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LES PHOTORÉCEPTEURS

 

LES PHOTORÉCEPTEURS

La transduction du signal lumineux en influx nerveux est assumée par environ 125 millions de photorécepteurs qui sont situés dans la partie la plus profonde de la rétine. Deux types de photorécepteurs bien différents se partagent cette tâche. D'un côté les 120 millions de bâtonnets qui permettent de voir en nuances de gris dans des conditions de faible luminosité ("la nuit, tous les chats sont gris"). Et de l'autre, les 5 millions de cônes, plus petits et plus larges, qui sont sensibles à la couleur dans des conditions de forte luminosité.
La forme du segment externe, cylindrique pour les bâtonnets et cônique pour les cônes, n’est pas la seule caractéristique qui distingue les deux types de photorécepteurs. L’arrangement et le nombre de disques à l’intérieur de ce segment externe en est une autre. Celui des bâtonnets est rempli d’environ 900 de ces disques qui sont complètement indépendants du reste de la membrane et s’empilent librement dans le segment externe. Les disques des cônes sont beaucoup moins nombreux. Ils sont également formés par le repliement de la membrane du segment externe, mais restent cependant reliés à celle-ci contrairement à ceux des bâtonnets.

Les photorécepteurs sont ni plus ni moins que des cellules ciliées très spécialisées où les segments externe et interne sont reliés par un cil connecteur. Le segment interne des photorécepteurs contient le noyau et les organites (les mitochondries, l'appareil de Golgi, etc.) indispensables au fonctionnement de toute cellule. Encore ici, des différences anatomiques notables sont observées entre les segments internes des cônes et des bâtonnets (voir encadré).

La répartition des cônes et des bâtonnets varie sur la surface rétinienne. Très peu de cônes se retrouvent en périphérie où les bâtonnets prédominent. À l’opposé, il n’y a pas du tout de bâtonnets dans la région centrale de la rétine appelée fovéa. C’est pour cette raison que nos yeux bougent afin de faire tomber l’objet d’intérêt du champ visuel sur cette zone de grande acuité visuelle.
 
 


Finalement, la distinction fonctionnelle la plus importante entre cônes et bâtonnets, celle qui rend les premiers sensibles à la couleur et pas les seconds, vient de leurs photopigments différents. En effet, contrairement aux bâtonnets qui ont toujours le même type de photopigment appelé rhodopsine, le segment externe des cônes contient l'une des trois différentes opsines absorbant d’une manière maximales les ondes lumineuses à courte, moyenne ou longue longueur d’onde. Ces trois pigments à la sensibilité spectrale différente sont à la base de notre vision des couleurs.

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Qu’est-ce qui détermine « ce qui nous trotte dans la tête » ?
La sensibilité de nos yeux à la lumière n’est pas fixe mais s’adapte au niveau de luminosité de différentes façons. L’adaptation à l’obscurité se produit par exemple lorsque l’on entre dans une salle de cinéma alors que la représentation est déjà commencée. Nous avons d’abord l’impression de ne voir absolument rien. Mais très rapidement nos iris s’ouvrent pour laisser passer plus de lumière vers la rétine. Un phénomène plus lent se produit aussi au niveau du pigment photosensible des bâtonnets, la rhodopsine. Au cours des 20 ou 25 premières minutes passées dans un environnement obscur, les stocks de rhodopsine, épargnés par la lumière, se régénèrent plus facilement de telle sorte que la sensibilité des bâtonnets à la lumière s’accroît d’environ un million de fois !

Quand cet œil adapté à l’obscurité retrouve la lumière, le phénomène inverse se produit et l’on se retrouve, en sortant du cinéma, temporairement aveuglé par le soleil. C’est l’adaptation à la lumière dont la première étape est la fermeture rapide de l’iris pour réduire l’entrée de lumière dans l’œil. Les autres modifications biochimiques s’inversent également de sorte qu’après quelques minutes seulement, notre vision s’est adaptée aux fortes lumières d’une journée ensoleillée. Les cônes s’adaptent donc plus rapidement à la lumière que les bâtonnets à l’obcurité.


Les pigments photosensibles qui sont décomposés par la lumière se reforment en environ un douzième de seconde. Ce délai est responsable du phénomène de persistance rétinienne dont on a longtemps cru à tort qu’il était à la base de l’illusion du mouvement au cinéma.


LA TRANSDUCTION DU SIGNAL LUMINEUX

 
La fonction des photorécepteurs est de transformer l’énergie lumineuse en potentiel de membrane. La mécanique de ce processus est comparable en plusieurs points à celle que l’on retrouve au niveau des synapses utilisant des récepteurs métabotropes pour assurer la transduction chimique. En effet, la fixation d'un neurotransmetteur à un récepteur métabotrope active des protéines G qui à leur tour stimulent diverses enzymes. Ces enzymes vont modifier la concentration intracellulaire de second messager, ce qui va amener un changement dans la conductance de certains canaux ioniques et par conséquent une variation du potentiel membranaire.

La transduction de la lumière par les photorécepteurs de la rétine suit les mêmes grandes étapes. Mais avant de les mentionner, il faut d’abord souligner le fait que, contrairement au potentiel de repos habituel des neurones qui se situe autour de – 65 mV, le potentiel de membrane du segment externe des bâtonnets est d’environ – 30 mV dans l’obscurité. Cette dépolarisation découle de l’entrée constante de sodium par des canaux sodiques spécifiques du segment externe en l’absence de lumière. Or ces canaux sont maintenus ouverts par la présence du second messager GMPc (guanosine monophosphate cyclique) produit en continu par l’enzyme guanylate cyclase en condition d’obscurité. Ce phénomène est appelé le courant d’obscurité.

Quand des photons lumineux frappent le pigment photosensible des cônes ou des bâtonnets, celui-ci change de conformation et active ainsi une protéine G. Appelée transducine, cette protéine G va faire diminuer le taux de GMPc dans le photorécepteur en activant l'enzyme phosphodiestérase qui détruit le GMPc. Cette baisse de GMPc réduit à son tour la conductance au sodium et, par conséquent, le courant d’obscurité responsable du potentiel de membrane élevé du segment externe.

Le résultat est donc le contraire de ce que l’on pourrait s’attendre, à savoir que la présence de lumière va hyperpolariser le photorécepteur. Et par conséquent faire en sorte que moins de neurotransmetteurs vont être relâchés à la synapse avec les cellules bipolaires.

 

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L'IDENTITÉ GÉNÉTIQUE

 

Texte de la 4ème conférence de l'Université de tous les savoirs réalisée le 4 janvier 2000 par Antoine Danchin


