de 1901 périodes de clandestinité et d’emprisonnement.
Rallié aux bolcheviks, partisans d’une conquête du pouvoir par la révolution, il s’affirme progressivement au sein de leur parti et auprès de son leader, Lénine. La révolution qui éclate en février 1917 permet à Staline alors déporté en Sibérie de rentrer en Russie.
La montée vers le pouvoir (1917-1928)
Agissant avec prudence au sein du parti, Staline est en charge de la question des nationalités, dont il garde la responsabilité en tant que commissaire du peuple, après la prise de pouvoir des bolcheviks par la révolution d’Octobre.
Très actif durant la guerre civile entre Blancs partisans de l'ancien régime, et Rouges révolutionnaires, il devient en 1922 secrétaire général du parti et dispute dès lors l’héritage de Lénine aux autres dirigeants, parmi lesquels Trotski. À la fin de 1928, il apparaît comme le maître absolu de l’Union soviétique.
L'ère stalinienne (1928-1953)
Tournant le dos à l’internationalisme prolétarien, Staline entreprend de construire à marche forcée « le socialisme dans un seul pays », par l’industrialisation, la planification et la collectivisation autoritaires, et au prix d’une terreur politique destinée à éradiquer toute forme d’opposition ou de simple « fractionnisme » au sein du parti comme de la société.
Alors qu’il croit s’en être prémuni par le pacte germano-soviétique, Staline est pris de court par l'invasion hitlérienne de 1941. Mais, après avoir vacillé, son pouvoir sort renforcé de la « grande guerre patriotique » qui fait de l’Union soviétique une puissance mondiale, dotée d’une zone d’influence en Europe de l’Est.
Après la guerre commence alors une phase de restalinisation violente, marquée par une reprise de la terreur et une accentuation du culte de la personnalité de Staline.
À sa mort, en mars 1953, des millions de personnes, volontaires ou réquisitionnées, assistent à ses funérailles solennelles. Dès 1956, le secrétaire général du parti communiste d'URSS, Khrouchtchev, amorce un processus de déstalinisation, mais qui touche bien plus la personne de Staline que le régime totalitaire qu’il a forgé (→ stalinisme).
1. La formation d'un révolutionnaire professionnel (1879-1917)
1.1. La jeunesse d'un révolté (1879-1899)
Une enfance difficile (1879-1894)
Iossif Vissarionovitch Djougachvili est né à Gori, à l’époque gros bourg de Géorgie. Son père, Vissarion, est un pauvre cordonnier, qui va marquer profondément l'enfance de Iossif par sa brutalité. Les difficultés financières amènent Vissarion Djougatchvili à quitter Gori pour aller travailler dans une usine de chaussures à Tiflis (actuelle Tbilissi), la capitale de la Géorgie. À sa mort, son fils n'avait que onze ans. Sa mère, Ekaterina, une ancienne serve, travaille durement, en faisant des lessives chez des employeurs, pour lui assurer des études.
Le séminariste Djougatchvili (1894-1899)
Après avoir fréquenté l'école orthodoxe de Gori, Iossif est admis en 1894 au séminaire orthodoxe de Tiflis – seule façon pour un jeune homme pauvre de pouvoir continuer des études. Il y reste cinq ans avant d'en être expulsé. On sait peu de chose sur ses études. Il régnait une discipline sévère dans cet établissement, qui était aussi un lieu de fermentation politique.
La Géorgie est alors une possession russe, et il y existe un mouvement national d'opposition à la domination des tsars ; en outre, les idées révolutionnaires ont pénétré le pays. En 1886, le principal du séminaire a été tué par un étudiant exclu, et, en 1893, peu de temps avant l'entrée de Iossif Djougachvili, une grève des séminaristes a contraint les autorités à fermer quelque temps l'établissement.
L'apprentissage de la politique
Dans une telle atmosphère, Djougatchvili fait un apprentissage plus révolutionnaire que religieux. En 1895, il publie dans la revue nationaliste Iberya un poème patriotique sous la signature de Sosselo (le « petit Jojo »). Ses lectures deviennent « subversives » : c'est ainsi qu'il est mis au cachot pour avoir lu les Travailleurs de la mer de Victor Hugo. En 1898, il adhère à un cercle clandestin nationaliste, Messame-Dassi (le « troisième groupe »), où dominent les idées socialistes, et il est chargé d'organiser des cercles d'études pour les ouvriers. La même année, dans un rapport, le directeur du séminaire écrit : « Djougatchvili est généralement irrespectueux et grossier envers les autorités. » En mai 1899, le jeune homme est exclu du séminaire.
1.2. Le militant révolutionnaire (1899-1917)
La clandestinité
Marx, Engels, Lénine et StalineMarx, Engels, Lénine et Staline
Dès lors commence pour Iossif Djougatchvili la vie difficile du militant révolutionnaire. Il vit en donnant des leçons, puis travaille à l'observatoire de Tiflis tout en militant activement et en lisant avec passion les ouvrages socialistes, ceux de Marx en premier lieu. En 1901, il bascule dans la clandestinité : il y vivra, à quelques exceptions près, jusqu'au début de la révolution, qui marque la chute du tsarisme (mars 1917).
À la fin de l'année 1901, il part pour Batoumi, important port industriel à la frontière turque. C'est là qu'il prend son premier surnom, Koba (« l'Indomptable », nom turc d'un héros populaire géorgien). En avril 1902, il est arrêté : c'est sa première incarcération, mais non la dernière. Il restera en prison un an, sera ensuite condamné à trois ans de déportation en Sibérie orientale, mais s'évadera en janvier 1904.
Dans l'intervalle, il a participé, en septembre 1901, à la création d'un journal clandestin en géorgien Brdzola (la Lutte). Il se sépare alors du groupe nationaliste Messame-Dassi. À partir de 1903, il défend les thèses des bolcheviks au sein du parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR), auquel il va désormais attacher ses pas.
Durant la révolution de 1905
À la suite de la guerre russo-japonaise et des défaites russes de l'année 1904, la révolution gronde en Russie. Grèves et manifestations ont lieu dans tout l'Empire et sont particulièrement importantes dans les régions caucasiennes, où milite Koba-Djougatchvili. Celui-ci participe même à la création d'une organisation militaire destinée à préparer l'insurrection.
Toujours dans la clandestinité, Koba prend une part active à la révolution de 1905. Il est élu délégué à la conférence nationale du parti bolchevik qui se tient à Tammerfors, en Finlande (alors occupée par les Russes). C'est sa première sortie hors du Caucase et sa première rencontre avec Lénine. En avril 1906, Koba se rend à Stockholm au IVe Congrès du POSDR. En 1907, il est à Londres pour participer au Ve Congrès du parti. Son rôle politique est déjà important.
L'agitateur du Caucase
Après Londres, Koba gagne Bakou dont il fait, avec Stepan Chaoumian (le « Lénine du Caucase »), le centre des activités bolcheviques dans la région. Dans ce grand centre pétrolier, son activité est considérable auprès des ouvriers du pétrole, parmi lesquels se côtoient plusieurs nationalités : Azerbaïdjanais, Géorgiens, Arméniens et Russes.
En même temps, il participe à la direction de brigades chargées d'organiser des attaques contre les banques et les transferts d'argent. Ces « expropriations » seront nombreuses dans le Caucase (la plus importante aura lieu à Tbilissi et servira, pour une large part, à alimenter les caisses du groupe bolchevik). Cependant, Koba se heurte à Chaoumian et cherche à l'évincer, au point que ses camarades le soupçonnent de l'avoir dénoncé à la police – dès cette époque, le caractère du futur Staline est marqué par sa brutalité.
De prison en prison (1908-1917)
En mars 1908, Koba est de nouveau emprisonné et déporté ; il s'évade en juin 1909 et reprend sa place à la direction clandestine du comité de Bakou. Réarrêté en mars 1910, il s'évade encore en février 1912. Il n'a pas pu participer au congrès de Prague (janvier 1912), au cours duquel est consommée la scission du POSDR entre un parti menchevik (« minoritaire ») réformiste et un parti bolchevik (« majoritaire ») révolutionnaire.
Koba est coopté au Comité central bolchevik et devient un de ses principaux dirigeants de l'intérieur. En avril 1912, il est à Saint-Pétersbourg, capitale de l'Empire tsariste, où il participe à la création du journal Pravda (la Vérité). C'est lui qui en signe le premier éditorial. Il est arrêté une fois encore et déporté en Sibérie occidentale, d'où il s'évade une nouvelle fois.
Après un séjour en exil à Cracovie (alors en territoire autrichien), puis à Vienne, Koba prend le risque de revenir à Saint-Pétersbourg, mais est arrêté huit jours après (février 1913) sur dénonciation de Malinovski, député bolchevik et agent de l'Okhrana, la police politique du tsar.
Déporté dans le nord de la Sibérie, étroitement surveillé, il reste quatre ans dans cette région au climat pénible et éloignée de tout. C'est la révolution qui éclate en février-mars 1917 qui va le libérer.
Staline et la question nationale
Pendant son séjour à Cracovie, où Lénine l'a appelé, en novembre 1912, à venir travailler auprès de lui, il rédige, à sa demande, plusieurs articles sur les problèmes nationaux. C'est au bas d'un article sur « le Marxisme et la question nationale » qu'apparaît pour la première fois la signature Staline (« l'homme d'acier »). Dans cet article, tout en défendant le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, il présente une vision très centraliste du problème des nationalités dans l'Empire russe. Surtout, Staline donne une définition restrictive de la nation, qui, selon lui, ne peut exister sans territoire. S'y esquisse déjà la politique impérialiste qu'il mettra en application, une fois parvenu au pouvoir.
2. La montée de Staline vers le pouvoir (1917-1928)
À partir de 1917, l'histoire de Staline se confond avec celle de la révolution et de l'Union soviétique.
2.1. D'une révolution à l'autre (mars-novembre 1917)
Devant le succès du mouvement révolutionnaire à Petrograd (nouveau nom de Saint-Pétersbourg, débaptisée en 1914 après l'entrée en guerre contre l'Allemagne) et son extension en province, le tsar Nicolas II a abdiqué le 15 (le 2, selon l'ancienne datation) mars 1917. Un Gouvernement provisoire s'est formé, dirigé par le prince Lvov. La bourgeoisie gouverne, mais doit composer avec le soviet de Petrograd, dirigé par les mencheviks, les bolcheviks et les S-R (socialistes-révolutionnaires, non marxistes).
Un bolchevik de compromis
C'est le 25 mars 1917 que Staline, de retour de déportation revient à Petrograd. En l'absence de Lénine – encore en Suisse –, il joue un rôle important dans la direction du parti bolchevik, en particulier à la Pravda. Tout en combattant les positions de la droite du parti bolchevik – représentée par Kamenev, favorable à un « soutien critique » du Gouvernement provisoire et proche des mencheviks –, il critique la gauche du parti, qui, avec Molotov, exige la rupture complète avec le Gouvernement provisoire.
Cette attitude centriste de Staline est vivement critiquée par Lénine dès son retour de Suisse le 16 avril. Lénine considère qu'il faut combattre vigoureusement la politique du Gouvernement provisoire, dirigée par la bourgeoisie et soutenue par le soviet de Petrograd et les mencheviks.
Pendant ce temps, la guerre continue, et le Gouvernement provisoire se refuse à toute réforme importante. Après quelques hésitations, Staline se rallie aux thèses de Lénine ; il est élu au Comité central du parti lors de la septième conférence panrusse, où il défend la résolution proposée par Lénine.
De mai à novembre 1917, il soutient Lénine sans défaillance et joue un rôle essentiel dans l'organisation du parti bolchevik, en même temps qu'il s'affirme comme un spécialiste du problème des nationalités.
Staline, dirigeant officieux du parti
Quand Lénine doit replonger dans la clandestinité à la fin de juillet 1917, après une tentative de prise de pouvoir par l'aile avancée des militants ouvriers, marins et soldats (que le parti bolchevik a d'ailleurs désavouée), c'est Staline qui dirige le parti, de nombreux leaders, Kamenev et Trotski, entre autres, ayant été arrêtés et emprisonnés. Malgré la répression, l'influence bolchevik se développe rapidement chez les ouvriers, dans l'armée et même chez les paysans, pourtant davantage tournés vers les S-R.
Le Gouvernement provisoire, dirigé depuis le 6 août par Aleksandr Kerenski, se refuse à mettre fin à la participation de la Russie à la guerre et mécontente une opinion de plus en plus sensible au mot d'ordre de paix.
