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LA THÉORIE DE L'ÉVOLUTION

 


Texte de la 16ème conférence de l'Université de tous les savoirs réalisée le 16 janvier 2000
par Jean Gayon


La théorie de l’Évolution : Que signifie “ darwinisme ” aujourd’hui ?
L’idée d’une transformation des espèces dans le cours des temps géologiques remonte à la fin  du dix-huitième siècle. Le nom de Lamarck est à juste titre souvent  mentionné comme une  étape capitale dans la maturation de cette idée. Toutefois il n’est guère possible de parler  d’une théorie de l’évolution avant Darwin. Si le livre publié en 1859 par Darwin sous le titre  L’Origine des espèces a tant marqué les esprits, c’est entre autres parce que ce livre était  entièrement consacré à présenter, en 490 pages, une théorie consistant à justifier l’idée que les  espèces descendent les unes des autres en se modifiant, et à expliquer le processus  indéfiniment continué de modification des espèces par une hypothèse que Darwin appelait  “ sélection naturelle ”.
Après Darwin, de nombreuses théories concurrentes ont été proposées. Mais il est clair que le  sort de la théorie de l’évolution est demeuré associé au nom de Darwin plus qu’à tout autre.
En témoigne l’importance exceptionnelle, dans tous les débats sur l’évolution de la fin du dixneuvième  siècle et de la totalité du vingtième siècle, du mot “ darwinisme ”. Les spécialistes  de l’évolution pourraient sans doute aujourd’hui se dispenser de toute référence à Darwin.
Cependant ils ne le font pas, ni dans leurs discussions savantes, ni face au public. L’on ne  peut être qu’impressionné par l’insistance avec laquelle les débats généraux les plus récents  sur l’évolution ont été formulés et appréciés dans un langage qui fait explicitement référence à  l’auteur de L’Origine des espèces. En particulier, depuis le milieu des années 1970, l’on a vu  fleurir une littérature considérable sur des alternatives possibles au “ néodarwinisme ” et,  corrélativement une littérature non moins abondante sur la vitalité de celui-ci.
Cette référence persistante d’une discipline scientifique bien établie à un individu constitue  une situation assez exceptionnelle dans l’histoire de la science contemporaine. Je me propose  de clarifier le sens de cette référence. Que signifie, aujourd’hui, pour un(e) biologiste de  l’évolution de se dire “ darwinien ” ou “ non-darwinien ? En répondant avec précision à cette  question, j’espère contribuer, en tant que philosophe, à une meilleure compréhension de l’état  actuel de la théorie de l’évolution, et de ce que cela signifie, précisément, que ce soit une  “ théorie ”. Je montrerai en particulier que les critiques modernes du darwinisme peuvent se  ranger en deux grandes catégories, que je forge à partir des réflexions philosophiques  spontanées de Darwin lui-même sur le statut du principe de sélection naturelle.
1. Critères d’évaluation
Le darwinisme est une tradition de recherche qui, en tant que telle, ne peut être identifiée avec  la pensée de Darwin prise en bloc. Nombreuses sont les idées de Darwin qui n’ont pas grand  rapport avec ce que l’on entend aujourd’hui par “ darwinisme ”. Par exemple la théorie  darwinienne de l’hérédité, ou théorie de la “ pangenèse ” implique la forme la plus radicale  d’hérédité des caractères acquis qui ait jamais été proposée. Elle n’est “ darwinienne ” qu’au  sens où elle a été soutenue par Darwin. Mais elle n’a rien à faire aujourd’hui avec les débats  sur la validité de ce qu’on appelle communément le “ darwinisme ” en théorie de l’évolution.
Pour comprendre le sens de la référence des évolutionnistes à Darwin, il convient de  construire une hypothèse sur la nature de la relation entre le modèle (Darwin) et la copie  (darwinisme). C’est ce que fait plus ou moins intuitivement tout évolutionniste qui fait usage  des qualificatifs “ darwinien ” et non-darwinienne ”. Je crois cependant que l’on peut  introduire un peu plus de rigueur en la matière qu’on ne le fait d’ordinaire, et qu’il n’est pas  aberrant d’explorer l’hypothèse selon laquelle il y a une réelle continuité entre certains  éléments de la pensée évolutionniste de Darwin, et le darwinisme d’hier et d’aujourd’hui. À la  différence de la plupart des savants de la fin du dix-neuvième siècle que plus aucun savant ne  lit sauf s’il s’intéresse à l’histoire des sciences, Darwin n’a cessé d’être republié et lu tout au  long du vingtième siècle par de nombreux biologistes. Il n’est donc pas aberrant de penser  qu’il existe un rapport causal objectif entre le texte darwinien et le “ darwinisme ”.
Les réflexions spontanées de Darwin sur le statut philosophique du principe de sélection  naturelle peuvent nous aider à cerner la nature de ce rapport. Darwin a utilisé trois termes  pour qualifier le statut philosophique de la sélection naturelle: “hypothèse”, “théorie”, et  “pouvoir”. Les deux premiers se rapportent à la justification de la sélection naturelle. Le  troisième intervient dans des contextes différents, et concerne la signification causale de la  sélection naturelle.
La distinction entre “ hypothèse ” et “ théorie ” de la sélection naturelle est exprimée dans La  Variation des animaux et des plantes sous l’action de la domestication (1868), où le  naturaliste s’efforce de répondre aux savants et philosophes qui avaient mis en doute la  scientificité de la démarche darwinienne dans L’Origine des espèces :
“ Dans les recherches scientifiques, il est licite d’inventer une hypothèse quelconque; si celleci  explique de grandes classes de faits indépendants, on l’élève au rang de théorie bien  établie.
On peut envisager le principe de sélection naturelle comme une simple hypothèse, rendue  cependant probable par ce que nous savons positivement de la variabilité des êtres organiques  à l’état de nature, de la lutte pour l’existence, de la préservation quasiment inévitable des  variations qui s’ensuit, et de la formation analogique des races domestiques.
Or cette hypothèse peut être testée – et c’est là à mon sens la seule manière honnête et  légitime d’aborder la question dans son ensemble – en examinant si elle explique plusieurs  grandes classes de faits indépendants, tels que la succession géologique des êtres organiques,  leur distribution dans les temps passés et présents, leurs affinités mutuelles et leurs  homologies. Si le principe de sélection naturelle explique bien ces grands ensembles de faits,  elle doit être acceptée ”. (Darwin [1868] 1972, vol. 7, p. 9 ; nous soulignons).
La précision philosophique de ces propos doit être soulignée. Darwin était bien informé sur le  vocabulaire technique de ce que l’on commençait à appeler à l’époque     la “ philosophie des  sciences ”, tout particulièrement la philosophie des “ sciences inductives ”. Ce vocabulaire lui  permet de présenter la structure argumentative de L’origine des espèces avec une remarquable  clarté, ce qu’il n’avait pas fait de manière explicite dans l’ouvrage de 1859.
Lorsque Darwin parle de la sélection naturelle comme une “simple hypothèse” rendue  probable par certaines classes de faits, il pense aux cinq premiers chapitres de L’origine, où la  sélection naturelle est donnée comme la conclusion d’un raisonnement fondé sur une série de  prémisses ayant valeur de généralisations empiriques (taux de reproduction des organismes,  limitation des ressources, faits de variation et d’hérédité). Il faut aussi noter l’allusion à la  “formation analogique des races domestiques”. Celle-ci n’est pas à proprement parler une  prémisse de l’argument que nous venons d’évoquer ; la sélection artificielle a valeur de  modèle expérimental analogique, destiné à convaincre le lecteur de l’efficacité du processus  de sélection dans la modification des espèces.
La “théorie bien établie” de la sélection naturelle fait référence à la seconde moitié de  L’origine des espèces (Chap. 7-12), où la sélection joue le rôle d’un principe qui explique  diverses classes de faits indépendants (extinction, divergence, distribution géographique des  espèces, affinités morphologiques, embryologie comparée). De là résulte une seconde  stratégie de justification de la sélection naturelle, une justification par les conséquences de  l’hypothèse, autrement dit par sa capacité explicative.
Il y a ainsi pour Darwin deux niveaux de justification de la sélection naturelle. Le premier  consiste en arguments qui rendent plausible plausible l’existence du processus de sélection  naturelle. Ceci est d’autant plus important que L’Origine des espèces ne fournit aucune  preuve directe d’un quelconque cas de sélection naturelle ; il n’a d’ailleurs été possible de  construire de manière satisfaisante une telle preuve directe avant la fin des années 1940, soit  près d’un siècle après la parution de L’Origine. Le second niveau de justification est fondé sur le pouvoir explicatif et unificateur de l’hypothèse. Le diagramme représenté sur la figure 1 récapitule la double stratégie de justification de l’hypothèse de sélection naturelle.
Cette méthodologie est conforme à la stratégie newtonienne traditionnelle de confirmation des  hypothèses. Celle-ci repose sur l’idéal de la vera causa, la cause “vraie et non fictive” suggérée par des données empiriques, et confirmée par les phénomènes indépendants qu’elle  explique. Darwin était conscient d’avoir composé L’Origine des espèces en référence à cette  conception de la science, très en vogue chez les physiciens du milieu du dix-neuvième siècle.
Il en avait pris connaissance dans lesquels Herschel et Whewell l’avaient exposée. Cette  période correspond au à celle dans laquelle Darwin a formé l’hypothèse de sélection naturelle
(Hull 1973, Kavaloski 1974, Ruse, 1975).
Le troisième terme philosophique employé par Darwin pour qualifier le statut de la sélection  naturelle est celui de pouvoir. Il utilise fréquemment ce terme, synonyme traditionnel de ceux  de “ cause ” ou d’“ agent ”, pour signifier la capacité quasi illimitée de la sélection naturelle à  améliorer l’adaptation des organismes à leur environnement. Voici deux extraits illustrant   l’idée que la sélection a un pouvoir transformateur illimité :
“ On peut dire que la sélection naturelle scrute à chaque instant et dans le monde entier, les  variations les plus légères ; elle repousse celles qui sont nuisibles, elle conserve et accumule  celles qui sont utiles ; elle travaille en silence, insensiblement, partout et toujours, dès que  l’occasion s’en présente, pour améliorer tous les êtres organisés relativement à leurs  conditions d’existence organiques et inorganiques ” (Darwin 1859 : 84).
Dans le chapitre conclusif de L’Origine, l’on trouve une formule encore plus forte, qui  renforce donne prise à la critique, souvent adressée à Darwin par ses contemporains, selon  laquelle il aurait remplacé le Dieu providentiel de la théologie naturelle par la sélection :
“ Quelle limite pourrait-on fixer à ce pouvoir agissant continuellement à travers les temps, et  scrutant rigoureusement la constitution, la conformation et les habitudes de chaque créature, pour favoriser ce qui est bon et rejeter ce qui est mauvais ? Je ne peux concevoir aucune  limite à ce pouvoir qui adapte lentement et admirablement chaque forme aux relations les plus complexes de la vie. Même si l’on ne regardait pas au delà, la théorie de la sélection naturelleme paraît en elle-même probable ” (Darwin 1859 : 236).

