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RWANDA ou RUANDA |
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Rwanda
État d'Afrique centrale situé dans la région des Grands Lacs, le Rwanda est limité au nord par l'Ouganda, à l'est par la Tanzanie, au sud par le Burundi et à l'ouest par la République démocratique du Congo et le lac Kivu.
Le Rwanda est membre du Commonwealth.
Superficie : 26 338 km2
Nombre d'habitants : 11 777 000 (estimation pour 2013)
Nom des habitants : Rwandais
Capitale : Kigali
Langues : anglais, français et rwanda
Monnaie : franc rwandais
Chef de l'État : Paul Kagame
Chef du gouvernement : Pierre Damien Habumuremyi
Nature de l'État : république à régime semi-présidentiel
Constitution :
Adoption : 26 mai 2003
Entrée en vigueur : 4 juin 2003
Pour en savoir plus : institutions du Rwanda
GÉOGRAPHIE
C'est un pays de hauts plateaux, proche de l'équateur, mais au climat tempéré par l'altitude. L'agriculture vivrière (patates douces, haricots) occupe la majorité des terres cultivables. Le café et le thé constituaient les ressources commerciales. Ravagé en 1994 par le conflit opposant Hutu (majoritaires) et Tutsi, le Rwanda connaît aujourd'hui un certain redressement économique mais reste l'un des pays les plus pauvres du monde (avec une tendance à l'accroissement des inégalités).
Le Rwanda correspond à une partie du socle africain, dont le relief est le résultat de mouvements tectoniques qui l'ont cassé, porté en hauteur, et qui ont permis la formation de la chaîne des Virunga, composée d'une série de volcans, dont le plus élevé, le Karisimbi (4 507 m), porte le point culminant du pays. Il se divise en trois éléments : la crête ou dorsale Congo-Nil, le Plateau central et les Basses Terres. La crête s'étire du nord au sud sur une largeur de 20 à 50 km et avec une altitude variant de 1 900 à 3 000 m. Elle domine le lac Kivu par un abrupt fortement découpé. Le versant oriental, à la pente plus douce, se raccorde au Plateau central, formé d'une multitude de collines. À l'est s'étendent les Basses Terres lacustres (1 300 à 1 500 m d'altitude), qui annoncent déjà la pénéplaine tanzanienne. Le Rwanda, malgré la proximité de l'équateur, a, grâce à l'altitude, des températures (moyenne annuelle : 19 °C) et des pluies (de 700 à 2 500 mm) modérées.
Le Rwanda se situe dans la région des Grands Lacs, la plus densément peuplée de toute l'Afrique. Le pays comptait près de 300 habitants par km2 au début des années 1990, voire plus de 400 habitants par km2 dans certaines préfectures comme celles de Kigali, de Ruhengeri ou de Butare. Le dynamisme démographique était alors extrêmement élevé, avec une croissance naturelle proche de 4 % par an, du fait d'une forte fécondité (8 enfants par femme) et d'une mortalité relativement basse (de l'ordre de 18 ‰). Il en résultait une extrême jeunesse de la population, près de la moitié des habitants ayant moins de 15 ans. Le drame de 1994 a notablement modifié ces données, du fait des nombreuses victimes qu'il a occasionnées, mais aussi du départ des réfugiés dans les pays voisins, dont une partie seulement est rentrée au pays. L'habitat est très majoritairement rural, réparti sur les « collines », et le taux de population urbaine est inférieur à 20 %. Il est le reflet de la prépondérance écrasante des productions agricoles dans l'économie nationale. Le petit élevage (ovins, caprins, volailles) prend peu à peu le pas sur les bovins, faute d'espace, et les cultures vivrières sont dominées par la banane plantain (dont on tire notamment une « bière » qui est la boisson nationale), le manioc et la patate douce. Thé et café, d'excellente qualité, sont les principales cultures d'exportation. Il est difficile de savoir si l'industrie, limitée à quelques productions de biens de consommation (boissons, chaussures), est en voie de retrouver son niveau de la fin des années 1980. Il serait de même hasardeux de donner des chiffres précis à propos des finances publiques et de la balance commerciale, dont on sait seulement qu'elles sont structurellement déficitaires. Le Rwanda est aujourd'hui l'un des pays les plus pauvres du monde.
Le génocide a répandu dans le monde entier l'image d'un Rwanda déchiré entre deux « ethnies », l'une majoritaire, les Hutus, l'autre minoritaire, les Tutsis. On a de ce fait tendance à laisser de côté ce qui fait l'unité de la population. En effet, outre un mode de vie rural dominant, les Rwandais ont en commun une langue unique de type bantou, le kinyarwanda, et ils professent très majoritairement la même religion, le catholicisme. Les causes des tragiques affrontements de 1994 doivent en réalité être davantage recherchées dans l'histoire du pays que dans un quelconque déterminisme « ethnique ».
HISTOIRE
1. Le Rwanda pré-colonial
Peuplé dès la préhistoire, le Rwanda est érigé en État au xive s. sous la forme d'une monarchie quasi théocratique à la tête de laquelle se trouve la dynastie des mwamis (rois) Banyiginyas, qui régnera jusqu'en 1960. L'organisation de la société, qui vise notamment à assurer la pérennité des deux ressources du royaume, l'agriculture et l'élevage, fait progressivement l'objet de règles extrêmement précises, instaurant notamment un véritable code du fermage-métayage, tant en ce qui concerne les troupeaux que les terres.
Le pays est divisé en circonscriptions administratives, les districts, avec à leur tête deux chefs, l'un pour le bétail, l'autre pour les terres. La distinction entre les Tutsis et les Hutus est en quelque sorte fonctionnelle : les premiers sont éleveurs, les seconds agriculteurs. Le passage d'une catégorie à une autre est possible (un agriculteur hutu peut devenir tutsi et réciproquement) de même que les mariages mixtes. L'aristocratie – qui possède bétail ou terre – est aussi bien hutue que tutsie.
2. La colonisation et la création du mythe tutsi
2.1. Le Ruanda-Urundi sous mandat belge
Comme au Burundi, ce sont les Allemands qui « découvrent » le Rwanda. La conquête est pacifique, se traduisant par un traité de protectorat (1898) et par l'installation de la première mission des Pères blancs dès 1900. Attaqués par les Belges, les Allemands doivent se retirer de la région en 1916. Les traités de paix entérinent cette situation, et le Ruanda-Urundi, placé sous mandat belge par la Société des Nations (SDN) en 1924, est rattaché au Congo belge, avec cependant une certaine autonomie.
Si les Belges maintiennent la monarchie traditionnelle, ils en dénaturent complètement la signification. L'ancien système de redevances-prestations est en grande partie aboli, comme est supprimée l'administration des districts. En 1931, le mwami Musinga est déposé et remplacé par son fils, baptisé dans la religion catholique.
Pour en savoir plus, voir l'article Ruanda-Urundi.
2.2. Les Tutsis érigés en caste dominante par le colonisateur
Dans ce pays pauvre, l'Église devient la principale puissance, et convertit massivement la population, tout en lui prodiguant soins et enseignement. Ses membres contribuent à la reconstruction de l'histoire à propos des Tutsis, qui seraient d'origine nilotique et se distingueraient par leur « grande taille » et la « finesse » de leurs traits. Cette survalorisation de leur apparence – sans doute liée pour une part au mode d'alimentation spécifique des éleveurs, et qui d'ailleurs n'est pas homogène – l'emporte sur la recherche historique objective. Ainsi distingués par leur origine supposée, les Tutsis vont devenir les privilégiés de la puissance coloniale, et assurer, sous l'autorité des Belges, l'encadrement du pays.
3. L'indépendance et le début de quarante années d'affrontements
3.1. La « Toussaint rwandaise » (1er novembre 1959)
En 1957 est publié le « Manifeste des Bahutu » (pluriel de Hutu en kinyarwanda), qui dénonce « le monopole politique dont dispose une race, la Mututsi ». Les revendications hutues sont désormais soutenues par l'Église catholique en la personne de Monseigneur Perraudin, d'origine suisse, qui devient archevêque de Kigali en 1959.
Cette même année voit la naissance d'un parti monarchiste, l'Union nationale rwandaise (Unar) et d'une formation ethnique, le Parmehutu (parti du Mouvement pour l'émancipation des Bahutu). Elle s'achève avec le déclenchement, le 1er novembre, jour de la Toussaint, d'une révolte des Hutus, qui ensanglante le pays et entraîne le départ en exil (notamment en Ouganda) de très nombreux Tutsis, mais aussi de Hutus.
3.2. La république et l'indépendance
La Belgique dépêche sur place un véritable proconsul, le colonel Logiest, qui, renversant la ligne politique belge traditionnelle, décide de donner le pouvoir aux Hutus. Ces derniers triomphent aux élections communales de juillet 1960, ce qui amène les autorités belges à déposer le mwami Kigeri V en décembre suivant.
Avec l'accord du colonel Logiest, la république est proclamée à Gitarama le 28 janvier 1961. Ce « coup d'État » est entériné le 25 septembre par un référendum, et Grégoire Kayibanda, « Hutu du Centre », est élu président de la République le 26 octobre 1961. Les législatives permettent au Parmehutu de recueillir 78 % des voix. L'indépendance intervient le 1er juillet 1962.
4. Grégoire Kayibanda et le pouvoir hutu (1962-1973)
Le Parmehutu se transforme en Mouvement démocratique républicain (MDR), appelé à dominer la vie politique rwandaise au cours des années 1962-1973.
Une attaque menée par des exilés tutsis venus du Burundi a lieu en décembre 1963 (une première attaque s'était déjà produite en mars 1961). En représailles, plusieurs milliers de Tutsis de l'intérieur sont massacrés, et les membres tutsis du gouvernement d'union nationale sont exécutés. Une nouvelle vague d'émigration vient renforcer la diaspora tutsie qui commence à se constituer, non seulement en Afrique (Burundi, Tanzanie, Ouganda, Congo-Kinshasa), mais aussi en Belgique et aux États-Unis. Elle est active et influente.
L'antitutsisme devient une constante de la politique de Grégoire Kayibanda. Il culmine en février 1973 avec une épuration systématique menée dans les écoles, l'administration et le secteur privé, et de nouveaux massacres. Mais en juillet de la même année, un coup d'État sans effusion de sang porte le général Juvénal Habyarimana, Hutu du Nord, au pouvoir.
5. Juvénal Habyarimana et la seconde République (1973-1994)
5.1. Une brève pacification
Avec Juvénal Habyarimana et la seconde République, une ère moins brutale commence.
Le Parlement et le MDR sont suspendus. En 1978, une nouvelle Constitution est adoptée, qui instaure un parti unique – le Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND) –, auquel appartiennent tous les Rwandais dès leur naissance.
La « question ethnique » est censée être résolue par le système des quotas, inspiré du modèle belge. L'accès aux écoles, aux postes administratifs, etc., est calqué sur la répartition « ethnique » de la population, soit 9 % pour les Tutsis, 1 % pour les Twas (→ Pygmées), 90 % pour les Hutus.
Pour les observateurs étrangers, le Rwanda est entré dans une période de stabilité et de progrès économique. L'image du pays et celle de son président sont bonnes, les aides affluent (belge et française notamment, mais pas uniquement), les ONG multiplient leurs interventions, la Banque mondiale délivre un satisfecit au gouvernement pour avoir fait en sorte que la production vivrière croisse plus vite que la population.
5.2. L'offensive du Front patriotique rwandais (FPR)
Dans le même temps en Ouganda, les émigrés rwandais – les Banyarwandas –, qui ne sont pas tous tutsis, se sont regroupés au sein d'une organisation de soutien aux réfugiés qui donne naissance en 1987 au Front patriotique rwandais (FPR). Plusieurs milliers d'entre eux, et notamment l'officier tutsi Paul Kagame, ont combattu aux côtés de Yoweri Museveni lors de sa conquête du pouvoir en 1986.
Cette présence rwandaise est cependant de moins en moins bien supportée par les Ougandais. Convaincu que les Banyarwandas ne pourront rentrer pacifiquement dans leur pays (en 1982, J. Habyarimana en a refoulé 80 000 qui venaient d'être expulsés par le président ougandais alors en exercice, Milton Obote), le FPR, soutenu par l'Ouganda qui lui sert de base arrière, pénètre en force au Rwanda le 1er octobre 1990.