L 'identité génétique


Il y a 3000 ans en Grèce, les gens interrogeaient loracle de Delphes, la Pythie, sur leur avenir. Elle leur répondait par des questions énigmatiques. Lune delles était la suivante : Jai une barque faite de planches et les planches susent une à une. Au bout dun certain temps, toutes les planches ont été changées. Est-ce la même barque ? Clairement, le propriétaire répond oui, avec raison : quelque chose, ce qui fait que la barque flotte, sest conservé, bien que la matière de la barque ne soit pas conservée. Puisque toutes les planches ont été changées et que la nature même du bois peut avoir été différente, il y a dans la barque plus que sa simple matière.
Pourquoi choisir cette image, cette question pour parler de la vie ? Il est essentiel de concevoir le vivant et la biologie comme une science des relations entre objets plus quune science des objets. Il sagit de découvrir la forme de ces relations : connaître simplement les objets, disséquer lanimal, ne suffit pas si lon na pas compris les relations entre les objets.
Un ensemble de relations entre objets, cest une propriété abstraite, comme le plan de la barque est abstrait par rapport aux planches qui la composent. Pour comprendre la biologie, il faudra donc un effort dabstraction et considérer d'abord un certain nombre de processus et de lois.
Les processus qui font que les organismes vivent sont au nombre de quatre. Le premier est le métabolisme. Il ny a pas dorganismes vivants dans lesquels il ny ait transformation dobjets en dautres objets, essentiellement des petites molécules ou de plus grosses molécules, transformées les unes dans les autres. Bien quil existe un état quon puisse appeler la dormance, entre la vie et la mort - cest létat de la graine ou létat de la spore du champignon ou de la bactérie - on ne pourra définir lorganisme comme vivant quau moment où son métabolisme se sera réveillé, où l'on aura vu ces changements dobjets les uns dans les autres. Cest la nature même du métabolisme de créer des relations et de les manipuler.
La deuxième caractéristique des organismes vivants est la compartimentation. Lélément de base de la vie, la cellule, est faite dun intérieur et dun extérieur. La vie a deux stratégies dorganisation de la compartimentation : ou bien on a des cellules uniques avec une enveloppe plus ou moins compliquée, qui doivent vivre dans un environnement extrêmement varié auquel elles doivent rapidement sadapter ce qui correspond à la plupart des microbes que nous connaissons. La deuxième stratégie, cest au contraire de multiplier les membranes et les peaux, jusquà nos vêtements, pour isoler autant que possible le milieu intérieur du milieu extérieur.
A ces deux stratégies de compartimentation sont associées des stratégies de mise en mémoire de quelque chose qui va se transmettre de génération en génération et qui va exprimer la règle de construction des organismes vivants: le génome. Le support physique du génome est formé dune famille de molécules constituées de motifs chimiques de base simples : seulement quatre types différents, enchaînés à la suite comme les lettres de lalphabet sont enchaînées pour construire les phrases d'un livre.
On peut décrire une partie majeure de ce qui fait la vie des organismes par un processus de mémoire qui est la transmission dun premier texte, celui du génome d'une part, et d'autre part la traduction de ce texte en un autre, destiné à mettre en Suvre concrètement le contenu du premier. Le fait davoir le texte du génome, puis ensuite un second texte, ouvre des possibilités extraordinaires à la vie. Ce premier texte est fait dune classe de molécules, les acides nucléiques d'où le nom de l'acronyme ADN, pour "Acide DésoxyriboNucléique", formé de quatre motifs de base enchaînés les uns à la suite des autres. Mais ce texte est un texte de recettes, qui ne suffit pas, seul, à faire fonctionner un organisme vivant. Il faut mettre en Suvre la recette. Un deuxième type dobjets dans les organismes vivants, les protéines, correspond aussi à l'enchaînement déléments de base, mais, cette fois-ci, ces éléments sont au nombre de vingt : les acides aminés. Il existe une correspondance entre cette mémoire, les acides nucléiques, et ces objets, les protéines, qui servent à la construction architecturale des cellules, à la manipulation de toutes les règles de contrôle ou aux règles du métabolisme.
Ces quatre processus (métabolisme, compartimentation, mémoire et manipulation) doivent obligatoirement fonctionner ensemble pour construire un organisme vivant. Si l'on choisit ces éléments comme nécessaires à la définition de la vie, les virus, par exemple, ne sont pas des organismes vivants : ils ont la propriété de mémoire, de compartimentation, quils acquièrent de la cellule-hôte, mais ils sont incapables de métabolisme et de manipulation. Les virus sont donc des parasites de mémoire purs. La même image de parasites purs de la mémoire est apparue en science des calculateurs électroniques où l'on a des morceaux de programmes qui se promènent dans les ordinateurs et peuvent avoir comme propriété de se répandre en se multipliant eux-mêmes, si possible à lidentique, et en se propageant. Une nouvelle idée apparaît ici, liée à cette idée de mémoire, celle de programme.
A ces quatre processus sajoutent deux lois. Une première loi permet de conserver la mémoire. Cette mémoire est sous forme de son support matériel, double ; elle est faite de deux éléments complémentaires, comme le sont le positif et le négatif photographique, l'un contre lautre, qui permettent, lorsquon les sépare, de reconstituer entièrement l'un à partir de lautre. Wilkins, Watson et Crick ont découvert en 1953 la structure de lacide désoxyribonucléique, une double hélice formé de deux brins complémentaires, ce qui a permis de comprendre comment on pouvait conserver à lidentique un enchaînement de motifs chimiques au cours des générations. On a ici une règle de complémentarité, la première loi de la génétique, qui permet de spécifier entièrement un morceau de texte par lautre texte et cela de façon symétrique.
Cette première loi explique la transmission de l'hérédité au cours des générations, mais la deuxième, beaucoup plus importante et plus abstraite, explique les propriétés innovantes des organismes vivants. Il faut en effet passer de la mémoire à la manipulation, des acides nucléiques aux protéines. Il y a là un processus de traduction. Un premier texte, écrit dans un alphabet à quatre lettres, avec une langue dun certain type fondée sur une chimie spéciale, passe à des morceaux de texte écrits dans un alphabet à vingt lettres, fondée sur une chimie totalement différente. La règle de passage de lun à lautre sappelle le code génétique. Il faut ici une mise en garde. Les journaux affirment souvent : On va déchiffrer le code génétique de tel ou tel organisme. Mais il s'agit là d'une erreur. Le code génétique, cest la même chose que le code quutilisent les enfants pour leurs messages secrets, une règle pour transposer un texte en un autre texte. Il ne s'agit pas du programme de construction des organismes, du programme génétique. Ce code génétique est universel, identique des bactéries à lhomme, ce qui fait qu'on peut prendre des morceaux de mémoire, de programme venant de lhomme, par exemple, et le mettre dans une bactérie et faire produire des protéines humaines par des bactéries. Ce code, cette règle de correspondance entre un niveau et un autre, cest ce que les services secrets appellent le chiffre ou cipher en anglais.
La transposition dun niveau à lautre par un code est originale : lorsquon peut transposer un texte dune langue dans une autre, et lautre étant à la tête dobjets manipulateurs, ces objets peuvent évidemment manipuler le texte de départ. Cela crée une boucle particulière qui permet, par le texte lui-même, de spécifier ce quil reproduira. Le texte peut faire appel à soi-même pour pouvoir engendrer sa descendance. Il peut aussi, comme le font les programmes dordinateur, spécifier tel ou tel type de manipulation dans des environnements variés. Ce fait davoir deux niveaux qui se correspondent à travers un code a une conséquence originale : un système de ce genre peut être parfaitement déterminé, déterministe, et cependant parfaitement imprévisible. Cest surprenant parce que nous avons encore limage des horloges du XVIIIe siècle où lon peut, connaissant létat initial du système, savoir où sera laiguille dans un certain temps, si on connaît la mécanique. Or, les organismes vivants sont ces systèmes matériels qui, en face dun avenir imprévisible, sont construits pour construire de limprévu. Cest fondamental, et cela se manifeste sans avoir besoin de renoncer au déterminisme : on na pas besoin dimaginer pour que se produise de l'imprévu, que le système ait une grande sensibilité à des conditions initiales ou des chose de ce genre. En fait, lidée même davoir une mémoire, l'aptitude à la manipulation et un code entre les deux permet ce genre de propriétés remarquables.
Une première fonction biologique est celle quon appelle la réplication, elle applique la loi de complémentarité : à chacune des quatre lettres du premier texte correspondent quatre lettres du deuxième texte. Cest une règle qui recopie un texte, sans se soucier du contenu sémantique, du sens de ce qui est recopié : on peut fabriquer nimporte quel morceau dADN, ajouter de lADN artificiel, il sera recopié tel quel.