 

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SÉQUENÇAGE DU GÊNOME

 

Texte de la 27ème conférence de l'Université de tous les savoirs réalisée le 27 janvier 2000 par Jean Weissenbach


Le séquençage du génome humain : comment et pourquoi.


Introduction
Les cellules des êtres vivants contiennent un programme d'instructions (le génome) leur permettant de se maintenir en vie ou de se multiplier. Ces instructions (les gènes) sont codées sous une forme chimique le long de molécules géantes, les molécules d'ADN qui constituent les chromosomes. La connaissance de ces instructions est indispensable à la compréhension des phénomènes biologiques au niveau cellulaire et moléculaire. Mais elle est en outre le point de départ d'applications de plus en plus nombreuses dans les domaines de la médecine et des industries pharmaceutique, biotechnologique, agro-alimentaire et dans d'autres domaines en prise directe avec les processus biologiques (agriculture, environnement).
Le code des instructions (le code génétique) est constitué d'un alphabet chimique à 4 signes, les nucléotides (ou bases), qu’on symbolise par les lettres A, T, G et C. Une molécule d’ADN est constituée de l'enchaînement de millions de ces signes élémentaires tel un collier de perles à 4 couleurs. C'est cette forme d'enchaînement qui permet le stockage de l'information biologique, de même que la succession des octets magnétiques permet le stockage d'informations dans un ordinateur. En d'autres termes, l'ADN est la mémoire du vivant. Pour connaître les instructions que renferme une molécule d'ADN, il faut lire la succession des signes de l'enchaînement (des couleurs des perles le long du collier). C'est cette lecture qu'on appelle séquençage et qu'on sait pratiquer à petite échelle (quelques milliers de bases ou lettres) depuis les années 70, et à grande échelle (quelques millions de bases) depuis le milieu des années 90.
Depuis qu'il a appris à lire la séquence de l'ADN au cours des années 70, l'homme rêve de connaître son propre génome, même s'il n'est pas encore capable de connaître le sens de toutes les instructions contenues dans ce génome. Ce rêve est en passe de devenir une réalité : il y a quelques années a été lancé un gigantesque programme international destiné à séquencer le génome humain dans son intégralité soit 3 milliards de bases. Toute une série de retombées résultant de l'interprétation et de l'exploitation de ces données sont attendues pour les décennies à venir. Nous passerons en revue les plus importantes sur les plans scientifique, médical et des applications, sans oublier que les retombées scientifiques seront elles-mêmes à l'origine de la très grande majorité des nouvelles applications.
Les retombées scientifiques
Au niveau le plus simple se situe l'inventaire des instructions, puis la recherche d'une signification biologique à chacune des instructions qu'on désigne aujourd'hui sous le nom d'approches post-génomiques. Il est en outre quelque peu artificiel de séparer l'inventaire de l'interprétation, car l'inventaire lui-même peut déjà faire appel à un certain degré d'interprétation. Inventaire et interprétation doivent aussi s'appuyer sur les travaux portant sur les autres génomes, notamment les petits génomes, qui ont ouvert la voie et qui continuent à servir de systèmes pilotes au niveau de l'interprétation des données et dans les autres études post-génomiques. L'interprétation qui reste un défi considérable, même pour les petits génomes occupera sans doute une majorité de biologistes pendant plusieurs décennies.