L'offensive du FPR permet au président Habyarimana d'obtenir un renforcement considérable des Forces armées rwandaises (FAR) par la France et la Belgique. Elle déclenche une guerre civile entrecoupée de trêves, d'exodes et de massacres de populations.
5.2. Les tentatives de démocratisation et les accords d'Arusha (1993)
Sous la pression de la France, qui conditionne son aide militaire à la poursuite de la démocratisation amorcée en 1990, une nouvelle Constitution est adoptée (juin 1991), qui reconnaît notamment le multipartisme et crée un poste de Premier ministre. Prenant acte de la victoire des partis d'opposition aux élections législatives de 1992, le président Habyarimana accepte en avril pour Premier ministre Faustin Twagiramungu – un Hutu modéré, président du MDR. Ce dernier ne parvient pas à former un gouvernement de coalition.
Sous la pression internationale, le gouvernement et le FPR entament à Arusha (Tanzanie) en juin 1992 des négociations pour rétablir la paix et organiser le partage du pouvoir entre le MRND, le FPR et les partis d'opposition. En dépit de nombreuses vicissitudes et de la poursuite des opérations militaires, les négociations débouchent sur la signature des accords d'Arusha le 4 août 1993. Mais ces derniers restent sans effet, malgré la présence des contingents de la Minuar (Mission des Nations unies d'assistance au Rwanda) chargés de les faire respecter.
En effet, la démarche entreprise à Arusha est totalement rejetée par les extrémistes hutus. En 1992, ceux-ci ont fondé la Coalition pour la défense de la République (CDR), regroupant les éléments les plus farouchement extrémistes ainsi que les milices Interahamwe (« ceux qui tuent ensemble » en kinyarwanda), le bras armé du MRND. À partir de 1993, les extrémistes hutus se livrent via le journal Kangura et la radio des Mille Collines, à une propagande massive outrageusement antitutsie et à des assassinats ciblés de responsables politiques modérés.
5.3. Les cent jours d'un génocide planifié (6 avril-19 juillet 1994)
C'est dans ce contexte que, le 6 avril 1994, l'avion transportant le président Juvénal Habyarimana et son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira, est abattu lors de son atterrissage à Kigali.
L'attentat (dont les circonstances exactes et les responsabilités ne sont toujours pas établies) sert de prétexte au déclenchement des tueries qui, dès le—6 avril au soir, éclatent simultanément dans la capitale, le sud, l'est et le nord du pays. La minorité tutsie, ainsi que les populations hutues qui cherchent à la protéger, sont victimes d'un génocide organisé par les milices Interahamwe et une partie des Forces armées rwandaises (FAR) suivant des plans et des listes établis de longue date.
Les combats qui opposent les FAR au Front patriotique rwandais (FPR, soutenu militairement par l'Ouganda) gagnent rapidement l'ensemble du pays, provoquant d'atroces tueries et un exode massif de Hutus vers les pays voisins. Face à l'impuissance de la Minuar, dont les effectifs, réduits, tardent à se renforcer, l'ONU autorise finalement la France à engager une opération militaire à but humanitaire limitée à une durée de deux mois (opération Turquoise) pour porter assistance aux civils rwandais réfugiés par centaines de milliers dans une « zone humanitaire sûre » créée dans le sud-ouest du pays, à la frontière du Zaïre. Malgré l'opération Turquoise (juin-août 1994), les massacres de Tutsis continuent dans la « zone humanitaire sûre ».
Après sa victoire sur les forces gouvernementales, le FPR entre dans Kigali le 4 juillet et prend le pouvoir le 19.
5.3.1. Des controverses toujours vives
Si les faits sont connus, leur interprétation fait encore l'objet, plusieurs années après le drame, de vives controverses. Concernant les victimes, les chiffres cités vont de 800 000 à 1 million.
La responsabilité de l'attentat du 6 avril 1994 est aussi bien attribuée aux extrémistes hutus qu'au FPR. Le président Habyarimana est présenté soit comme un élément modérateur, soit au contraire comme un dictateur ayant soutenu les extrémistes. Pour certains, la France est coupable d'avoir soutenu un régime dictatorial et d'avoir protégé, avec l'opération Turquoise, les auteurs du génocide, alors que d'autres estiment qu'elle a fait pression en faveur des accords d'Arusha et qu'elle a permis de sauver de très nombreuses vies humaines. L'attitude de la Belgique, celle des États-Unis, de l'ONU, sont également mises en question.
Face à une tragédie de cette ampleur, de longues années seront nécessaires pour que la vérité puisse émerger du maelström des passions.
6. Le Rwanda post-génocidaire
6.1. La difficile transition politique dans un pays meurtri (1994-2003)
Le 19 juillet 1994, un gouvernement d'union nationale se met en place sur la base des accords d'Arusha. Pasteur Bizimungu (un Hutu modéré) devient président de la République. Paul Kagame, qui a mené les troupes du FPR à la victoire militaire contre les FAR, est nommé vice-président et ministre de la Défense. Faustin Twagiramungu, ancien opposant au président Juvénal Habyarimana, est proposé comme Premier ministre d'un « gouvernement de transition à base élargie ». Ce dernier, après avoir accusé le FPR de continuer à tuer des populations innocentes, démissionnera en août 1995 et s'exilera en Belgique.
Au lendemain du génocide, le Rwanda fait immédiatement appel à l'aide de la communauté internationale pour reconstruire son appareil judiciaire détruit. Peu confiant dans l'efficacité du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) institué par l'ONU à Arusha le 8 novembre 1994, le gouvernement rwandais tente de mettre en place son propre dispositif pour juger les présumés génocidaires. Mais les prisons sont rapidement surpeuplées, les tribunaux engorgés. De nombreuses voix – notamment celle de Faustin Twagiramungu – s'élèvent pour dénoncer les atteintes aux droits de l'homme commises par le FPR.
En juin 1999, le forum des partis politiques rwandais, à l'origine du premier gouvernement mixte de réconciliation nationale mis en place en 1994, décide de repousser de quatre ans la transition politique (qui devait s'achever en juillet 1999), au cours de laquelle étaient prévues l'élaboration d'une Constitution et l'organisation d'élections.
De graves dissensions au sommet de l'État poussent Pasteur Bizimungu à démissionner de ses fonctions de président de la République et de vice-président du FPR (mars 2000). À la suite d'un bref intérim, Paul Kagame, désigné par les députés de l'Assemblée nationale transitoire et par le gouvernement, lui succède à la tête de l'État. Cette rupture entre les deux hommes, censés symboliser la réconciliation nationale, porte un coup sérieux aux efforts visant à réconcilier majorité hutue et minorité tutsie.
6.2. Les interventions militaires du Rwanda au Zaïre puis en RDC
La traque des extrémistes hutus dans l'Est zaïrois (septembre 1996-mai 1997)
Alors que la Minuar quitte le Rwanda à l'expiration de son mandat (mars 1996), le nouveau pouvoir rwandais s'attache prioritairement à assurer sa sécurité. Il estime celle-ci menacée par la présence dans l'Est zaïrois (Nord- et Sud-Kivu) de plus d'un million de réfugiés hutus dans des camps servant de bases arrière et de centres de recrutement aux extrémistes hutus.
Avec l'Ouganda, son voisin et allié, le Rwanda fait appel à Laurent-Désiré Kabila, opposant de longue date au maréchal Mobutu. La rébellion des Banyamulenge (Zaïrois tutsis rwandophones installés au Sud-Kivu depuis les années 1930) éclate en octobre 1996. Rejointe également par des opposants de tous bords à Mobutu, et soutenue militairement par le Rwanda, l'Ouganda et le Burundi, elle s'organise en Alliance des forces démocratiques pour la libération du Zaïre (AFDL).
Chassés par l'AFDL, une partie des réfugiés hutus rentrent au Rwanda, certains gagnent l'Angola, la République centrafricaine, le Congo, le Gabon et le Cameroun. 300 000 d'entre eux sont massacrés dans les forêts. Mais les extrémistes hutus, encouragés par la rébellion hutue du Burundi, ne désarment pas et continuent de massacrer de nouvelles victimes, justifiant de ce fait la politique répressive et sanglante du Rwanda.
Les poussées expansionnistes du Rwanda en RDC (1998-2002)
En août 1998, le Rwanda, aux côtés de l'Ouganda et du Burundi, réengage son armée en République démocratique du Congo (RDC, nouveau nom du Zaïre depuis la chute de Mobutu, le 15 mai 1997, et la prise du pouvoir par L.-D. Kabila).
Après avoir aidé en 1996 L.-D. Kabila dans sa conquête du pouvoir, ces trois pays cherchent à présent à le renverser, et s'allient à trois groupes rebelles congolais, aux revendications divergentes. Dans le camp adverse, l'Angola, le Zimbabwe et la Namibie soutiennent le régime de L.-D. Kabila. Débute alors un conflit de quatre ans qui fera entre 4 et 4,5 millions de victimes.
Le Rwanda apporte son soutien à la rébellion du RCD/Goma (Rassemblement congolais pour la démocratie). Outre ses motivations sécuritaires, il cherche à s'arroger un contrôle politique sur l'est du pays et surtout à consolider sa mainmise sur l'exploitation illicite des immenses ressources minérales et forestières des deux Kivus. C'est d'ailleurs pour le contrôle des richesses diamantifères que le Rwanda et l'Ouganda – ce dernier soutenant le RCD/Kisangani, une faction rivale du RCD/Goma – s'affrontent sporadiquement entre 1999 et 2000, notamment à Kisangani, instaurant une guerre dans la guerre.
La difficile paix (2002-2005)
La mort de L.-D. Kabila, assassiné le 16 janvier 2001, et auquel succède son jeune fils Joseph, change la donne. La nécessité de combattre celui qui faisait l'unanimité contre lui disparaît. Lors de l'ouverture des négociations entre les factions congolaises, le 25 février 2002, à Sun City (Afrique du Sud), le Rwanda tente en vain d'obtenir une reconnaissance de son occupation dans l'Est congolais. Isolé alors que ses alliés du RCD/Goma sont écartés du pouvoir, le Rwanda ne reconnaît pas l'accord de Sun City du 19 avril. Ce n'est que le 30 juillet 2002, grâce à la médiation du président sud-africain Thabo Mbeki, que le Rwanda et la RDC signent, à Pretoria, un accord de paix prévoyant le démantèlement des milices Interahamwe en échange du retrait des 20 000 soldats rwandais du territoire congolais (retrait achevé en octobre 2002).
Cependant, l'Armée patriotique rwandaise (nouvelle appellation des FAR depuis juin 2002) apporte son soutien à une nouvelle rébellion de Banyamulenge qui, en juin 2004, s'emparent brièvement de Bukavu. En décembre 2004, Kigali menace de détruire les bases d'extrémistes hutus toujours présentes dans l'Est congolais si la communauté internationale ne règle pas cette question. Finalement, le 31 mars 2005, après plusieurs mois de pourparlers entre autorités congolaises et rwandaises, l'ensemble des groupes armés hutus, regroupés depuis 2000 au sein des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), s'engage à déposer les armes et à rentrer au Rwanda.
Pour en savoir plus, voir l'article République démocratique du Congo.
6.3. La dérive autoritaire du régime
La suprématie du FPR
Paul Kagame instaure au Rwanda un mélange de volontarisme économique (son plan « Vision 2020 » fait largement appel aux privatisations et libéralisations) et d'autoritarisme.
En 2002, l'ex-président Bizimungu est placé en résidence surveillée puis arrêté alors qu'il tentait de fonder un nouveau parti politique. Condamné à quinze ans de prison en 2004 pour « divisionnisme » (terme désignant officiellement les dérives d'une politique sur base ethnique mais s'avérant, à l'usage, une arme contre toute forme de contestation), puis bénéficiant d'une grâce présidentielle, Bizimungu sera libéré en 2007. Début 2003, à quelques mois des premières élections présidentielle et législatives depuis le génocide de 1994, et dès l'annonce de la candidature de l'ex-Premier ministre, Faustin Twagiramungu, rentré de son exil en Belgique, le MDR est dissous pour « divisionnisme ».