La deuxième fonction, qui correspond au code génétique, se déroule en deux étapes : un premier recopiage dun texte écrit avec un alphabet à quatre lettres dans un autre alphabet à quatre lettres légèrement différent, puis passage à lalphabet à vingt lettres des protéines. Là se fait le changement qui permet, à partir du texte du programme, de fabriquer des objets manipulateurs qui vont manipuler le programme lui-même.
Dans ce type de situation, avec cet ensemble de règles, donc quatre processus et deux lois, dont la loi du code génétique, comment les organismes vivants vont-ils vivre, exister, évoluer ? Il existe en biologie un concept central lié à lidée de relation entre objets, cest le concept de fonction, que vous trouvez peu ou pas en chimie ou en physique. Lorsquon parle dun objet biologique, on sinterroge immédiatement sur sa fonction. Cet objet existe, va réaliser une action, dirigée dans une certaine orientation avec lapparence dun but, dune finalité. Tous les organismes vivants et les objets du vivant sont placés dans un contexte dans lequel, au sein de procédés particuliers de leur expression, de leurs actions, il y a une orientation vers une apparence de but.
On pourrait penser quil y a une vision extérieure à la vie qui lui impose une orientation et un but particulier; et que les organismes vivants sont des systèmes matériels dirigés par lextérieur vers une certaine finalité. Cela a été dit par un grand nombre de pensées religieuses, par exemple, avec une logique interne tout à fait compréhensible. Mais ce nest pas nécessaire ; en réalité, la façon dont les organismes vivants procèdent pour se créer des buts et capturer les objets qui vont permettre davoir les fonctions satisfaisant à ces buts est particulière. Elle a été résumée par François Jacob sous le nom de bricolage . Cest une aptitude à lopportunisme, à faire feu de tout bois, qui fait que les organismes vivants évoluent systématiquement en découvrant, à partir de ce dont ils disposent (puisquils ne peuvent pas créer quelque chose dont ils ne disposent pas), des fonctions nouvelles. Ce qui est particulier dans la vie, cest dêtre capable, à partir de nimporte quoi, de créer des fonctions nouvelles.
Une métaphore permet dillustrer les découvertes récentes et fascinantes sur les fonctions des organismes vivants. Cest lété. Je suis assis à mon bureau. Mon bureau est couvert de papiers. La fenêtre est ouverte derrière moi et je lis un livre. Tout dun coup, le vent se lève. Si les papiers senvolent et se mélangent, ce serait une catastrophe pour moi. Donc, je prends le livre et je le pose sur les papiers. Ce livre vient de découvrir une nouvelle fonction, différente de celle quil avait quand jétais en train de le lire : il est, parce quil est un parallélépipède lourd, un presse-papier. De la même manière, les structures des objets biologiques sont capturées au cours du temps, de façon systématique. Ce qui veut dire dailleurs que, si je découvre le livre et que je dis : Ceci est un livre , je peux me tromper parce que, dans ce contexte particulier, ce nest pas un livre mais un presse-papier. On parle en ce moment des programmes de séquençage de génomes, par exemple, où l'on vous dit quon va avoir des morceaux de texte génomique, dont on va identifier la fonction : Ceci correspond à telle séquence , et l'on dira la fonction. Il s'agit là d'une erreur, liée à lillusion que connaître une collection d'objets suffit à comprendre la biologie.
En fait, les organismes vivants évoluent de la façon suivante. Ce sont des systèmes matériels qui, parce que nous sommes à la température de surface de la Terre, sont soumis aux contraintes thermiques : à cause de ces contraintes, aucun procédé physico-chimique ne peut donner une reproduction strictement identique de ce quil était. Il y a donc des variations au cours de la réplication. Lorsque les organismes vivants produisent de nouveaux organismes vivants qui leur ressemblent, ces nouveaux organismes ne sont pas strictement identiques à lorganisme de départ. Ils sont par ailleurs soumis à des environnements qui, eux, vont choisir, parmi ces variants, certains dentre eux. Cest la sélection, mais cette sélection est un tri passif et non un mécanisme actif. Ce nest pas la sélection du plus apte, comme le disait Spencer, parce quil ny a pas de plus apte. Personne ne sait qui pourrait être le plus apte. Cest dans telle circonstance, à tel moment particulier, que tel organisme a pu survivre, et cest cette survie qui lui a permis dêtre sélectionné. Cest un tri passif, une simple élimination du totalement inapte.
La capacité damplification est le deuxième point fondamental chez les organismes vivants. Si vous faites une expérience de chimie ou même de physique nucléaire et que vous faites des dégâts quelque part, les dégâts sarrêtent et diffusent au cours du temps en diminuant sans cesse. Si vous faites la même chose avec des organismes vivants, ces organismes sont susceptibles de samplifier, de se multiplier, et le cas échéant daugmenter fortement les problèmes quils ont posés. C'est ce qui explique l'inquiétude spontanée du public vis à vis des organismes génétiquement modifiés. Mais il y aurait là matière à développement : le naturel est toujours beaucoup plus dangereux que lartificiel, car il est pré-adapté. Les événements liés au sang contaminé le montrent : le sang est pré-adapté à lhomme et, par conséquent, potentiellement extrêmement dangereux.
Revenons à la genèse des fonctions. Létude de la transparence du cristallin de lSil permet de comprendre comment se créent des fonctions. Le cristallin permet cela vient difficile à partir de 50 ans daccommoder et davoir une image sur la rétine de notre environnement. Cela suppose un ensemble cellulaire, le cristallin, fait de couches cellules, empilées un peu comme des pelures d'oignon, qui s'accumulent au cours de la vie. Cest la raison pour laquelle le cristallin devient de plus en plus gros et de plus en plus difficile à contracter quand on vieillit. Ces cellules ont la particularité dêtre transparentes. Lorsquon a commencé à étudier les protéines, donc ces objets manipulateurs évoqués un peu plus tôt, à lintérieur du cristallin, on sest aperçu que certaines dentre elles sont très concentrées et donc relativement faciles à purifier, à identifier. On les a appelées cristallines et on a étudié leurs propriétés physico-chimiques. On sest aperçu quelles ont la transition vitreuse : elles sont suffisamment désordonnées pour ne pas privilégier une direction particulière de la lumière. Elles se comportent exactement comme le verre.
Puis sont venus des programmes de séquençage. On a commencé par séquencer des gènes individuellement avant de séquencer les collections de gènes que représente le génome. On a commencé à regarder une de ces cristallines et on sest aperçu quon la connaissait déjà, quelle ressemblait, à sy méprendre, à quelque chose qui navait rien à voir, une enzyme, par exemple, une lactate déshydrogénase, qui a une activité métabolique particulière. On l'a mise en présence du substrat du métabolisme en question et on sest aperçu que cest une enzyme, mais qui marche dans lSil non pas avec cette fonction denzyme, mais avec la fonction : Je suis transparente quand je suis concentrée. On a aussi découvert autour de ces cristallines dautres protéines, les chaperons moléculaires . Ce sont des protéines qui jouent le rôle déchafaudage, qui permettent de remettre en forme des objets qui se sont défaits, qui ont perdu leur forme. Ils ont été appelés chaperons parce quils accompagnaient comme les chaperons les protéines quon purifiait, on les trouvait toujours associés à ces protéines. Ces chaperons moléculaires ont cette particularité de permettre la remise en forme des protéines dénaturées, ce qui a un intérêt considérable pour lSil. Au cours de lâge, nous risquons tous dêtre atteints de cataracte. LSil perd sa transparence car les cristallines, au cours du temps, se dénaturent et les chaperons moléculaires ne fonctionnent pas toujours assez bien pour les renaturer. Mais si on y réfléchit, pendant la durée dune vie humaine, un objet soumis au rayonnement que nous avons dans les yeux reçoit des quantités énormes de rayons ultraviolets qui dénaturent en permanence les protéines du cristallin : sans ces chaperons, la cataracte apparaîtrait beaucoup plus tôt. On sest aperçu quil y avait beaucoup dautres éléments que ces protéines et ces chaperons moléculaires. Or, dans un tout autre domaine, des chercheurs ont découvert que, lorsque des cellules sont soumises à un choc thermique, ce qui est fréquent, la plupart des protéines réagissent mal. Un ensemble particulier de protéines sert de remède à cette situation difficile. Au cours de lévolution, les cristallins se sont inventés une première fonction, en capturant la fonction dun ensemble de protéines, les protéines de résistance aux chocs (au choc thermique ou au choc acide, dans un très grand nombre de cas). Cet ensemble contient un certain nombre de protéines, qui sont justement les protéines quon trouve dans le cristallin, et évidemment ces chaperons moléculaires. Dans une cellule de peau, par exemple, vous avez ces protéines. Si vous vous brûlez, elles vont être mises en jeu, parce quon a un système de contrôle qui va décider immédiatement : il faut faire la synthèse de ces protéines, puis larrêter. Dans le cristallin, la perte du système de contrôle la rendu ce quon appelle constitutif, cest-à-dire quil marche en permanence. Cest donc la perte du système de contrôle qui a en permanence rempli la cellule dun certain jeu de protéines. En général, cela na pas dintérêt. Il se trouve que, pour un cristallin, cest-à-dire un organe situé au dessus d'un ensemble de cellules sensibles comme la rétine, cela a un intérêt. On voit comment au cours de lévolution, on a sélectionné, capturé cest exactement lhistoire du livre presse-papier ce type de fonction. Mais la transparence peut avoir dautres fonctions. Un petit poisson dans leau est mangé, en général par un prédateur. Si, par chance, un certain nombre daccidents génétiques ont fait que certaines de ses cellules, dans un ensemble collectif suffisant, ont exprimé en permanence cet ensemble de protéines, tout dun coup il devient transparent, sauf son squelette. On a là le même type de capture d'une fonction préexistante, mais pour une fonction tout à fait différente, le déguisement.