En septembre 1917, le commandant en chef de l'armée, le général Lavr Kornilov, tente avec la complicité du Gouvernement provisoire un coup d'État destiné à instaurer une dictature militaire pour contrer l'ascension des bolcheviks. Ceux-ci organisent la lutte contre Kornilov et font échouer le putsch. En même temps, ils deviennent majoritaires aux soviets de Petrograd et de Moscou, ainsi que dans un grand nombre de soviets de villes et de régiments.
Le soutien à Lénine
Lénine et StalineLénine et Staline
C'est alors que Lénine, toujours dans la clandestinité, propose de préparer une insurrection pour éliminer le Gouvernement provisoire, complice du putsch militaire. Il faudra près d'un mois au Comité central du parti bolchevik pour se décider : c'est chose faite le 23 (10) octobre 1917.
Pendant cette période, Staline est, avec Iakov Sverdlov et Trotski, un des plus solides soutiens de Lénine. Il ne joue pas cependant dans la préparation de l'insurrection un rôle majeur, pas aussi important du moins qu'il ne le prétendra par la suite, mais sans doute plus essentiel que ne le dira Trotski. Représentant du parti au Comité révolutionnaire du soviet de Petrograd et membre du Bureau politique (→ Politburo) du parti, organisme qui vient d'être créé au sein du Comité central, Staline est à Smolnyï (quartier général de l'insurrection) un des principaux relais du parti.
Pour en savoir plus, voir l'article révolution russe de 1917.
2.2. Staline pendant le « communisme de guerre »
Commissaire du peuple aux Nationalités
Au lendemain de la révolution d'Octobre et la prise du pouvoir par les bolcheviks, lorsque le Conseil des commissaires du peuple (en fait le gouvernement) est constitué, Staline est nommé commissaire aux Nationalités. Ce poste peut apparaître comme secondaire. En réalité, il est délicat et crucial, car l'Empire russe que la révolution fait s'effondrer est une mosaïque de nationalités extrêmement diverses.
Le nouveau pouvoir soviétique va, dès le 15 novembre, proclamer les droits des peuples de Russie :
– 1 « égalité et souveraineté des peuples de Russie ;
– 2 « droit des peuples de Russie de disposer d'eux-mêmes jusqu'à séparation et constitution d'un État indépendant ;
– 3 « suppression de tous les privilèges nationaux ou religieux ;
– 4 « libre développement des minorités nationales et groupes ethniques habitant le territoire russe. »
Ces principes posés, il reste à les appliquer, et ce n'est pas chose facile.
Les puissances étrangères utilisent la situation pour renforcer leurs positions dans les anciennes colonies russes. Ici et là, les nationalistes de droite combattent les bolcheviks, souvent encore très faibles dans certaines régions périphériques de l'Est, dans le Caucase et même en Finlande.
Enfin, la guerre civile menace de toutes parts, et le conflit continue avec l'Allemagne, qui, même après la signature du traité de Brest-Litovsk en mars 1918, poursuit ses opérations en Ukraine. Après l'armistice du 11 novembre 1918 (signé en l'absence de la Russie), Britanniques et Français relaient Allemands et Turcs contre la Russie soviétique.
Un personnage-clé du parti
Staline, dans la tâche qui lui est confiée, fait preuve de doigté et de diplomatie, du moins dans les premières années du nouveau régime. Sa position personnelle est forte, encore qu'obscure. Il est l'un des quatre membres de l'exécutif du Comité central désigné après la révolution (avec Lénine, Trotski et Sverdlov) ; il est également nommé représentant du parti bolchevik à l'exécutif du Conseil des commissaires du peuple (une sorte de cabinet restreint composé de trois bolcheviks, Lénine, Trotski et Staline, et deux S-R de gauche). C'est dire s'il est en fait, après Lénine et Trotski, l'un des premiers dirigeants de la Russie soviétique.
Au moment des vives discussions qui opposent entre eux les dirigeants bolcheviks avant la signature du traité de Brest-Litovsk, Lénine est longtemps mis en minorité, mais Staline est un de ceux qui le soutiennent.
En lutte contre les « Blancs »
La guerre civile, cependant, s'étend et, dès l'été 1918, elle fait rage sur tout le territoire de l'ancien Empire tsariste entre les Rouges, les révolutionnaires, et les Blancs, partisans de l'ordre ancien. Comme tous les dirigeants bolcheviks, Staline se rend sur le front. À l'origine, il est chargé d'assurer le ravitaillement en blé de la capitale, et son quartier général se trouve sur la Volga, à Tsaritsyne, la future Stalingrad (rebaptisée ainsi en son honneur en 1925). En octobre-novembre 1919, les armées blanches, après de violents combats, subissent une défaite écrasante. Trotski, commissaire du peuple à la Guerre, et Staline se disputent les lauriers de la victoire.
L'antagonisme entre Staline et Trostki
Rappelé à Moscou avec les honneurs de la guerre, Staline repart à plusieurs reprises pour le front en 1919 contre le général Anton Denikine, puis en 1920 lors de la campagne de Pologne qui se termine par la défaite de l'Armée rouge (et Staline, qui en est le commissaire politique, en est rendu largement responsable par Trotski).
C'est cependant au cours de cette période qu'il se constitue un groupe de fidèles, Caucasiens et Russes, qui l'accompagneront dans son ascension au pouvoir.
Décoré de l'ordre du Drapeau rouge, Staline n'a, sans doute, pas la popularité de Trotski au lendemain de la guerre civile, mais il apparaît dans les cercles dirigeants bolcheviks comme un organisateur efficace. C'est pourquoi Lénine, tout en lui laissant le commissariat du peuple aux Nationalités, lui confie la direction de l'Inspection ouvrière et paysanne, un organisme de contrôle destiné à lutter contre la bureaucratie.
Un pays à reconstruire
À l'héritage déjà lourd du tsarisme s'ajoute celui de la guerre. Vainqueurs, les bolcheviks se trouvent à la tête d'un pays ruiné et meurtri, après quatre ans de guerre étrangère et trois ans de guerre civile. Il y a eu au total, de 1914 à 1922, plus de 13 millions de victimes, dont 8 millions au cours de la terrible famine de l'hiver 1921-1922. L'industrie n'existe pratiquement plus, et l'agriculture est si ralentie qu'à peine la moitié des terres cultivées en 1913 sont ensemencées en 1921.
La Russie soviétique, d'autre part, reste isolée. À ses frontières, les grandes puissances établissent un « cordon sanitaire » destiné à contenir le « péril bolchevik ». Proclamée le 30 décembre 1922, l'URSS n'est reconnue qu'en 1924 par la France et la Grande-Bretagne, en 1933 par les États-Unis. Un arrière-plan qu'on ne doit pas perdre de vue quand on étudie le rôle de Staline à partir de 1922.
2.3. L'affirmation de l'autorité de Staline sur le parti (1922-1928)
De 1922 à 1928, alors que la nouvelle économie politique (NEP), lancée par Lénine, permet de reconstruire le pays pratiquement sans aide étrangère (les grands pays industriels boycottant l'Union soviétique pendant de longues années), au sommet de l'appareil du parti se livrent d'âpres luttes d'influence, dont Staline va sortir finalement vainqueur.
Staline secrétaire général du parti
Joseph Staline, sur le socialismeJoseph Staline, sur le socialisme
Le 3 avril 1922, après le XIe Congrès du parti, Staline est élu secrétaire général. C'est un poste relativement nouveau, à l'origine plutôt administratif. Les circonstances vont lui donner une importance grandissante.
En effet, Lénine tombe gravement malade quelque temps après. Avant d'être écarté totalement des affaires par la maladie, il a eu le temps de juger avec sévérité l'action de Staline. Dans des notes rédigées en décembre 1922, considérées comme son testament, il a critiqué la conduite répressive de Staline en Géorgie et lui a reproché de ressusciter le chauvinisme russe et d'utiliser les méthodes autoritaires des tsars. « Le camarade Staline devenu secrétaire général a maintenant un énorme pouvoir entre les mains et je ne suis pas sûr qu'il sache toujours user de ce pouvoir avec assez de prudence. » « Staline est trop brutal », ajoute-t-il, et il propose de le remplacer au secrétariat général par un « homme plus patient, plus loyal, plus poli et plus attentionné envers les camarades […] ».
L'héritage disputé de Lénine
Néanmoins, Staline reste secrétaire général, et son autorité s'affirme au fil des ans. Jusqu'à la mort de Lénine, le 21 janvier 1924, les assauts contre Trotski de la « troïka » que Staline forme avec deux autres membres du Politburo – Zinoviev et Kamenev –, sont relativement modérés, d'autant que le pays est alors en crise.
Staline se prononce contre la révolution permanente prônée par Trotski, il accuse ce dernier de mener une activité fractionnelle au sein du parti, d'avoir des vues économiques erronées, et critique ses Leçons d'Octobre parues en octobre 1924. Il parvient peu à peu à l'isoler, en envoyant ses partisans à l'étranger ou dans des régions reculées de l'URSS, ou en les démettant simplement de leurs fonctions.
Trotski, condamné par une résolution du Comité central de janvier 1925, n'intervient pas en faveur de Kamenev et de Zinoviev, attaqués à leur tour par Staline lors du XIVe congrès du parti en décembre, mais il s'allie à eux l'année suivante. Cela n'empêche pas Staline de l'emporter : Trotski et Zinoviev sont exclus du parti le 15 novembre 1927, et leurs partisans le sont lors du XVe congrès du parti, un mois plus tard.
Les raisons de la victoire de Staline sur ses rivaux à la succession de Lénine
Tout en jouant à certains moments la modération, Staline met ses opposants dans la position d'« aventuristes », de destructeurs de la cohésion du parti, dont il se présente comme le seul garant. Son entreprise est facilitée par le fait que ses adversaires eux-mêmes renoncent à utiliser toutes les armes à leur disposition ; ainsi, Trotski et Nadejda Kroupskaïa, la veuve de Lénine, vont jusqu'à nier l'existence du « testament » de Lénine au nom de l'unité du parti.
Staline sait aller jusqu'au bout de son point de vue et le parti bolchevik, compte tenu des nécessités du moment, serre les rangs derrière lui. La révolution, en effet, a échoué partout ailleurs qu'en Russie, et il semble peu probable qu'elle triomphe de sitôt. La construction du « socialisme dans un seul pays », option que défend Staline, s'impose dès lors comme un impératif, en opposition à l'internationalisme prôné par Lénine.
Au-delà des querelles personnelles entre les « héritiers de Lénine » – Staline, Trotski, Kamenev, Boukharine, Zinoviev –, il y a des choix fondamentaux à faire. Staline les fait avec le plus de netteté, et sans hésiter à évincer brutalement ses opposants.
3. Staline maître de l'URSS (1928-1953)
3.1. L'ordonnateur de la dictature totalitaire (1928-1941)
Les moyens du pouvoir : un parti unique renouvelé, un appareil répressif tout-puissant
À la fin de 1927, une fois Trotski, Zinoviev et Kamenev exclus du parti bolchevik, l'autorité de Staline est désormais incontestable. Staline domine le parti, et le parti domine les soviets et l'État. La construction du socialisme dans un seul pays devient le mot d'ordre du parti. Un parti unique mais qui reste faible malgré sa victoire, en raison même des conditions dans lesquelles il a triomphé. La Russie tsariste n'avait ni traditions ni structures démocratiques. La guerre civile a conduit les bolcheviks à répondre par la « terreur rouge » à la « terreur blanche ». La police politique (la Tcheka, devenue la Guépéou en 1922) a pris une importance démesurée.
D'abord au service du parti et orientée vers la défense de la révolution, la « Commission extraordinaire » (Tcheka) à laquelle avait dû se résoudre Lénine est rapidement devenue une institution permanente, un appareil d'État – la dénomination GPU (Guépéou) en est révélatrice : Administration Politique d'État –, qui étend son contrôle jusque sur le parti. Depuis la révolution, le parti n'a cessé de croître : en 1929, ses effectifs sont trois fois plus nombreux qu'à la mort de Lénine, mais il ne compte pratiquement plus de vieux bolcheviks, sa base ouvrière se réduit au profit d'une couche de fonctionnaires, et le niveau intellectuel des nouveaux venus est aussi limité que leur expérience politique. Comme moyen de concrétiser le changement radical et rapide où s'engage Staline, le parti paraît inadéquat. Cela explique au moins en partie le glissement du système politique vers les forces de sécurité, dont Staline fait l'instrument de son volontarisme.