En juin 2003, une nouvelle Constitution instaure un Parlement bicaméral, le rétablissement du multipartisme et, pour la première fois depuis 1994, l'élection des députés au suffrage universel. Le président de la République est également élu au suffrage universel pour un mandat de sept ans, renouvelable une seule fois.
Au terme d'une campagne ponctuée d'opérations d'intimidation et largement dominée par le candidat sortant du FPR, Paul Kagame est réélu le 25 août 2003 avec 95,1 % des voix devant son principal adversaire, F. Twagiramungu (3,6 %). Les élections législatives de septembre-octobre confirment la victoire écrasante du FPR, qui conquiert la majorité absolue au Parlement. Toutefois la présence massive de représentants de Paul Kagame participant à la gestion des bureaux de vote, le harcèlement de ses adversaires politiques par le régime, la mainmise de ce dernier sur les médias ainsi que le silence de la communauté internationale disqualifient lourdement la légitimité des scrutins.
Le recours à une justice traditionnelle
Les nouvelles autorités rwandaises se sont trouvé face à un nombre considérable d'auteurs présumés du génocide. Après avoir différencié les catégories de criminels y ayant participé (1996), quelque dix-mille tribunaux, inspirés des assemblées villagoises (les juridictions gacaca) sont institués en 2001. Ils sont chargés des poursuites et du jugement du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994.
En 2005, les juridictions gacaca accueillent les premiers procès, au cours desquels sont confrontés survivants et exécutants du génocide (à l'exception des planificateurs et des auteurs de viols). Conformément à l'une des exigences de la communauté internationale pour que les procédures judiciaires à l'encontre des génocidaires soient transférées à la juridiction nationale rwandaise avant la dissolution du TPIR prévue en 2008 (reportée jusqu'à fin 2012, afin d'examiner les derniers cas en instance), le Rwanda abolit la peine de mort le 26 juillet 2007.
Verrouillage électoral et violences politiques
Aux élections législatives de septembre 2008, la coalition au pouvoir (FPR, associé à six petits partis) remporte la majorité absolue des sièges. À cette occasion, la communauté internationale salue les efforts des autorités rwandaises pour sa mise en œuvre de la promotion des femmes ; celles-ci ont obtenu 44 des 80 sièges de l'Assemblée nationale – une première mondiale. Toutefois, l'opposition (une douzaine de partis en exil) n'a pas participé au scrutin.
À l'approche de l'élection présidentielle du 9 août 2010, le régime montre des signes de raidissement. En vertu de la loi de 2008 qui réprime « l'idéologie génocidaire » ou le « divisionnisme », et qui vise à empêcher le retour de la haine ethnique, le régime du président Kagame muselle toute liberté d'expression et anéantit toute velléité d'opposition. Menacés, d'anciens piliers du FPR passés dans l'opposition (Faustin Kayumba Nyamwasa, ex-chef d'état-major, Patrick Karegeya, ex-chef des renseignements extérieurs) se réfugient en Afrique du Sud (où ce dernier sera finalement assassiné en janvier 2014) ; d'autres sont exécutés, tels le journaliste André Kagwa Rwisereka (juin 2010) ou le premier vice-président du parti démocratique vert André Kagaw Rwisereka (juillet). Victoire Ingabire, présidente des Forces démocratiques unifiées (FDU), tout comme Bernard Ntaganda, président du parti social (PS), sont empêchés de participer au scrutin du 9 août, où faute de véritable rival, Paul Kagame est réélu avec 93 % des suffrages et un taux de participation record de 97,51 %.
6.4. Politique extérieure
Politique régionale
Sur le plan régional, le Rwanda poursuit sa politique de réglement du problème posé par la présence de groupes armés congolais et rwandais dans l'est de la République démocratique du Congo. Fin 2008, les combats que se livrent le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) du général rebelle congolais Laurent Nkunda – soutenu par le Rwanda – et les forces congolaises alliées aux Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), menacent de rallumer une guerre régionale. Cependant, fruit du dialogue entamé en 2007 entre les gouvernements rwandais et congolais et d'un accord secret scellé en décembre 2008 entre les deux capitales, un renversement d'alliances inespéré permet la menée d'opérations militaires conjointes contre les FDLR (janvier-février 2009). Après la rencontre de leur deux présidents (août), le Rwanda et la RCD décident de reprendre leurs relations dilomatiques interrompues depuis plus de dix ans.
Les tensions avec l'Ouganda, portées à leur paroxysme lorsque les deux pays s'étaient affrontés militairement pour le contrôle de la ville de Kisangani en RDC (août 1999) puis en mai 2000 et en juin 2002, s'apaisent grâce à la médiation de la Grande-Bretagne et des États-Unis. Mais en dépit de plusieurs rencontres au niveau présidentiel entre 2007 et 2009, une certaine défiance demeure, nourrie par une rancune personnelle entre les deux ex-compagnons d'armes, et par des soupçons réciproques de liens suspects avec leur opposition respective.
Le Rwanda poursuit sa politique d'intégration régionale. Membre du Marché commun de l'Afrique orientale et australe (Comesa), de la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL), il se retire en juin 2007 de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC) et adhère en juillet à la Communauté est-africaine (EAC), privilégiant le maintien de ses relations en Afrique de l'Est. En novembre 2009, le Rwanda devient, le 54e membre du Commonwealth tout en demeurant au sein de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF).
Épinglé par un rapport de l’ONU paru le 1er octobre 2010 et mettant en évidence la participation des troupes rwandaises à des massacres de réfugiés hutus en RDC entre 1995 et 2003, Kigali – un des plus gros contributeurs africains de Casques bleus au Darfour – répond en menaçant de retirer ses troupes si le texte n'est pas amputé de certaines parties.
Les relations avec la France
Les relations avec la France, soupçonnée d'avoir aidé les milices hutues lors du génocide de 1994, ne cessent de se détériorer. En novembre 2006, au lendemain de la publication de l'ordonnance d'un juge français mettant en cause le président Kagame et neuf de ses proches dans l'attentat du 6 avril 1994 contre J. Habyarimana, le Rwanda rompt ses relations diplomatiques avec la France, non sans exiger une repentance « officielle » de celle-ci pour sa participation aux événements de 1994, et la fin des poursuites contre le chef de l'État.
Après quelques signes de réchauffement à l'automne 2007, une entrevue, en marge du sommet Union européenne-Afrique de Lisbonne (décembre), entre les deux présidents permet de lancer le processus de normalisation entre Paris et Kigali. Conséquence de la crise qui affecte les relations franco-rwandaises, Kigali institue l'anglais, et non plus le français, langue de l'enseignement, de l'école primaire à l'université. À la suite du rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays (novembre 2009), Nicolas Sarkozy en visite au Rwanda (février 2010) reconnaît, sans présenter d'excuses officielles, « de graves erreurs d'appréciation, une forme d'aveuglement " de la part de la France pendant le génocide ; lors de sa première visite officielle en France (septembre 2011), Paul Kagame exprime sa volonté de « tourner la page des différends du passé ».
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APARTHEID |
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apartheid
(mot afrikaans signifiant séparation)
Guerre des Boers
Consulter aussi dans le dictionnaire : apartheid
Cet article fait partie du dossier consacré à la décolonisation.
Régime de ségrégation systématique des populations de couleur, en Afrique du Sud. La complexité du peuplement de l’Afrique du Sud explique l’établissement de l’apartheid en système de gouvernement à partir de 1913. Malgré une forte pression intérieure et extérieure, il se maintient jusqu’en 1991.
1. Le peuplement de l’Afrique du Sud
1.1. Des Bochimans aux Boers
Les premiers habitants attestés du territoire actuel de l'Afrique du Sud sont les chasseurs-cueilleurs khoisans (Bochimans et Hottentots). Au xvie siècle apparaissent les Bantous, qui se fixent plus au sud.
Dès 1652, le Hollandais Jan Van Riebeeck établit le premier comptoir européen en Afrique australe, à Table Bay (aujourd'hui un quartier du Cap), destiné servir d'escale aux navires de la Compagnie hollandaise des Indes orientales. Peu après, la révocation de l'édit de Nantes par Louis XIV (1685) provoque une émigration importante de huguenots français vers l'Afrique australe. Leur arrivée coïncide avec le début de l'esclavage des Noirs ; les Européens gagnent ensuite l'intérieur du pays.
Les pionniers hollandais (les Boers, « paysans » en néerlandais) s'implantent ainsi dans l'Est, où ils affrontent les Bantous.
1.2. Le Grand Trek
Au cours du xixe siècle, les Boers se heurtent aux Britanniques, à qui le congrès de Vienne (1814) a attribué Le Cap. Les Boers leur reprochent une politique jugée trop favorable aux Noirs, notamment à la suite de l'abolition de l'esclavage par la Grande-Bretagne en 1833.
Afin de préserver leur mode de vie, les Boers amorcent à partir de 1834 un mouvement migratoire vers l'intérieur du pays, le Grand Trek. Ils chargent cet exode d'une forte signification biblique, affirmant être les nouveaux Hébreux, le peuple élu en route pour la Terre promise. Ce sentiment d'élection divine marquera durablement la population huguenote franco-hollandaise et déterminera pour une bonne part l'évolution historique ultérieure de cette partie du monde.
À la suite du Grand Trek, les Boers fondent le Transvaal (1852) et l'État libre d'Orange (1854).
1.3. De la guerre des Boers à l’Union sud-africaine (1899-1910)
Guerre des Boers
La fin du xixe siècle est marquée par la découverte dans les Républiques boers de gisements d'or et de diamants qui attirent des immigrants britanniques (uitlanders) vers l'intérieur du pays. De nombreux conflits éclatent au sujet de la propriété du sol. La guerre des Boers qui s'ensuit éclate en 1899 et, suite à la victoire britannique, s'achève avec la confirmation officielle en 1902 de la souveraineté britannique sur l'Union sud-africaine.
L'ensemble du territoire devient en 1910 un dominion de l'Empire colonial britannique, l'Union sud-africaine, où se juxtaposent le système libéral anglais dans les anciennes colonies britanniques et les fortes traditions religieuses des premiers immigrants calvinistes, hollandais et français, qui se nomment eux-mêmes les Afrikaners, dans les deux républiques afrikaners vaincues en 1902.
1.4. La montée du nationalisme afrikaner (1910-1931)
Sous l'impulsion du National Party – et alors que se développent l'exploitation minière et l'industrie manufacturière grâce aux capitaux britanniques –, le fort sentiment antibritannique des Afrikaners se maintient durant l'entre-deux-guerres. Ceux-ci cherchent à compenser leur faiblesse économique en adoptant une stratégie d'accession aux divers échelons du pouvoir politique. Leurs efforts sont couronnés de succès lorsqu'un gouvernement boer nationaliste, présidé par James Hertzog (1924-1939), parvient à faire reconnaître par le Royaume-Uni l'autonomie du pays (1926), le statut de Westminster (11 décembre 1931) supprimant toutes les réserves qui restreignaient encore son pouvoir législatif, mais conservant le statut de dominion.
2. L'apartheid, système de gouvernement
2.1. Les premières mesures de ségrégation raciale (1913-1948)
Le gouvernement met en place une politique de ségrégation raciale inspirée des premières lois ségrégatives édictées dès 1913 et nourrie, d'un côté, par le désir de revanche et de reconnaissance sociales éprouvé par les Afrikaners, et, de l'autre, par les traditions religieuses des premiers Boers.
À partir de 1921, les mesures ségrégationnistes se multiplient et sont étendues à l’ancien Sud-Ouest africain allemand (actuelle Namibie), sur lequel l’Union sud-africaine a reçu en 1920 un mandat de la Société des Nations (SDN).
En 1927, la loi Hertzog prohibe tout rapport sexuel hors mariage entre Blancs et Noirs. Dans les années 1930, la récession attise les conflits entre Noirs et fermiers blancs, qui aspirent à trouver du travail dans les villes. Afin de faire de l'Afrique du Sud une nation de Blancs, le gouvernement Hertzog (1924-1939) cherche à concentrer les Noirs dans des réserves. Ni les Noirs ni les métis n'ont le droit de vote.