Un dernier exemple permet de reconsidérer limage mécaniste que nous avons de la vie en général et de lhomme en particulier.
Beaucoup de gens sinquiètent avec raison de lusage quon peut faire du programme de séquençage du génome humain. En particulier, il est évident quidentifier les caractéristiques génétiques permet de dresser une carte dun certain nombre de propriétés générales des individus et permet den faire une classification. On peut domestiquer lhomme comme on domestique les animaux. On peut sinquiéter, mais heureusement, d'une certaine manière, cest une absurdité. Lidée de connaître un génome et de prédire le destin des individus supposerait quil y ait une correspondance mécanique entre la nature du génome et la nature de lindividu. Or, le mécanisme qui fait que les fonctions capturent des structures est imprévisible, par construction. La situation particulière durgence dans laquelle va être placé un individu, qui fera que la descendance de cet individu aura survécu parce quelle aura trouvé telle solution, est imprévisible. La sélection des nouvelles fonctions, cest-à-dire à la fois leur création et leur sélection, est complètement impossible à prévoir.
Lidée même deugénisme na pas de sens. On peut avoir lidée de faire des gens extrêmement agressifs : on fait des chiens extrêmement agressifs, des grands, des petits, des poilus, aucune problème. Mais décider de ce qui fait lhumanité de lhomme, de ce qui fait, en particulier, ses capacités créatrices ou de ce quil serait un homme meilleur, un homme idéal, est une absurdité parce que cest, par construction, impossible. Un exemple permet dillustrer cette absurdité.
Lorsque la vie est apparue, il y a 3 milliards 800 millions dannées à peu près, la Terre était vaste et peu occupée par des organismes vivants. Les premiers organismes ont eu énormément de place pour se multiplier. Ils navaient pas à prendre en compte les autres. Le but des organismes vivants est le même que le but de tout système physique : occuper le plus possible despace et détat, occuper tout, avec les moyens dont ils disposent. Un moyen rapide, cest de faire un autre soi-même, de se multiplier. Mais cela ne dure quun temps, car tout dun coup, il faut commencer à prendre en compte lautre. La manière brutale et habituelle, efficace au premier degré, cest de sen débarrasser, le manger et prendre sa place. La première fonction à créer est une sonde, un capteur qui vous dit : Cet autre me ressemble ou ne me ressemble pas. Deuxième fonction : il va falloir utiliser ce capteur pour tuer lautre. Le capteur doit avoir des relais, qui doivent contrôler la synthèse d'un certain nombre de produits toxiques qui vont être ensuite libérés dans lenvironnement de façon à détruire lautre, qui va ensuite être mangé. Ce sont des antibiotiques, inventés ainsi par les bactéries extrêmement tôt. Il y en a dailleurs une grande variété. Cependant la bactérie qui produit les antibiotiques a des petits problèmes, puisquil ne faut pas quelle se tue elle-même. Il faut quelle crée un système dimmunité contre ses propres missiles. Cest un système qui existe, extrêmement répandu dans la nature. Voilà un premier ensemble de fonctions : capteurs, cascade de régulations, sécrétions, immunité. Ensuite, petit à petit, dans la prise en compte de lautre, il y a la coopération, le parasitisme, des relations déquilibre face aux prédateurs, toute une variété de possibilités ; mais il y en a une qui a été inventée plus tard, probablement il y a un milliard dannées, qui est de se mettre ensemble, cest-à-dire faire des organismes multicellulaires. Là se créent de nouvelles fonctions. Créer un organisme multicellulaire amène des contraintes particulières dans lenvironnement, quil faut gérer. Il faut éventuellement une tête, une queue, il y a des problèmes de symétrie, toute une série de problèmes nouveaux à régler pour lesquels il faut inventer des fonctions.
Ainsi petit à petit se sont créés des organismes de plus en plus compliqués, jusqu'aux insectes ou à lhomme. Dans le cas des insectes, par exemple, on sest interrogé récemment sur la façon dont les insectes résistent aux microbes. Ont-ils un mécanisme de défense ? On a injecté des microbes dans les insectes ; quand on injecte un champignon à la mouche drosophile, il se crée une cascade du type juste décrit : un capteur reconnaît le champignon, crée son antibiotique, quon a appelé, de façon appropriée, la drosomycine. On a par ailleurs, au cours des analyses de gènes et de génome, la possibilité de reconnaître les gènes assez facilement : aussi, lorsquon a un produit, lorsquon a une cascade dévénements de ce genre, on peut repérer les gènes correspondants et savoir quels ils sont, où ils se trouvent dans les chromosomes et repérer lensemble de la mécanique correspondante. Or, on sest aperçu quon connaissait déjà cette cascade particulière de résistance. Elle avait été découverte ailleurs, dans un contexte différent, avec une fonction différente. Il sagit dune cascade qui est éveillée transitoirement au cours de la différenciation de lembryon de la larve de la mouche pour en déterminer laxe dorso-ventral, cest-à-dire la position du dos par rapport à la position du ventre. Cette cascade, ce très ancestral mécanisme de fabrication dantibiotiques, a été capturé par les organismes multicellulaires pour déterminer la forme lindividu ! Extrapolons : nous avons des systèmes immunitaires ; si nous survivons aujourdhui, ce nest pas à cause de notre intelligence mais simplement parce que nos ancêtres ont résisté à la peste, au choléra et à la variole. Nous avons un grand ensemble de systèmes immunitaires fonctionnels. On peut alors imaginer que le fait aujourdhui dêtre mis en face dune nouvelle maladie décide de la forme de nos descendants futurs ! C'est typiquement cela qui interdit toute idée possible de pensée eugénique.
Quelques éléments encore nous montreront comment se construisent les organismes vivants. Lordre des gènes dans les chromosomes, le génome, nest pas un hasard, mais est directement lié à larchitecture de la cellule, cest-à-dire quil y a un lien entre la forme du programme et la forme de la cellule. Cela est connu depuis un certain temps chez les organismes multicellulaires. Chez les insectes, on saperçoit que les gènes qui contrôlent les différents éléments du corps sont ordonnés exactement dans le même ordre, de la tête à la queue. Si on prend, par exemple, un de ces gènes et quon le déplace à un autre endroit, on va déplacer les organes correspondants. On peut faire des mouches dans lesquelles on met une patte à la place dune antenne, simplement en déplaçant un de ces gènes. Il y a donc un programme fait de façon modulaire, qui dit séquentiellement comment se font les choses. Si vous comparez les insectes ou nous-mêmes, et les crustacés, vous verrez que le nerf central dans le dos passe sur le ventre et inversement. Chez nous, on a juste une colonne vertébrale dans le dos et tout reste dans le ventre. On sest aperçu que cétait effectivement le même plan chez les crustacés, mais quil y avait deux gènes qui étaient inversés, ce qui inverse le plan dos-ventre chez un animal comme le homard, par rapport à la mouche ... ou à l'homme.
La dernière découverte, qui fait de la mouche lun des modèles de lhomme, est que, chez certains animaux, en particulier chez les mammifères, le plan est le même que celui de la mouche drosophile, exactement dans le même ordre, mais simplement la construction de lhomme est réglée par un quatuor : au lieu dêtre une seule partition quon jouerait une seule fois, on a quatre partitions côte à côte, simultanées, qui déterminent nos segments, car nous sommes segmentés. Il suffit de regarder ses vertèbres et ses côtes pour sen rendre compte. Nous sommes segmentés, mais cela se voit moins parce que, comme dans un quatuor, la partition se déploie : nous avons ainsi des vertèbres qui deviennent tout à fait déformées, qui vont faire une tête, par exemple. On retrouve, malgré tout, à nouveau cette idée dun plan et dune organisation générale.
En résumé, on peut considérer que les organismes vivants sont construits à partir dun programme, que ce programme est très lié à larchitecture générale des organismes, mais il ne faut jamais oublier que ce programme a la particularité, par construction, même en restant strictement déterministe, de créer systématiquement de limprévu.