Industrialisation, collectivisation et planification à marche forcée
Joseph StalineJoseph Staline
Fort des succès de la nouvelle économie politique (NEP), Staline engage alors l'Union soviétique sur la voie de l'industrialisation accélérée. L'URSS est en effet, en 1929, encore un pays rural pour les quatre cinquièmes, et la révolution, après avoir nationalisé les terres, les a distribuées aux paysans. Afin d'industrialiser rapidement, il faut, du fait de l'absence d'investissements étrangers, utiliser les capitaux d'origine rurale. Le drame, c'est que la collectivisation des terres, à la fois nécessité économique et donnée de principe de l'économie socialiste, va se faire dans la plus grande hâte et par des mesures violentes : en janvier 1930, Staline décrète « la liquidation des koulaks (paysans aisés) en tant que classe ». L'exode rural massif et la déstructuration de l'économie rurale se traduisent par une terrible famine qui, en 1932-1933, fait plusieurs millions de victimes, en Ukraine principalement.
La planification permet de concentrer les forces disponibles sur les secteurs décisifs de l'industrie lourde, mais cela ne peut se réaliser qu'au prix d'une mobilisation de toutes les énergies s’accompagnant d’une fuite en avant : les objectifs initiaux du premier plan quinquennal sont doublés, triplés, quintuplés suivant les branches. Assortie de la disparition de toute la sphère privée pour les individus, puis de l'embrigadement, voire de l'asservissement, des classes laborieuses, la course à la production se traduit aussi par les mouvements de « compétition socialiste » : « travailleurs de choc » à partir de 1929, puis stakhanovisme à partir de 1935.
La terreur politique stalinienne
L'économie socialiste fait des progrès sérieux – l'industrialisation sera une réalité en 1939 –, l'évolution culturelle est considérable et l'analphabétisme est éliminé chez les moins de quarante ans ; seule l'agriculture piétine, en raison de la collectivisation.
En même temps, les méthodes de plus en plus autoritaires de Staline se heurtent à la résistance naissante de nombre de communistes, même si le monolithisme du parti est devenu total en 1933 après l'éviction de Boukharine (1929) et de l'« opposition de droite ».
Pour imposer sa volonté transformatrice, Staline doit s'appuyer sur un appareil policier puissant et renforcer les institutions étatiques. Démasquant complots et réseaux de sabotage, réels ou imaginaires, il réorganise la police politique (la Guépéou est remplacée par le NKVD en 1934), qu'il confie à Guenrikh Iagoda, cadenasse tout l'appareil d'État et se débarrasse systématiquement de tous ceux qui critiquent ou pourraient critiquer sa politique.
L'assassinat en décembre 1934 de Kirov, secrétaire du parti à Leningrad (ex-Petrograd, débaptisé en 1924) et successeur potentiel du secrétaire général, ouvre une ère de terreur.
Cent dix-sept exécutions capitales sont immédiatement ordonnées à la suite de cet attentat (en 1937, Staline « révèlera » que le principal assassin de Kirov était en fait Iagoda, l'un de ses plus proches collaborateurs et l'instrument de sa politique terroriste). Staline fait procéder à une vague de purges massives.
Lors des procès de Moscou, de 1936 à 1938, sont jugés et condamnés la plupart des dirigeants de la révolution (des prototypes plus modestes de ces grands procès, visant des intellectuels et des mencheviks, avaient déjà été organisés au début des années 1930) ; l'épuration s'étend rapidement à des centaines de milliers de cadres administratifs, militaires, économiques et culturels.
Sous le contrôle du NKVD, les camps de travail forcé se remplissent de millions de personnes, dont la plupart disparaissent dans ce qui sera plus tard connu sous le nom de Goulag.
Un chef puissant et adulé, mais isolé
Merci à notre cher Staline pour notre enfance heureuseMerci à notre cher Staline pour notre enfance heureuse
Le stalinisme s'exprime également dans le culte du chef, dont les portraits et les statues sont omniprésents. Au XVIIe Congrès du parti, dit « des vainqueurs », en février 1934, Staline est devenu, dans la description de Kirov, « le plus grand homme de tous les temps et de tous les pays ». Cette vénération atteint son apogée en 1936 – année de l'adoption de la nouvelle Constitution soviétique, dite « stalinienne » –, puis lors des 60e et 70e anniversaire de Staline, en 1939 et 1949. Staline vit jusqu'en 1933 au Kremlin, dont il ne sort guère, sinon pour les cérémonies officielles sur la place Rouge. La plupart de ses compagnons de jeunesse et même ses amis de la révolution disparaissent tragiquement, dont un grand nombre sur son ordre. Le pouvoir suprême accentue le côté solitaire – et brutal – de sa personnalité. Une solitude que ne compense aucune vie familiale.
Très jeune, Staline a épousé Ekaterina Svanidze, qui est morte en 1906 (leur fils deviendra général de l'Armée rouge). Après la révolution, il s'est remarié avec une très jeune fille, Nadejda Allilouïeva, qui se suicidera en 1932 dans des circonstances restées mystérieuses ; il fera fusiller par ailleurs deux de ses beaux-frères, et quatre de ses belles-sœurs seront déportées.
3.2. Le chef de l'Armée rouge (1941-1945)
Un conflit mal anticipé
Camarades de combatCamarades de combat
En 1939 commence la Seconde Guerre mondiale. L'Union soviétique reste neutre jusqu'en juin 1941 en vertu du pacte de non-agression avec l'Allemagne hitlérienne (août 1939). Les Occidentaux (France et Grande-Bretagne) ont refusé de signer avec l'URSS un accord militaire et économique face à l'Allemagne hitlérienne. À Munich, en septembre 1938, Français et Britanniques ont traité avec Hitler sans consulter l'URSS, tandis que les États-Unis restent neutres jusqu'en décembre 1941. Si, du point de vue soviétique, le pacte germano-soviétique se justifie – il faut gagner du temps –, on comprend mal, en revanche, que Staline ait pu être surpris par l'agression hitlérienne du 22 juin 1941, car le gouvernement soviétique a reçu des informations précises à ce sujet. Avec les difficultés de 1932-1933, dues aux conditions de la collectivisation des terres, les défaites qui suivent l'invasion allemande seront le plus grand échec de Staline. Pendant plus d'une semaine, il disparaît même de la scène politique.
Le maréchal Staline
Travailler pour que le camarade Staline nous remercie !Travailler pour que le camarade Staline nous remercie !
Le 3 juillet 1941, Staline s'adresse cependant aux Soviétiques pour les appeler à la lutte contre l'envahisseur. Président du Conseil des commissaires du peuple depuis le 6 mai 1941 (où il remplace Molotov), il devient président du Comité d'État pour la défense, puis commandant en chef de l'Armée rouge (août), concentrant ainsi dans ses mains tous les pouvoirs civils et militaires.
En octobre 1941, malgré la menace allemande, Staline décide de rester à Moscou. Le 6 novembre, il prononce, à la station de métro Maïakovski, un discours qui en appelle ouvertement aux sentiments patriotiques et, le lendemain, à l'occasion du 24e anniversaire de la révolution d'Octobre – alors les Allemands sont à moins de 100 km de la capitale –, il passe en revue les troupes sur la place Rouge.
Staline parvient à inspirer au peuple une véritable foi dans son infaillibilité, à dissiper les doutes et les rancoeurs des années précédentes ; se conciliant par des concessions l'Église orthodoxe et restaurant dans l'armée les valeurs traditionnelles, il mobilise la population au service de la « grande guerre patriotique ». Les succès militaires soviétiques, surtout après la terrible bataille de Stalingrad (février 1943) permettent au « petit père des peuples » adulé de ses concitoyens de s'attribuer une stature de grand chef militaire. En 1943 il se fait maréchal, en 1945 généralissime.
Pour en savoir plus, voir l'article Seconde Guerre mondiale.
Lorsque la Seconde Guerre mondiale s'achève, l'URSS, dont la participation à la victoire sur Hitler a été décisive, bénéficie d'un prestige énorme dans le monde, et Staline est au zénith de sa gloire. Son culte est célébré avec une intensité croissante tant en URSS que dans les démocraties populaires : érection de statues monumentales, diffusion d'une littérature dithyrambique, etc.
3.3. Le maître du camp socialiste (1945-1953)
La victoire de l'URSS a été obtenue au prix de sacrifices immenses : plus de 20 millions de morts (700 000 rien que pour les victimes civiles de Leningrad) et près de la moitié du pays dévasté par les nazis.
Puissance militaire et guerre froide
Conférence de Yalta, 1945Conférence de Yalta, 1945
Il faut donc reconstruire le pays, et cela demande du temps et de nouveaux sacrifices. Lors des conférences de Téhéran (nov.-déc. 1943), Yalta (février 1945) et Potsdam (juillet-août 1945), Staline a défendu avec habilité et ténacité les acquisitions de l'URSS, il a tenté de trouver un accord pour l'après-guerre avec ses alliés occidentaux britanniques et américains, mais l'URSS ne possède pas encore la bombe atomique (la première n'éclatera qu'en 1949). Il lui faut dépenser des sommes énormes pour rattraper son retard militaire, ce qui ne peut qu'entraver le développement économique.
Pourtant, malgré la guerre froide (marquée par le blocus de Berlin et la guerre de Corée), l'URSS connaît un certain développement industriel et culturel après 1947. Les industries spatiale et nucléaire sont créées à cette époque ; cependant, les biens de consommation ne progressent pas aussi vite, et les difficultés agricoles sont considérables.
Staline et l'impérialisme soviétique
Josip Tito, avril 1945, remerciements à StalineJosip Tito, avril 1945, remerciements à Staline
Après la victoire, Staline scelle la domination soviétique sur la majeure partie de l'Europe de l'Est. Subordonnant encore plus qu'auparavant toute visée internationaliste aux intérêts de l'URSS, il crée alors le Kominform (1947), qui impose aux partis communistes (notamment après la rupture avec la Yougoslavie de Tito en 1949) le soutien inconditionnel de la politique soviétique et l'adoption du dogmatisme diffusé par son collaborateur Jdanov. La dernière période voit Staline régner sans partage sur ce nouvel empire, dans un style ouvertement autocratique, et le congrès du parti n'est plus réuni avant 1952.
Le retour à la terreur
Vénéré à l'égal d'un dieu, Staline, qui a depuis longtemps l'obsession du complot, devient de plus en plus méfiant et soupçonneux. Ne gouvernant plus qu'avec une poignée de responsables (Jdanov, Malenkov, Beria, Boulganine, puis Khrouchtchev), il durcit de nouveau son emprise. Il écarte les militaires vainqueurs de la guerre, comme le maréchal Joukov, et s'apprête même à éliminer des collaborateurs proches ; les camps de travail forcé accueillent tous ceux qui doutent ou pourraient douter du « génie du chef ».
Sur le plan idéologique, le régime devient de plus en plus nationaliste grand-russe et xénophobe, ce qui prend, entre autres, la forme d'une campagne contre le « cosmopolitisme » à partir de 1948.
En janvier 1953, l'« affaire des blouses blanches », prétendu complot de médecins juifs ayant soigné des membres du parti qui auraient empoisonné des dirigeants soviétiques et prévu d'en assassiner d'autres, donne le signal à la fois d'une vaste purge et d'une répression antisémite. Peut-être l'affaire est-elle fabriquée de toutes pièces, ou correspond-elle à une machination dirigée par Beria, qui se savait menacé par Staline dont il était pourtant l'exécuteur des basses œuvres, Khrouchtchev et Molotov qui cherchent à écarter Staline ?.
La mort du « petit père des peuples »
Depuis près de vingt ans, Staline vit solitaire dans une « datcha » près de Moscou, à Kountsevo. Il passe l'été sur les bords de la mer Noire, dans le Caucase et ne se montre jamais en public, sinon le 1er mai et le 7 novembre, lors des grands défilés sur la place Rouge.
Dans la nuit du 1er mars 1953, dans sa datcha, Staline est victime d'une hémorragie cérébrale, dont il meurt le 5 mars 1953. Ce qui s'est exactement passé dans les heures qui précèdent et suivent cette attaque, et notamment le comportement des dirigeants du parti présents autour de lui comme Beria, demeure controversé.
Embaumé, son cadavre est placé dans le mausolée de la place Rouge à Moscou, à côté de celui de Lénine, quelques mois après une cérémonie funèbre où des millions de personnes ont pleuré le « petit père des peuples », le vainqueur de Stalingrad.
La déstalinisation inachevée
Pourtant, dès l'année suivante, le nom de Staline commence à disparaître des journaux. En 1956, devant le XXe Congrès du parti communiste de l'URSS, le secrétaire général Khrouchtchev, dans une séance à huis clos, présente un rapport secret visant à démontrer que les succès obtenus par l'URSS sont dus pour l'essentiel au parti et non à son défunt dirigeant, dont le culte de la personnalité, les méthodes brutales et les erreurs stratégiques sont dénoncées.