2.2. La relance de la politique ségrégationniste (1948-1956)
En 1948, le National Party, grand vainqueur des élections législatives, instaure la politique du « développement séparé des races ». Cette doctrine entérine un état de fait en le dotant d'une légitimité juridique. L'année suivante, le gouvernement nationaliste du pasteur Malan étend en 1949 l'apartheid à la population d'origine indienne (qui s’est installée, à la fin du xixe siècle, dans la région de Durban et de Port-Élisabeth).
Au cours des années 1950, le gouvernement fait adopter une nouvelle série de mesures discriminatoires. Ainsi, en 1952, le Native Act n°67 impose à tous les Noirs âgés de 16 ans et plus de porter sur eux en permanence un pass book (laissez-passer) contenant leurs pièces d'identité et un certificat d'origine tribale. En 1953, le Bantu Labour Act interdit aux Africains de faire grève et de se syndiquer. C'est ensuite, en 1956, l'Industrial Conciliation Act qui interdit les syndicats ouvriers mixtes.
2.3. Les bantoustans, instruments de la ségrégation
Affiche anti-aparheidAffiche anti-aparheid
Répondant au souci de pousser encore plus loin la ségrégation raciale, le Promotion of Bantu Self-Government Act permet en 1954 de créer dix « nations noires » artificielles, dites bantoustans. Sous le mandat de Verwoerd (1958-1966), le Parlement adopte une loi favorisant l'autodétermination bantoue et projetant l'indépendance des dix bantoustans africains. Elle est réalisée en 1976 pour le Transkei, suivi du Bophutatswana (1977), du Venda (1980) et du Ciskei (1981).
Ces « États », qui ne seront jamais reconnus par la communauté internationale, sont alors surpeuplés (74 % de la population noire), fragmentés et dotés de ressources limitées. Neuf millions de Noirs, appartenant aux groupes ethniques associés aux bantoustans, ont perdu de facto la citoyenneté sud-africaine. En 1964, le Bantu Law Amendment Act prive les Africains de leurs droits en dehors des bantoustans et, en 1968, l'interdiction des mariages mixtes s'étend jusqu'à l'invalidation de ceux qui sont contractés à l'étranger.
2.4. La montée des tensions interraciales (1960-1979)
Nelson MandelaNelson Mandela
En 1960, une révolte des Noirs contre le système des passeports intérieurs est réprimée dans le sang et débouche sur le massacre de Sharpeville. Renforçant alors sa politique répressive, le gouvernement interdit, le 8 juin 1960, les mouvements d'opposition à l'apartheid nés dans les années 1950 sous l'influence de l'Congrès national africain (African National Congress , né en 1912) dont le président Albert Luthuli reçoit le prix Nobel de la paix, ou d'autres mouvements comme le Pan African Congress (PAC).
« Soweto vit, l'apart-haine tue »« Soweto vit, l'apart-haine tue »
Face à l'inflexibilité du pouvoir blanc, la lutte s'intensifie : une branche armée clandestine de l'ANC est créée en décembre 1961. Nelson Mandela, l'un de ses dirigeants les plus influents, est arrêté en 1962 et condamné à la prison à perpétuité en 1964.
Entre-temps, l'Union sud-africaine s'est retirée du Commonwealth, qui avait condamné l'apartheid, et la République d'Afrique du Sud a été proclamée le 31 mai 1961. À partir de 1975, le mouvement SWAPO développe son action pour obtenir l’indépendance de la Namibie. Enfin, en 1976, de violentes émeutes éclatent à Soweto et dans d'autres townships, qui provoquent la mort de 400 personnes.
3. Vers la fin de l'apartheid (1991)
3.1. Des signes d’apaisement (1979-1985)
Sous l'effet d'une très active opposition intérieure et des pressions de la communauté internationale, les gouvernements qui se succèdent sous la présidence de Pieter Willem Botha (1978-1989) légalisent les syndicats noirs en 1979, autorisent les partis politiques multiraciaux en 1985, suppriment les quotas appliqués par les industries afin de limiter le nombre de travailleurs noirs, ainsi que la loi interdisant les mariages mixtes.
3.2. Les insuffisances de la détente (1985-1989)
Ces mesures, cependant, ne parviennent pas à contenir les mouvements de protestation des Noirs contre le régime. Pour mettre fin aux violences envers les policiers et les Noirs qui coopèrent avec les Blancs, ainsi qu'entre membres de groupes politiques ou ethnolinguistiques rivaux – essentiellement zoulous –, le gouvernement impose l'état d'urgence sur l'ensemble du territoire entre septembre 1984 et juin 1986. Le président Botha reconnaît néanmoins que le concept d’apartheid est dépassé.
L'année 1985 est marquée par de graves émeutes dans les townships (notamment à Crossroads, en mars 1985). Peu après (janvier 1986), Botha est amené à annoncer la fin de l'apartheid pour apaiser les esprits. La même année disparaissent les laissez-passer réglementant les mouvements d'immigration vers les villes.
Frederik De KlerkFrederik De Klerk
En 1987, le gouvernement propose un remaniement du Group Areas Act, loi qui était à l'origine de la ségrégation raciale dans les zones urbaines. Mais la nouvelle Constitution refuse toujours le droit de vote à la majorité noire lors des élections nationales, et n'accorde que des droits limités aux métis et aux Indiens.
3.3. La fin de l’apartheid (1991)
En 1989, Botha démissionne de la présidence et cède la place à Frederik Willem De Klerk qui fait libérer Mandela (février 1990), légalise l'ANC et fait abolir l'apartheid par le Parlement (juin 1991). Dans l’intervalle, le 21 mars 1990, a été proclamée l’indépendance de la Namibie, dirigée par la SWAPO. Malgré les affrontements violents entre l'ANC et les Zoulous de l'Inkatha, animés par Mangosuthu Buthelezi, et la résistance des milieux blancs extrémistes, une nouvelle Constitution est adoptée en décembre 1993. Pour assurer la transition, on y propose la formation d'un gouvernement d'union nationale regroupant les représentants des principaux partis.
3.4. Mandela président (1994)
Les premières élections multiraciales et démocratiques d'avril 1994, auxquelles l'Inkatha, après avoir longtemps hésité, accepte finalement de participer, assurent la victoire de l'ANC, avec 60 % des suffrages, sur 27 partis en lice. Le NAtional Party de Frederik De Klerk est la deuxième force du pays (20 %), ralliant non seulement la majorité des Blancs, mais aussi celle des lndiens et des métis. Buthelezi garde le contrôle du Natal, fief des Zoulous.
Le 9 mai, les 400 députés du nouveau Parlement portent Mandela à la présidence de la République, Thabo Mbeki et F. De Klerk devenant vice-présidents. L'apartheid est alors définitivement enterré. Mais la stabilité du pays reste menacée par l’épidémie de sida, de très grands écarts de fortune et de fortes tensions sociales et inter-ethniques.
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LA RUSSIE - HISTOIRE |
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Russie : histoire
1. Les origines
1.1. La lente migration des Slaves de l'Est
Des données archéologiques, ethnographiques ou linguistiques permettent de faire remonter à la fin du Ier millénaire avant J.-C. la migration des Slaves vers les régions qui constituent actuellement la Russie centrale (forêts et marécages de la haute Volga et du haut Dniepr), régions à peine habitées par des peuples de souche finnoise.
Après l'effondrement de l'empire des Huns au ve siècle après J.-C., ces Slaves de l'Est descendent vers le sud-est en direction de la mer Noire. Dans les plaines du Sud, ils recueillent les vestiges de civilisations plus évoluées, véhiculées par les nomades venus d'Asie, les Scythes (viiie-ier siècle avant J.-C.) et les Sarmates (du iiie siècle avant J.-C.-iie siècle avant J.-C. jusqu'à l'invasion des Goths au iiie siècle après J.-C.).
Ils entrent en relations avec les Khazars (peuple turque établi aux viie-viiie siècles dans les steppes entre le Don et le Dniepr et en Crimée), et avec les Bulgares de la Volga et de la Kama, également des tribus turques. Ils sont aussi en contact avec les Bulgares des Balkans et les Byzantins.
Les migrations des Slaves de l'Est au cours des premiers siècles de l'ère chrétienne et leur organisation demeurent mal connues. La Chronique des temps passés (ou Chronique de Nestor) fait allusion à l'existence de peuples slaves portant au ixe siècle divers noms de tribus. Il semble que, dès cette époque, une organisation de type féodal se soit superposée aux formes anciennes de vie communautaire : des chefs ou des princes (kniaz) recrutent à leur service des compagnons d'armes (droujina). Des bourgs slaves ou cités fortifiées (parmi lesquelles Kiev, Smolensk et Novgorod sont les plus importantes) jalonnent les voies fluviales de la vaste plaine comprise entre la Baltique et la mer Noire.
1.2. Soumis aux Khazars ou aux Varègues
Aux viiie-ixe siècles, les peuples slaves de la steppe paient tribut aux Khazars et ceux du Nord subissent la pénétration des Varègues. Ces Normands, qui soumettent au tribut les cités slaves ou se louent à elles comme mercenaires, deviennent les maîtres des deux grandes voies du Dniepr et de la Volga, par lesquelles s'effectue le commerce entre Baltique et mer Noire. Les Varègues fournissent aux Slaves de l'Est leur première dynastie, les Riourikides.
2. L'État de Kiev (ixe-xiie siècle)
2.1. Le règne d'Oleg (882-912) et les premiers contacts avec Byzance
L'État de Kiev
Selon la Chronique des temps passés, Oleg, prince de Novgorod, se serait établi à Kiev en 882. Considéré comme le véritable fondateur de l'État russe, il réunit le Nord et le Sud en un bloc politique unique et, à partir de Kiev, rassemble toutes les tribus des Slaves de l'Est sous son autorité, processus que poursuivront ses successeurs, les grands-princes de Kiev, jusqu'au milieu du xie siècle.
L'État de Kiev représente à ses débuts une force militaire très fruste qui établit des relations fécondes avec Byzance. Dans l'alternance des guerres et des échanges pacifiques codifiés par les traités commerciaux de 907-911, 945 et 971, la culture byzantine se répand en Russie.
2.2. Le « baptême de la Russie »
Le christianisme y pénètre, favorisé par certains princes ou combattu par d'autres, parmi lesquels Sviatoslav (945-972 ou 973), prince normand resté païen. Il l'emporte avec Vladimir (vers 980-1015), qui impose à ses sujets « le baptême de la Russie » vers 988-989.
Kiev reçoit de la Bulgarie ses cadres ecclésiastiques, ses livres saints et la liturgie slavonne. L'Église favorise l'unification des Slaves de l'Est et le rassemblement de leurs territoires sous l'égide des grands-princes de Kiev.
Sous Iaroslav le Sage (1019-1054), grand bâtisseur et législateur, la Russie kiévienne connaît une brillante civilisation. Sa victoire sur les Petchenègues (1036) met un terme aux incursions des nomades, qui reprendront avec l'apparition des Coumans ou Polovtses (vers 1054).
2.3. Le morcellement de l'État de Kiev
Les luttes sanglantes entre les princes des diverses régions, qui briguent le siège de Kiev où réside le grand-prince, provoquent parfois l'intervention des nomades, sous les coups desquels l'État de Kiev se décompose. L'insécurité des régions méridionales pousse une partie de la population à émigrer vers l'ouest (→ Galicie et Volhynie) ou vers le nord-est, où se développe la principauté de Rostov-Souzdal.
Novgorod, qui colonise les vastes territoires du Nord, profite aussi du déclin de Kiev, dont elle se rend indépendante en 1136. Le morcellement de la Russie kiévienne, que Vladimir Monomaque (1113-1125) réussit à freiner, reprend après sa mort. Il aboutit dans la seconde moitié du xiie siècle à la constitution de principautés indépendantes, elles-mêmes divisées en principautés apanagées (oudely).
Pour en savoir plus, voir l'article État de Kiev.
3. La Russie de Vladimir-Souzdal et le joug mongol (xiie-xve siècle)
3.1. Kiev évincé par Vladimir
Les princes de Rostov-Souzdal, Iouri Dolgorouki (vers 1125-1157) et André Bogolioubski (1157-1174), obtiennent le siège de Kiev au terme de luttes dynastiques qui finissent par être fatales à Kiev. En 1169, André Bogolioubski pille la ville et la délaisse pour résider à Vladimir. Son frère Vsevolod le Grand Nid (1176-1212) prend le titre de grand-prince de Vladimir. La principauté de Vladimir-Souzdal va devenir le centre du second État russe.