 

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HOMMES ET HOMINIDÉS

 

Texte de la 439e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 18 juillet 2002
Grands singes - Hommes : histoire d'une divergence
Par Brigitte Senut,

La divergence entre les grands singes et l'homme est un des sujets les plus discutés de la paléontologie humaine, probablement car il touche directement à nos origines. Les données permettant d'appréhender cette séparation sont fournies par toute une série de disciplines allant de la paléontologie, la géologie, la sédimentologie à la biologie moléculaire. Car il faut, en effet, resituer cette question évolutive dans un cadre bio-éco-géographique plus vaste, plutôt que de se limiter à un cadre anatomique. Les résultats des différents domaines ne concordent pas toujours, c'est ainsi souvent le cas de la biologie moléculaire et de la paléontologie, car les données néontologiques ne prennent pas la dimension essentielle de l'évolution, la quatrième dimension : le temps. L'étude des grands singes et des hommes actuels nous permet de clarifier les relations de parenté, mais le tempo de leur histoire ne nous est fourni que par la paléontologie. Les données de terrain très fructueuses ces dix dernières années nous obligent à remonter au-delà de 6-7 millions d'années, pour comprendre la manière dont la lignée des grands singes s'est isolée de celle de l'homme. Quelles sont ces nouvelles découvertes? Quels sont les nouveaux enjeux? C'est à ces questions que nous allons essayer de répondre dans la suite de cet exposé.

L'apport de la biologie moléculaire
La phylogénie en question
Les molécularistes et les paléontologues s'accordent aujourd'hui sur le fait que les grands singes asiatiques sont des parents relativement éloignés de nous, alors que leurs cousins africains semblent nous être plus proches ; mais au sein de ces derniers, peut-on isoler un genre une espèce plus privilégiée? En d'autres termes, le chimpanzé est-il notre plus proche cousin ? Est-ce le bonobo (ou chimpanzé nain) ? Ou bien l'ensemble gorille-chimpanzé ? Ou bien les chimpanzés, les gorilles et les hommes sont-ils aussi éloignés les uns des autres ? Selon les méthodes d'analyses, il apparaît que tous ces schémas sont possibles. Toutefois, certains auteurs ont largement médiatisé un rapprochement exclusif chimpanzés-hommes. Ceci serait conforté par les études sur l'ADN et l'ADN mitochondrial, alors que d'autres travaux révèlent des branchements différents. Ce qui reste sûr aujourd'hui est que les plus proches parents de l'homme sont africains et que leur ancêtre est, lui aussi, plus vraisemblablement africain.
L'horloge moléculaire
Le concept d'horloge moléculaire est basé sur la constatation que la mesure des divergences des séquences d'acides aminés est corrélée au temps. Les changements sont censés s'opérer à des rythmes constants à partir d'une date de divergence paléontologique donnée (soit celle des ruminants, soit celle des cercopithèques, etc.) ; ce n'est donc pas une méthode indépendante. Or, selon les auteurs, ou selon les groupes utilisés pour calibrer, les résultats sont très différents et on a obtenu des dates variant de 2 millions d'années à plus de 15 millions d'années pour la dichotomie hommes/grands singes. Toutefois, il a été démontré que l'horloge moléculaire ne marche pas, en fait, à vitesse constante. Le taux auquel les changements sont incorporés dans les populations varient en fonction des temps de génération, l'isolation génétique etc. C'est pourquoi, l'horloge est différente entre les éléphants et les souris, il est évident que la souris se reproduisant plus vite, le renouvellement génétique est plus rapide. Par ailleurs, il y a une variation au sein d'une même espèce. La même chose est vraie au sein des primates si on compare des lémuriens ou des chimpanzés. Enfin, il apparaît que sur de longues périodes, l'horloge devient imprécise. L'horloge moléculaire ne marche pas donc pas à la même vitesse dans tous les groupes de mammifères et pour dater les divergences, il convient donc d'utiliser les données temporelles fournies par les fossiles.