L'inventaire des instructions
Un des premiers objectifs de l'interprétation consistera donc à procéder à un inventaire des gènes aussi complet que possible. Cet inventaire repose sur des comparaisons (notamment à des gènes déjà connus d'autres génomes) et des prédictions faites à l'aide d'autres programmes informatiques. Du fait de l'énormité du volume des données qui va être disponible, cette analyse informatique représente un défi sans précédent en biologie. L'analyse sera encore compliquée par le fait que la masse de données ne fera que s'accroître au fil des ans et qu'elle devra être constamment révisée pour prendre en compte les connaissances additionnelles. De plus, les résultats de traitements qu'effectuent les programmes existants doivent être examinés par des yeux experts, et ces experts font actuellement grandement défaut dans la plupart des pays, aussi bien dans le secteur académique que dans les entreprises privées. A partir de ces données analysées, on pourra dresser un inventaire de l'ensemble des gènes d'un individu.
L'interprétation des instructions
Dans la mesure où l'analyse informatique donne parfois des informations sur la fonction, l'interprétation commence dès ce stade. Si pour une fraction des instructions, la fonction peut être déduite des analyses informatiques, pour de nombreux autres, seules des démarches expérimentales additionnelles permettront de préciser la nature des instructions. En outre, même lorsque les fonctions des gènes peuvent être prédites par des programmes informatiques, il importe de valider ces prédictions par des expériences. Enfin, on s'aperçoit aussi que l'interprétation par comparaison passe souvent par l'acquisition de données de séquences additionnelles.
D'une manière générale, le fonctionnement d'une cellule et d'un organisme multicellulaire reste en grande partie méconnu. Même si la compréhension de chacune des instructions (gènes) d'un organisme ne donne pas une image complète du phénomène vital, elle représente un énorme pas en avant par rapport à l'état de connaissances actuelles. L'étude du rôle de chaque gène répertorié va donc devenir un des objectifs centraux de la biologie dans les décennies à venir. Une telle étude est déjà en cours pour les nombreux gènes de fonction inconnue des génomes dont la séquence complète est disponible.
L'instruction biologique contenue dans un gène s'exprime sous forme d'une autre molécule, une protéine synthétisée par conversion du code d'ADN par la machinerie cellulaire de synthèse protéique. C'est la protéine qui effectue au niveau cellulaire l'instruction contenue dans le gène. Connaître la fonction d'un gène, c'est donc connaître la fonction de la protéine. Pour comprendre l'information, deux voies majeures sont empruntées, l'une consiste à étudier les protéines nouvellement identifiées en général dans des systèmes in vitro, et l'autre, à observer sur l'organisme (animal, plante, micro-organisme) les conditions naturelles d'expression d'un gène ainsi que l'effet des modifications de ce gène. En raison de l'avalanche de gènes nouvellement identifiés, on voit se créer une nouvelle série de goulots d'étranglements dans les démarches expérimentales au niveau des disciplines classiques de la biologie : biologie structurale, biochimie, biologie cellulaire, physiologie, biologie et génétique moléculaires, etc. Toutes ces disciplines qui grosso modo absorbaient les études sur les nouvelles protéines (et leurs gènes) au fur et à mesure de leur découverte sont déjà submergées par le déferlement de dizaines de milliers de nouveaux gènes issus des programmes de séquençage systématique des génomes. Cette situation va s'intensifier dans les années à venir.

 

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LES GÈNES HOMÉOTIQUES ET L'ÉVOLUTION DES ANIMAUX

 