3.2. Constitution de la nation grand-russienne
Dans ces régions de forêts et de marais entre Oka et Volga, les colons russes se mêlent aux autochtones finnois pour constituer la nation grand-russienne (xiie-xve siècles). Cette Russie du Nord-Est demeure à l'écart des grandes voies du commerce international, bien que la Volga la relie à la Caspienne et à l'Orient. Les villes n'y jouent plus le rôle économique et politique privilégié qu'elles détenaient dans l'État de Kiev. L'assemblée municipale, ou vetche, ne conserve de pouvoir étendu qu'à Pskov et Novgorod, grandes cités marchandes libres assurant le commerce avec l'Occident. Les princes de Vladimir-Souzdal parviennent à établir un pouvoir princier fort et à soumettre les boyards (nobles), leurs vassaux.
3.3. L'invasion mongole
Au xiiie siècle, les principautés russes, affaiblies par leur morcellement dû à la multiplication des fiefs sont menacées de toutes parts.
À l'est, sur la Kalka, fleuve côtier de la mer d'Azov, les princes de la Russie méridionale (Kiev, Galicie, Volhynie), alliés aux Polovtses (nom donné par les Russes aux Coumans, peuple turc), sont écrasés, en 1223, par un détachement mongol qui se replie en Mongolie. Durant l'hiver 1236-1237, la grande armée mongole détruit le royaume des Bulgares de la Kama et de la Volga. Commandée par Batu Khan (petit-fils de Gengis Khan) elle s'empare de Riazan et ravage les principautés de Vladimir (1238), de Tchernigov et de Kiev (1240).
3.4. La menace germanique et suédoise
À l'ouest, Novgorod et Pskov, qui, avec Smolensk, sont les seules à échapper à l'invasion mongole, doivent se défendre contre les attaques des Suédois, des ordres germaniques et des Lituaniens. En 1240, les Suédois s'engagent contre le prince de Novgorod, Alexandre. Le 15 juillet 1240, la victoire des Russes sur la Neva vaut à leur prince Alexandre le surnom de « Nevski ». Toujours en 1240, les Porte-Glaive (ordre fondé en 1202 par les seigneurs allemands de Livonie et les Chevaliers teutoniques) réussissent à s'emparer de Pskov et menacent Novgorod.
Alexandre Nevski organise la lutte, reprend Pskov en 1242 et avance sur le territoire des Tchoudes (Estonie). Le 5 avril, une grande bataille se déroule sur la glace du lac des Tchoudes : les Russes se battent « comme des lions », les chevaliers Teutoniques sont exterminés. Mais les ordres livoniens porteront leurs attaques incessantes contre Pskov jusqu'au xve siècle.
Sous la pression des menaces germanique et mongole, Polotsk et la région du Pripiat s'unissent au grand-duché de Lituanie au milieu du xiiie siècle. Celui-ci s'étendra au milieu du xive siècle sur un vaste territoire allant de la Baltique à la mer Noire.
Au milieu du xive siècle, la Galicie tombe sous la domination polonaise.
Au sein de ces régions du Sud et de l'Ouest, se précise à partir du xive siècle la différenciation entre Biélorusses, Petits-Russes ou Ukrainiens et Grands-Russiens des régions du Nord-Est.
3.5. La Russie sous le long joug mongol
Après les destructions et les massacres de la conquête mongole, la Russie centrale se trouve pour plusieurs siècles sous le joug mongol (ou tatar).
Le protectorat de la Horde d'Or sur les principautés russes contraint les princes à faire confirmer leur pouvoir par un iarlyk (charte selon laquelle la Horde d'Or régit l'administration de la « terre russe » par l'intermédiaire des princes) octroyé par la Horde. Les princes de Vladimir, dont les prérogatives sont contestées par leurs rivaux de Tver, de Riazan, puis de Moscou, obtiennent le iarlyk de grands-princes. La population est soumise à un lourd tribut annuel (vykhod) et fournit à la Horde des contingents militaires. Seul le clergé est exempté de toute charge, et la Horde, même après son islamisation, se montre tout à fait tolérante envers l'Église.
En 1380, le prince de Moscou, Dimitri Donskoï, refuse de payer le tribut à la Horde et remporte sur les Mongols la bataille de Koulikovo. Cependant, le khan Tuktamich saccage Moscou et Vladimir en 1382 et impose de nouveau le joug mongol sur la Russie.
Le morcellement de la Horde d'Or en plusieurs khanats (Kazan, Astrakhan, Crimée, Sibérie) dans la première moitié du xve siècle et la consolidation de la puissance moscovite permettront à Ivan III de libérer définitivement la Russie de la suzeraineté mongole (1480).
La domination tatare a coupé la Russie de l'Occident et de la Méditerranée, encore que, bien avant la conquête mongole, les relations entre l'État de Kiev et Byzance soient devenues très précaires. Les historiens considèrent, en général, la domination mongole comme la cause essentielle du retard économique et social de la Russie sur l'Europe occidentale.
Pour en savoir plus, voir les articles Mongols, Tatars.
4. L'ascension de l'État moscovite (xve-xvie siècles)
4.1. Moscou « troisième Rome »
La MoscovieLa Moscovie
Moscou, centre d'une petite principauté confiée à Daniel Nevski (1276-1303), acquiert au cours du xive siècle la suprématie sur les autres principautés russes.
L'Église favorise cette ascension : le métropolite, qui résidait à Vladimir depuis la chute de Kiev, s'établit à Moscou en 1326. Dimitri Donskoï (1362-1389) assure la primauté de Moscou sur les principautés rivales de Tver et de Souzdal (1375) et engage la lutte contre les Mongols.
Vassili Ier (1389-1425) agrandit le domaine moscovite en acquérant Mourom et Nijni-Novgorod. Vassili II (1425-1462) affermit son pouvoir au terme d'une lutte longue et cruelle contre ses rivaux et les princes apanagés. Il refuse l'union avec Rome conclue à Florence (1439) et fait arrêter le métropolite Isidore. L'Église russe devient indépendante de Constantinople et, après 1453, Moscou prétend devenir la « troisième Rome », la nouvelle capitale de la chrétienté. En 1589, lors de la visite du patriarche de Constantinople, la métropole de Moscou sera érigée en patriarcat.
4.2. Le rassemblement des terres russes
Ivan III (1462-1505), en soumettant Novgorod (1478) et Tver (1485), poursuit le rassemblement des terres russes, que parachève Vassili III (1505-1533) par la réunion de Pskov (1510), Smolensk (1514) et Riazan (1521). Ivan III, qui adopte le titre d'autocrate (samoderjets), revendique l'héritage de Byzance. Il organise un État puissant et centralisé et soumet la Russie à un système administratif et judiciaire unique (Soudebnik ou Code de 1497).
4.3. L'État moscovite : autocratie, centralisation, expansion et modernisation
Ivan IV le Terrible
L'État moscovite connaît au xvie siècle un apogée fondé sur les principes d'autocratie, de centralisation, d'expansion et de modernisation. Si Ivan III a adopté le titre de « souverain de toute la Russie » après avoir détruit la Horde d'Or, Ivan IV (1533-1584) se fait proclamer tsar en 1547. Il poursuit la reconquête sur les Tatars musulmans en annexant les khanats de Kazan (→ Tatars de Kazan, 1552) et d'Astrakhan (1556), mais la Crimée (Tatars de Crimée), vassalisée par les Ottomans, demeure redoutable (raid contre Moscou de 1571).
L'expansion vers l'est (entreprises des Stroganov, expédition de Iermak en Sibérie, 1582) est poursuivie parallèlement à la lente progression vers le sud. Aux confins méridionaux des États moscovite et polono-lituanien sont établies les communautés cosaques, grossies par l'afflux des paysans fuyant les contraintes du servage .
5. Les troubles et la reconstruction des premiers Romanov (fin xvie-xviie siècle)
5.1. L'extinction des Riourikides
Boris Godounov
La fin du règne d'Ivan IV est marquée par le régime de terreur perpétué, de 1565 à 1572 par l'opritchnina (sorte de police à laquelle tout est permis), par l'aggravation de la condition paysanne et les revers de la guerre de Livonie (1558-1583), au terme de laquelle les Suédois occupent l'Ingrie et la Carélie. La mort de Fédor Ier (1598), entraînant l'extinction de la dynastie riourikide, survient dans ces conditions désastreuses qu'aggravent encore plusieurs récoltes catastrophiques pendant le règne de Boris Godounov (1598-1605).
5.2. Le temps des troubles (1605-1613)
Durant le temps des troubles, la crise politique (apparition des deux usurpateurs, les « Faux Dimitri », l'Imposteur et le Brigand de Touchino) se joint à la ruine de l'économie. Suédois et Polonais interviennent, mais ces derniers sont chassés de Moscou en 1612 grâce à un sursaut national, populaire et religieux de la levée en masse dirigée par Minine et le prince Pojarski.
Michel Fedorovitch Romanov est élu tsar par le zemski sobor (« assemblée de la terre ») de 1613, mais le roi de Pologne, Ladislas IV Vasa, ne renoncera qu'en 1634 à ses prétentions au trône de Russie.
5.3. Les premiers Romanov et l'ouverture vers l'Occident
Michel Fedorovitch
L'œuvre de reconstruction entreprise par les premiers Romanov (Michel Fedorovitch [1613-1645] et Alexis Mikhaïlovitch [1645-1676]) s'accomplit dans le cadre de structures administratives et économiques demeurées archaïques.
Le xviie siècle russe est cependant marqué par une plus grande ouverture vers l'Occident et par certaines innovations violemment combattues par les tenants de la tradition. Quelques relations avec l'Occident s'étaient déjà nouées depuis qu'Ivan III avait fait venir des techniciens et artistes italiens pour la reconstruction du Kremlin et qu'Ivan IV avait fondé le port d'Arkhangelsk sur la mer Blanche pour commercer avec les Anglais principalement.
Au xviie siècle, l'introduction de techniques modernes entraîne un afflux de techniciens étrangers, civils ou militaires, à Moscou et dans la région de Toula où se développent la métallurgie et la fabrication du matériel d'artillerie.
Alexis Mikhaïlovitch
La modernisation est d'autant plus nécessaire qu'Alexis Mikhaïlovitch se lance dans une grande politique d'expansion : à l'est, les Moscovites atteignent le Pacifique nord et la vallée de l'Amour. À l'ouest, la réunion de l'Ukraine orientale à la Russie (1654), grâce à l'accord conclu avec l'hetman cosaque Bogdan Khmelnitski, entraîne une longue guerre à l'issue de laquelle le traité d'Androussovo (1667) confirme le partage de l'Ukraine entre la Russie et la Pologne selon une frontière qui restera stable pour plus d'un siècle.
5.4. Le schisme (ou raskol) et les vieux-croyants
L'Église participe à l'œuvre de redressement entreprise par les premiers Romanov, mais les réformes du patriarche Nikon (1652-1667) se heurtent à l'opposition des traditionalistes et de leur chef Avvakoum. Leur condamnation comme hérétiques par le concile de 1666-1667 est à l'origine du schisme ou raskol.
Les vieux-croyants, établis dans la vallée de la Volga et dans les régions de colonisation récente (Oural, Sibérie, littoral de la mer Blanche ou steppes méridionales), constitueront une minorité importante (quelques millions au début du xxe siècle) se distinguant par son rigorisme moral et son esprit d'entreprise.
6. L'évolution sociale (xve-xviie siècle)
Les boyards, dont Ivan IV brise la puissance, les hommes de service (dvorianine), qui constituent le principal appui du pouvoir central, et les ecclésiastiques renoncent peu à peu à leur indépendance et obtiennent en contrepartie la libre disposition de leurs terres (domaine patrimonial ou votchina et terre de service ou pomestie) et des hommes qui les habitent.
6.1. Le développement du servage et le Code de 1649
Ainsi le servage se développe-t-il à partir du xve siècle à coup de faveurs individuelles puis de mesures d'ensemble. La proclamation, à partir de 1581, « d'années interdites » pendant lesquelles les paysans ne peuvent pas changer de maître le jour de la Saint-Jean (Iouriev den) renforce l'asservissement paysan. Enfin, le Code de 1649 (Oulojenie) fait du servage une institution.