Les grands singes et leurs caractères de vie.
Dimorphisme sexuel
Les grands singes de grande taille se caractérisent généralement par de forts dimorphismes de taille et de morphologie liés au sexe. Un des caractères les plus utilisés chez les primates est la canine. Chez les mâles, la racine est massive et a pratiquement la même taille que la base de la couronne. Chez les femelles, la racine plus petite est rétrécie à la base de la couronne. Ce caractère s'observe chez les grands singes actuels et fossiles. Par ailleurs, chez les mâles, les racines étant beaucoup plus grandes, le museau est gonflé et aussi plus projeté vers l'avant, ce qu'on appelle le prognathisme. Quelquefois, cette projection est si importante que la morphologie faciale des mâles et des femelles est aussi très différente. C'est ce qui rend souvent l'interprétation des fossiles isolés difficile. C'est le cas notamment du fameux Kenyapithèque du Kenya considéré longtemps comme un hominidé ancien car sa canine était petite et sa face peu projetée. Or, la une nouvelle études de ces matériels a montré que les spécimens incriminés appartenaient en fait à des individus femelles et Kenyapithecus était une forme éteinte de grand singe, pas placée en position particulière dans notre arbre phylogénétique. La même chose est arrivée avec les Ramapithèques asiatiques. Mais il est intéressant de constater que de nombreux spécimens sensés être nos ancêtres étaient en fait des femelles de grands singes et que les ancêtres de grands singes étaient de mâles... ! C'est le cas typique du groupe des Sivapithèques et Ramapithèques: les premiers ont été considérés comme des ancêtres des orangs-outans et les Ramapithèques, ancêtres de l'homme. Toutefois, lorsque les études sur le dimorphisme sexuel ont été développées au début des années 1980, on s'est rendu compte que les ramapithèques étaient les femelles des sivapithèques, ancêtres des grands singes de Bornéo et Sumatra. Cela allait même plus loin, car le genre Sivapithecus ayant été créé bien avant que celui de Ramapithecus, ce dernier nom devait être abandonné. Les ramapithèques qui avaient eu leur heure de gloire dans les années 1960 à 1980, disparaissaient du paysage paléontologique par le coup du dimorphisme sexuel.
Alimentation
Les primates actuels sont parmi les mammifères les plus diversifiés dans leur alimentation. Ayant accès à toutes les strates des canopées, comme au milieu terrestre, ils se nourrissent de feuilles, et/ou de fruits, et/ou de viande. Il n'est pas rare que les chimpanzés mangent des petites antilopes ou des petits cercopithèques. La morphologie dentaire observée reflète le mode d'alimentation le plus fréquent, mais un animal peut de temps à autres adapter son régime à ce que lui offre son environnement. Les gorilles sont inféodés à des milieux forestiers et se nourrissent de végétaux variés, herbacées et fruits. Le régime alimentaire peut être déduit non seulement des dents, mais aussi des os maxillaire et mandibulaire et de leurs insertions musculaires. Sur l'anatomie des dents, la morphologie des cuspides est assez typée chez les chimpanzés avec des tubercules placés à la périphérie de la couronne et montrant un grand bassin central ; et chez les gorilles avec des tubercules placés à la périphérie mais plus acérés et un bassin central moins élargi. Chez l'homme, qui est un hominoïde à part entière, les tubercules sont globuleux, assez bas et plus centraux. Un autre aspect de la morphologie dentaire concerne l'émail : la variation de son épaisseur reflète également la qualité de ce que l'animal ingère ; ainsi si l'animal consomme plus fréquemment des fruits, l'émail est plus fin et s'il consomme des aliments plus coriaces, l'épaisseur de l'émail est plus épais. En gros, cela semble vrai, mais il faut aussi prendre en compte la surface triturante de la dent, sa croissance et donc sa taille. Les replis de l'émail plus prononcé chez les chimpanzés nous apportent aussi des informations sur le style de nourriture qu'ingurgitent les grands singes. On voit tout l'intérêt de bien comprendre les morphologies actuelles pour déduire des interprétations sur les fossiles.
Locomotion
Les modes de locomotion sont aussi très diversifiés chez les grands singes puisqu'ils varient de la suspension, au grimper vertical, marche sur les branches sur les quatre pattes arrière ou sur les deux pattes arrière. Mais les grands singes pratiquent aussi une marche particulière appelée le knuckle-walking, littéralement la marche sur l'articulation des phalanges antérieures repliées.
C'est le mode classique de déplacement des chimpanzés, qui est un peu modifié chez les gorilles, beaucoup plus lourds. Le mode de déplacement est lié en grande part à la taille de l'animal : ainsi, un gorille mâle de plus de 200 kgs peut difficilement se suspendre aux branches d'arbres, alors que le petit beaucoup plus léger en sera capable. Mais aucun de ces grands singes n'est assez léger pour pratiquer le déplacement acrobatique adopté par les gibbons d'Asie du Sud-Est. Un mode de déplacement utilisé par tous les grands singes plus ou moins fréquemment ou plus ou moins occasionnellement est la marche bipède. Aujourd'hui, le seul hominoïde capable de se déplacer pour la plus grande partie de son temps sur ses deux pattes arrière est l'homme. L'adaptation à la bipédie permanente est un des caractères qui est généralement utilisé pour définir le genre Homo. Chez les fossiles, on observe des bipédies différentes de celles de l'homme actuel, celle des Oréopithèques de Toscane étant probablement la plus éloignée de la nôtre, celle des Australopithèques en étant la plus proche. Les paléontologues n'ont pas à leur disposition tous les ligaments, muscles, etc... , mais l'os enregistre le mouvement le plus fréquemment réalisé ; et par comparaison avec les animaux actuels on peut reconstituer des types de mouvements, puis des associations de mouvements qui débouchent sur des scénarios locomoteurs. Pendant près d'un siècle, les anthropologues ont focalisé leurs travaux sur les restes crâniens et dentaires, parties nobles du squelette pour reconstituer les scénarios de nos origines, mais depuis la fin des années 1970, on s'aperçoit que les modes de locomotion apporte eux aussi des informations à cette quête, et ils sont aujourd'hui considérés comme des éléments à part entière. En fait, la reconstitution des modes locomoteurs passés est essentielle.
Les grands singes fossiles
Les grands singes fossiles sont connus dès l'Oligocène supérieur en Afrique orientale et sont représentés par quelques pièces dentaires attribuées à Kamoyapithecus. Mais c'est au Miocène inférieur que les grands singes vont s'épanouir en Afrique. Si pendant longtemps, on les a cru confinés à l'Afrique orientale, on les a retrouvés au début des années 90 en Egypte, puis en Afrique du Sud en 1996. Les restes extérieurs à l'Afrique orientale sont très peu nombreux : un humérus en Egypte au Wadi el Moghara et une demi-dent supérieure dans la mine de diamants de Ryskop en Afrique du Sud. En raison de leur faible nombre, ils n'ont pas pu être nommés formellement.
En Afrique orientale, par contre, on connaît de très nombreux grands singes de grande taille (dont certains équivalents à un gorille) et de petite taille (proche de celle des gibbons). Nous nous focaliserons sur ceux de grande taille parmi lesquels nous recherchons nos ancêtres.
Les plus connus des grands singes de la période de 22 à 17 Millions d'années environ sont les Proconsul. Très bien représentés au Kenya et en Ouganda par plusieurs formes qui ont la taille des chimpanzés et colobes actuels. Ce sont des grands singes généralisés par leur dentition et leur locomotion. Probablement adaptés à un régime plutôt frugivore, ils habitaient dans des environnements de forêt sèche où ils se déplaçaient à quatre pattes sur les branches, ou au sol. Ces reconstitutions sont basées sur les restes de plantes, de grands mammifères, de micromammifères et ceux d'escargots fossiles, notamment des très riches gisements de l'île de Rusinga au Kenya.
A la même époque les Ugandapithecus, de la taille du gorille, vivaient sur les pentes des volcans de Napak en Ouganda et à Songhor au Kenya. Assez lourds, ils vivaient probablement en partie au sol, mais ils pratiquaient également un grimper vertical. Leurs canines présentent un caractère tout particulier : le sommet de la dent est en forme de lame plutôt que conique. Leurs dents assez massives suggèrent qu'ils se nourrissaient de nourritures assez coriaces. Les Ugandapithèques sont connus jusqu'à la base du Miocène moyen (16-17 Millions d'années) en Afrique orientale, et spécialement sur le gisement de Moroto en Ouganda où ils côtoient les Afropithèques, de taille plus modeste, découverts également sur la rive occidentale du Lac Turkana au Kenya. Entre 17 et 12 millions d'années les grands singes connaissent un second buissonnement avec les Turkanapithèques du Lac Turkana, les Nacholapithèques des Collines Samburu. Dans les gisements de l'île de Maboko on trouve les Kenyapithèques, dont l'espèce présente à Fort Ternan ( Kenyapithecus wickeri) sera considérée, dès sa découverte, comme un hominidé ancien. Cependant, les caractères utilisés à l'époque (petite canine, face plate, émail épais) se sont avérés, pour les premiers, des caractères de dimorphisme sexuel et, pour le dernier, un caractère classique des grands singes du Miocène moyen dont les l'alimentation est basée sur des végétaux plutôt durs. Le Kenyapithèque de Fort Ternan avait aussi été considéré comme un hominidé sur la base de présence de galets utilisés trouvés avec les fossiles. Toutefois, ces cailloux « utilisés » se sont avérés être des pierres de lave brisés naturellement. Par ailleurs, on sait aujourd'hui que d'autres primates utilisent des outils ou manipulent et cela ne leur donne pas automatiquement le statut d'hominidé.
Après avoir longtemps été considérés comme des animaux typiquement est-africains, les grands singes voyaient leur aire de répartition considérablement augmentée par la découverte d' Otavipithecus namibiensis au nord-est de la Namibie. Ils avaient toutefois été signalés en 1975 en Arabie saoudite qui, à l'époque où ils vivaient, était rattachée à l'Afrique orientale. L'Otavipithèque ne ressemble à aucun des grands singes classiques est-africains de l'époque, par sa mâchoire étroite, ses dents aux cuspides gonflées, mais cela n'est pas surprenant car il vivait dans une région très excentrée, par rapport à celle où vivaient les autres grands singes de la même époque.
C'est probablement vers ce moment-là que les grands singes vont émigrer vers l'Eurasie; ainsi, on les retrouve en France, en Espagne, en Hongrie, en Grèce, en Inde, au Pakistan, en Turquie, en Chine... où ils prennent les noms de Dryopithèques, Ankarapithèques, Sivapithèques, Ouranopithèques, Lufengpithèques, etc... Certains d'entre eux, bien que considérés par plusieurs auteurs comme des ancêtres potentiels des Hominidés, semblent plus probablement se rapprocher des grands singes asiatiques modernes. Les caractères utilisés pour en faire des Hominidés se sont avérés être souvent des caractères hérités des grands singes africains antérieurs et non pas dérivés d'Hominidés, et dans certains cas dérivés d'Orangs-outans ou même encore liés au dimorphisme sexuel observé classiquement chez les grands singes actuels et fossiles.