Il s'agit donc d'une mise en cause de Staline seul plus que du stalinisme et des méthodes qu'il a mises en œuvre : la déstalinisation amorcée lors du XXe Congrès est restée largement inachevée.
Pour en savoir plus, voir l'article stalinisme.
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PRÉHISTOIRE ET RELIGION |
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Les hommes préhistoriques et la religion
et aussi - par André Leroi-Gourhan dans mensuel n°99 daté mai 2000 à la page 42 (5399 mots) | Gratuit
L'homme préhistorique était-il religieux? Il est difficile de répondre à cette question, en premier lieu parce que sous cette forme elle est mai définie. "L'homme préhistorique" est en effet une notion relativement floue ; et, pour, d'autres raisons, la notion de religion ne l'est pas moins. Art, symboles, rites, religion : il est délicat en ces matières d'avoir un langage et des critères parfaitement nets. Au début de ce siècle, une interprétation répandue voulait que l'art pariétal ait eu essentiellement une fonction magique ; cette façon de voir reposait sur des comparaisons et des extrapolations hâtives. Dans l'article qu'on lira ci-dessous, A. Leroi-Gourhan s'attache à montrer combien il est difficile de reconstituer la signification précise des représentations qui nous sont parvenues. Non seulement nous n'avons aucun témoignage "verbal", mais nous ne savons pratiquement rien des comportements, des actes dont ces représentations étaient le décor. Aux excès de la "légende dorée" du paléolithique, A. Leroi-Gourhan préfère substituer une vision plus prudente et plus critique.
Aborder le problème des origines du comportement religieux autrement que sur le plan philosophique ou théologique suppose que le lecteur a une vision claire de ce qu'est "l'homme préhistorique" : un ruban long de 2 millions d'années, dont l'un des bouts se perd en plein tertiaire dans un anthropien déjà bipède mais à petit cerveau, alors que l'autre aboutit entre -100 000 et -50 000 à des humanités proches de la nôtre, et en tout cas vers -30 000 à un Homo sapiens pratiquement identique à celui des races actuelles. Dans cette perspective vertigineuse sur l'évolution des anthropiens, il est évident que les informations s'amenuisant à mesure qu'on plonge vers le passé, que d'autre part l'émergence de l' Homo sapiens coïncide avec la croissance exponentielle des innovations dans tous les domaines, de sorte qu'à un liséré près, lorsqu'on parle de l'homme préhistorique, il s'agit de notre grand aïeul, qui vivait à la fin du paléolithique en un temps qui est à peine un avant-hier géologique, ancêtre à qui nous ne pouvons pas prêter une imagination inférieure à la nôtre et qui l'atteste d'ailleurs amplement.
L'homme préhistorique était-il religieux?
Il y a trois quarts de siècle que la question de la religiosité de l'homme préhistorique s'est posée, et tout de suite sur un mode "engagé". C'est sous la forme d'une polémique violente que cléricaux et anticléricaux ont développé leurs arguments sur l'existence de pratiques funéraires et sur le caractère magique des oeuvres d'art. Le débat a heureusement perdu peu à peu de sa passion, et depuis de nombreuses années, l'accord est pratiquement unanime pour prêter à l'"homme-préhistorique" une lueur plus ou moins vive sur les profondeurs de la métaphysique. Cette opinion est essentiellement fondée sur la comparaison avec ceux des groupes humains actuels qui sont considérés comme primitifs, comme les Australiens ou les Esquimaux, et sur ce qui est considéré comme archaïque dans le monde moderne, comme la magie et les superstitions. L'ethnographie a été par conséquent le moteur des théories sur la religion préhistorique, suivant une démarche d'assimilation logique mais tarée par la confusion entre la constatation des faits et leur interprétation : le fait préhistorique, coupé de tout contexte, y est expliqué à partir d'un fait ethnographique dont le contexte est utilisé sans appareil critique. Cette méthode, encore assez vivante, est aggravée par le fait que ni le préhistorien ni même souvent l'ethnologue invoqué n'ont pu échapper à leur propre ethnocentrisme, et que finalement l'infortuné homme préhistorique se trouve assimilé à un "sauvage" actuel, lui-même victime d'une vision orientée par 3 000 ans de civilisation méditerranéenne. Que rien d'humain ne soit étranger au philosophe représente peut-être le seul côté positif d'une telle opération qui aboutit, en fait, à faire que les hommes de la période la plus avancée du paléolithique ont eu quelque chose de commun avec l'humanité subséquente, mais si ce mode de démonstration est excusable chez les pionniers, il est moins justifié par la suite.
Une des victoires de l'ethnologie moderne a été de montrer à la fois la simplicité universelle de certains schémas de comportement et l'extrême diversité et complexité de leur actualisation ethnique. L'expérience des recherches préhistoriques conduit à penser que si l'on peut raisonnablement espérer mettre au jour des témoins de la structuration fondamentale du comportement, les difficultés d'accéder aux formes qui habillaient ce squelette sont très rapidement croissantes. En dehors du contenu oral des actes, contenu dont rien ne permet de penser qu'on puisse un jour le retrouver, de quelles preuves dispose le préhistorien pour restituer le dogme, le culte, le rituel, les techniques de la magie, les attitudes superstitieuses? Dans quelle mesure ces catégories, qui ne sont même pas applicables avec sécurité à toutes les "religions" vivantes et dont une part est par contre applicable à des comportements sociaux qui sont considérés comme étrangers à la religion, ont-elles une valeur pour éclairer les faits bruts que révèle l'analyse? La déperdition irrémédiable des témoins immatériels comme les paroles et les gestes, la conservation hautement sélective des vestiges matériels qui nous prive pratiquement de tout ce qui n'est pas pierre ou exceptionnellement matériel osseux, le caractère trop souvent déficient des observations de contexte, que ce soit au cours de fouilles ou au cours de la découverte de cavernes où nul n'avait pénétré depuis le passage des paléolithiques, suscitent plus encore à la préhistoire qu'à l'histoire des besoins impérieux de critique des sources.
Un problème préliminaire : comment définir le phénomène religieux ?
Au premier chef, il semble qu'il faille, au préhistorien tout au moins, adopter une définition élargie et en quelque sorte ouatée du phénomène religieux, qui n'est pas formellement séparable des phénomènes d'élaboration symbolique liés au langage et à l'activité gestuelle. En d'autres termes, le religieux, dans la mesure de l'information préhistorique, peut-il être distinct de l'esthétique et de toute forme de l'imaginaire ? Le fait que le plus clair des arguments invoqués tourne autour du cadavre et de l'oeuvre d'art apparaît alors moins comme une coïncidence que comme un truisme, la mise en évidence d'une réalité fondamentale, non spécifique sinon de l'homme universel et par conséquent non significative au plan où l'on souhaiterait se situer. Mais c'est une ouverture vers le rapport étroit de l'imaginaire et du langage, ce qui porte l'investigation sur un champ moins fermé qu'il n'apparaît de prime abord.
En effet, la paléontologie des anthropiens, depuis les formes qui remontent à plus d'un million d'années jusqu'au paléolithique supérieur de -35 000 à -9 000, rend compte de l'évolution volumétrique du cerveau et du développement progressif des territoires corticaux associés à une détermination de plus en plus fine de la motricité volontaire. Or les territoires dont l'expansion est privilégiée répondent à la face, à la langue, au larynx et à la main, matérialisant sur la face interne de la boîte crânienne des anthropiens fossiles le perfectionnement simultané du langage et de l'activité manuelle. A partir d'un seuil du développement des territoires fronto-pariétaux, seuil qui se situe dans la période immédiatement antérieure à l'expansion de l' Homo sapiens approximativement -50 000 -30 000 apparaissent les premières manifestations d'une activité esthétique sous forme de la recherche de l'ocre rouge, de minéraux de forme singulière coquillages fossiles ou pierres bizarres, griffonnages indistincts sur des blocs et sur des fragments d'os. C'est aussi de cette époque que datent les premières sépultures connues. Si le langage est perdu, les oeuvres de la main portent donc témoignage de l'entrée des anthropiens dans l'expression symbolique. Par le détour de l'anthropologie physique, les rapports virtuels entre langage et émergence dans l'abstrait, entre soins au mort et activité figurative se trouvent approfondis, et les limites du religieux possible situées quelque temps avant l' Homo sapiens . Ce "quelque temps" est d'ailleurs à considérer à l'échelle géologique, car le jour qui s'est levé sur l'art des cavernes a été précédé d'une aube et d'une aurore prolongées.
Il est donc difficile de séparer la religion et l'activité esthétique au sens le plus large : l'ensemble des manifestations répond à un processus d'exaltation sociale, de multiplication des symboles, qui est à prendre comme un tout. Ici, la comparaison ethnographique peut légitimement jouer, car elle porte sur le comportement fondamental de l'homme à partir d'un certain point de son évolution : tous les groupes humains et notamment ceux qui sont réputés archaïques offrent les mêmes recoupements entre la parure, les amulettes, les instruments de la magie, les insignes sociaux, le décor du palais et du temple, les mêmes symboles pouvant couvrir simultanément ou successivement les différentes zones de l'enveloppe intellectuelle de la société. Il convient donc de considérer d'abord les témoins par catégories concrètes sépulture, objets, plaquettes et blocs mobiles décorés, parois décorées, de rechercher ce qu'ils peuvent avoir de commun ou de particulier, c'est-à-dire s'efforcer de retrouver au moins une partie du réseau qui les liait des uns aux autres de manière significative, et non s'efforcer de faire entrer les faits dans des catégories abstraites comme rituel, magie, envoûtement, clans, totémisme.
Les pratiques funéraires ne sont pas la preuve absolue de croyances métaphysiques.
Il n'est pas établi que les anthropiens les plus anciens n'aient pas eu des pratiques funéraires, mais par contre on connaît des inhumations authentiques de longs millénaires avant qu'on soit en présence de d' Homo sapiens ; les néandertaliens d'Europe et du Moyen-Orient ont livré de substantielles observations sur l'enfouissement des corps dans une fosse ou sous un monticule de pierraille. Il existe même le cas, en Irak, d'un homme de Neandertal que l'analyse des pollens fossilisés dans la terre qui l'emprisonnait a révélé avoir été couché sur un véritable lit de fleurs au moment de son enfouissement. A partir de -30 000, les faits se multiplient, les modes d'inhumation sont variés, mais ils font intervenir de manière fréquente l'ocre rouge répandu en plus ou moins grande quantité dans la fosse, et dans plusieurs cas il existe un mobilier funéraire. L'exemple le plus impressionnant est celui des sépultures de Soungir, dans la région de Moscou, où un adulte et deux enfants ont été retrouvés revêtus d'une parure de centaines de perles d'os et de dents d'animaux percées et, pour les enfants, flanqués de poinçons d'os et de sagaies d'ivoire de mammouth. Il est donc certain que la mort a donné lieu, dans la dernière partie du paléolithique, à des réactions affectives qui se sont traduites par la mise à l'abri du corps des défunts, mais il faut se garder de considérer l'inhumation pure et simple comme la preuve d'une croyance dans la survie et dans l'existence d'un monde au-delà du monde des vivants : le mort, tant qu'il conserve parole et geste retranchés son aspect ordinaire, appartient encore au monde des vivants et sa mise en sommeil dans la terre n'implique pas directement son réveil ultérieur : les animaux supérieurs ont eux aussi des réactions affectives parfois prolongées à l'égard du cadavre de leurs semblables, réactions qui n'impliquent pas autre chose que ce qu'elles sont. Mais il est évident que certains documents du paléolithique supérieur dépassent ce niveau élémentaire du comportement funèbre. L'usage de l'ocre ne correspond probablement pas seulement à une ultime décoration ; plus encore, la présence d'épieux d'ivoire, armes d'adultes, aux côtés d'un corps d'enfant d'au plus une dizaine d'années, suggère le dépôt d'un armement en prévision d'un futur.