Cette paysannerie asservie de la Russie centrale alimente l'émigration, grâce à laquelle, malgré les poursuites des autorités, se reconstitue au-delà de la Volga, en Sibérie, dans l'Oural ou sur le littoral de la mer Blanche (Pomorie) une paysannerie libre. Les commerçants et les artisans sont eux aussi fixés autoritairement à leurs faubourgs (possad) par le Code de 1649. Seule une minorité de gros marchands (gost) constituent une catégorie privilégiée influente, protégée de la concurrence étrangère par le statut de 1667.
6.2. Émeutes et jacqueries
La fixation autoritaire des couches inférieures de la société rurale et citadine provoque des émeutes urbaines et des jacqueries, dont les plus graves sont celle de Bolotnikov, qui assiège Moscou en 1606, et celle de l'ataman cosaque Stenka Razine, qui enflamme la région de la Volga (1670-1671).
7. L'Empire russe des despotes éclairés du xviiie siècle
7.1. Pierre le Grand (1682-1725)
La formation de l'Empire russe
La formation de l'Empire russe Pierre Ier le Grand
Pierre le Grand , au retour de son voyage en Occident de 1697-1698, entreprend de transformer la Russie. Il organise une flotte et une armée régulière en introduisant la conscription (1705) ; grâce à ces forces, il acquiert, à l'issue de la guerre du Nord (1700-1721), une fenêtre sur la Baltique, où il fait construire la nouvelle capitale, Saint-Pétersbourg.
Pierre le Grand réforme les institutions en abolissant la douma des boyards (conseil consultatif), en créant huit gouvernements (1708), le Sénat (1711) et les collèges spécialisés (1717-1718), et en se proclamant empereur de Russie (1721). Il soumet l'Église à l'État et confie sa direction au saint-synode (collège spirituel remplaçant le patriarcat). Il crée des écoles, des académies et des instituts afin d'assurer une éducation sécularisée et occidentalisée aux nobles astreints au service permanent de l'État.
Malgré les problèmes de succession qui se posent après sa mort et les excès du « règne des Allemands » (ou bironovchtchina) sous Anna Ivanovna (1730-1740), l'œuvre de Pierre le Grand n'est pas remise en cause.
7.2. Élisabeth (1741-1762) et l'influence française
Sous Élisabeth, les troupes russes engagées dans la guerre de Sept Ans (1756-1763) occupent Berlin (1760), mais Pierre III restitue à Frédéric II leurs conquêtes.
L'alliance conclue avec la France durant cette guerre favorise l'influence française, qui, jointe aux autres influences occidentales et au dynamisme russe, contribue au développement culturel que stimulent de nouvelles institutions : l'Académie des sciences (1725), l'université de Moscou (1755) et l'Académie des beaux-arts (1758). À la fin du xviiie siècle, une nouvelle intelligentsia applique aux réalités russes les méthodes du rationalisme occidental.
7.3. Catherine II (1762-1796)
Catherine II la Grande
Catherine II a les moyens de mener une politique d'expansion et de prestige, destinée à faire admettre la Russie au rang des grandes puissances européennes. Ses troupes, victorieuses des Ottomans, occupent la Crimée (1771). Au traité de Kutchuk-Kaïnardji (1774), la Russie obtient un accès à la mer Noire, puis elle annexe la Biélorussie, l'Ukraine occidentale et la Lituanie à l'issue des trois partages successifs de la Pologne (1772, 1793, 1795).
7.4. Les transformations de la Russie au xviiie siècle
Les transformations de la Russie du xviiie siècle s'accomplissent dans le cadre d'une structure sociale ancienne au service d'un État absolutiste modernisé. En effet, de Pierre le Grand à Catherine II, la législation a étendu l'autorité des propriétaires sur les serfs, assujettis à la corvée (barchtchina) ou payant une redevance en argent (obrok) et soumis à la capitation créée en 1724.
Catherine II a étendu le servage en l'introduisant en Nouvelle-Russie et en allouant à des nobles des vastes domaines « habités ». Cependant, les « paysans de l'État » représentent 43 % de la population rurale et le servage ne domine que dans les régions centrales. Pierre le Grand n'a pu développer l'industrie nationale (200 manufactures fonctionnent dans le premier quart du xviiie siècle) qu'en ayant recours au travail servile.
Bien qu'elle conserve un retard certain sur celle de l'Occident contemporain, l'industrie russe connaît un grand essor à la fin du xviiie siècle (métallurgie de l'Oural, textile de la région d'Ivanovo).
Le renforcement du servage est d'autant plus mal supporté que la noblesse – astreinte au service de l'État et soumise à une hiérarchie unique liée au service (la Table des rangs ou tchin, 1722) – a été libérée de l'obligation de servir par Pierre III. Aussi la révolte cosaque de Pougatchev (1773-1774) se transforme-t-elle en une véritable insurrection populaire que rallient les ouvriers de l'Oural, les Bachkirs et les paysans de la Volga. À l'opposé, la Charte de 1785 confirme à la noblesse les privilèges qu'elle conservera jusqu'en 1861.
Quant aux citadins, ils ne représentent que 4 % de la population au recensement de 1796, malgré les efforts des souverains pour développer une classe moyenne entreprenante : privilège des mines (1719), règlement du collège des manufactures (1723), abolition des douanes intérieures (1753-1754), règlement des villes (1785) qui divise la population urbaine en petits-bourgeois (mechtchane), soumis comme les paysans à la capitation, et en marchands (kouptsy).
La société est ainsi compartimentée en soslovie (ordres ou classes) : la noblesse, les paysans, les petits-bourgeois, les marchands, le clergé, les cosaques et les allogènes ou inorodtsy (autochtones de Sibérie ou des steppes de l'Eurasie, Juifs des régions méridionales ou occidentales récemment annexées).
8. Autocratie, nationalisme et expansion territoriale (première moitié du xixe siècle)
8.1. Autocratie et servage
Alexandre I er (1801-1825) déclare gouverner « selon la loi et le cœur de Catherine II ». L'autocratie et le servage cependant demeurent. Un oukase (décret) de 1803 permet aux serfs de se libérer en rachetant leur terre ; or le projet ne sera pratiquement pas appliqué. Alexandre I er forme avec quatre de ses amis un Comité secret. Leurs idées et leurs intentions sont généreuses (ils sont partisans de la libération des serfs), mais elles sont jugées prématurées et inapplicables.
Conseillé par Mikhaïl Speranski, le tsar institue un Conseil d'État, qui ne restera, cependant, qu'un organe consultatif. Speranski, jugé dangereux pour ses idées avancées, tombe en disgrâce en 1812. Le régime d'Araktcheïev s'établit dans le pays : la Russie se couvre de colonies militaires, et toutes les idées avancées sont censurées. Pouchkine est exilé, et les meilleurs professeurs sont renvoyés de l'Université. L'intelligentsia se tourne vers l'opposition politique.
8.2. L'expansion territoriale
L'Empire russe poursuit son expansion, atteignant des proportions considérables : la Finlande a été annexée en 1809, la Géorgie orientale à partir de 1801. En 1812, la Bessarabie lui est attribuée par le traité de Bucarest.
Après avoir participé aux coalitions contre Napoléon (1805-1807) et s'être résigné à une paix honorable à Tilsit (→ traités de Tilsit, 1807), Alexandre Ier engage en 1812 la « grande guerre patriotique » contre l'envahisseur. Le 24 juin 1812, les troupes françaises traversent le Niémen. Un élan patriotique s'empare du peuple et de la jeune noblesse russes, qui organisent la lutte. En août, le feld-maréchal Koutouzov décide de livrer bataille à Napoléon à Borodino, à 100 km de Moscou (→ bataille de la Moskova, 7 septembre), mais il doit reculer. Le 14, Napoléon est au Kremlin, et Moscou brûle. Koutouzov barre la route de Kalouga à Napoléon, qui est obligé de reprendre la route de Smolensk. L'armée française est détruite au passage de la Berezina. La France capitule en 1814.
Les armées russes, victorieuses, libèrent l'Europe, dont le congrès de Vienne fixe la nouvelle organisation. Alexandre Ier conclut avec l'empereur d'Autriche et le roi de Prusse la Sainte-Alliance (1815), qui doit assurer la sécurité collective de l'Europe en conformité avec les principes du christianisme.
Pour en savoir plus, voir l'article campagne de Russie.
Alexandre Ier tente de dominer la Pologne en la partageant à nouveau (→ congrès de Vienne, 1815) et reconstitue un royaume de Pologne, ou « royaume du Congrès », définitivement uni à l'Empire. En 1828, les Russes reçoivent le nord de l'Azerbaïdjan, l'est de l'Arménie et le Daguestan (la frontière avec l'Iran est fixée par les traités de Gioulistan ou de Gulistan [1813] et de Turkmantchaï [1828]). En 1846, le Kazakhstan est rattaché à la Russie, à l'exception de Boukhara, de Khiva et de Kokand. En Extrême-Orient, Sakhaline est occupée à partir des années 1850.
8.3. Le soulèvement des décabristes (décembre 1825)
L'opinion libérale s'élève contre le pouvoir autocratique et le servage et réclame, autant que la censure lui permet de le faire, l'instauration d'un régime constitutionnel. Les jeunes officiers qui ont parcouru l'Europe avec les armées coalisées souffrent du contraste qui existe entre le prestige militaire de l'Empire russe et l'archaïsme des institutions politiques et sociales. Organisés en sociétés secrètes (l'Union du salut fondée en 1816, la Société du Sud crée en Ukraine par le colonel Pestel, et la Société du Nord à Saint-Pétersbourg), les officiers tentent un « putsch » en décembre 1825 pour obtenir une Constitution.
Le 26 décembre 1825, 3 000 soldats mutins conduits par les frères Bestoujev se retrouvent sur la place du Sénat mais leur manœuvre est freinée par les indécisions et les défections. Le peuple prend parti pour les mutins. La situation est critique, et Nicolas Ier (1825-1855) ordonne de tirer au canon sur la foule. La répression est sévère : cinq « décabristes » sont exécutés, et plus de cent sont envoyés au bagne en Sibérie.
La portée historique du mouvement est très importante. « Les canons de la place Isaak ont réveillé toute une génération » écrira le penseur et le publiciste Herzen.
Pour en savoir plus, voir l'article décabristes.
8.4. L'intelligentsia révolutionnaire
L'intelligentsia, formée par les intellectuels qui, à la sortie de l'université, n'entrent pas au service de l'État, se constitue dans les années 1830-1840 en couche sociale distincte qui a pour mission de transformer la société.
Alors que le tsar lance sa « théorie du nationalisme officiel » avec sa formule « orthodoxie, autocratie, nationalisme » et dénigre l'Occident « pourri et athée », s'élève la voix des inspirateurs de la jeunesse révolutionnaire tels que Herzen et Belinski.
Tous deux sont partisans de la transformation de la société par la révolution. L'intelligentsia, imprégnée de philosophie allemande, débat de l'avenir de la Russie et se partage en deux clans : les occidentalistes, qui souhaitent une réforme progressive par une démocratie bourgeoise, à l'image de l'Occident (Kaveline, Granovski, Botkine, Annenkov) et les slavophiles, qui sont libéraux, mais monarchistes, et qui voient le salut du peuple russe dans un retour aux valeurs slaves – l'orthodoxie, le mir (les frères Kireïevski, les Aksakov, Khomiakov, Samarine). Les slavophiles inciteront à une croisade pour la libération des Balkans et la reconquête de Constantinople, et animeront le panslavisme.
En 1848, les occidentalistes se divisent en démocrates révolutionnaires et en libéraux. Un autre cercle naît, celui de Mikhaïl Petrachevski, traducteur au ministère des Affaires étrangères et adepte de Fourier. Dominé par des idées révolutionnaires démocratiques et socialistes utopiques, le cercle de Petrachevski attire, lors de ses réunions hebdomadaires, des membres de l'intelligentsia progressiste, notamment Dostoïevski, Saltykov-Chtchedrine, ainsi que le poète Alexeï Plechtcheïev. Le cercle est dissous en 1849 : Petrachevski et ses amis sont condamnés à mort, puis graciés et envoyés au bagne en Sibérie.