Texte de la 432e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 11 juillet 2002
Guillaume Balavoine, « Le complexe Hox et l'évolution des animaux »
L'idée que les modifications que subissent les espèces au cours de l'évolution sont causées par des altérations du développement de l'embryon est apparue dès le XIXe siècle. Néanmoins, l'ignorance dans laquelle nous étions des mécanismes fondamentaux de l'embryogenèse, c'est-à-dire le développement progressif d'un animal juvénile composé de milliers de cellules, de tissus différenciés et d'organes complexes à partir d'une seule cellule, l'oeuf fécondé, a empêché jusqu'à une date récente toute avancée significative dans le domaine des mécanismes embryologiques de l'évolution. Cette situation a radicalement changé depuis une trentaine d'années. Des progrès considérables ont été faits dans la compréhension de la façon dont les gènes contrôlent le développement de l'embryon. Pour la première fois, des exemples convaincants du rôle possible de certains gènes dans l'évolution de la morphologie des animaux ont été proposés.
Au cours de mon exposé, je souhaite donner un aperçu historique de la relation entre embryologie et évolution. J'essaierai d'expliquer à quel point la découverte des gènes homéotiques et de leur conservation chez la plupart des animaux a été révolutionnaire pour la biologie du développement. Dans une troisième partie, j'expliquerai comment certains de ces gènes peuvent avoir été impliqué dans l'évolution du plan d'organisation des animaux.
Evolution, embryologie et génétique
La première synthèse de l'embryologie et de l'évolution est celle de Ernst Haeckel (1834-1919), le grand naturaliste allemand. Depuis longtemps, les naturalistes avaient constaté que des animaux très dissemblables au stade adulte comme les mammifères et les poissons peuvent avoir des embryons très comparables aux stades précoces (le fameux stade « pharyngula »). Des interprétations pré-évolutionnistes ont éte proposées par Serres et par Meckel, mais la synthèse la plus connue était celle de von Baer (1792-1876). Les lois de von Baer mettent en exergue que l'embryogenèse dans un groupe donné fait d'abord apparaître les caractères les plus généraux, puis les caractères spécifiques, suivant une séquence temporelle stricte. Von Baer, qui était "fixiste" (il ne croyait pas à l'évolution des formes vivantes) voyait donc les différents groupes d'animaux comme autant de lignées séparées, ayant en commun les caractères généraux apparaissant tout au début de l'embryogenèse, et se différenciant par des caractères apparaissant plus tardivement dans le développement.
Haeckel voyait au contraire dans l'ontogénie une image exacte de la façon dont les animaux ont évolué, une conception énoncée en français par le fameux aphorisme : « l'ontogenèse récapitule la phylogenèse ». Selon Haeckel, les caractères nouveaux acquis par les organismes adultes au cours de l'évolution sont originellement des additions terminales au processus de leur développement. Par la suite, d'autres caractères peuvent encore être ajoutés en séquence, mais les caractères acquis auparavant sont retenus dans l'embryogenèse en apparaissant plus tôt. L'embryogenèse récapitule donc les formes adultes des espèces ancestrales. Un exemple bien connu est celui des fentes pharyngiennes qui apparaissent transitoirement chez les embryons des mammifères et qui selon l'hypothèse d'Haeckel sont le vestige des fentes portant les branchies chez les ancêtres « poissons » des mammifères. Haeckel reconnaît des exceptions à cette règle pourtant, c'est-à-dire des caractères qui n'apparaissent pas dans l'ontogénie à un stade qui correspond à celui de leur acquisition au cours de la phylogenèse. Mais le grand oeuvre du biologiste évolutionniste doit justement consister à retrouver dans l'embryogenèse les indices véritables de l'histoire des êtres. En appliquant systématiquement ces principes à la reconstitution de cette histoire des êtres vivants, Ernst Haeckel fut le premier à dessiner les arbres généalogiques (ou « phylogénétique ») représentant leurs parentés.
Gradualisme darwinien contre mutationnisme
Haeckel était un partisan enthousiaste des idées de Charles Darwin (1809-1882). Darwin proposa en 1859 dans l'Origine des espèces une théorie révolutionnaire de l'évolution des formes vivantes par la sélection naturelle. Le fondement de cette théorie est qu'il existe à tout moment dans la population naturelle de n'importe quelle espèce des variations infimes de la forme et de la taille des organes. Ces variations apparemment insignifiantes ont néanmoins la caractéristique d'être héréditaires. Certaines de ces variations se révèlent désavantageuses pour la survie dans son milieu de l'individu qui les porte mais d'autres sont bénéfiques. Comme la reproduction produit bien plus d'individus qu'il n'en peut survivre (la fameuse "lutte pour la vie"), les individus porteurs d'une variation bénéfique sont plus susceptibles d'attendre l'age de la reproduction que les autres et vont plus que les autres transmettrent ces avantages à leur descendance, entraînant l'expansion de la variation au sein de la population de l'espèce. Comme pendant ce temps, de nouvelles variations apparaissent, de proche en proche, par l'accumulation sur de très longues périodes de temps (Darwin parlait de millions d'années) d'infimes variations, des modifications très substantielles de l'anatomie de l'espèce peuvent se produire. Darwin ne connaissait pas l'origine des variations héréditaires qu'il constatait dans les populations naturelles et il ne savait pas par quel mécanisme ces variations étaient transmises à la descendance.
On le voit, le développement ne joue pas un grand rôle dans la théorie de Darwin. Haeckel a donc essayé de concilier le darwinisme avec sa propre théorie d'évolution des formes vivantes par modification du développement. Haeckel avait ses propres idées sur la transmission héréditaire des variations, fondée sur ce qu'il est convenu d'appeler l'hérédité des caractères acquis, mais cette théorie s'effondra avec la découverte du gène.
Ironiquement, les gènes étaient découverts par un moine morave, Gregor Mendel (1822-1884), à l'époque même où Darwin faisait publier l'Origine des espèces. Mendel travaillait sur une plante, le petit pois, et sur de petites variations de pigmentation ou de texture des téguments des graines de cette plante. Ces variations étaient semblables à celles dont parlait Darwin dans l'Origine des espèces. Mais pendant plus de trente ans, les travaux de Mendel n'ont reçu aucun écho.
L'une des premières conséquences de la redécouverte du gène vers la fin du dix-neuvième siècle a été un rejet par les premiers généticiens de l'évolution « darwinienne » (c'est-à-dire du rôle prépondérant de la sélection naturelle dans l'apparition des caractères nouveaux) comme cause principale de l'évolution anatomique. L'un des ré-inventeurs de la génétique, le hollandais Hugo de Vries (1848-1935), distinguait deux sortes de variations dans les populations naturelles : les variations continues minimes sur lesquelles Darwin fondait sa théorie, mais qui ne pouvaient, selon de Vries, en aucun cas permettre l'évolution et les variations discontinues et brutales (qu'il appela des « mutations ») qui, seules, pouvaient produire de nouvelles espèces. Le rôle de la sélection était, sinon rejetée, du moins limitée à l'émondage des espèces par trop inadaptées. Pour de Vries, l'évolution procède donc par sauts, une mutation pouvant faire apparaître soudainement une nouvelle espèce.
Bateson et les transformations homéotiques