L'ensemble des faits relatifs à la mort autorise à prêter à l'homme préhistorique une arrière-pensée métaphysique, mais sans perdre de vue d'abord que l'on ne dispose de faits probants que pour quelques-uns des hommes de la dernière période du paléolithique, et ensuite que les idéologies d'un siècle à l'autre et d'une région à la voisine ont pu considérablement varier en profondeur et en élaboration matérielle. Il est donc impossible, sans forcer les matériaux, de restituer le niveau d'après-mort, tel qu'il était perçu par les différents groupes humains : image inexplicite de la vie perdue, départ pour un au-delà à séjour perpétuel ou à extinction progressive, retour au monde des vivants sous une forme réglée par les coutumes sociales aïeul revenant dans le petit-fils par exemple, ou anarchique, ou sanctionnée par une justice, transcendante. La mort pouvait aussi être liée directement à la fécondité, en particulier la mort des animaux, gage possible de leur renouvellement. Mais tous les efforts dépensés n'aboutissent qu'à un catalogue d'hypothèses entre lesquelles il est le plus souvent arbitraire de choisir. On peut toutefois considérer que l'on est très loin d'avoir atteint les limites de ce qui pourrait, dans les documents funéraires, aboutir à un approfondissement des connaissances ; des observations multiples et précises devraient conduire à la mise en évidence des caractères régionaux et à leur évolution dans le temps, seules voies pour mesurer avec une certaine sécurité la complexité des pratiques, pour non plus avancer les explications à partir des hypothèses, mais pour expliquer les hypothèses à partir des faits.
Il n'est aucunement certain que l'ocre rouge ait été un symbole de vie.
La présence de l'ocre rouge est presque constante dans les sépultures et dans les habitations, et depuis très longtemps il est admis que ce colorant avait une valeur symbolique. Le fait, en particulier, de voir dans certaines sépultures, le sol de la fosse et les ossements teintés a fortement porté les préhistoriens à considérer l'ocre comme un équivalent du sang et par conséquent comme un symbole de la vie. De là à tenir comme établi qu'on redonnait la vie au mort en le couvrant d'ocre rouge, la distance est courte, mais une fois de plus l'explication dépasse l'analyse exhaustive des témoignages et par conséquent incite à s'en dispenser. Que l'ocre rouge soit un colorant chargé de symbolisme n'ôte rien à sa qualité de colorant et il serait pertinent de faire d'abord le tour de tous les cas où il en a été fait emploi. Ces cas se rangent en quatre grandes catégories au moins :
1° Comme colorant utilisé souvent conjointement avec le noir de manganèse pour l'exécution des peintures. Il n'est que probable dans certains cas qu'un symbolisme particulier ait joué.
2° Dans les régions où l'ocre n'est pas une matière rare, le sol des habitations paléolithiques est plus ou moins fortement teinté. L'explication peut faire jouer toute une série d'hypothèses : saupoudrage rituel de l'espace habité, sacralisation, rite de départ ou de retour de chasse, retombées d'ocre ayant servi à des peintures corporelles ou à teinter les armes, les peaux, la couverture des tentes dans un but simultané ou distinct de simple embellissement ou de prophylaxie religieuse.
3° On connaît plusieurs cas, dans les grottes, où des dépressions ovales ont été badigeonnées d'ocre rouge dans le but apparent de féminiser une forme naturelle qui s'y prêtait voir plus loin "la caverne-mère".
4° L'ocre funéraire qui, en considération des catégories précédentes, peut matérialiser des mobiles qui ne sont pas forcément tous liés au symbolisme vital. Celui-ci n'est d'ailleurs pas dénué de vraisemblance, mais, sans même faire jouer les différences probables dans le détail des coutumes régionales, tout un éventail d'explications est disponible, depuis l'hypothèse de la trace laissée par une peau teinte en rouge qui aurait enveloppé le mort sans qu'on y ait attribué d'arrière pensée religieuse, jusqu'aux reconstitutions les plus osées d'un rituel d'inhumation vitalisant.
Une fois encore, non seulement la séparation entre l'esthétique et le religieux s'avère peu scientifique, mais il apparaît que si les termes de comportement fondamental sont formellement définissables, on ne voit pas bien, pour le détail du vécu, sur quoi pourrait se fonder le choix d'une solution parmi les autres.
De même, il n'est pas certain que l'art paléolithique ait eu une fonction magique
Un peu avant 1870, les objets décorés par les chasseurs de mammouths du paléolithique supérieur ont commencé à retenir l'attention : par contre l'art des cavernes n'a percé que presque un demi-siècle plus tard. Attribuées initialement à des élans purement artistiques, les oeuvres sont entrées dans le dossier de la religion fossile au début du xxe siècle, sous l'inspiration des travaux ethnologiques qui révélaient les liens entre art et religion chez les derniers chasseurs des confins du monde habité. Les figures paléolithiques sont essentiellement des représentations d'animaux, d'êtres humains relativement rares, de symboles génitaux concrets ou abstraits qui n'existent pratiquement que dans les grottes. L'art mobilier, généralement découvert en fouillant les sites d'habitat, comporte de nombreux objets gravés ou sculptés, il s'étend depuis l'Atlantique jusqu'aux confins sibériens. Il est attesté à toutes les époques du paléolithique supérieur, de -30 000 vers -9 000. L'art pariétal propre aux abris et aux grottes est fait de gravures, de bas-reliefs et de peintures : sauf un site près de l'Oural, il intéresse essentiellement l'Espagne, l'Italie et la France. Ses limites chronologiques sont approximativement les mêmes que pour l'art mobilier, mais sa période d'apogée se déroule des environs de -15 000 jusque vers -10 000, avec, dans plusieurs cas, pénétration de plus en plus profonde dans les cavités.
Les pionniers de la recherche sur l'art des cavernes sont symbolisés par l'abbé Henri Breuil, qui marqua d'une empreinte prestigieuse les travaux de la première moitié de notre siècle. Pour lui, ou pour ses partisans,l'art paléolithique aurait été essentiellement magique : l'envoûtement, la capture des esprits, une sorte de chamanisme, des rites de fécondité auraient commandé l'exécution des objets mobiliers comme celle des décors pariétaux. Les figures sur parois répétées à la mesure des besoins de la tribu se seraient succédé au cours des millénaires, au point de constituer des nuages d'images aussi denses que ceux d'Altamira ou de Lascaux. Un peu à l'insu des inventeurs d'explications, assez souvent modérés dans leurs élans, toute une imagerie s'est ainsi créée autour de l'homme préhistorique, imagerie copieuse mais pauvre, où totémisme, initiation, chasse simulée. danses masquées, juments gravides ont alimenté pendant un demi-siècle une littérature qui a progressivement pénétré dans les masses.
En 1957, Mme Laming-Emperaire a émis, après l'étude de deux des principaux ensembles peints de France Lascaux et Pech-MerIe, une série de vues qui tranchaient nettement sur les positions traditionnelles. Dans leur contenu, ces vues conduisaient à considérer les figures des cavernes comme organisées en compositions significatives et non comme l'accumulation anarchique de figures d'époques successives. Le thème autour duquel les différentes figures gravitaient était constitué par l'association constante du bison ou de l'aurochs avec le cheval. Ce résultat très important convergeait avec les travaux que je poursuivais moi-même à cette époque, travaux qui ont eu pour base de départ l'art pariétal dans sa chronologie, puis qui se sont développés dans une analyse quantitative du groupement des figures dans les différentes régions des panneaux décorés ou de la caverne tout entière. Il en est ressorti un schéma complexe, comme il était naturel dans l'étude d'une centaine de sites distribués sur une large partie de l'Europe occidentale durant près de 20 000 ans. Dans l'art mobilier les animaux ou les figures humaines apparaissent tantôt isolés, tantôt groupés suivant les principes qui seront décrits ci-dessous. Dans l'art pariétal, du fait que les figures sont restées fixées sur les parois, là où l'homme paléolithique les a tracées, il est plus facile de constater la nature des associations entre les sujets.
Les représentations pariétales obéissent à une disposition essentiellement binaire dont la signification n'est pas évidente.
Il n'existe pas de caverne où une seule espèce soit représentée, sinon par un individu encore ce cas est-il statistiquement inexistant : en majorité écrasante, les espèces vont par deux suivant la formule cheval-boviné groupe A-B ; avec une fréquence moindre apparaît un troisième élément : cerf, mammouth, bouquetin ou renne groupe C qui est souvent limité à une seule espèce mais peut aller jusqu'à comporter les quatre. La formule la plus fréquente est par conséquent A-B-C. Avec une moindre fréquence encore, on peut voir s'ajouter l'ours, le grand félin, le rhinocéros groupe D, par une seule espèce ou dans les mêmes conditions que pour le groupe C. La formule complète A-B-C-D se rencontre par exemple à Lascaux suivant les régions de la caverne : cheval-aurochs-bouquetin, chevaI-bison-cerf, cheval-bison-rhinocéros, cheval-aurochs-ours, cheval-bison-bouquetin-félin ... . On verra plus loin que cette répartition est fonction d'une certaine disposition spatiale. A peu d'exceptions près, le schème fondamental de l'art pariétal et dans une mesure notable de l'art mobilier est donc, pour les animaux, une triade A-B-C ou A-B-D éventuellement A-B-C-D avec des proportions numériques qui sont de 27 % pour le groupe A, 28 % pour le groupe B, 32 % pour le groupe C mais avec des fréquences suivant les espèces, qui vont de 9% pour le mammouth à 0,3% pour le daim à bois géants, 3,5 % pour l'ensemble du groupe D. Les 10 % qui restent vont à des figures rares : poissons, serpents, oiseaux, carnassiers autres que le félin et l'ours.
Les signes S se répartissent eux aussi en deux catégories fondamentales S1-S2 et une catégorie complémentaire S3 dans laquelle il n'est jusqu'à présent pas établi une différenciation comparable à celle qui existe entre C et D. La catégorie S1 est constituée par des symboles génitaux féminins qui vont de la représentation complète de la femme, au torse avec représentation du sexe, à la vulve réaliste, à des figures de plus en plus stylisées en ovale, en triangle, en cercle, en rectangle, avec ou sans indication d'une fente à la partie inférieure. Ces différents mondes de figuration marquent une évolution dans le temps et dans l'espace, et j'ai été conduit à les interpréter comme symboles féminins au cours d'un travail qui était orienté uniquement sur leur valeur comme jalons chronologiques et régionaux. Les signes des catégories S3 et S4 correspondent à des variantes sur le symbole génital masculin figuré par l'homme complet, par le phallus, par des représentations d'un schématisme croissant qui se résolvent en bâtonnets crochus ou barbelés, en traits simples, doubles ou multiples, en lignes ou en nappes de points, voire en un point unique. Comme les animaux, les signes répondent à un dispositif fondamental binaire S1-S2 qui assez souvent prend un caractère ternaire par le voisinage de deux formes différentes de symboles masculins; de sorte qu'à un signe S1 se trouvent associés par exemple un bâtonnet et une nappe de points S1-S2-S3.
Animaux et signes répondent par conséquent aux mêmes formules fondamentales, logiquement binaires et encore accusées par le fait que les animaux de même espèce apparaissent fréquemment par couples mâle-femelle. Mais le dispositif est moins simple que ne laisserait supposer une explication uniquement fondée sur la symbolique de fécondité : l'élément Initial est la présence de deux espèces A-B cheval-boviné confrontées à deux catégories de signes masculins et féminins. On serait donc tenté d'attribuer au cheval et au bison la même valeur symbolique ou tout au moins une bivalence d'un même ordre qu'aux symboles des deux catégories S1 et S2 voir encadré. Enfin, il faut souligner comme une notion indispensable pour mesurer le caractère abstrait du système figuratif paIéoIithique qu'il n'existe jusqu'à présent dans l'art pariétal comme dans l'art mobilier, aucune représentation réaliste d'accouplement animal ou humain. Mais avant de pousser plus avant dans le monde symbolique des cavernes, un court survol de l'art mobilier est nécessaire.
Décorations ou amulettes?
Les objets. La fonction des objets d'art paléolithique est le plus souvent conjecturale ; on ne sait pas à quel usage servait tel modèle de spatule, ni si telle forme de pendeloque était portée en collier ou cousue sur le vêtement, mais on peut, sans préjuger de leur fonction technique dans le détail, ni de leur signification ésotérique, classer les objets d'art mobilier en trois grands groupes : les "objets décorés", les "objets décoratifs" et les plaquettes ou les blocs. Ces différents témoins se partagent les mêmes catégories de figures animales et humaines que l'art pariétal, mais dans des modalités qui ont leur propre signification. En effet, si l'on retrouve sur certains d'entre eux plaquettes et blocs les mêmes combinaisons d'animaux associés que dans les représentations pariétales, beaucoup d'autres attestent l'indécision des limites entre la fonction décorative et la fonction religieuse.