En 1846, à l'instigation du poète ukrainien Tarass Chevtchenko est fondée à Kiev la Société de Cyrille-et-Méthode pour la libération nationale et sociale. D'autres sociétés secrètes se forment en Lituanie, en Estonie, en Géorgie, en Azerbaïdjan, en Arménie et au Kazakhstan.
8.5. La politique extérieure de Nicolas Ier
De 1820 à 1850, la politique extérieure de Nicolas Ier est dominée par le danger de la révolution et par la question d'Orient.
Secondé par Nesselrode, son ministre des Affaires étrangères, Nicolas Ier se consacre au maintien de l'ordre et de l'équilibre européen : il écrase la révolution polonaise (1831), proclame le royaume de Pologne « partie indivise de l'Empire russe » (1832) et se porte au secours de l'empereur d'Autriche François-Joseph Ier lors de l'insurrection hongroise.
→ révolutions européennes de 1848.
La guerre russo-turque de 1828-1829 a donné l'estuaire du Danube et le littoral oriental de la mer Noire à la Russie. En 1833, un traité d'amitié consolide les relations entre les deux pays. Le tsar veut porter son influence dans les Balkans et s'entendre avec l'Angleterre. Mais Napoléon III fait rompre le traité d'amitié.
La guerre de Crimée est déclarée en février 1854 ; elle durera jusqu'à l'automne 1855. La Russie, techniquement et économiquement plus faible, doit faire face aux attaques sur les côtes de la Baltique, de la mer Blanche et de l'Océan pacifique. Le siège de Sébastopol durera plus d'un an. Nicolas er meurt au début de 1855. Les amiraux Kornilov, Nakhimov et Istomine organisent une défense héroïque de la ville, mais les Français s'emparent du tertre de Malakoff, poussant les Russes à abandonner. Le traité de Paris de 1856 interdit à la Russie toute flotte de guerre et toute forteresse sur la mer Noire et lui enlève son droit de protection sur les peuples des Balkans.
8.6. Le maintien de l'autocratie et du servage
La Russie a modernisé un certain nombre de ses institutions : l'administration centrale a été réformée (organisation des ministères à partir de 1802 et création du Conseil d'État en 1810) ; la codification entreprise par Speranski aboutit à la constitution d'un Recueil complet des lois (1832) ; enfin, l'État a désormais à son service une bureaucratie qualifiée et spécialisée. Mais tant Alexandre Ier, qui est cependant animé par certaines aspirations libérales, que Nicolas Ier, qui s'oppose au développement des tendances libérales en renforçant l'appareil de répression, entendent sauvegarder leur pouvoir autocratique.
Enfin, la modernisation sociale et économique est considérablement freinée par l'existence du servage. Bien que la proportion de serfs par rapport à l'ensemble de la population paysanne s'amenuise – Alexandre Ier a cessé dès son avènement de distribuer aux nobles des terres peuplées de serfs –, elle est encore d'un tiers à la fin du règne de Nicolas Ier. En outre, un ministère des Domaines impériaux, créé en 1837, s'efforce d'améliorer la situation des paysans de l'État.
La révolution industrielle qui s'amorce dans le deuxième quart du xixe siècle souffre du faible pouvoir d'achat et du manque de mobilité de la main-d'œuvre, et de l'imperfection des communications, malgré la construction de canaux et des premières voies ferrées (Moscou-Saint-Pétersbourg, en 1851).
9. La modernisation inachevée d'Alexandre II et le mouvement révolutionnaire (seconde moitié du xixe siècle)
9.1. Les réformes d'Alexandre II
Alexandre IIAlexandre II
Alexandre II (1855-1881) va entreprendre une série de grandes réformes qui « consacrent le déclin du despotisme bureaucratique et de la hiérarchie des ordres et amorcent le passage à un régime moderne de liberté individuelle et d'égalité civile » (R. Philippot).
L'abolition du servage (1861)
Le « Statut des paysans libérés du servage » est signé par le tsar le 3 mars et publié le 17 mars 1861. Le paysan reçoit juridiquement la liberté personnelle ; il a droit à sa maison et ses dépendances. 47 millions de paysans sont libérés ; ils reçoivent le droit d'acheter des biens immobiliers, de se livrer au commerce, à l'industrie et d'intenter des procès.
On concède au paysan une parcelle de terre qui dépend de la communuaté rurale et qu'il doit rembourser en quarante neuf ans (aidé par l'État à 80 %). Mais, en général, celui-ci reçoit un lot de terre insuffisant pour vivre et dont le prix dépasse de beaucoup sa valeur. Le rachat dépend du propriétaire, qui, le plus souvent, fera traîner les choses.
En 1881, un septième des serfs n'aura pas encore pu se libérer définitivement. Beaucoup d'entre eux auront abandonné la terre pour travailler dans les usines. La campagne s'est appauvrie, mais la réforme a profité aux industriels et à la classe marchande.
Les réformes administratives, judiciaires et militaires
En janvier 1864, le « Règlement sur des institutions provinciales » crée les zemtsvos (conseils locaux) dans les gouvernements et les districts. La compétence de ces conseils élus s'étend notamment à la santé publique, à l'éducation, à la voirie et à l'agronomie. Sir leur rôle reste limité, les zemtsvos formeront par la suite une nouvelle classe active (médecins, instituteurs). En 1870 est édicté un « Règlement urbain », qui crée les assemblées municipales.
La réforme des institutions judiciaires de décembre 1864 institue des tribunaux distincts de la police, le jury pour les affaires criminelles et la publicité des débats.
La réforme militaire de 1874 essaie de tirer la leçon de la défaite de Crimée : formation sérieuse des cadres officiers, amélioration technique, sercice militaire obligatoire pour tous porté à 6 ou 7 ans au lieu de 25.
9.2. L'opposition antigouvernementale après la réforme
Une nouvelle classe, celle des « roturiers », apparaît à cette époque. Proche du peuple, elle est issue du clergé, des petits fonctionnaires, de la petite bourgeoisie ou de la noblesse ruinée. L'opposition s'organise.
Venu de l'étranger, le journal politique Kolokol (la Cloche), dirigé par Herzen et par le poète Nikolaï Ogarev paraît en 1857. Le Sovremennik (le Contemporain), dirigé par Nikolaï Tchernychevski et Nikolaï Dobrolioubov, a pour mot d'ordre le renversement radical de tous les rapports féodaux. L'organisation révolutionnaire Terre et Liberté (Zemlia i Volia), liée à la rédaction, à Londres, du Kolokol, réunit des intellectuels radicaux, mais son activité sera éphémère (1861-1864).
Les paysans, déçus par la réforme agraire de 1861, gardent cependant confiance au tsar ; ils rendent responsables de leurs misères les nobles et les propriétaires. Plus de 1 800 émeutes éclatent en 1861. Parallèlement, le mouvement étudiant prend de l'ampleur, à la suite des nouvelles dispositions (1861 et 1871) tendant à réduire les libertés universitaires.
Le terrain devient de plus en plus propice à l'activité clandestine antigouvernementale. Les publications illégales se multiplient : Jeune Russie, publiée à Moscou en 1862, appelle au renversement du régime pour le remplacer par une république sociale et démocratique. Terre et Liberté espère une révolution imminente. La presse démocratique russe soutient les insurrections qui éclatent en 1863 en Pologne, en Lituanie et en Biélorussie. Saltyckov-Chtchedrine continue à lutter dans le Sovremennik et Dmitri Pissariev dans la revue radicale Rousskoïe slovo (la Parole russe), mais ces organes oppositionnels sont définitivement interdits en 1866.
L'attentat manqué contre Alexandre II par l'étudiant Dmitri Karakozov en 1866 provoque une recrudescence de la répression tsariste.
9.3. L'essor du capitalisme et l'industrialisation de la Russie
Les réformes d'Alexandre II ont donné une impulsion définitive au développement du capitalisme en Russie. De 1830 à 1880, la production textile (région de Moscou) est multipliée par quatre et l'extraction de la houille (bassin du Donbass) par huit. La production de pétrole (→ Bakou) s'élève à 10 millions de tonnes. Au centre métallurgique de l'Oural vient s'ajouter celui de l'Ukraine. Enfin, Saint-Pétersbourg est devenu le siège d'importantes usines de constructions métalliques.
L'État mène à bien un effort considérable dans l'extension du réseau ferré, qui, de 1861 à 1880, est passé de 1 500 à 25 000 km. Vers 1880, les grandes entreprises contrôlent la totalité de la production, mais la Russie, sur le plan industriel, reste cependant loin derrière les pays occidentaux.
En trente ans, le commerce extérieur a plus que triplé (on exporte surtout des céréales en dépit de la famine constante de la poulation), et le chiffre d'affaires des entreprises a quadruplé. Le transfert des paysans vers les villes est à l'origine de la formation d'un prolétariat industriel soumis à de dures conditions de travail (salaires très bas, logement médiocre, journée de travail interminable). Le système bancaire s'adapte aux besoins nouveaux d'investissement et de crédit : fondation de la banque d'État (1860) et multiplication des banques d'affaires privées à partir de 1864. Les bénéfices des entreprises, énormes, attirent les industriels occidentaux, qui, de 1880 à 1890, investissent des sommes considérables, surtout dans l'industrie lourde.
La population s'accroît rapidement : en trente ans, elle augmente de sept fois et demie dans les campagnes et double dans les villes. À la fin du xixe siècle, Saint-Pétersbourg atteint 1 500 000 habitants, Moscou 1 000 000, Odessa 400 000, Kiev 250 000 ; la population de Kharkov, Riga, Tiflis varie entre 100 000 et 200 000 habitants. Ces villes sont autant de centres culturels et économiques, mais aussi autant de foyers révolutionnaires.
9.4. La politique extérieure d'Alexandre II
La Russie profite de la guerre franco-allemande de 1870-1871 pour résilier en mars 1871 le traité de Paris. C'est un succès diplomatique, la Russie étant fortement intéressée par les pays balkaniques alors en lutte contre l'Empire ottoman. En 1875, la Bosnie-Herzégovine s'insurge contre la Turquie, puis, en 1876, c'est le tour de la Serbie et du Monténégro.
→ crises et guerres balkaniques.
Soutenue par un élan populaire, la Russie déclare la guerre à la Turquie en avril 1877. À la fin de l'année, les Russes prennent Plevna ; en janvier 1878, ils sont à Sofia, puis ils occupent Philipopoli (aujourd'hui Plovdiv). Le 3 mars, le traité de San Stefano accorde l'indépendance à la Roumanie, à la Serbie et au Monténégro. L'intervention de l'Angleterre et de l'Autriche-Hongrie, aboutit au congrès de Berlin de 1878. La Bulgarie est partagée en trois parties : l'une reste ottomane ; les deux autres sont autonomes. La Russie reçoit le port Batoumi, Kars et la partie de la Bessabarabie qui lui avait enlevée la guerre de Crimée.
9.5. Nihilistes, populistes, naissance du mouvement ouvrier
Bakounine
L'intelligentsia révolutionnaire réagit aux transformations de la Russie soit en se révoltant contre toutes les valeurs acquises (→ nihilisme des années 1860), soit en se mettant au service du peuple (→ populisme des années 1870).
Les populistes veulent construire un socialisme russe original fondé sur le mir paysan (assemblée gérant les affaires villageoises) et l'artel artisanal (association volontaire de travailleurs), et enrayer le développement capitaliste en Russie. Ces intellectuels formeront bientôt trois groupes, dirigés par Bakounine, idéologue de l'anarchisme, Lavrov, pacifiste, Tkatchev, adepte du blanquisme (→ Louis Blanqui). Une nouvelle organisation révolutionnaire Terre et Liberté, formée en 1876-1878 par le socialiste Plekhanov et Aleksandr Mihaïlov, présente aux paysans un programme de réformes qui correspond mieux à leurs besoins.
Les ouvriers, de leur côté, fondent illégalement en 1875, à Odessa, l'Union des ouvriers de la Russie méridionale et, en 1878, à Saint-Pétersbourg, l'Union des ouvriers russes du Nord.