Parmi les tenants de cette école saltationniste, on trouve William Bateson (1861-1926), zoologiste anglais. Bateson était persuadé que les mécanismes évolutifs qui produisent de nouvelles espèces sont discontinus et interviennent par des variations anatomiques brutales. Dans Materials for the study of variation (1894), il fournit un recueil considérable d'exemples de ces variations discontinues. Certaines de ces variations se caractérisent par le fait qu'une certaine partie du corps d'un organisme prenait l'apparence d'une autre partie. Par exemple, chez les insectes, les antennes peuvent être remplacée par des pattes ; chez les crustacés, les yeux peuvent devenir des antennes ; chez diverses plantes, les pétales de la fleur peuvent prendre la forme d'étamines. Bateson fournit une longue liste de ce type de transformations parmi des groupes aussi variés que les vers annelés, les insectes et les mammifères. Il inventa le terme « homéose » pour désigner ces transformations. Bateson s'intéressa à l'origine de la variation et s'enthousiasma pour la théorie génétique de l'hérédité. Cette théorie lui semblait tout à fait confirmer ses idées quant à l'apparition soudaine de nouvelles espèces. Néanmoins, pendant les décennies qui suivent, ces idées ne font guère école. Les généticiens s'intéressent essentiellement à des modifications assez minimes de la morphologie pour expliquer l'évolution des caractères. Les « monstres » issus de mutations telles que les transformations homéotiques intervenant au cours du développement précoce les intéressent fort peu.
Les mutants homéotiques de la drosophile
Il faudra attendre Edward Lewis (né en 1918, prix Nobel 1995 de médecine), un généticien américain, pour que l'origine génétique des transformations homéotiques soient analysées en profondeur. Edward Lewis a travaillé toute sa vie sur les gènes homéotiques de la mouche fétiche des généticiens, la drosophile.
Le corps d'une mouche (tête, thorax et abdomen) est formé de segments d'anatomies différentes mais qui apparaissent identiques au début de leur développement. Sous l'effet d'une mutation d'un gène homéotique, un ou plusieurs segments vont au cours du développement prendre l'apparence d'autres segments. L'exemple le mieux connu est celui de la mutation bithorax. Les mouches porteuses de cette mutation ont deux paires d'ailes et semblent avoir deux thorax. Chez les mouches (diptères), le deuxième segment thoracique (T2) est très développé et porte une paire de pattes et une paire d'ailes alors que le troisième segment thoracique (T3) est de taille réduite et porte juste une paire de pattes mais pas d'ailes. Chez le mutant bithorax, T3 ressemble trait pour trait à T2, c'est-à-dire que la taille du segment est considérablement augmentée et qu'il porte des ailes (fig 1).
Edward Lewis a consacré une bonne partie de sa carrière à l'étude de ces gènes et dans une publication en 1978, il a contribué à démontrer deux aspects fondamentaux de leur structure et de leur fonction (fig 2) :
- les gènes homéotiques sont regroupés en deux complexes sur un chromosome de la mouche, le complexe Antennapedia qui compte cinq gènes contrôlant la forme des segments de la tête et du thorax, et le complexe Bithorax avec trois gènes s'occupant du thorax et de l'abdomen. Lewis en a déduit que les gènes homéotiques étaient des gènes apparentés apparus par des duplications successives dites « en tandem » d'un seul gène ancestral.
- Ces gènes régulent l'identité des segments de la mouche le long de l'axe antéro-postérieur suivant un ordre identique à celui dans lequel on les trouve sur le chromosome. C'est ce que l'on appelle la propriété de colinéarité.
Edward Lewis pensait à cette époque que les gènes homéotiques étaient une particularité des arthropodes (les animaux articulés) et qu'ils avaient joué un grand rôle dans leur évolution. On considérait à l'époque que les insectes avaient évolué à partir d'ancêtres chez lesquels tous les segments du tronc sont identiques, comme chez les milles-pattes actuels. Cette anatomie aurait été contrôlée par un gène homéotique ancestral unique. Puis d'autres gènes, ceux du complexe Bithorax seraient apparus par des duplications du gène ancestral. Mais ces nouveaux gènes auraient acquis une nouvelle fonction, celle de gènes « suppresseurs » de « pattes » L'apparition de ces gènes aurait donc provoqué l'apparition de l'abdomen sans patte et donc des insectes (fig 3).
Les années qui suivirent, qui virent l'application systématique des nouvelles techniques de biologie moléculaire à l'analyse des gènes des deux complexes donnèrent souvent raison aux idées visionnaires de Lewis sauf sur un point important : les gènes étaient beaucoup plus anciens qu'il ne le pensait.
L'homéodomaine ou la pierre de Rosette de la biologie du développement.
Dans les années 1980, plusieurs laboratoires ont élucidé la nature et la fonction moléculaire des gènes homéotiques. Les gènes sont des fragments d'ADN sur le chromosome composé d'un enchaînement spécifique de nucléotides (les quatre fameuses bases A,T,G,C). Ces enchaînements codent la structure d'une protéine, laquelle peut avoir diverses fonctions (protéines contractiles comme dans les cellules musculaires, enzymes du métabolisme, etc ...). Quand un gène, à un moment donné du développement et dans des cellules données, est effectivement « traduit » dans la protéine qu'il code, on dit que le gène s'« exprime ». Les gènes homéotiques codent pour des protéines régulatrices de l'expression d'autres gènes, c'est-à-dire que dans les cellules où le gène homéotique s'exprime, une protéine homéotique est produite qui va à son tour réguler positivement ou négativement l'expression de plusieurs autres gènes.
Les gènes homéotiques sont responsables de l'identité des segments de la drosophile au cours du développement, c'est-à-dire qu'ils vont aiguiller le développement des cellules de ces segments vers une direction spécifique. C'est pourquoi ces gènes ont été désignés sous l'appellation de gènes « sélecteurs» : ils fixent la destinée des cellules embryonnaires dans lesquelles ils sont exprimés, c'est-à-dire dans lesquelles la protéine qu'ils codent est produite. On peut grâce à des méthodes moléculaires sophistiquées mettre en évidence l'expression du gène dans des segments spécifiques (fig 4).
Le séquençage des gènes homéotiques fut effectué dans plusieurs laboratoires, notamment celui de Walter Gehring en Suisse et celui de Thomas Kaufman aux Etats-Unis. Comme Lewis l'avait prévu, les gènes homéotiques sont bien des gènes apparentés. Ils ont tous en commun un motif conservé, lequel code pour une partie de la protéine que l'on a appelé l'« homéodomaine ». C'est grâce à cet homéodomaine que les protéines homéotiques peuvent se fixer sur le chromosome à des endroits spécifiques et réguler d'autres gènes se trouvant à proximité, les gènes « effecteurs » qui vont réaliser la « forme » finale du segment en agissant sur la différenciation des cellules de ce segment.
Les études menées sur la drosophile ont donc révélé des concepts entièrement nouveaux pour la biologie du développement. Les gènes homéotiques ont été les premiers gènes « sélecteurs » étudiés en détail mais on sait aujourd'hui que beaucoup d'autres gènes de ce type (des centaines) existent sur les chromosomes et qu'ils régulent de multiples aspects du développement.
Très rapidement, on s'aperçut que des gènes codant pour des protéines à homéodomaine très proches des gènes homéotiques de la drosophile étaient présents chez la plupart des animaux, en particulier chez les vertébrés. On appelle ces gènes les gènes « Hox » de façon générale. La voie était ouverte pour une vaste entreprise d'identification de gènes par homologie qui conduisit à la découverte des complexes de gènes Hox chez l'homme et la souris. La « Pierre de Rosette » de la biologie du développement était découverte.
Des complexes homologues chez les insectes et les vertébrés.
Les deux complexes homéotiques de la drosophile ANT-C et BX-C sont le résultat d'une scission d'un complexe ancestral unique. Cette organisation ancestrale en un seul complexe a été trouvée chez d'autres insectes. Les vertébrés ont quatre complexes de gènes Hox qui résultent manifestement de duplications d'un complexe ancestral entier. Les quatre complexes sont situés sur des chromosomes différents. Ils sont alignables entre eux, chaque gène ayant en général un proche parent chez chacun des trois autres complexes, dont l'homéodomaine est quasiment identique.