Les objets décorés sont ceux dont la forme suppose une fonction technique, qu'elle ait été propre à des opérations de fabrication, d'acquisition, ou de consommation, ou qu'elle ait été dévolue à des opérations magiques par exemple ; tels sont les spatules, les propulseurs censés avoir servi à augmenter la portée des armes de jet, les "bâtons de commandement", les pointes de sagaies, toute une série d'objets dont on sait seulement qu'ils ont servi par manipulation et qu'ils sont en quelque sorte pris dans une enveloppe décorative. Parmi ces objets, certains, comme les propulseurs, présentent une imagerie très éclectique : leur extrémité active porte en général un seul animal, qui peut appartenir à n'importe lequel des groupes A, B, C, D. Il en est tout différemment pour les spatules, qui ne portent que des poissons, auxquels s'ajoutent parfois quelques figures du groupe A ou C. Il est bien entendu impossible de séparer l'esthétique de ce qui pouvait être magiquement efficace, mais il est à peu près certain que, sous une forme ou une autre, l'enveloppe décorative de ces objets avait un caractère symbolique. Le fait est encore plus net pour les "objets décoratifs" qui regroupent tout ce qui n'a pas eu de fonction technique apparente. Tels sont les objets aménagés pour la suspension, les "pendeloques", parmi lesquelles ressortent au moins trois catégories. La première est celle des dents de renard, de loup, d'ours et d'autres carnassiers ou d'herbivores, les nombreuses coquilles de mollusques percées, objets dont la fonction décorative est seule évidente, mais dont la valeur symbolique est, pour certains, très probable. Telles sont les coquilles de cyprées cauries, qui ont manifestement été recherchées, au paléolithique comme dans les temps postérieurs, pour leur forme qui évoque le sexe féminin.
Dans certains cas, la fonction symbolique est certaine.
Ce fait est confirmé par l'existence de pendeloques de matière osseuse dont la forme ou le décor sont également de caractère sexuel. Cette ambiance dans laquelle les vertus prophylactiques sont indiscernables des propriétés esthétiques de la parure est confirmée par des objets comme des fragments de pointes de sagaie, transformés en pendeloques, sans caractère décoratif et dont la fonction symbolique devait être dominante. Cette dernière catégorie d'objets rejoint celle des "objets de curiosité" : fossiles, fragments minéraux de forme bizarre dont le rôle symbolique est évident mais dont l'interprétation ne peut se faire sans recourir à des hypothèses difficilement contrôlables. L'art des objets décorés et des objets décoratifs montre par conséquent un dépassement de la fonction purement décorative, et quoiqu'il soit toujours dangereux de grever les documents d'un sens trop précis, le rôle d'"insignes" ou d'"amulettes" allait certainement de pair avec la recherche purement esthétique des formes.
La troisième catégorie d'oeuvres mobilières est constituée par les nombreuses figures, parfois sculptées ou peintes, généralement gravées, qui ont été exécutées sur des fragments d'os ou d'ivoire, sur des plaquettes de pierre tendre, sur des galets ou des blocs. Elle comporte aussi les figurines modelées en argile qui se rencontrent en Europe centrale. Les figures, sur les différents supports, se présentent tantôt isolément, tantôt par groupes. Dans ce dernier cas, on retrouve le plus fréquemment les assemblages A-B ou les formules ternaires qui font intervenir les groupes C et D. Certains supports portent même sur une face le sujet A, sur l'autre le sujet B. De ces constatations, il ressort assez clairement que les figures isolées plaquettes ou figurines devaient être assemblées dans l'habitat comme dans le laraire antique ou comme dans la crèche de Noël. Elles établissent, plus nettement encore, que la formule figurative des images domestiques est l'équivalent de la formule pariétale, ce qui entraîne de nouveau vers la caverne.
Un symbole génétique : la caverne-mère.
Les figures pariétales ont en effet une valeur incomparable comme témoins de la pensée paléolithique, la valeur d'un véritable texte puisque les images ont conservé les rapports spatiaux qui se sont imposés à l'esprit des exécutants. On a vu plus haut qu'une nette hiérarchie numérique existait dans les sujets et que les groupes A et B cheval et bovlné représentaient de très loin la majorité des figures 27-28 %, contre 9 % au plus favorisé des animaux du groupe C. Une hiérarchie topographique assez complexe corrobore l'existence du système binaire : les figures A et B occupent préférentiellement les grands panneaux ou la partie centrale du trajet décoré ; les figures C et D la périphérie des panneaux ou les régions marginales des trajets, le groupe D félin, rhinocéros se situant dans les parties les plus retirées. De sorte que si l'on prend le plafond d'Altamira, on a la formule C-A+B-D cervidé-cheval + bison- sanglier ou le grand panneau d'Ekain en Guipuzcoa C-A+ B-D, avec chevaux et bisons dans la surface centrale, et sur le pourtour poisson, bouquetin et cervidé. Les signes occupent en général un espace séparé de celui des animaux, soit la bordure des panneaux, soit plus souvent une niche, un diverticule, une fonte à proximité plus ou moins grande : mais il y a des cas où les signes sont superposés aux animaux eux-mêmes.
Le rapport métaphysique entre les signes et les figures d'animaux n'est pas élucidé, car il offre de nombreuses variantes de position suivant les régions et les époques, mais dans tous les cas où la décoration pariétale est raisonnablement bien conservée, on retrouve à la fois le groupement préférentiel A-B avec les animaux C ou C-D en situation topographique significative, et les signes S1+2 avec intervention locale de S3. A ces caractères s'ajoute le fait que la caverne elle-même semble bien avoir été valorisée comme symbole génétique, car dans de nombreux cas, les passages étroits, les niches, les entrées de petits couloirs, les draperies de stalactite de forme ogivale ont manifestement été considérés comme des symboles du groupe S1, soulignés d'ocre rouge et ou complétés par un signe des groupes S2S3.
Le contenu précis de la religion préhistorique nous échappe encore.
En conclusion, sur l'ensemble des témoignages en faveur de pratiques religieuses au paléolithique, les documents qui se réfèrent aux temps éloignés du paléolithique ancien sont très impropres à fournir une démonstration ; ce n'est guère qu'à l'apparition des néandertaliens que les pratiques d'inhumation peuvent fonder un préjugé favorable. Si par surcroît on recherche l'existence d'un cadre de symboles explicitement constitués comme preuves d'une curiosité métaphysique, surplombant les opérations de la vie matérielle, ce n'est pas avant -35 000, avec le début du paléolithique supérieur, que la démonstration peut être envisagée. L'analyse des objets d'art mobilier et surtout celle de l'art des parois de cavernes livrent sans ambiguïté les lignes générales d'un système figuratif analogue à ceux qui depuis ce temps ont accompagné les activités religieuses. Ce système fondamental répond d'ailleurs à une formule qui a été éprouvée par de nombreuses traditions religieuses ; il est fondé sur l'opposition ou la complémentarité de deux entités auxquelles s'ajoute un troisième élément qui transforme la formule binaire en formule ternaire. En ce sens, la caverne apparaît à la fois comme une entité maternelle et comme le support matériel d'une mythologie. Mais il ne faut pas se méprendre sur le caractère du témoignage : la décoration pariétale des grottes est comme la décoration murale des sanctuaires ultérieurs, elle livre un assemblage symbolique de figures qui ne matérialise pas des rites mais qui en était le décor. Les traces que peuvent avoir laissées les rites ne sont pas sur les parois décorées mais à leurs pieds et sur le sol généralement anéanties par les visiteurs.
En marge des grandes représentations, on rencontre effectivement, dans des cas privilégiés, des graffiti, des empreintes de pas humains, l'impression de pattes d'animaux coupées et appliquées sur l'argile, des signes tracés au doigt sur les parois molles, c'est-à-dire les très modestes témoins qui subsistent d'actes dont le déroulement s'est fait dans le cadre des grandes images.
La décoration pariétale, elle-même, répond à une formule si générale que son contenu mythologique est pratiquement insaisissable. On perçoit très bien qu'une métaphysique de la mort et de la fécondité a pu sous-tendre les représentations, mais vingt contenus ont pu, au cours des millénaires et dans les différentes régions, entrer dans la formule binaire-ternaire d'association des animaux et des signes. La religion préhistorique est démontrée, mais dans une formule abstraite ; sa richesse et sa complexité sont perceptibles dans les variantes de la formule initiale, mais les explications des préhistoriens sur le chamanisme, les totems, la division des clans, l'envoûtement du gibier, la magie de fécondité, les rites d'initiation sont du domaine de l'hypothèse de cabinet, vraisemblable parce que tout est dans l'homme et que celui du paléolithique supérieur est un homme pleinement réalisé, mais gratuite parce que fondée directement sur des matériaux qui ne peuvent apporter que des preuves indirectes. Cette erreur de méthode a permis la naissance d'une légende dorée, mais elle a coûté pendant presque un siècle de nombreuses occasions d'observer les traces, encore visibles lors de la découverte, de ce qui pouvait apporter un témoignage direct sur les actes.
Par André Leroi-Gourhan
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MALADIES AUTO-IMMUNES |
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maladie auto-immune
système immunitaire
Cet article est extrait de l'ouvrage « Larousse Médical ».
Maladie caractérisée par une agression de l'organisme par son propre système immunitaire.
système immunitaire
Les maladies auto-immunes, fréquentes, concernent surtout la femme en période d'activité génitale (→ appareil génital féminin). Leurs causes précises sont mal connues. En effet, les facteurs favorisant l'apparition d'une auto-immunité sont nombreux, liés à l'hérédité ou à l'environnement ; ces maladies sont dites plurifactorielles.
1. Les différents types de maladie auto-immune
Les maladies auto-immunes sont classées en deux catégories :
1.1. Les maladies spécifiques d'organes
Glande thyroïde
Glande thyroïdeNeurones et transmission synaptique des influx nerveuxPancréas
Les maladies spécifiques d'organes sont diverses : thyroïdite d'Hashimoto, dans laquelle la glande thyroïde est infiltrée par des lymphocytes qui la détruisent ; myasthénie, où des anticorps dirigés contre le récepteur de l'acétylcholine empêchent ce médiateur de franchir l'espace entre la terminaison nerveuse et le muscle (la plaque motrice), et rendent donc impossible une contraction musculaire normale ; diabète juvénile insulinodépendant, au cours duquel les cellules bêta des îlots de Langerhans du pancréas ne peuvent plus produire d'insuline.
Réponse immunitaire
L'offensive du système immunitaire contre un organe peut être la conséquence d'une modification de l'un des antigènes des cellules de cet organe sous l'effet d'un virus ou d'un médicament, mais l'agression ne peut se produire que dans un contexte génétique précis.
1.2. Les maladies non spécifiques d'organes
Les maladies non spécifiques d'organes appartiennent au groupe des maladies systémiques (autrefois appelées connectivites ou collagénoses), et comprennent, notamment, le lupus érythémateux disséminé, la polyarthrite rhumatoïde, la sclérodermie, le syndrome primaire des anticorps antiphospholipides, le syndrome de Gougerot-Sjögren et la dermatopolymyosite.
Anticorps
Au cours de ces maladies, des autoanticorps, dirigés contre les constituants du noyau de n'importe quelle cellule, apparaissent. Ces anticorps antinucléaires sont particulièrement importants dans le lupus érythémateux disséminé. On peut également observer des anticorps dirigés contre des immunoglobulines de classe G. Ces derniers constituent les facteurs rhumatoïdes de la polyarthrite rhumatoïde. Existent également des autoanticorps dirigés contre les phospholipides et responsables de thromboses veineuses, ainsi que d'avortements répétés. En s'associant avec leurs cibles, les anticorps forment des complexes immuns circulants, qui peuvent se déposer dans les vaisseaux et y provoquer d'importantes lésions. Mais ce mécanisme, encore discuté, ne vaut que pour certaines maladies auto-immunes. L'artériosclérose pourrait ainsi présenter une composante auto-immune.
2. Le traitement des maladies auto-immunes
Le traitement de la plupart des maladies auto-immunes ne peut agir que sur les symptômes et fait actuellement appel, principalement, aux corticostéroïdes et aux immunosuppresseurs ainsi que, parfois, aux plasmaphérèses (échanges plasmatiques consistant à extraire les substances indésirables du sang).
Des recherches sont en cours dans le domaine de l'immunothérapie qui portent, en particulier, sur l'utilisation de cytokines (substances de régulation du système immunitaire) telles que les interférons ou, à l'inverse, d'anticorps monoclonaux, tels les anticorps contre le TNF (une cytokine produite en excès dans la polyarthrite rhumatoïde) ou les anticorps contre le CD 20 (une molécule portée par les lymphocytes B anormalement actifs dans le lupus érythémateux disséminé).