Le trou noir- la divergence
Le trou noir correspond à cette période pendant laquelle nous ne connaissions pratiquement rien au début des années 1990 entre les grands singes du Miocène et les premiers Hominidés avérés, les Australopithèques, c'est à dire environ entre 10-12 millions d'années et 4,2 millions d'années. A l'époque, les quelques pièces fossiles, toutes kenyennes, pouvaient se compter sur les doigts des deux mains: un fragment de maxillaire trouvé au début des années 80 dans les Samburu Hills et vieux de 9,5 millions d'années, une dent isolée dans la Formation de Lukeino datée de 6 millions d'années, un fragment d'humérus vieux de 5,1 millions d'années, un fragment de mandibule à Tabarin vieille de 4,5 millions d'années, un fragment de mandibule à Lothagam (aujourd'hui redatée à 4,2 millions d'années environ). Les nombreuses expéditions menées en Afrique depuis la dernière décennie ont pratiquement triplé le matériel connu au début des années 1990; il n'est donc pas surprenant que les scénarios de nos origines soient largement discutés. A part le maxillaire des Samburu, tous ces fossiles étaient rapportés aux Hominidés. Dans tous les scénarios évolutifs ces restes ont été considérés comme appartenant obligatoirement à des ancêtres des Australopithèque et donc des Hominidés. En fait, les chercheurs dans leur grande majorité ont focalisé leurs travaux sur les Australopithèques et toute pièce hominidée trouvée dans des niveaux plus anciens était systématiquement considérée comme un ancêtre de ceux-ci et donc des hommes. L'évolution était linéaire, ce qui malheureusement ne semble pas très biologique. En effet, jusqu'à 12 millions d'années environ, les grands singes sont largement représentés en Afrique; il faudrait donc admettre que ces derniers disparaissent pour laisser la place à une seule lignée et que celle-ci soit obligatoirement ancestrale à l'homme. Cette interprétation nie le phénomène de radiation chez les grand singes et les hominidés anciens. Vers 6 millions d'années environ, on sait que les grands groupes de mammifères sont très diversifiés et il est probable que les primates (grands singes et hommes inclus) n'ont pas échappé à la règle.
Samburupithecus
Le premier acteur dans ce trou noir est Samburupithecus; découvert au début des années 1980 dans les Samburu Hills au Kenya (mais publié seulement en 1994), il est connu exclusivement par un fragment de maxillaire portant les 2 prémolaires et les 3 molaires. Par certains aspects, il rappelle les gorilles, notamment pas la morphologie de son museau, la position de l'arcade zygomatique relativement basse et antérieure sur la mâchoire. Les tubercules de ses dents sont, en revanche, gonflés; il s'agit sans doute d'une femelle comme le suggère l'alvéole préservée de la canine qui indique que la racine de cette dernière était petite. Par ses caractères, cette pièce pourrait être considérée comme un ancêtre des grands singes et de l'homme, ou un ancêtre de gorilles, mais il faut plus de matériel pour conclure.
Ardipithecus ramidus
En 1994/1995, Ardipithecus ramidus, vieux de 4,4 millions d'années venait combler une lacune dans l'histoire de la dichotomie des grands singes et de l'homme. Découverts en Ethiopie dans la Vallée moyenne de l'Aouache, les restes attribués à cette espèce se composent de dents isolées, de quelques os postcrâniens fragmentaires un petit fragment crânien et un squelette partiel qui n'est toujours pas publié. Ces éléments furent rapportés à un hominidé, mais si certains caractères de ses canines l'en rapprochent effectivement, toute une suite d'autres l'en isolent comme l'épaisseur de l'émail dentaire ou la taille de la canine par rapport aux dents jugales. Le squelette indiquerait une adaptation à la bipédie, mais les restes publiés à ce jour ne permettent pas cette affirmation. Ardipithecus ramidus est-il un hominidé ou un grand singe? Il est bien difficile de conclure à la lueur des éléments disponibles.
Orrorin tugenensis
A l'automne 2000, une douzaine de restes dentaires, mandibulaires et postcrâniens d'un hominidé étaient trouvés dans la Formation de Lukeino au Kenya qui avait déjà livré une dent isolée en 1974. Les gisements qui ont livré les fossiles s'échelonnent dans le temps entre 6,0 et 5,7 millions d'années; le gisement le plus riche étant celui de Kapsomin situé à la base de la formation. Les dents en général sont petites, proches en taille de celles de chimpanzés et des hommes actuels, mais leur forme plus carrée les rapproche des seconds. La morphologie de la canine supérieure portant une gouttière verticale ou la première prémolaire inférieure avec ses racines décalées rappelle la morphologie observée chez les grands singes actuels et fossiles. Toutefois, les tubercules dentaires ne présentent pas les ridulations d'émail classique chez les grands singes, la morphologie de la canine inférieure est intermédiaire entre celle des grands singes et celle de l'homme, l'émail est épais, la face interne des molaires est verticale. La partie antérieure de la mandibule est droite et on n'observe aucun espace (diastème) entre la canine et la première prémolaire inférieures. L'ensemble des caractères dentaires rapprochent Orrorin des hominidés.
La découverte d'Orrorin était importante également par le fait que des restes postcrâniens étaient signalés, dont des fémurs relativement bien conservés. C'est l'étude du fémur qui a montré que Orrorin était bipède. Ceci s'exprime par un col fémoral allongé et aplati antéro-postérieurement, la position de la tête fémorale, la position des insertions musculaires, la distribution de l'os cortical (épaissi à la partie inférieure et plus mince à la partie supérieure) sur la coupe du col fémoral, et la présence en vue postérieure d'une gouttière pour le muscle obturator externus. La plupart de ces caractères sont présents chez les Australopithèques et l'homme et sont classiquement associés à la bipédie. Cependant, certaines différences d'avec les Australopithèques (en particulier, orientation de la tête fémorale, position du petit trochanter) et une meilleure ressemblance avec les hommes indiquent que cette bipédie est plus humaine que celles de Australopithèques. Cet hominidé pratiquait donc probablement habituellement la bipédie; toutefois, il n'est pas encore affranchi du milieu arboré, comme le montrent son humérus et ses phalanges de main.
Orrorin n'est pas un être petit puisque les mesures de son humérus et de son fémur indiquent qu'il était une fois et demie plus grand que Lucy, la célèbre Australopithèque de l'Afar. Cette dernière est de taille modeste, mais possède des dents assez grosses (mégadonte); en revanche, chez Orrorin, l'inverse est vrai, le corps est plus grand mais les dents plus petites (microdonte). Si Orrorin devait être un ancêtre des Australopithèques, eux-mêmes ancêtres de l'homme, il faudrait admettre que des êtres microdontes auraient donné naissance à des mégadontes, qui eux-mêmes auraient donné naissance à des microdontes. Ces aller-retours anatomiques qui touchent à la fois le système masticateur et le système locomoteur semblent douteux et c'est pour cela que nous considérons les Australopithèques comme une branche à part de notre famille. Lors de sa découverte en 2000, Orrorin était le premier Hominidé connu antérieur à 5 millions d'années et sa présence si ancienne remettait en cause les données moléculaires en suggérant une dichotomie entre les grands singes et l'homme très ancienne (bien antérieure à 6 millions d'années).
Ardipithecus ramidus kadabba
Le débat sur nos origines était relancé en juillet 2001 avec la publication d'une sous-espèce d'Ardipithèque, Ardipithecus ramidus kadabba, découverte en Ethiopie dans des niveaux vieux de 5,7 à 5,2 millions d'années. Elle est représentée par des dents et os isolés (notamment fragment d'humérus et phalanges du pied et de la main). Elle se différencie des grands singes actuels par la tendance des canines à être incisiformes et la morphologie générale de ces dernières; mais, elle s'isole également d' Ardipithecus ramidus ramidus par la morphologie des P3 et M3 supérieures et de la canine inférieure. Les caractères des éléments post-crâniens rappellent ceux des grands singes et de certains spécimens de Hadar et suggéreraient des adaptations à la vie arboricole. Même si selon les auteurs, on peut considérer cette sous-espèce d'Hominoïde comme un Hominidé, il n'en reste pas moins qu'un certains nombre de caractères rappellent les grands singes et que les différences d'avec l'autre sous-espèce méritent clarification.
Sahelanthropus tchadensis
Puis, un an après la découverte éthiopienne étaient publiés les restes d'un hominoïde vieux de 6 à 7 millions d'années, trouvés au Tchad, très loin à l'Ouest de la fameuse faille est-africaine. La pièce la plus médiatique est un crâne légèrement écrasé rapporté par ses inventeurs à un Hominidé sur la base en particulier de la petite taille de la canine, le mode d'usure de cette dernière, l'aplatissement de la face, la position dite « plus antérieure » du foramen magnum. Selon les auteurs, le bourrelet sus-orbitaire très massif indiquerait que le crâne appartenait à un individu mâle. Les autres caractères incluent entre autres: des dents jugale (molaires et prémolaires basses), l'émail intermédiaire en épaisseur entre celui des chimpanzés et des Ardipithèques, une morphologie supra-orbitaire robuste (probablement mâle selon les auteurs), un plancher nuchal plat et des insertions musculaires puissantes dans la région nuchale.
La petite canine n'est pas un caractère d'Hominidé sensu stricto comme signalé plus haut; en effet, chez les grands singes miocènes et modernes, la taille de la canine est le plus souvent l'expression du dimorphisme sexuel. La canine du mâle étant beaucoup plus développée, il s'ensuit un gonflement de la région faciale qui reçoit la racine de la dent, alors que chez la femelle, le gonflement est réduit en liaison avec une racine de taille plus modeste; d'où l'aspect plus plat de la face.
La taille du bourrelet sus-orbitaire n'est pas classiquement utilisé pour sexer des crânes isolés. Chez les chimpanzés ou les gorilles actuels, le bourrelet sus-orbitaire apparaît fort chez les mâles, comme chez les femelles au sein d'une même population; il est en général un peu plus fort chez les mâles. Sur un crâne isolé, il est très difficile de déterminer le sexe de l'individu à partir de ce seul caractères. En dehors du fait que la position antérieure du foramen magnum n'est pas confirmée, il faut être prudent car celle-ci n'est pas liée exclusivement à la bipédie, elle aurait, pour certains, un lien avec le développement cérébral Parmi les caractères décrits, certains semblent rapprocher plus volontiers la pièce des grands singes : aplatissement du plancher nuchal, systèmes des crêtes postérieures et le spécimen, probablement femelle n'apparaît pas très différent de celui des grands singes actuels, en particulier des gorilles. Si cette hypothèse s'avérait confirmée, cela rendrait la découverte tchadienne encore plus intéressante scientifiquement, car elle commencerait à combler l'immense lacune de l'histoire des grands singes africains entre 12 millions d'années et aujourd'hui.