La plupart des gènes Hox des vertébrés sont alignables avec les gènes des complexes de la drosophile, sur la base de la comparaison des homéodomaines et de la position du gène au sein du complexe (figure 3). Ceci démontre que ces gènes ont été hérités d'un ancêtre commun aux deux organismes, un animal qui vivait il y a au moins 550 millions d'années. Le complexe Hox lui-même devait donc exister chez cet animal. Il a été possible d'étudier la fonction des gènes Hox chez les mammifères en prenant comme modèle la souris où il est possible d'obtenir artificiellement des mutants de ces gènes. Quand on détruit l'un des gènes de la souris, on obtient des souriceaux présentant des malformations qui sont des transformations homéotiques de la colonne vertébrale ou des côtes, c'est-à-dire que certaines vertèbres ou certaines côtes prennent l'aspect de vertèbres ou de côtes plus antérieures ou plus postérieures. On a donc des effets très comparables à ceux observés sur les segments de la drosophile.
On avait donc à l'époque entre les mains un premier exemple de conservation à très grande échelle d'une structure chromosomique complexe. Que cette structure soit constituée de gènes fondamentaux pour le développement, responsables d'une partie importante du plan d'organisation de l'animal, comme cela a été établi rapidement chez les vertébrés aussi, était complètement inattendu. Rien ne laissait penser en effet que les plans d'organisation d'un mammifère et d'un insecte avaient quoi que ce soit de comparable, hormis quelques grands traits de base (axe antéro-postérieur, présence d'une tête, etc...).
La comparaison structurelle et fonctionnelle des gènes Hox des insectes et des mammifères établissait donc de façon certaine que leur dernier ancêtre commun avait déjà un complexe Hox élaboré, que ce complexe jouait déjà un rôle dans la régionalisation antéro-postérieure de l'embryon.
L'évolution du complexe Hox au sein des animaux.
La ressemblance des complexes de la souris et de la drosophile est remarquable. Il y a néanmoins des différences importantes. D'abord, les quatre complexes semblables des mammifères suggèrent que chez un de leur ancêtre, le complexe ancestral a été dupliqué plusieurs fois pour donner les quatre copies. Ensuite, les mammifères ont beaucoup plus de gènes « postérieurs » (exprimés dans la partie postérieure de l'embryon) que les insectes (jusqu'à cinq contre un seul). Ces différences suggèrent que des changements assez importants se sont produits pendant l'histoire du complexe Hox.
Ces constatations ont amené certains chercheurs à se demander quelles ont été les grandes étapes de l'évolution du complexe, à quelle moment de l'histoire de la vie ce complexe est apparu et si cette apparition est corrélée avec une étape importante de l'évolution des formes vivantes. Une « chasse » au gène Hox a donc été menée chez toute une série d'organismes. Très vite, il est apparu que l'histoire des gènes Hox serait propre aux animaux. En effet, aucun gène proche du type Hox n'a été découvert chez les plantes, chez les champignons ou chez les bactéries.
Pour comprendre l'histoire du complexe Hox au sein des animaux, il faut avoir une idée assez précise de la généalogie des animaux. A l'époque où les gènes Hox furent identifiés, dans les années 1980, d'importants progrès restaient à faire dans ce domaine. Depuis Haeckel, les hypothèses sur la forme de l'arbre généalogique des animaux, basées sur la comparaison de leurs caractères anatomiques et embryologiques avaient abondées. Mais des conflits importants subsistaient entre les évolutionnistes. L'ère de la biologie moléculaire apporta un renouveau considérable à ce domaine car il devint possible d'utiliser les gènes pour établir les relations de parenté entre les êtres vivants. La comparaison de la structure de gènes homologues (c'est-à-dire hérité d'un ancêtre commun) entre plusieurs organismes permet d'obtenir ces informations. Tous les gènes sont constitués d'un enchaînement précis des quatre acides nucléiques constitutifs de l'ADN (A, T, G et C). Lorsqu'une espèce donne naissance à deux lignées distinctes au cours de l'évolution, de petites différences vont commencer à s'accumuler entre les gènes initialement identiques de ces deux lignées. En général, ces différences consistent en de simples remplacements, appelés substitutions, d'un acide nucléique par un autre. En première approximation, ces substitutions s'accumulent régulièrement en fonction du temps écoulé. Le principe de base de ce que l'on appelle la « phylogénie moléculaire » est donc simple : plus les structures des gènes comparés sont proches (moins on trouve de substitutions), plus les organismes concernés doivent être apparentés.
L'utilisation systématique de ces techniques sur plusieurs types de gènes a permis de voir émerger au cours des années 1990 la forme générale de l'arbre des animaux (fig 5). A la base de l'arbre émergent les éponges, les animaux les plus simples. Les éponges n'ont pas à proprement parler de tissus différenciés. Tous les autres animaux se regroupent par le fait qu'ils ont des tissus et des organes différenciés. A la base de ce nouveau groupe des « animaux à tissus », on distingue une autre branche qui est celle des polypes (anémones de mer, coraux) et méduses. Ces animaux ont été reconnus très tôt comme relativement plus simples que les autres animaux à tissus, car ils n'ont fondamentalement que deux feuillets cellulaires (un externe et un interne), n'ont pas de système nerveux condensé et pas non plus d'axe antéro-postérieur avec une tête et un tronc clairement différenciés. Tous les autres animaux semblent être regroupés dans un troisième ensemble que l'on appelle les « bilatériens ». Ce terme se réfère au fait que ces animaux ont une symétrie bilatérale (c'est-à-dire un côté gauche et un côté droit identique) mais ils ont en commun de nombreuses autres particularités. Ils ont un axe antéro-postérieur très différencié avec une tête et un tronc, un tube digestif et un système nerveux condensé avec un « cerveau » et une chaine nerveuse. Les recherches les plus récentes ont montré que ces animaux complexes, les bilatériens se divisent eux-mêmes en trois grands groupes illustrés sur la figure 5 mais ceci dépasse notre propos.
La recherche de gènes Hox chez les éponges a toujours été négative. Chez les polypes et méduses, un petit nombre de gènes apparentés aux gènes Hox a été identifié et quelques indices qu'ils sont groupés en complexe ont pu être obtenus. Chez pratiquement tous les groupes de bilatériens considérés (vertébrés, oursins, insectes, vers annelés, mollusques, etc ...), un complexe Hox élaboré comptant entre huit et quatorze gènes a été découvert. On voit donc se dessiner un scénario assez clair de l'histoire du complexe Hox. Les premiers gènes Hox seraient apparus chez un ancêtre des animaux à tissus après la divergence des éponges. A l'époque où la branche des polypes et méduses s'est séparée, le complexe Hox n'auraient compté que quelques gènes (peut-être trois). Par contre de nombreuses duplications de gènes se seraient produites chez les ancêtres des bilatériens. On peut imaginer que les grandes étapes de ce scénario correspondent à des étapes de la complexification au plan d'organisation des animaux. En gros, l'acquisition d'un axe de symétrie très simple comme celui des polypes et méduses serait corrélé à la présence d'un petit complexe de trois gènes. Par contre, l'apparition d'une régionalisation antéro-postérieure poussée comme chez les bilatériens aurait nécessité la présence d'un complexe beaucoup plus élaboré d'au moins huit ou dix gènes.