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AUGUSTE |
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Auguste
en latin Caius Julius Caesar Octavianus Augustus
Auguste
Cet article fait partie du dossier consacré à la Rome antique.
Empereur romain (Rome 23 septembre 63 avant J.-C.-Nola 19 août 14 après J.-C.).
1. La montée d'Octave vers le pouvoir
1.1. L'héritier de César
Auguste
Fils de Caius Octavius Thurinus et d'Atia, nièce de César, Auguste porte d'abord le nom d'Octave ; être le petit-neveu de Jules César est la chance du jeune Octave. Le dictateur, qui a tôt remarqué son intelligence, veille à son éducation intellectuelle et militaire et l’adopte (45 avant J.-C.). Lorsque son adoption est officiellement reconnue, un an après l’assassinat de César, il devient C. Julius Caesar Octavianus, Octavien. Mais il n'aimera jamais être appelé ainsi ; d'ailleurs, pour tous, n'est-il pas déjà César ? Il a alors tout juste 20 ans.
Au milieu des intrigues menées par les sénateurs d'un côté, par Antoine, ancien lieutenant de César, de l'autre, Octave se conduit avec habileté. Il s'appuie d'abord sur le sénat, qui lui accorde l'imperium (la puissance publique, donc le droit de gouverner), puis sur l'armée pour se faire nommer consul (août 43), sans avoir rempli aucune autre charge du cursus honorum, la suite des honneurs qui devaient jalonner dans un certain ordre une carrière publique.
Pour venger la mort de César, Octave s'entend avec Antoine, alors consul, et avec le grand pontife Lépide, et forme avec ces derniers, à Bologne, un triumvirat qui se partage le monde romain. Tous leurs adversaires sont poursuivis : 300 sénateurs et 2 000 chevaliers sont proscrits ; la terreur et le meurtre emplissent Rome ; Cicéron est assassiné. Tous les magistrats et les sénateurs doivent jurer de respecter les actes de César. Octave prend militairement le contrôle de l'Afrique du Nord, mais il laisse la Sicile occupée par les républicains de Sextus Pompée, le fils du grand Pompée. Puis Antoine et Octave regroupent leurs troupes, et, avec 19 légions, débarquent en Grèce, où se trouvent les assassins de César, Brutus et Cassius, qu’ils éliminent à la bataille de Philippes (42).
Peu à peu, Lépide est écarté des responsabilités et des provinces qu’il gouvernait, même s’il reçoit l’Afrique en compensation. Antoine se rend en Orient, source d'or et de richesses ; Octave revient en Italie, où il distribue des terres à ses vétérans en expropriant de nombreux petits paysans.
1.2. Octave face à Antoine
De fait, Octave, maître de l’Occident, et Antoine, maître de l'Orient, se retrouvent face à face ; en octobre 40, les vétérans des deux armées, qui ne veulent pas d’une guerre fratricide, les forcent à s'entendre. En réalité, leur opposition grandit, bien qu'Antoine ait épousé Octavie, sœur d'Octave.
S'assurer d'abord le contrôle total de l'Occident
Octave élimine alors ceux qui pourraient s'opposer à lui en Occident : Sextus Pompée, qui continue, malgré les accords, à contrôler les routes maritimes, et peut à tout instant affamer Rome, est battu en 36 ; Lépide perd son titre de triumvir et doit abandonner ses provinces. Le 13 novembre 36 avant J.-C., Octave fait une entrée triomphale dans Rome. Avec une habileté politique consommée, il réalise alors l'unité morale de cette moitié du monde romain autour de sa personne. Il se présente déjà en conciliateur et en homme respectueux de la tradition. Il fait brûler les actes concernant la guerre civile, il abolit le tribut et supprime le banditisme en Italie par des mesures rigoureuses, il distribue des terres vacantes en Campanie à ses vétérans, il fait reprendre les grands travaux à Rome. Il entreprend enfin quelques expéditions destinées à stabiliser la situation dans certaines provinces frontières comme l'Illyrie et la Dalmatie, où il fonde des colonies. Très rapidement, l'opinion lui fournit l'appui dont il a besoin ; les assemblées populaires et le sénat sont sous son contrôle : il reçoit la puissance tribunitienne (les pouvoirs de contrôle des anciens tribuns de la plèbe) et le droit, comme César, de porter la couronne de laurier des triomphateurs.
La bataille décisive d'Actium
La rupture avec Antoine peut s'engager. Dès 35 avant J.-C., Octave réclame le renvoi de la reine d’Égypte, Cléopâtre, qui, auprès d'Antoine, a supplanté Octavie ; Antoine refuse. En 32 avant J.-C., Octave brusque les choses ; sous la menace de ses soldats, il oblige les consuls et les sénateurs partisans d'Antoine à s'enfuir. Il ordonne au sénat de sommer Antoine de rentrer à Rome et d'y déposer son imperium. Et il fait ouvrir le testament d'Antoine – conservé à Rome. Sa lecture prouve qu'Antoine fait de Césarion – le fils que César a eu de Cléopâtre – le véritable héritier de César, confirme les concessions territoriales faites à Cléopâtre aux dépens du peuple romain et demande à être enterré à Alexandrie, en Égypte. Le testament provoque la colère à Rome. Octave apparaît désormais comme le garant des traditions et des vertus du passé face au représentant dépravé de l'Orient.
Au cours de l'été 31, Octave, grâce à Agrippa, remporte la bataille navale d'Actium, au sortir du golfe d’Arta, en Grèce, contre la flotte d’Antoine et Cléopâtre. Un an plus tard, il se trouve devant Alexandrie, où Antoine et Cléopâtre préfèrent la mort à l'humiliation. L'ensemble du monde romain lui appartient, au nom de Rome, et l'Égypte devient province romaine. De retour à Rome, l’été 29, Octave peut célébrer trois triomphes éclatants. Puis, en 28 et 27, il reçoit du sénat, avec les titres d'auguste et de princeps, les pouvoirs répartis jusqu'alors entre différentes magistratures.
2. Le maître absolu de Rome
Un nouveau régime est fondé, qui fonctionne comme une monarchie derrière une façade républicaine. Le pouvoir d’Auguste n'est pas une entité institutionnelle, mais le regroupement complexe de diverses prérogatives, morales, juridiques, militaires, politiques, religieuses.
2.1. Les pouvoirs d’Auguste
Le surnom d'Augustus, qui entoure celui qui le porte de ferveur religieuse, fait d’Octave un nouveau fondateur de Rome à l'exemple de Romulus, et cet aspect lui confère une autorité (auctoritas) morale supérieure à celle de tous les autres Romains. Autorité morale mais qui peut en outre avoir des effets juridiques et permet d’exercer un contrôle sur les affaires publiques.
Autorité morale, prestige populaire et influence réelle sur le sénat
Princeps n'est pas à proprement parler un titre, mais un qualificatif pour désigner les personnages politiquement importants ; de plus, le mot a été mis à l'honneur par Cicéron. La notion est floue, mais elle jouit d'un grand prestige populaire (le peuple a appelé Octave princeps dès son retour d'Actium). Par la magie de ce nom, Octave est moralement au-dessus des autres Romains et est le garant du respect des droits de chacun de ses concitoyens ; le princeps peut légalement convoquer et présider le sénat et les comices (les assemblées du peuple), et leur soumettre des projets de loi. Par cet intermédiaire, Auguste peut accomplir son œuvre législatrice et réformatrice.
Auguste reste consul de 31 à 23 avant J.-C. ; il reçoit aussi du sénat un imperium proconsulaire sur les provinces frontières, ou qui ne sont pas encore pacifiées ; il possède ainsi la haute main sur les armées stationnées dans ces provinces, appelées maintenant « impériales », et qui sont gouvernées par des sénateurs dépendant directement de lui, les légats. Les autres provinces (les plus anciennes) sont dites « sénatoriales », et leurs gouverneurs ne dépendent, théoriquement, que du sénat.
→ consulat.
Le renforcement des pouvoirs du « prince »
En 23 avant J.-C. Auguste rend sa charge de consul mais aussitôt le sénat lui accorde un imperium proconsulaire supérieur à celui de tous les autres magistrats, à vie et en dehors de toute magistrature ; il a désormais le droit de lever des troupes et d'intervenir partout dans l'empire. Et il se fait de nouveau attribuer la puissance tribunicienne, qui lui sera désormais renouvelée tous les ans. Cumulant sur sa personne les pouvoirs exécutifs et le droit de contrôle que possèdent les tribuns, il détient désormais les rouages vitaux de l'État. Après cette date, Auguste refusera toutes les charges républicaines que le sénat ou le peuple veulent lui donner : il n'en a plus besoin.
2.2. La réorganisation de la cité
Auguste a ainsi créé un régime nouveau, mais un régime qui ne s'est pas immédiatement affirmé. Le princeps n'a pas voulu exécuter ses réformes avec brutalité ; il s’est servi des plus vieilles fonctions de la res publica, la république, en leur donnant un aspect nouveau non choquant pour ses contemporains.
Des classes sociales nettement définies
Auguste s'entoure d'un conseil impérial et le sénat, réformé, est dépouillé de la majeure partie de ses pouvoirs politiques. La société est administrée par un corps de fonctionnaires recrutés dans les classes supérieures : ordre sénatorial et ordre équestre. Ces deux ordres n'étaient ouverts qu'aux citoyens romains. Pour Auguste, le droit de cité est une dignité qui ne peut être accordée que comme récompense (ce fut le moyen de rallier à Rome les notables locaux des provinces désireux de montrer leur loyauté). Il rend plus strictes les conditions d'accès à la citoyenneté et limite dans sa portée réelle le très ancien principe selon lequel, sous la République, tout esclave affranchi par un citoyen devenait citoyen.
Cette société est donc hiérarchisée, mais elle est aussi très souple, car n'importe quel citoyen peut, s'il a une certaine fortune personnelle et l'aval du prince, entrer dans l'ordre équestre, y faire une partie de sa carrière, puis accéder aux fonctions de rang sénatorial.
Le retour aux vertus et aux traditions
Dans les tourmentes qui avaient agité Rome, les mœurs avaient connu un relâchement considérable, et l’opinion était lasse des turpitudes d'une société perpétuellement en quête de plaisirs et de richesses. L'équilibre de la cité souhaité par Auguste ne pouvait être fondé que sur une réforme des mœurs, qui repose en fait sur deux points : la restauration des traditions antiques et celle du groupe familial.
Le retour sur le passé est marqué par la critique du luxe, que l'on trouve chez un poète comme Horace. Il conduit aussi à retrouver une juste appréciation des valeurs de la terre, qui avaient fait la puissance de Rome ; le travail de la terre était le réceptacle des anciennes vertus de Rome. Virgile sut utiliser et répandre ce thème. De plus, c’est un moyen pour Auguste de faire admettre les dons de terre, en Italie, à ses vétérans.
Quant à la restauration de la cellule familiale, plusieurs lois initiées par Auguste limitent les héritages des célibataires (les femmes sont même soumises à un impôt spécial) ; les citoyens ont le devoir non seulement de se marier, mais aussi d'avoir des enfants. Auguste combat aussi l'adultère, qui se pratiquait sans gêne dans l'aristocratie (lui-même s’y était livré dans sa jeunesse) ; désormais, les coupables risquent la relégation dans les îles et la confiscation de leurs biens.
2.3. La restauration religieuse
La divinisation post mortem de son père adoptif par l'élan populaire avait fait comprendre à Octave combien le sentiment religieux pouvait servir sa politique. D'ailleurs, sa carrière est jalonnée par son accession aux sacerdoces les plus importants, jusqu’à être élu grand pontife à la mort de Lépide, en 12 avant J.-C.
Auguste, garant des anciens cultes de la cité
Le retour à la religion traditionnelle se traduit par le rétablissement des collèges les plus vénérables et des rites anciens (lupercales), par la construction ou la restauration d'édifices religieux. Auguste a pu se vanter d'avoir restauré quatre-vingts temples dans la ville ; c'était, pour lui, la preuve matérielle éclatante de la place prééminente qu'il donnait aux dieux. Ce côté « traditionaliste » a sa contrepartie dans une tendance antiorientale prononcée, contre les divinités grecques (Cybèle) et égyptiennes notamment (Isis, Sérapis) ; elle est due, en très grande partie, à la lutte contre Antoine, qui avait voulu symboliser le triomphe de l'Orient.