Le mouvement révolutionnaire s'intensifie particulièrement en 1878. En janvier, l'acquittement de la jeune révolutionnaire populiste Vera Zassoulitch, après son attentat contre le gouverneur de Saint-Pétersbourg, reçoit l'approbation populaire. L'échec des militants populistes, qui se heurtent à l'inertie paysanne et à la répression policière, pousse une partie d'entre eux à recourir au terrorisme. Au cours de l'été 1879, Terre et Liberté se scinde en Liberté du peuple (Narodnaïa Volia) et Partage noir (Tchernyï peredel). Le premier groupe organise deux attentats manqués contre Alexandre II. Le gouvernement instaure alors une politique « souple » afin de calmer l'opinion par quelques concessions et d'isoler les révolutionnaires. En vain : le 13 mars 1881, les partisans de Liberté du peuple réussissent à assassiner Alexandre II à Saint-Pétersbourg.
En 1883, Plekhanov crée le groupe Émancipation du travail et les premiers liens s'établissent entre les théoriciens marxistes et le mouvement ouvrier. Des unions de lutte pour la libération de la classe ouvrière sont créées à Saint-Pétersbourg (1895), Moscou, Ivanovo, Kiev, Kharkov et Iekaterinoslav, et elles se fédèrent en un parti ouvrier social démocrate de Russie (POSDR) en 1898.
Le travail d'organisation des sociaux-démocrates est d'autant plus difficile que la répression policière les contraint à la clandestinité, à la déportation ou à l'exil. Le mouvement ouvrier s'organise cependant : grève d'Orekhovo-Zouïevo en 1885, grèves des industries textiles de Saint-Pétersbourg en 1896. La loi de 1897, qui établit à 11 heures 30 le maximum de la journée de travail, marque le véritable début de la législation du travail en Russie. Le prolétariat urbain conserve de nombreux liens avec la campagne et la paysannerie, ce qui rend possible l'organisation des syndicats policiers de Zoubatov (1901-1903) ou du mouvement réformiste du pope Gapon (1904-1905).
10. Les contradictions de l'autocratie et sa chute en 1917
10.1. Un prestige international affaibli
Nicolas II, à son avènement en 1894, se trouve donc placé à la tête d'un empire en pleine mutation. La population de l'empire (Pologne et Finlande comprises) est passée de 76,8 millions en 1863 à 128 millions en 1897 ; elle atteindra 169 millions en 1913. Cette évolution est due au dynamisme démographique et à l'expansion territoriale de la seconde moitié du xixe siècle. En effet, par le traité d'Aigun, la Chine a reconnu à la Russie la possession du territoire de l'Amour (1858) et de la région comprise entre la rive droite de l'Amour, l'Oussouri et le Pacifique (1860).
En Asie centrale, un gouvernement général du Turkestan est organisé en 1867, et le protectorat russe est imposé aux khanats de Boukhara et de Khiva en 1868 et 1873. Celui de Kokand, supprimé en 1876, devient la province de Fergana. Tous ces territoires sont soumis à une administration militaire.
L'empire ainsi constitué est peuplé d'une population fort diverse. Au recensement de 1897, les Russes représentent 44,3 % de la population totale, les Ukrainiens 17,8 %, les diverses populations turques 10,8 %, les Polonais 6,7 %, les Biélorusses 4,7 %, les Juifs 4 %. La politique de russification et de prosélytisme orthodoxe entraîne un renforcement de la conscience nationale des peuples opprimés. Au sein des minorités nationales s'organisent divers mouvements libéraux ou socialistes : organisations sociales-démocrates de Pologne, de Lituanie, du Caucase, Bund juif.
À l'heure du partage du monde entre les puissances impérialistes, la Russie se heurte aux visées britanniques et japonaises en Orient et en Extrême-Orient, et aux visées autrichiennes dans les Balkans. L'alliance avec les Empires allemand et autrichien, conclue en 1881, se décomposant, la Russie doit se rapprocher de la France à partir de 1891. La conclusion de l'alliance franco-russe (1893) permet à la Russie de sortir de l'isolement dans lequel l'a placée la Triplice.
Cependant, les dirigeants ne renonceront définitivement au projet d'une triple alliance continentale germano-franco-russe qu'en 1907, lors du rapprochement avec la Grande-Bretagne. L'alliance franco-russe se maintient malgré la divergence des positions russe et française dans la question d'Orient, la Russie demeurant partisane du partage de l'Empire ottoman auquel la France est opposée, et malgré leurs visées expansionnistes rivales en Extrême-Orient.
La Russie et la France s'entendent d'abord pour freiner l'expansion japonaise en 1895 et étendre leurs zones d'influence en Chine. Puis la Russie se lance dans une politique aventureuse en Mandchourie et en Corée, que la France ne peut freiner.
Après que la flotte russe de Port-Arthur a été attaquée par les Japonais (→ siège de Port-Arthur, février 1904), la France reste neutre durant la guerre russo-japonaise (1904-1905). À l'issue de cette guerre désastreuse pour la Russie, les belligérants acceptent la médiation des États-Unis et signent la paix de Portsmouth (septembre 1905). La Russie règle son contentieux asiatique avec les Britanniques en 1907 et peut alors former avec la France et la Grande-Bretagne la Triple-Entente. Elle cautionne à partir de 1911 les États balkaniques qui s'unissent pour se libérer de la suzeraineté ottomane, puis, après le conflit de 1913 entre ces États, elle soutient les intérêts de la Serbie afin de contrecarrer la politique autrichienne dans les Balkans.
10.2. La révolution de 1905
À l'intérieur, les défaites de la guerre russo-japonaise aggravent la situation du pays, qui vient de subir la crise économique mondiale de 1900-1903. La société entière est en proie à une grande effervescence : l'agitation paysanne se développe à partir de 1902, les grèves ouvrières se multiplient et les attentats terroristes reprennent (assassinat de Plehve et du grand-duc Serge).
Le congrès des zemtsvos, réuni en novembre 1904, réclame la convocation d'une Assemblée nationale constituante. L'agitation constitutionnaliste gagne les milieux paysans et ouvriers et se radicalise après le massacre du Dimanche rouge (9 [22] janvier 1905), qui provoque le déclenchement de la révolution.
Pour en savoir plus, voir l'article révolution russe de 1905.
10.3. La période semi-constitutionnelle (1905-1907)
L'ampleur des grèves et des mutineries oblige Nicolas II à promulguer le manifeste du 17 octobre 1905 garantissant les principales libertés et promettant la réunion d'une douma d'État (assemblée législative) élue au suffrage universel. Des insurrections ouvrières se produisent dans les derniers mois de 1905 dans les grands centres industriels où se sont constitués des soviets (assemblées de députés élus) ouvriers, tandis que des groupes armés d'extrême droite (les Centuries noires) massacrent Juifs et révolutionnaires.
L'ordre est rétabli en janvier 1906 et Nicolas II cherche à limiter les concessions qu'il a dû accorder, en réorganisant le Conseil d'État, dont il fait une chambre haute statuant des projets adoptés par la douma (février-mars 1906), et en promulguant les Lois fondamentales (avril-mai 1906).
Les partis politiques légaux s'organisent conformément à la liberté d'association accordée par le manifeste d'octobre 1905. Ainsi sont créés les partis constitutionnel-démocrate (KD ou Cadets), l'Union du 17 octobre (octobriste), le parti populaire-socialiste défendant le programme travailliste (troudovik) et un certain nombre de partis nationalistes de droite.
Les partis révolutionnaires poursuivent leurs activités illégalement : le POSDR, qui s'est scindé en bolcheviks et en mencheviks après le congrès de Londres (1903), et le parti social-révolutionnaire (SR), d'inspiration populiste, qui a été créé à la fin de 1901. Seuls les SR donnent la consigne de boycott des élections pour la première douma. Le suffrage est universel mais indirect et à représentation inégale selon les nationalités et les classes sociales.
La première douma (avril-juillet 1906) est dominée par les KD (37 %), renforcés par les allogènes (Polonais, Ukrainiens, Baltes et musulmans) ; derrière eux viennent les travaillistes, les SR élus par les paysans malgré les consignes de boycott, et les sociaux-démocrates. Elle débat de la réforme agraire et est dissoute par Nicolas II.
La deuxième douma (février-juin 1907), ayant enregistré une forte montée des socialistes, est dissoute et une nouvelle loi électorale est promulguée en 1907, accroissant fortement l'inégalité au profit des « seigneurs ». Stolypine, ministre de l'Intérieur, mène une politique de répression contre les révolutionnaires. En 1906, il lance une réforme agraire destinée à régler le problème agraire en vingt ans en démantelant la commune rurale et en transformant les paysans en petits propriétaires privés.
10.4. Un climat de fin de règne
Après l'assassinat de Stolypine (1911), Nicolas II ne s'entourera plus que de ministres réactionnaires et peu compétents. La presse dénonce les perpétuels changements de ministres et les relations de la famille impériale avec Raspoutine, dont la débauche est jugée scandaleuse. Malgré le malaise qui atteint toutes les couches de la société à partir de 1911 et la reprise des grèves révolutionnaires, parfois réprimées violemment (fusillade des grévistes des mines d'or de la Lena, en 1912), les milieux politiques acceptent de collaborer avec le pouvoir au début de la Première Guerre mondiale.
Cependant, lors de la grande offensive des forces austro-allemandes qui occupent la Pologne, la Lituanie et la Galicie durant l'été 1915, la société perd confiance dans le gouvernement. Un « bloc progressiste » se constitue au sein de la Douma pour réclamer un « ministère possédant la confiance du pays ». Mais Nicolas II ne cède pas à la pression et prend lui-même le commandement suprême des armées (septembre 1915). L'armée russe subit de lourdes pertes humaines et des bruits divers courent sur les pouvoirs de Raspoutine et la trahison de certaines autorités militaires ou civiles, alors que des complots se trament. La forte augmentation des prix et les difficultés de ravitaillement exaspèrent la population des villes.
10.5. Le soulèvement populaire de février 1917
Les manifestations ouvrières de Petrograd (23-28 février), soutenues par les soldats mutinés, abattent le tsarisme. Nicolas II abdique le 2 mars. Le gouvernement provisoire et les soviets, qui acceptent de coopérer avec lui à partir de mai 1917, ne parviennent pas à régler le problème de la guerre et à répondre aux aspirations des masses populaires. Les bolcheviks, dirigés par Lénine depuis son retour de Suisse (avril 1917), renversent le gouvernement provisoire lors de l'insurrection d'octobre et instaurent le pouvoir des soviets où ils sont majoritaires.
Pour en savoir plus, voir l'article révolution russe de 1917.
11. La genèse de la Russie soviétique
La guerre civile, 1917-1921
L'arrivée au pouvoir des bolcheviks entraîne une radicalisation des oppositions : le musellement rapide de la presse bourgeoise, les décrets sur la terre, sur la paix, la dissolution de l'Assemblée constituante, où les socialistes-révolutionnaires étaient majoritaires, conduisent à la mise en place d'un vaste front hétérogène contre le nouveau pouvoir.
Proclamée le 18 (31) janvier 1918, la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR) devient le principal théâtre, avec l'Ukraine, de la guerre civile qui éclate au printemps.
La vulnérabilité de Petrograd, menacée d'occupation par les Allemands jusqu'à la veille de la signature du traité de paix avec les puissances centrales à Brest-Litovsk (→ traité de Brest-Litovsk, 3 mars 1918), détermine en partie le changement de capitale au profit de Moscou, restaurée dans son rôle de centre historique de la nation. Mais, en s'installant au cœur de la Russie continentale, les bolcheviks entendent aussi renouer avec la tradition de résistance nationale, face aux armées contre-révolutionnaires en formation et à l'intervention des Alliés aux périphéries de l'ancien Empire.
La mise en place d'une dictature politique et économique (le communisme de guerre) durant l'été 1918 permet au nouveau régime d'asseoir son contrôle sur les grandes villes de Russie et de faire face aux différentes offensives antibolcheviques. Celles-ci prennent un tour radical en 1919, à travers l'avancée conjuguée des armées blanches en provenance du Sud vers Moscou, de l'Est vers l'Oural et de l'Ouest vers Petrograd. Mais le manque de coordination de ces armées, les rivalités internes qui animent le mouvement bla |
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