On le voit, l'existence du complexe Hox est bien plus ancienne que ce que Lewis avait imaginé. La multiplication du nombre des gènes que Lewis envisageait chez les arthropodes s'est en fait produite bien avant, chez les ancêtres des bilatériens. Pourtant, les bilateriens ont évolué pour donner une diversité époustouflante d'animaux. Est-ce à dire que le complexe Hox n'a pas été impliqué dans cette diversification, jouant simplement un rôle conservateur d'agent de régionalisation de l'axe antéro-postérieur ?
Les gènes Hox sont-ils responsables de l'évolution anatomique ?
Deux exemples concrets chez les arthropodes
Nous avons vu que l'évolution de la structure du complexe s'est faite bien avant ce que pensait initialement Edward Lewis au cours de l'histoire des animaux. Pourtant, dans la suite de cet exposé, nous allons retourner vers le groupe de prédilection de Lewis et de nombreux évolutionnistes depuis, c'est-à-dire les arthropodes. Les arthropodes, comme nous l'avons vu sont tous constitués de segments, initialement identiques au cours du développement mais qui se différencient par la suite sous l'action des gènes Hox. En comparant l'organisation anatomique des principaux groupes d'arthropodes, on s'aperçoit que leurs plans anatomiques diffèrent considérablement non seulement par la forme des segments mais aussi par la façon dont ils se regroupent le long du corps de l'animal (fig 6). Chez les myriapodes, le groupe le plus simplement organisé, tous les segments portent des pattes et ont à peu près la même forme d'un bout à l'autre. Dans les autres groupes, ils se regroupent en un thorax et un abdomen mais de façon très différentes. Chez les arachnides (araignées et autres scorpions), le thorax portant les pattes est fusionné avec la tête, alors que les segments de l'abdomen ne portent pas de pattes. Chez les crustacés, tous les segments portent généralement des pattes mais celles du thorax sont souvent très différentes de celles de l'abdomen. Chez les insectes, le thorax ne comporte que trois segments et là encore les segments abdominaux ne portent pas de pattes. Les gènes Hox sont ils responsables de ces différences ? Des chercheurs de plusieurs laboratoires ont entrepris des études à la fois sur la structure et le fonctionnement du complexe Hox chez ces grands groupes d'arthropodes. Les résultats ont été surprenants. Globalement, la structure du complexe Hox est très remarquablement conservatrice chez tous les arthropodes. On retrouve les mêmes gènes que ceux que nous avons décrits chez la drosophile chez chacune des espèces d'arthropodes considérés. Contrairement à ce que proposait Lewis, ce n'est donc pas une variation dans le nombre des gènes Hox qui explique l'évolution de l'anatomie des arthropodes. Qu'en est-il de la façon dont ces gènes s'expriment ? Nous avons que les gènes Hox, gènes sélecteurs, influent sur la destinée des cellules dans lesquels ils sont exprimés sous la forme d'une protéine. De la même façon que chez la drosophile, les divers gènes Hox des arthropodes considérés s'expriment dans des groupes de segments contigus, généralement de façon chevauchante et en respectant la règle de colinéarité. La correspondance globale des domaines d'expression suggère des correspondances entre l'anatomie segmentée des différents groupes. Ainsi, si on en croit les gènes Hox (mais aussi l'anatomie comparée plus traditionnelle), les segments du thorax d'une araignée correspondent à ceux de la tête chez les autres arthropodes. Tout ce passe comme si au cours de l'évolution soit les arachnides ont commencé à marcher sur leur tête, soit au contraire (et peut-être plus vraisemblablement) les autres groupes ont intégré à leur tête la partie la plus antérieure de leur tronc dont les pattes sont devenus des pièces buccales destinées à la mastication. Néanmoins, en comparant les gènes correspondant dans différents groupes d'arthropodes, on observe des différences parfois considérables. Le gène pb, par exemple s'exprime dans la plus grande partie du céphalothorax des arachnides (c'est-à-dire cinq segments consécutifs) alors qu'il n'est exprimé que dans un seul segment de la tête chez une espèce de crustacé. L'extension postérieure de l'expression des gènes les plus antérieurs est également variable. Est-il possible que de telles différences expliquent les différents plans d'organisation des arthropodes ? Ceci semble peu probable car il est difficile de relier ces différences individuelles avec des particularités anatomiques constatées. Une difficulté supplémentaire est que nous ne disposons pas chez ces arthropodes des collections de mutants de la drosophile et donc pas de moyen de savoir quelles sont réellement les fonctions de ces gènes.
Pourtant, dans un certain nombre de cas, les chercheurs ont trouvé des indices plus probants.
Le premier exemple concerne les crustacés (crabes, crevettes, etc ...). Les chercheurs Michalis Averof et Nipam Patel (fig 7) ont comparé l'expression du gène Ubx chez diverses espèces de crustacés. Ces espèces diffèrent par la forme et la fonction des pattes les plus antérieures portées par le thorax. Chez certaines espèces, ces pattes sont effectivement des organes locomoteurs mais chez d'autres espèces, elles sont devenues des pièces buccales avec une fonction masticatrice. Chez les embryons des premières, le gène Ubx est exprimé dans toutes les pattes. Par contre, chez les embryons des secondes, les ébauches des pattes les plus antérieures, celles qui vont devenir des pièces buccales, n'ont pas d'expression du gène Ubx. Tout ce passe donc comme si le gène Ubx jouait un rôle dans le maintien de l'identité de patte locomotrice. Son « retrait » des pattes les plus antérieures était donc nécessaire pour leur permettre de devenir des pièces masticatrices. Pour autant, nous ne pouvons pas affirmer que c'est ce retrait de Ubx des pattes antérieures qui a causé la transformation au cours de l'évolution. Peut-être d'autres gènes sont-ils intervenus.
Un autre exemple concerne un aspect en apparence beaucoup plus discret de l'évolution morphologique mais là aussi le gène Ubx (encore lui ...) semble jouer un rôle certain. Cet exemple a été découvert par le chercheur David Stern, chez plusieurs espèces très apparentées de mouches drosophile. Les mouches ont de fins poils sur les pattes mais pas partout. Certaines zones de la patte en sont exemptes et David Stern a mis en évidence que les cellules de ces zones expriment le gène Ubx pendant leur développement. Certaines espèces de mouches ont une zone sans poils très étendue sur leurs pattes alors que chez d'autres, elle est beaucoup plus réduite. David Stern a montré que le gène Ubx est directement responsable de ces différences. Lorsqu'il introduit le gène d'une mouche"glabre « dans une mouche poilue » par un simple croisement (de la même façon que l'on croise un âne avec une jument pour obtenir un mulet), il obtient une extension de la zone sans poils.
Conclusion
Ces deux exemples nous ramènent à notre propos du début : l'évolution est-elle saltationniste ou gradualiste ? Le premier exemple, avec la transformation de plusieurs pattes de façon très importante semble suggérer la possibilité d'une évolution saltationniste. Pourtant rien dans cet exemple ne démontre que cette transformation s'est faite brutalement sous l'effet d'une ou d'un très petit nombre de mutations. Le deuxième exemple concernant un infime détail de l'anatomie d'une patte se rattache beaucoup plus au gradualisme darwinien. Le débat entre saltationnisme et gradualisme est aujourd'hui largement estompé. La plupart des biologistes acceptent l'idée que l'évolution se fait bien de façon graduelle par l'accumulation de petites différences comme le suggérait Darwin. Une partie de l'intérêt suscité par les gènes homéotiques provenait de l'idée que ces gènes étaient susceptibles d'engendrer une évolution par saut. Aujourd'hui, les chercheurs sont beaucoup plus prudents sur cette idée. Mais, ironie de l'histoire, c'est cet engouement pour les gènes homéotiques qui a permis de réaliser une percée décisive dans la compréhension des mécanismes génétiques du développement.