Valorisation sacrée de la personne de l’empereur
L'empereur met en valeur, pour des raisons avant tout dynastiques, les cultes de Mars et de Vénus, invoqués sous les noms de Venus Genitrix (la Mère) et de Mars Ultor (le Vengeur). Un dieu prend la première place ; c'est le protecteur personnel d'Auguste, Apollon, sans doute parce que, du haut du promontoire d'Actium, Apollon avait présidé à la victoire décisive d'Auguste sur Antoine. Le princeps lui fit construire le plus grand temple de Rome, sur le mont Palatin, près de sa demeure. En outre, il rendit publique une partie de sa demeure et y édifia un autel de Vesta. C'est désormais dans son domaine que se trouvait le centre de la religion officielle romaine.
Comme tout homme, Auguste possédait un genius, cette puissance indiscernable qui assurait à chaque être son rayonnement vital. Très vite, les Romains prirent l'habitude de l'invoquer et de prêter serment sur lui. Ce genius fut aussi associé au culte des lares de carrefour qui étaient vénérés par la plèbe. C'était, mystiquement, donner plus de force au génie de l'empereur.
3. Auguste, à la tête d’un vaste empire
3.1. Une administration contrôlée par l’empereur
L'empereur prend seul les décisions, mais il sait s'entourer des hommes les plus compétents dans leur domaine ; c'est ainsi que se forme peu à peu un véritable conseil impérial, mais sans existence légale, ni composition fixe. En outre, le pouvoir de l'empereur est à peu près absolu, puisque celui-ci contrôle l'essentiel des finances et l'ensemble des armées.
Le contrôle des hommes
Auguste réorganise les provinces, qu'il partage en provinces sénatoriales (celles qui sont déjà pacifiées et n'ont donc pas besoin d'armée), gouvernées par des proconsuls, et provinces impériales (celles qui nécessitent la présence de troupes, comme la Syrie, la Gaule, l’Espagne), dont il choisit lui-même les gouverneurs (légats sénateurs ou procurateurs équestres).
Certes, les proconsuls sont désignés par le sénat, mais, en réalité, ils n'échappent pas au contrôle impérial. Quant aux légats et aux procurateurs, ce sont des fonctionnaires que le prince déplace comme il l'entend ; ils reçoivent un traitement fixe et ne peuvent agir qu'avec l'accord de l'empereur. C'est une garantie pour le pouvoir central, mais c'est aussi une assurance pour les provinciaux, qui, en cas de conflit avec leur gouverneur, peuvent toujours faire appel au princeps.
Le contrôle des finances
L'administration financière rend encore plus évident le caractère absolu du pouvoir d'Auguste. Il fait remettre à jour le cadastre général de l'Empire, ce qui permet de faire une grande carte du monde, mais aussi de remanier les impôts ; le contrôle effectué par les fonctionnaires impériaux est de plus en plus strict.
De plus, dans toutes les provinces sénatoriales, l'empereur est présent dans le domaine financier par l'intermédiaire d'un procurateur. La subordination du sénat est presque totale ; d'ailleurs, en 15 avant J.-C., Auguste se réserve la frappe de l'or et de l'argent, et ne laisse au sénat que la frappe des monnaies de bronze.
Le contrôle des armées
Cette puissance de l'empereur est accentuée par le fait qu'il est le maître des armées. À partir d'Auguste, l'armée est permanente, et le service est de longue durée (vingt ans), si bien que, si les citoyens forment toujours les légions, ce sont pour la plupart des volontaires. Les chevaliers fournissent les officiers supérieurs, mais le commandement est donné dans chaque légion à un légat de légion, délégué de l'empereur, et que ce dernier peut nommer ou destituer selon sa volonté. Cette armée, complétée par deux flottes, l'une à Misène, l'autre à Ravenne, est puissante, mais peu nombreuse relativement à l'immensité de l'Empire.
3.2. Une politique fondamentalement pacifique
En politique extérieure, Auguste préfère aux conquêtes la sécurité des frontières, recourant autant à la diplomatie qu'à l'action militaire. Mais l'Empire est loin d'être achevé quand il en devient le seul maître, après sa victoire sur Antoine.
Prudence aux frontières
De nombreuses régions sont encore mal contrôlées par les Romains ; sur les frontières existent un grand nombre de royaumes, ou principautés « protégées ». Auguste les laisse subsister, ne les transformant en provinces romaines que dans les cas de disparition du roi ou de force majeure. C’est le cas de la Judée en 6 après J.-C. En revanche, Auguste refait de la Mauritanie un royaume, qu'il confie à Juba II, homme profondément pénétré de culture gréco-latine.
La fin de la conquête de l’Espagne
L'empereur doit pourtant se résoudre parfois à intervenir pour rétablir le calme à l'intérieur de certains territoires qui, par leur instabilité, risquent de menacer l'équilibre de l'Empire tout entier. C'est le cas de 27 à 25 avant J.-C., où il dirige lui-même les opérations en Espagne ; les combats contre les Astures et les Cantabres durent cependant jusqu'en 19 avant J.-C.
Il en est de même pour la conquête des hautes vallées des Alpes, en 26 avant J.-C., et pour la formation de la province des Alpes-Maritimes, en 14 avant J.-C.
Tentatives et échec en Germanie
Le cas de la Germanie est plus complexe. À cause du danger présenté par des populations belliqueuses, à cause du désir de succès militaires de Drusus et Tibère, parce qu'on croit la Germanie riche pays agricole et qu'Auguste voit dans l'Elbe une meilleure frontière que le Rhin, une expédition offensive est préparée. Tibère parvient à l'Elbe en 5 après J.-C. Mais l'administration maladroite et présomptueuse de P. Quintilius Varus exaspère les Germains. En septembre 9 après J.-C., trois légions sont anéanties dans la forêt de Teutoburg ; Varus y périt. Auguste décide d'abandonner la Germanie ; la frontière est de nouveau fixée au Rhin, bien fortifié. C'est le seul véritable insuccès de l'empereur.
4. Le siècle d’Auguste
4.1. Rome remodelée par Auguste
Auguste avait compris qu'un empire aussi puissant que le sien devait avoir une capitale qui fût la plus belle cité du monde. Tel n'était pas le cas ; la population était trop nombreuse et mal répartie ; elle vivait agglomérée au centre dans un désordre grandissant ; il y avait peu de place pour construire, car beaucoup de terrains étaient occupés par des jardins, par les maisons des grandes familles, par les constructions publiques. La plèbe s'entassait dans des immeubles de plusieurs étages, dans la plus totale anarchie. Rome ne ressemblait pas à ces villes ordonnées que l'Orient offrait aux regards éblouis des Romains, Alexandrie et Pergame.
Une gestion plus efficace
Auguste divise Rome en 14 régions pour en faciliter l'administration et la police. Sous la République, l'administration de la ville dépendait des magistrats traditionnels (édiles, tribuns de la plèbe, consuls), qui n'avaient que des fonctions provisoires. Auguste se garde bien de toucher à leurs prérogatives ; mais, parallèlement et progressivement, il institue de nouveaux fonctionnaires. Un corps de vigiles, avec un préfet à sa tête, est chargé de combattre les incendies et de faire la police. Des curateurs, puis un préfet de l'annone reçoivent le contrôle des opérations de ravitaillement en blé – l'annone (produit de la récolte annuelle) assure à la population de Rome, en fait aux seuls citoyens, des distributions gratuites de produits alimentaires, que l'État se charge de réquisitionner dans les provinces, transporter et répartir entre les allocataires (dont Auguste ramène le nombre à 150 000).
Constructions et monuments
Auguste entreprend aussi de remodeler Rome. Dans cette tâche, son gendre Agrippa joue un rôle fondamental. La construction de deux nouveaux aqueducs, de citernes et de fontaines permet une meilleure alimentation en eau. La transformation monumentale de la ville est importante, avec notamment le forum et le mausolée d'Auguste, le théâtre de Marcellus et les premiers thermes publics (thermes d'Agrippa).
Pour en savoir plus, voir l'article Rome.
4.2. Le développement d’une civilisation commune
Le règne d'Auguste est une étape décisive dans l'histoire de Rome. Décisive parce que l'empereur a su établir la paix à l'intérieur : infléchir insensiblement, mais sans retour possible en arrière, les vieilles institutions de la république ; rendre leur stabilité à la société et à la religion après les abus des décennies précédentes – il a su créer sans supprimer : un peuple dont le respect pour le passé ne s'était jamais démenti ne pouvait qu'apprécier. Décisive parce que la ville s'est transformée et que l'élan a été donné pour de nouveaux aménagements. Décisive enfin parce que l'Empire a trouvé ses limites naturelles.
Paix, commerce et romanisation
La politique de la diplomatie et de la prudence, qui donne à l'Empire des frontières solides, instaure la paix aussi bien en Occident qu'en Orient, où la guerre régnait depuis des décennies. Cette paix permet aux courants commerciaux de se rétablir, surtout vers Rome, le principal client. Dorénavant, l'unité du monde romain est profondément ressentie par tous les habitants de l'Empire ; elle assure le développement d'une civilisation commune qui s'impose à tous ; la romanisation est rapide. C'est le début d'un âge nouveau.
Renouveau intellectuel
Le principat d'Auguste est fondé sur une idéologie de grandeur. La vie littéraire y contribue : Virgile et Horace, entre autres, s'associent au mouvement de renouveau intellectuel voulu par l'empereur, et Tite-Live écrit sa monumentale Histoire de Rome. En réalité, si Virgile et Tite-Live remettent en honneur la tradition, donnent en exemple les vertus des ancêtres, exaltent Rome et ses fondateurs, si Horace et Ovide participent par leurs œuvres au renouveau religieux, c'est par pure conviction et sans que Mécène, l’ami d’Auguste qui aimait à s'en entourer, ait eu à les pousser dans cette voie. Le prince a su comprendre et saisir les forces complexes et spontanées qui animaient son époque, et dont la réunion fit le « siècle d'Auguste ».
5. Les difficultés de la succession d’Auguste
L'Empire d'Auguste à TrajanL'Empire d'Auguste à Trajan
Seul maître du pouvoir après sa victoire sur son rival Antoine et le suicide de ce dernier (30 avant J.-C.), Auguste a connu un long règne de plus de quarante ans. Pourtant, il ne fut pas un homme heureux. Il avait souffert de n'être qu'un médiocre soldat et de ne devoir ses victoires qu'à ses loyaux compagnons. Il souffrit toute sa vie de graves maux physiques qui le conduisirent parfois au seuil de la mort. Ses dernières années furent empreintes de tristesse, car il vit disparaître pratiquement tous ceux qu'il aimait. Et il eut tout le temps la hantise de ne pouvoir accomplir une œuvre, qu'il ne jugea jamais suffisamment affirmée.
5.1. Un pouvoir difficile à transmettre
Dans un régime qui était censé utiliser les institutions de la république en ce qu'elles avaient de meilleur, il ne pouvait être question pour Auguste de désigner ouvertement un successeur comme dans une simple monarchie. Cependant, le princeps ne voulait pas que sa mort fût la fin de ce qu'il avait réussi à créer, d'une certaine forme efficace du pouvoir.
Auguste ne put aborder franchement le problème ; aussi posa-t-il en principe de désigner, de son vivant, à l'attention du sénat et du peuple, celui qu'il désirait avoir comme successeur. Cette désignation n'était pas directe et, en droit, elle n'engageait personne. Il est vrai que les choses auraient pu être plus simples si l'empereur avait eu un fils.
5.2. La mort d'Auguste
N'ayant pas de fils, Auguste adopte d’abord son neveu (le fils de sa sœur Octavie), qu’il marie à sa fille Julie, mais qui meurt peu après ; puis les petits-fils que Julie lui donne avec Agrippa qu’il lui fait épouser ensuite, mais qui meurent aussi avant lui. Finalement, Auguste choisit son beau-fils Tibère, que sa femme Livie avait eu d’un premier mariage et qui, après avoir dû répudier sa femme, à son tour épouse Julie en prélude à son adoption.
Lors d'un voyage en Campanie durant l'été 14 après J.-C., Auguste ressent de violents maux de ventre et doit s'arrêter à Nola. Il fait alors venir Tibère et s'entretient dans l'intimité avec lui. Il meurt le 19 août, à 77 ans. Sa dépouille mortelle est ramenée à Rome, portée durant la nuit par les notables des cités que le cortège traverse, et exposée pendant le jour dans les temples les plus importants.
À Rome, Tibère et son fils Drusus prononcent l'éloge funèbre de l'empereur, dont le corps est ensuite consumé sur un bûcher. Ses cendres seront déposées dans le mausolée qu'Auguste s'était fait construire sur le champ de Mars. Le sénat se réunit ensuite pour entendre lire son testament, qui désigne Tibère comme son successeur. Auguste peut dès lors être honoré comme un dieu.
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