L'origine de l'homme : une histoire de climat ?
Si on veut comprendre l'histoire de nos origines, on ne peut pas se limiter à l'étude des modifications anatomiques de nos ancêtres potentiels. Ces derniers ont vécu dans un environnement qui s'est transformé au cours des temps géologiques en liaison avec les modifications climatiques, géographiques, tectoniques et autres. Un vieux mythe qui encombre encore certains de nos ouvrages est la naissance de l'homme et de sa bipédie dans un milieu ouvert de savane. Or, les dernières données suggèrent que le milieu dans lequel vivait Orrorin ou ses parents Ardipithecus était plutôt humide. En particulier, dans l'environnement d' Orrorin, les colobes et les impalas dominaient la faune; ces espèces ne vivent pas en milieu ouvert : les colobes sont des animaux très arboricoles et les impalas vivent plutôt dans des fourrés. D'où probablement les adaptations à la vie arboricole encore bien marqués chez eux comme chez les premiers australopithèques.
Une hypothèse séduisante a été proposée par Coppens au début des années 1980 : la fameuse « East Side Story ». Dans cette hypothèse éco-climatico-géographique, le rift jouait un rôle majeur: des grands singes auraient été largement distribués en Afrique au Miocène, puis vers 8 millions d'années, une réactivation de la faille aurait engendré la coupure en deux de cette population ancestrale, l'une à l'Ouest aurait donné les grand singes actuels africains restés inféodés au milieu forestier et l'autre aurait évolué vers l'homme dans un milieu plus sec (mais pas forcément de savane sèche, ni de désert). Toutefois, vers 8 millions d'années, il y a une modification du climat à l'échelle du monde. L'établissement de la calotte polaire arctique a entraîné le mouvement vers le Sud des ceintures climatiques mondiales, affectant ainsi la température de l'eau de océans, la répartition des faunes et leur composition. Les grands singes faisant partie de cette faune n'ont probablement pas échappé à ce grand remaniement. L'événement a été ressenti à l'échelle du globe de l'Amérique à l'Europe en passant par l'Afrique. C'est à cette époque que se met en place le Sahara. Le changement faunique a aussi coïncidé avec l'effondrement du rift et des changements à l'échelle locale ont pu avoir lieu. Si l'hypothèse de l'East Side Story a souvent été caricaturée, elle n'en demeure pas moins valide dans l'état actuel de nos connaissances d'un point de vue chronologique et climatique.

Quel(s) ancêtre(s)
Selon certains auteurs, les hominidés antérieurs à 3,5 millions d'années sont les ancêtres des Australopithèques, eux-mêmes ancêtres des hommes. Les découvertes réalisées récemment dans le Miocène supérieur et le Pliocène suggèrent que la diversité des formes a été plus importante et en fait, il semble bien qu'il y ait eu une lignée mégadonte Australopithèque qui s'est éteinte vers 1,4 Millions d'années avec peut-être certains ardipithèques à sa base et une lignée plus microdonte avec Orrorin, Praeanthropus et les Homo anciens. L'origine de ces lignées est à rechercher au-delà de 6 millions d'années et peut-être jusqu'à 12-13 Millions d'années. Qui sont les ancêtres des grands singes africains modernes ? Des fossiles découverts récemment au Kenya suggèrent que des formes proches des chimpanzés auraient pu être présents dès 12,5 millions d'années dans la Formation de Ngorora, Certains Ardipithèques en seraient-ils les descendants? Une dent fragmentaire de 6 millions d'années trouvée au Kenya semble proche des gorilles et à la même époque ces derniers auraient pu être au Tchad. Quoiqu'il en soit, il apparaît que la dichotomie entre les grands singes africains et l'homme est plus ancienne que ne le suggèrent les données moléculaires et que la découverte de tout jalon sur la lignée des premiers sera un apport essentiel à la compréhension des autres. Mais où se situe l'origine des hominidés ? est-elle donc à l'Est ? ou ailleurs ? Si on en croit l'Abbé Breuil, le berceau est à roulettes. Si on s'en tient aux données actuelles, l'Afrique orientale semble renfermer les plus anciennes traces d'hominidés. Si le matériel tchadien était confirmé dans son statut d'hominidé, l'Afrique centrale tiendrait peut-être le flambeau. Mais finalement, cela n'a pas grande importance lorsqu'on réalise que 3% peut-être du continent africain sont aujourd'hui prospectés. Nos scénarios sont forcément voués à changer. En revanche, on peut affirmer aujourd'hui que des êtres bipèdes très anciens sont connus vers 6 millions d'années en Afrique et qu'ils vivaient dans un milieu plus humide qu'on ne le pense généralement.

 

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LES FONCTIONS CÉRÉBRALES

 

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Conférence du 1er février 2000 par Jacques Jeannerod. Le cerveau doit d'abord ses fonctions à son organisation anatomique. Cette organisation se construit pendant la première période de la vie. Les connexions entre neurones s'établissent d'après des lois qui combinent le hasard à un déterminisme étroit. La répartition des neurones présentant des connexions communes en noyaux, en couches, en aires est une indication de l'existence d'un plan qui se reproduit dans chaque cerveau de la même espèce. Mais, à l'intérieur de ce réseau relativement fixe, les connexions restent labiles, pouvant s'accroître ou diminuer selon le degré d'exercice d'une fonction. Cette labilité, ou plasticité, permet la constitution de réseaux connectant entre eux plusieurs ensembles de neurones le temps de la réalisation d'une opération complexe (trouver un mot, penser à une action...). Ces réseaux, depuis quelques décennies, sont devenus visibles grâce aux méthodes de l'anatomie fonctionnelle qui permet de réaliser des images du cerveau en fonctionnement. L'acquisition de nouvelles capacités repose peut-être sur la plasticité des connexions entre neurones. Le développement de nouvelles connexions pourrait alors expliquer la récupération d'un déficit à la suite d'une lésion pathologique. Le cerveau doit aussi ses fonctions à l'existence des multiples relations qui l'unissent au reste du corps. Le corps envoie au cerveau des informations sur l'état du monde extérieur et intérieur. En retour, le cerveau contrôle l'ensemble de l'organisme, non seulement par les fibres nerveuses qui le connectent aux muscles et à l'appareil végétatif, mais également par l'intermédiaire de signaux chimiques (des hormones) qu'il envoie vers les récepteurs placés dans les organes. C'est ainsi que des influences venues du reste du corps peuvent modifier l'état cérébral et créer des émotions, ou que, à l'inverse, le cerveau contribue à modifier l'état du corps pour le préparer à l'effort ou pour déclencher les réactions de stress.

 

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