 

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LES PLUS PETITES BACTÉRIE ...

 

Voici les plus petites bactéries du monde

Des chercheurs ont réussi à capturer des images en microscopie électronique de cellules vivantes d'une taille bien inférieure à ce que les scientifiques pensaient possible.

Des chercheurs de l'université de Berkeley viennent de fournir les premières images des bactéries les plus petites au monde, découvertes dans les eaux souterraines du Colorado. Leurs travaux, publiés dans la revue Nature Communications, constituent donc la preuve de l'existence de bactéries extrêmement petites, "débattue pendant deux décennies", indiquent les chercheurs.
Des "cils" pour se connecter à d'autres bactéries, et ainsi survivre
STRUCTURE. Ces bactéries ont une contenance de 0,009 micron cubique (un micron représentant un millionième de mètre) et 150.000 d'entre elles pourraient tenir sur la pointe d'un cheveu. Selon les chercheurs, elles contiennent suffisamment de "matériel" pour assurer leur survie : des spirales denses (probablement de l'ADN), un très petit nombre de ribosomes (servant à la synthèse de protéines) et un métabolisme très basique qui nécessite probablement qu'elles comptent sur d'autres bactéries pour assurer une partie de leurs fonctions vitales.

D'où la présence, sur la paroi de certaines bactéries analysées, d'appendices filiformes, appelés "pili" (voir image ci-contre - l'échelle représentée par une ligne noire est de 100 nanomètres), qui leur permettent de réaliser des connexions avec d'autres bactéries, afin d'échanger différentes ressources vitales (du matériel génétique par exemple). En comparaison avec les autres bactéries, leur génome est très petit : il compte environ un millier de paires de bases, contre plusieurs milliers voire plusieurs millions pour la plupart des génomes des bactéries les plus courantes (celui d'Escherichia coli comporte par exemple 4,6 millions de paires de base).
Les chercheurs précisent que certaines cellules sont en division sur les images obtenues, preuve que les bactéries étaient en bonne santé et non que leur taille soit anormalement petite en cas de carence de nourriture. "Notre recherche est une étape importante dans la caractérisation de la taille, la forme et la structure interne de cellules ultra-petites", commente Birgit Luef, co-auteur de l'étude. "Il n'existe pas pour l'instant de consensus parmi les scientifiques sur la taille minimale qu'un organisme peut avoir pour vivre, et sur ses stratégies d'optimisation de l'espace."


 Nous ne connaissons pas les fonctions de la moitié des gènes trouvés dans ces bactéries "
ÉNIGMATIQUE. Grâce à des analyses génétiques, les chercheurs ont découvert que ces bactéries appartenaient à trois familles (nommées WWE3, OP11 et OD1). "Nous ne savons presque rien de ces familles de bactéries, reconnait Jill Banfield, chercheur de l'université de Berkeley et principal auteur de l'étude. Nous ne connaissons pas les fonctions de la moitié des gènes trouvés dans ces bactéries." Selon lui, ces bactéries pourraient jouer un rôle important dans les écosystèmes microbiens. Connaître davantage ces organismes pourrait aider à faire la lumière sur le rôle des microbes dans le climat de la planète, dans l'eau et dans notre nourriture, et d'autres processus-clés, concluent les chercheurs.
Comment les chercheurs ont-ils transporté ces bactéries ?

Récupérer des bactéries aussi petites ne fut pas une chose simple pour les chercheurs, qui suspectaient qu'elles ne pourraient être cultivées en laboratoire. Ils ont filtré de l'eau souterraine de Rifle, dans le Colorado, grâce à des filtres utilisés pour stériliser l'eau, jusqu'à 0,2 micron. Puis ils ont utilisé successivement des filtres de plus en plus petits. Les bactéries ainsi recueillies ont été placées dans un dispositif contenant des microorganismes très petits, surgelés à une température de -272 °C, afin d'éviter d'être endommagées durant leur voyage des eaux souterraines au laboratoire.
Crédit image : Berkely Lab

 

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